Aldor (le podcast)

L’aplatissement du monde

11.24.2019 - By AldorPlay

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Dans la leçon de clôture du cours qu’il donna au Collège de France, dont je lis un passage, Alain Supiot souligne que le travail n’est pas une marchandise et que le considérer comme tel participe du grand délabrement des choses généré par la réduction du monde à un marché.

Et c’est ainsi qu’au fur et à mesure que se dressent, dans le ciel des centres d’affaires, de grandes tours orgueilleuses, le monde vrai s’aplatit, réduit à un jeu d’échanges monétaires où toute épaisseur, toute profondeur, tout sens ont disparu.

Les mots et expressions que nous utilisons témoignent de cette chosification des êtres et du monde, chosification qui, des mots, s’étend naturellement aux pratiques : parler de capital humain et de capital naturel, comme nous le faisons avec une telle insouciance, n’est pas indifférent : nous réduisons ainsi les femmes et les hommes, et avec eux l’ensemble de la nature, à un capital qu’il s’agirait de faire fructifier et dont la seule fonction, la seule utilité, la seule raison d’être serait de fructifier. Or celui qui n’a pour seul outil qu’un marteau ne peut qu’inlassablement taper ; et les sociétés qui n’ont comme moyen d’évaluation des êtres et des choses que l’argent ne peuvent que les exploiter, les piller si elles le peuvent.

La monnaie, l’argent, constitue un moyen extrêmement fluide, souple, qui autorise l’échange de biens de natures extrêmement diverses. La monnaie permet qu’un échange multilatéral : le marché, se substitue à une succession de trocs bilatéraux ; elle est à la base des sociétés modernes, fondées sur la division du travail.

L’élan naturel de la monnaie, qui découle de sa nature, la pousse à devenir mesure de toutes choses : c’est pour pouvoir tout comparer et valoriser à son aune qu’elle a été créée ! En cela, le travail est valorisable par l’argent, et il est en cela une marchandise, comme le sont la tomate, le bloc de charbon, la montre ou le cours du professeur. Ce qui n’est, en revanche, pas une marchandise, c’est le travailleur, la terre, la vache, le professeur et sa connaissance. Et la bascule s’effectue du jour où, des choses, on prétend attribuer une valeur monétaire aux êtres et au patrimoine qui les dispensent, les créent ou les abritent.

Le salariat, qui fait dépendre entièrement l’homme de son travail, est cette bascule. “Gagner sa vie” dit bien ce que cela veut dire : celui qui gagne sa vie (et c’est aujourd’hui le cas de la quasi-totalité de la population) est rémunéré non seulement pour son travail, mais aussi pour le reste de sa vie : ses loisirs, son logement, sa nourriture, la reproduction de sa force de travail, comme disait Marx. Le salarié est pieds et poings liés à son travail sans lequel il ne peut vivre : “le travail ou la vie ! “, tel est le véritable slogan des siècles où nous vivons.

C’est l’homme qui devient ainsi marchandise, comme c’est la terre qui le devient au travers de la propriété privée, dès lors que celle-ci est autre chose qu’un simple usufruit temporaire.

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