A Mme LullinHé quoi ! vous êtes étonnéeQu’au bout de quatre-vingts hivers,Ma Muse faible et surannéePuisse encor fredonner des vers ?Quelquefois un peu de verdureRit sous les glaçons de nos champs ;Elle console la nature,Mais elle sèche en peu de temps.Un oiseau peut se faire entendreAprès la saison des beaux jours ;Mais sa voix n’a plus rien de tendre,Il ne chante plus ses amours.Ainsi je touche encor ma lyreQui n’obéit plus à mes doigts ;Ainsi j’essaie encor ma voixAu moment même qu’elle expire.« Je veux dans mes derniers adieux,Disait Tibulle à son amante,Attacher mes yeux sur tes yeux,Te presser de ma main mourante. »Mais quand on sent qu’on va passer,Quand l’âme fuit avec la vie,A-t-on des yeux pour voir Délie,Et des mains pour la caresser ?Dans ce moment chacun oublieTout ce qu’il a fait en santé.Quel mortel s’est jamais flattéD’un rendez-vous à l’agonie ?Délie elle-même, à son tour,S’en va dans la nuit éternelle,En oubliant qu’elle fut belle,Et qu’elle a vécu pour l’amour.Nous naissons, nous vivons, bergère,Nous mourons sans savoir comment ;Chacun est parti du néant :Où va-t-il ?… Dieu le sait, ma chère.Voltaire