Aldor (le podcast)

Shangri-La ou l’éloge de la modération

12.10.2019 - By AldorPlay

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Les horizons perdus, de James Hilton, dont on connaît plus souvent le film éponyme qu’en a tiré Frank Capra, raconte la découverte, par des occidentaux des années 1930 dont l’avion a été détourné, d’une vallée perdue au milieu du Tibet, au sein de laquelle s’épanouit, depuis le XVIIIè siècle et sa fondation par le Père Perrault, venu du Luxembourg, une société fondée sur un mélange de bouddhisme et de christianisme. Shangri-La est le nom de cette contrée qui vit en autarcie, dans l’isolement de la haute montagne, épargnée du temps et des vicissitudes du siècle, et dans les temples de laquelle on entend “aussi bien le Te Deum Laudamus que le Om Mane Padme Hum“.La vie à Shangri-La est fondée sur la modération, comme l’explique Chang aux visiteurs  :Notre doctrine principale est la modération. Nous inculquons la qualité d’éviter les excès de toutes sortes, y compris, si vous voulez bien excuser le paradoxe, l’excès de vertu. Dans la vallée que vous avez vue et où plusieurs milliers d’habitants vivent sous notre domination spirituelle, nous avons remarqué que ce principe amène un degré considérable de bonheur. Nous gouvernons avec une sévérité modérée et, en retour, nous sommes gratifiés d’une obéissance modérée. Et je crois pouvoir prétendre que nos gens sont modérément sobres, modérément chastes et modérément honnêtes.Le héros du livre, Conway, aime bien cette modération qui est en harmonie avec son propre flegme, et que nombre de ses interlocuteurs voient comme une apathie et un manque de caractère. J’aime bien, moi aussi, cette approche pragmatique qui, s’appliquant également à elle-même, garde ses distances avec les absolus et les doctrines, y compris celle de la modération. Ce n’est pas un scepticisme généralisé mais plutôt une façon de reconnaître l’imbrication des choses et l’impossibilité dans laquelle nous sommes le plus souvent – même si pas toujours ! – de distinguer non pas le mal du bien mais le tracé exact de la ligne les séparant.Cette modération est placée sous le signe du et ; elle revient à embrasser la totalité du monde, en en reconnaissant l’épaisseur, la richesse, la contradiction, et en essayant de tout englober, au lieu de rejeter hors du monde les parcelles ou les grands pans de réalité ne collant pas à notre théorie, à la vision simplificatrice que nous avons des choses, à l’image idolâtre que nous en avons bâtie et qui n’est que la projection de notre esprit.Cette modération, qui fait avec le monde beaucoup plus qu’elle ne prétend le réformer, s’apparente plus au radical-socialisme de Créon qu’à l’exigence absolue de pureté incarnée par Antigone. Elle est rondouillarde et bonhomme comme les statues du Bouddha devenu sage et non tranchante, fière et étique comme les anges de l’Apocalypse. Elle ne délivre pas d’autre idéologie que sa propre modération ; elle n’est d’ailleurs porteuse d’aucun message mais seulement d’une pratique.

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