Aldor (le podcast)

Pieds nus sur la terre sacrée : analogie, analyse, nature et domination

11.06.2022 - By AldorPlay

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Un tableau de Jaider Esbell

Dans un petit recueil intitulé Pieds nus sur la terre sacrée, Teresa Carolyn McLuhan a réuni des textes écrits ou prononcés par des Indiens d’Amérique entre le XVIIème et le XXème siècle.

On y découvre des discours, des propos, des extraits de lettres, des morceaux d’entretiens, qui disent les relations entretenues par les Indiens avec la terre, les arbres, les plantes, les animaux, le ciel ; leur proximité avec la nature et le respect qu’ils avaient pour elle ; leur rencontre et leur rapport avec les Européens puis les néo-Américains, leur incompréhension mutuelle, l’immense malentendu qui les sépare.

Il existe certainement de multiples raisons à ce malentendu. L’une d’elles me semble être l’approche contraire que les uns et les autres ont des choses, la tournure inversée d’esprit : les Indiens appréhendent le monde sur le mode de l’analogie ; les Européens sur celui de l’analyse. L’analogie discerne les correspondances, les identités partagées, les résonances chantées par Ralph Waldo Emerson, le sentiment océanique de Romain Rolland, l’esprit et la magie des lieux ; elle est naturellement animiste et respectueuse de l’unité de la Maison commune. L’analyse, quant à elle, repère les différences, distingue, décompose, voit la partie avant le tout et dans le tout voit la partie ; elle dénombre et démembre, et voit le territoire, le territoire charnel fait d’histoire et de liens, comme un espace.

La terre a été créée avec l’aide du soleil et elle devrait être laissée telle quelle était… Le pays a été fait sans ligne de démarcation et ce n’est pas le rôle de l’homme de le diviser… Je vois les Blancs s’enrichir à travers tout le pays et je connais leur désir de nous donner des terres sans valeur… La terre et moi sommes du même esprit. La mesure de la terre et la mesure de nos corps sont les mêmes…Mais ne vous méprenez pas et comprenez bien la raison de mon amour pour la terre. Je n’ai jamais dit que la terre était mienne pour en user à ma guise.

Chef Joseph, chef des Nez percés

Entre Européens et Indiens, chacun voit et privilégie une partie de la réalité ; et chacun est le barbare, l’aveugle de l’autre. Mais la relation est cependant dissymétrique car l’esprit analytique, qui trie, classe, cherche les rapports et les causalités, est considérablement plus agile, plus productif, que ne l’est l’esprit analogique, qui ressent, vibre aux harmonies mais en reste quelque peu désemparé. Je me souviens, ainsi, d’être resté muet, un jour, sur la grande plage de Vierville, tandis que Katia me demandait d’expliquer pourquoi j’aimais tel ou tel tableau, ce dont j’étais totalement incapable…

De cette capacité algorithmique à décomposer et à décrire le monde, les esprits analytiques tirent un profond sentiment de supériorité, que vient confirmer leur maîtrise incontestable des sciences et des technologies. Pas un seul instant, les Européens et les néo-Américains n’imaginent qu’ils aient, de leur côté, quelque chose à apprendre des Indiens ; cette hypothèse ne leur ...

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