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Je veux dire, le gars dirige une chaîne Youtube sur la fabrication de bonsaïs, un sujet de niché s’il en est un. Plusieurs fois par semaine, le géant aux cheveux débraillés publie des vidéos de lui-même travaillant sur ses arbres tout en exprimant son processus de réflexion dans sa quête de miniaturisation. Pour chaque branche coupée, il explique sa raison. Il vous dira aussi quand il hésite. « Si je coupe cette branche, cette autre aura plus de soleil mais peut-être pousse-t-elle trop verticalement. Alors peut-être que c’est plutôt celle que je devrais couper. Décision difficile! » est le genre de chose que vous pourriez l’entendre dire. Personnellement, je m’identifie à son contenu car il y a quelques années, je me suis essayé à la fabrication de bonsaïs. Bien que j’en aie pas mal fini avec le meurtre en série arboricole (!), je regarde toujours religieusement l’homme souvent appelé le Bob Ross du nanisme des arbres.
Mais non, cet article ne concerne pas que la fabrication de bonsaï en soi. En fait, j’ai été poussé à l’écrire car, comme vous le savez peut-être déjà, j’ai récemment créé un compte Twitter (pour l’instant, en anglais seulement). Comme je ne suis pas totalement nouveau sur la plate-forme (je l’ai visité occasionnellement il y a quelques années), je n’ai pas été entièrement surpris par le ton et l’ambiance de l’endroit. De plus, aussi déséquilibrée que puisse être cette plate-forme, c’est là que beaucoup des « cool kids » échangent et débattent d’idées, mais cette fois, quelque chose m’a immédiatement sauté au visage. Comme toujours ― et en fait peut-être maintenant plus que jamais ― les soi-disant rebelles et les figures de la contre-culture se livrent une guerre des mots, ce qui est, en prenant un certain recul recul, la manière la plus normale et usuelle de faire les choses. Qu’ils en soient conscients ou non, la plupart des leaders d’opinion se comportent essentiellement comme de parfaits apôtres du « penséisme », c’est-à-dire des personnes qui incarnent activement la conviction que la pensée, et peut-être la pensée seule, est salutaire pour l’humanité. Ainsi donc, ça me rappelle les « cool kids » de l’adolescence, les supposés outsiders qui considéraient leur beuverie comme des actes rebelles… même si les « fils/filles à papa » les plus conformistes faisaient tout autant la fête. Une différence dans l’emballage, mais pas les mêmes en action.
À ce jour, je crois que, malheureusement peut-être, les plus vrais des vrais rebelles ont souvent été les plus silencieux. Les solitaires, les reclus, ceux qui partent d’Omelas. Ceux qui marche sur la ligne qui ne peut être parlée. Ils ne se considéreraient probablement pas non plus comme des rebelles. C’est généralement ceux qui, uniquement, font leurs petites affaires.
Alors, qu’est-ce que Nigel Saunders et la fabrication de bonsaï ont à voir avec la « twittersphère »? Ou encore, qu’est-ce que les médias sociaux ont en commun avec tout ce qui nécessite de la concentration, une connexion? En surface, à peu près rien. Ce qui est bien plus frappant, c’est que les différences couramment observées dans leurs utilisations peuvent être résumées en un seul mot : appréhension, comme dans « la prise ». Plus précisément, l’appréhension du temps, ou plutôt de la temporalité. D’un point de vue temporel donc, les tweets sont enracinés (sans jeu de mots) dans un torrent incommensurable et susceptible d’induire un TDAH, de pensées et d’événements éphémères. Les « actions centrées », qu’on parle de la poterie, la cuisine, l’origami, la méditation, le yoga et bien sûr la fabrication de bonsaïs, sont des actes quant à eux exclusifs. La concentration qu’ils nécessitent en effet repousse la majeure partie de notre réalité commune, empêchant ainsi ― de manière forcée et artificielle ― l’intellect de vagabonder.
Woah ! Maintenant, à ce stade, vous êtes peut-être un peu confus. Habituellement, dans ce genre d’essai, on verra l’auteur glorifier une idée plutôt qu’une autre, préconisant généralement la plus « calme » des deux. Je veux dire, j’ai la barbe et l’étiquette « mystique » après tout. Je devrais donc normalement vous vendre ma conviction que tout ce qui est considéré comme méditatif est systématiquement supérieur aux divagations sur les réseaux sociaux, n’est-ce pas? Permettez-moi une métaphore « full Zen »: la foudre est-elle essentiellement supérieure à la brise ? Je veux dire, pensez-y vraiment, ressentez une réponse… d’un point de vue archétypal, animiste même!
Deux esprits, deux couleurs. Un débit rapide, un débit lent. Dans le temps, autour du temps.
Reste quand même encore le titre même de cet essai, à savoir Actes radicaux de quiétude. Il relie implicitement l’idée d’actions conscientes et calmes à au moins une forme de rébellion. Ok donc, on continue.
De manière générale, les rebelles visent à changer les choses. Ils (ré)agissent contre-culturellement. Ils se battent pour que le vent tourne, pour la mutation du statu quo plutôt que pour son éradication. Selon où se trouve le pôle dominant, ils optent pour le conservatisme ou le progressisme, pour plus de chaos ou plus d’ordre. Et aussi généralement ― si leurs querelles ne les ont pas rendus follement paranoïaques ― ils deviennent doux et confortables quand les choses finissent par aller dans leur sens. Ça pourrait en fait expliquer cette étrange tendance des manifestants les plus bruyants à finir par se retrouver dans des vêtements coûteux, étranglés par une gigantesque hypothèque, une situation souvent attribuée à la soi-disant maturité. Cela dit, les rebelles se battent-ils vraiment pour le changement, pour une révolution absolue? Ou plutôt pour museler et étouffer l’ennemi, que cet ennemi soit une personne, une organisation ou, encore plus probablement, une idée? À la fin de ce type de guerre, rien n’a changé. L’opposition et les alliances engendrent l’inimitié, et le serpent continue de se mordre la queue. Un réel changement peut-être, mais pas de changement véridique.
… puis Twitter grandit, tout comme les bonsaïs. Les bases de données débordent de la sève de notre schizophrénie, et les petits arbres en ont rien à foutre de nos tweets. Alors, à quoi ressemblerait une véritable et totale révolution ? Comment des rebelles peuvent-ils se rebeller de manière désintéressée, sans maintenir l’humanité en spirale sans fin dans les bourbiers de la dualité, de la binarité ? Sortir de cette mécanicité ne représenterait-il pas un réel progrès? C’est, après tout, quelque chose que nous n’avons pas encore expérimenté en tant qu’espèce: l’individuation jungienne de masse.
Mais revenons à mon explication du titre, et essayons de l’encadrer de la manière la plus simple. Pour comprendre ce qu’est cette rébellion silencieuse, on doit définir le terme «révolution». Tout simplement ― ou je l’admets, de façon un peu simpliste ― le mot décrit une transformation vers quelque chose de nouveau. Elle implique aussi un changement profond, voire fondamental. Et donc, quel changement pourrait être aussi fondamental pour l’humanité qu’une soustraction au dualisme, et donc, à la temporalité ? Notez que je n’ai pas dit « dualité », et je ne parle pas non plus de « la paix sur la Terre ». Qu’est-ce qui pourrait être aussi radical que d’être libre de notre obsession maniaque pour le contrôle? De notre haine de la mort ?
Je vais dire ça comme ceci: à ce stade, le plus grand acte de rébellion que l’on puisse entreprendre est d’entrer dans l’intemporalité, non pas parce que c’est la « bonne » chose à faire, mais parce que c’est la nouvelle chose à faire. Poussant encore plus loin, non pas « nouveau » parce que ça n’a jamais été tenté auparavant, mais plutôt, parce qu’en entrant dans l’intemporalité, on entre aussi dans l’esprit de la nouveauté. Vous savez… cette vieille expression « l’esprit du débutant ». C’est ce qu’on n’a jamais vécu collectivement. Merde… on dirait qu’on n’a même jamais essayé !
Et donc si ma théorie selon laquelle les vrais rebelles n’adhèrent pas et encore moins promeuvent toute forme d’idéologie, pourquoi devraient-ils adopter une pratique ou un comportement particulier comme passer des moments calmes d’attention focalisée? Tous les amateurs de bonsaï sont-ils des non-dualistes radicaux? Bien sûr que non, mais certaines activités nécessitent absolument de se faire aveugle au temps qui passe, même pour de courtes périodes. Peut-être pensez-vous à des dizaines d’activités exigeant cette qualité d’attention… et vous avez tout à fait raison. La vraie présence n’est pas divisée en catégories spécifiques d’occupations: croyez-le ou non, même faire défiler Twitter peut être accompli dans cet état de conscience élargi! Je veux dire… peut être que ça serait un truc de niveau maître Jedi. Il demeure tout de même que les gens font plus souvent l’expérience de l’intemporalité dans la quiétude, en particulier lors des premières occasions, et à mesure que nos vies, nos pensées et nos émotions tournoient de plus en plus vite, ces moments deviennent exceptionnellement rares. Ainsi, se déposer dans l’éternel insaisissable est l’un des gestes les plus radicaux et les plus révolutionnaires que l’on puisse poser.
Ok mais alors, pourquoi prendre l’exemple de la fabrication de bonsaï ?
Un tas de raisons. Premièrement, j’ai tendance à parler de choses que j’ai vécues. J’aurais pu utiliser des occupations que je n’ai jamais faites comme le travail du bois ou la construction de navires à l’intérieur de bouteilles, mais les métaphores auraient été beaucoup plus faibles. J’ai en effet passé d’innombrables heures à trier les systèmes racinaires et à défolier les érables. Plus spécifiquement cependant, je réfère à la fabrication de bonsai car cela ne nécessite pas seulement de sortir du temps « localement » en faisant l’activité. Cette sortie doit aussi être faite, en fin de compte, d’une manière très paradoxale: l’artiste de bonsaï doit développer une vision à très long terme pour l’arbre, si longue en fait qu’il ou elle pourrait ne pas être en vie lorsque les plans arriveront à terme. Effectivement, un arbre nain peut survivre à des dizaines de ses gardiens, car certains bonsaïs atteignent des âges de plusieurs centaines d’années. L’artiste doit donc déposer chaque décision et chaque coupe sur la structure même de l’espace/temps, tout en laissant complètement de côté ce qui se passera avec l’arbre lorsqu’il atteindra lui-même la fin de son propre chemin.
Alors que j’écrivais les mots « individuation jungienne de masse », j’ai entendu des critiques m’accuser d’utopisme. Voyez-vous maintenant comment ce n’est pas le cas? Tout comme un artiste bonsaï travaillant sur un jeune arbre, il n’y a aucun moyen pour nous de savoir comment l’humanité se comporterait dans une civilisation individuée. Il n’y a donc pas d’utopie à atteindre, pas de critères… seulement la Nature à suivre. Un idéal sans forme, aux qualités toujours changeantes, avec un noyau intangible qui est pourtant plus vrai que vrai.
Et ainsi l’adepte, par conséquent rebelle, ne s’éveille pas pour trouver des solutions ou des stratégies d’amélioration, mais bien pour découvrir ce qui a toujours été là, caché dans la machine égoïque. Et tout comme chaque branche d’un bonsaï contribue à la santé, à l’harmonie et à la longévité de l’arbre, tous nos développements individuels façonnent l’humanité, espérons-le, vers l’épanouissement de notre divinité. Ainsi, chacun grandirait de manière désintéressée, pour la postérité.
Ok, pause de… grandiosité.
Alors, pourquoi je vous parle de ce cher Nigel? Je veux dire… Je l’aime bien ! J’aime la façon dont il fait les choses. Il est à la fois sérieux et joueur, jamais trop dramatique. Malgré ses décennies d’expérience, il recommence toujours avec chaque arbre, il expérimente, il apprend. Le regarder, c’est aussi faire une pause de tous les combats, de la politique, des manigances et des mensonges, le seul rappel des tragédies imminentes dans ses vidéos étant une sirène de police occasionnelle en arrière-plan à laquelle il commentera toujours légèrement « voici l’apocalypse zombie ». À part ça, juste les arbres et le moment. Les actes radicaux de quiétude. Comme je l’ai dit, il est sérieux et joueur: dans mon livre, les marques d’un vrai rebelle. Vous pouvez visiter sa chaîne YouTube en cliquant ici.
Pour terminer, tout cela me fait me demander… à quoi ressemble Twitter d’un point de vue intemporel?
Où et comment se dresse-t-il face à l’éternité?
Quelle est l’ontologie d’un tweet?
Ce sont, après tout, des idées gardées petites, comme le sont les bonsaïs. J’imagine. Genre? Cela dit, je doute fort qu’il puisse jamais y avoir un tweet vieux de 800 ans. Disons qu’ils ont tendance à ne pas très bien vieillir.
Meh… des mots et des arbres…
La foudre, et la douce brise chaude.
By Dominic ValléeJe veux dire, le gars dirige une chaîne Youtube sur la fabrication de bonsaïs, un sujet de niché s’il en est un. Plusieurs fois par semaine, le géant aux cheveux débraillés publie des vidéos de lui-même travaillant sur ses arbres tout en exprimant son processus de réflexion dans sa quête de miniaturisation. Pour chaque branche coupée, il explique sa raison. Il vous dira aussi quand il hésite. « Si je coupe cette branche, cette autre aura plus de soleil mais peut-être pousse-t-elle trop verticalement. Alors peut-être que c’est plutôt celle que je devrais couper. Décision difficile! » est le genre de chose que vous pourriez l’entendre dire. Personnellement, je m’identifie à son contenu car il y a quelques années, je me suis essayé à la fabrication de bonsaïs. Bien que j’en aie pas mal fini avec le meurtre en série arboricole (!), je regarde toujours religieusement l’homme souvent appelé le Bob Ross du nanisme des arbres.
Mais non, cet article ne concerne pas que la fabrication de bonsaï en soi. En fait, j’ai été poussé à l’écrire car, comme vous le savez peut-être déjà, j’ai récemment créé un compte Twitter (pour l’instant, en anglais seulement). Comme je ne suis pas totalement nouveau sur la plate-forme (je l’ai visité occasionnellement il y a quelques années), je n’ai pas été entièrement surpris par le ton et l’ambiance de l’endroit. De plus, aussi déséquilibrée que puisse être cette plate-forme, c’est là que beaucoup des « cool kids » échangent et débattent d’idées, mais cette fois, quelque chose m’a immédiatement sauté au visage. Comme toujours ― et en fait peut-être maintenant plus que jamais ― les soi-disant rebelles et les figures de la contre-culture se livrent une guerre des mots, ce qui est, en prenant un certain recul recul, la manière la plus normale et usuelle de faire les choses. Qu’ils en soient conscients ou non, la plupart des leaders d’opinion se comportent essentiellement comme de parfaits apôtres du « penséisme », c’est-à-dire des personnes qui incarnent activement la conviction que la pensée, et peut-être la pensée seule, est salutaire pour l’humanité. Ainsi donc, ça me rappelle les « cool kids » de l’adolescence, les supposés outsiders qui considéraient leur beuverie comme des actes rebelles… même si les « fils/filles à papa » les plus conformistes faisaient tout autant la fête. Une différence dans l’emballage, mais pas les mêmes en action.
À ce jour, je crois que, malheureusement peut-être, les plus vrais des vrais rebelles ont souvent été les plus silencieux. Les solitaires, les reclus, ceux qui partent d’Omelas. Ceux qui marche sur la ligne qui ne peut être parlée. Ils ne se considéreraient probablement pas non plus comme des rebelles. C’est généralement ceux qui, uniquement, font leurs petites affaires.
Alors, qu’est-ce que Nigel Saunders et la fabrication de bonsaï ont à voir avec la « twittersphère »? Ou encore, qu’est-ce que les médias sociaux ont en commun avec tout ce qui nécessite de la concentration, une connexion? En surface, à peu près rien. Ce qui est bien plus frappant, c’est que les différences couramment observées dans leurs utilisations peuvent être résumées en un seul mot : appréhension, comme dans « la prise ». Plus précisément, l’appréhension du temps, ou plutôt de la temporalité. D’un point de vue temporel donc, les tweets sont enracinés (sans jeu de mots) dans un torrent incommensurable et susceptible d’induire un TDAH, de pensées et d’événements éphémères. Les « actions centrées », qu’on parle de la poterie, la cuisine, l’origami, la méditation, le yoga et bien sûr la fabrication de bonsaïs, sont des actes quant à eux exclusifs. La concentration qu’ils nécessitent en effet repousse la majeure partie de notre réalité commune, empêchant ainsi ― de manière forcée et artificielle ― l’intellect de vagabonder.
Woah ! Maintenant, à ce stade, vous êtes peut-être un peu confus. Habituellement, dans ce genre d’essai, on verra l’auteur glorifier une idée plutôt qu’une autre, préconisant généralement la plus « calme » des deux. Je veux dire, j’ai la barbe et l’étiquette « mystique » après tout. Je devrais donc normalement vous vendre ma conviction que tout ce qui est considéré comme méditatif est systématiquement supérieur aux divagations sur les réseaux sociaux, n’est-ce pas? Permettez-moi une métaphore « full Zen »: la foudre est-elle essentiellement supérieure à la brise ? Je veux dire, pensez-y vraiment, ressentez une réponse… d’un point de vue archétypal, animiste même!
Deux esprits, deux couleurs. Un débit rapide, un débit lent. Dans le temps, autour du temps.
Reste quand même encore le titre même de cet essai, à savoir Actes radicaux de quiétude. Il relie implicitement l’idée d’actions conscientes et calmes à au moins une forme de rébellion. Ok donc, on continue.
De manière générale, les rebelles visent à changer les choses. Ils (ré)agissent contre-culturellement. Ils se battent pour que le vent tourne, pour la mutation du statu quo plutôt que pour son éradication. Selon où se trouve le pôle dominant, ils optent pour le conservatisme ou le progressisme, pour plus de chaos ou plus d’ordre. Et aussi généralement ― si leurs querelles ne les ont pas rendus follement paranoïaques ― ils deviennent doux et confortables quand les choses finissent par aller dans leur sens. Ça pourrait en fait expliquer cette étrange tendance des manifestants les plus bruyants à finir par se retrouver dans des vêtements coûteux, étranglés par une gigantesque hypothèque, une situation souvent attribuée à la soi-disant maturité. Cela dit, les rebelles se battent-ils vraiment pour le changement, pour une révolution absolue? Ou plutôt pour museler et étouffer l’ennemi, que cet ennemi soit une personne, une organisation ou, encore plus probablement, une idée? À la fin de ce type de guerre, rien n’a changé. L’opposition et les alliances engendrent l’inimitié, et le serpent continue de se mordre la queue. Un réel changement peut-être, mais pas de changement véridique.
… puis Twitter grandit, tout comme les bonsaïs. Les bases de données débordent de la sève de notre schizophrénie, et les petits arbres en ont rien à foutre de nos tweets. Alors, à quoi ressemblerait une véritable et totale révolution ? Comment des rebelles peuvent-ils se rebeller de manière désintéressée, sans maintenir l’humanité en spirale sans fin dans les bourbiers de la dualité, de la binarité ? Sortir de cette mécanicité ne représenterait-il pas un réel progrès? C’est, après tout, quelque chose que nous n’avons pas encore expérimenté en tant qu’espèce: l’individuation jungienne de masse.
Mais revenons à mon explication du titre, et essayons de l’encadrer de la manière la plus simple. Pour comprendre ce qu’est cette rébellion silencieuse, on doit définir le terme «révolution». Tout simplement ― ou je l’admets, de façon un peu simpliste ― le mot décrit une transformation vers quelque chose de nouveau. Elle implique aussi un changement profond, voire fondamental. Et donc, quel changement pourrait être aussi fondamental pour l’humanité qu’une soustraction au dualisme, et donc, à la temporalité ? Notez que je n’ai pas dit « dualité », et je ne parle pas non plus de « la paix sur la Terre ». Qu’est-ce qui pourrait être aussi radical que d’être libre de notre obsession maniaque pour le contrôle? De notre haine de la mort ?
Je vais dire ça comme ceci: à ce stade, le plus grand acte de rébellion que l’on puisse entreprendre est d’entrer dans l’intemporalité, non pas parce que c’est la « bonne » chose à faire, mais parce que c’est la nouvelle chose à faire. Poussant encore plus loin, non pas « nouveau » parce que ça n’a jamais été tenté auparavant, mais plutôt, parce qu’en entrant dans l’intemporalité, on entre aussi dans l’esprit de la nouveauté. Vous savez… cette vieille expression « l’esprit du débutant ». C’est ce qu’on n’a jamais vécu collectivement. Merde… on dirait qu’on n’a même jamais essayé !
Et donc si ma théorie selon laquelle les vrais rebelles n’adhèrent pas et encore moins promeuvent toute forme d’idéologie, pourquoi devraient-ils adopter une pratique ou un comportement particulier comme passer des moments calmes d’attention focalisée? Tous les amateurs de bonsaï sont-ils des non-dualistes radicaux? Bien sûr que non, mais certaines activités nécessitent absolument de se faire aveugle au temps qui passe, même pour de courtes périodes. Peut-être pensez-vous à des dizaines d’activités exigeant cette qualité d’attention… et vous avez tout à fait raison. La vraie présence n’est pas divisée en catégories spécifiques d’occupations: croyez-le ou non, même faire défiler Twitter peut être accompli dans cet état de conscience élargi! Je veux dire… peut être que ça serait un truc de niveau maître Jedi. Il demeure tout de même que les gens font plus souvent l’expérience de l’intemporalité dans la quiétude, en particulier lors des premières occasions, et à mesure que nos vies, nos pensées et nos émotions tournoient de plus en plus vite, ces moments deviennent exceptionnellement rares. Ainsi, se déposer dans l’éternel insaisissable est l’un des gestes les plus radicaux et les plus révolutionnaires que l’on puisse poser.
Ok mais alors, pourquoi prendre l’exemple de la fabrication de bonsaï ?
Un tas de raisons. Premièrement, j’ai tendance à parler de choses que j’ai vécues. J’aurais pu utiliser des occupations que je n’ai jamais faites comme le travail du bois ou la construction de navires à l’intérieur de bouteilles, mais les métaphores auraient été beaucoup plus faibles. J’ai en effet passé d’innombrables heures à trier les systèmes racinaires et à défolier les érables. Plus spécifiquement cependant, je réfère à la fabrication de bonsai car cela ne nécessite pas seulement de sortir du temps « localement » en faisant l’activité. Cette sortie doit aussi être faite, en fin de compte, d’une manière très paradoxale: l’artiste de bonsaï doit développer une vision à très long terme pour l’arbre, si longue en fait qu’il ou elle pourrait ne pas être en vie lorsque les plans arriveront à terme. Effectivement, un arbre nain peut survivre à des dizaines de ses gardiens, car certains bonsaïs atteignent des âges de plusieurs centaines d’années. L’artiste doit donc déposer chaque décision et chaque coupe sur la structure même de l’espace/temps, tout en laissant complètement de côté ce qui se passera avec l’arbre lorsqu’il atteindra lui-même la fin de son propre chemin.
Alors que j’écrivais les mots « individuation jungienne de masse », j’ai entendu des critiques m’accuser d’utopisme. Voyez-vous maintenant comment ce n’est pas le cas? Tout comme un artiste bonsaï travaillant sur un jeune arbre, il n’y a aucun moyen pour nous de savoir comment l’humanité se comporterait dans une civilisation individuée. Il n’y a donc pas d’utopie à atteindre, pas de critères… seulement la Nature à suivre. Un idéal sans forme, aux qualités toujours changeantes, avec un noyau intangible qui est pourtant plus vrai que vrai.
Et ainsi l’adepte, par conséquent rebelle, ne s’éveille pas pour trouver des solutions ou des stratégies d’amélioration, mais bien pour découvrir ce qui a toujours été là, caché dans la machine égoïque. Et tout comme chaque branche d’un bonsaï contribue à la santé, à l’harmonie et à la longévité de l’arbre, tous nos développements individuels façonnent l’humanité, espérons-le, vers l’épanouissement de notre divinité. Ainsi, chacun grandirait de manière désintéressée, pour la postérité.
Ok, pause de… grandiosité.
Alors, pourquoi je vous parle de ce cher Nigel? Je veux dire… Je l’aime bien ! J’aime la façon dont il fait les choses. Il est à la fois sérieux et joueur, jamais trop dramatique. Malgré ses décennies d’expérience, il recommence toujours avec chaque arbre, il expérimente, il apprend. Le regarder, c’est aussi faire une pause de tous les combats, de la politique, des manigances et des mensonges, le seul rappel des tragédies imminentes dans ses vidéos étant une sirène de police occasionnelle en arrière-plan à laquelle il commentera toujours légèrement « voici l’apocalypse zombie ». À part ça, juste les arbres et le moment. Les actes radicaux de quiétude. Comme je l’ai dit, il est sérieux et joueur: dans mon livre, les marques d’un vrai rebelle. Vous pouvez visiter sa chaîne YouTube en cliquant ici.
Pour terminer, tout cela me fait me demander… à quoi ressemble Twitter d’un point de vue intemporel?
Où et comment se dresse-t-il face à l’éternité?
Quelle est l’ontologie d’un tweet?
Ce sont, après tout, des idées gardées petites, comme le sont les bonsaïs. J’imagine. Genre? Cela dit, je doute fort qu’il puisse jamais y avoir un tweet vieux de 800 ans. Disons qu’ils ont tendance à ne pas très bien vieillir.
Meh… des mots et des arbres…
La foudre, et la douce brise chaude.