Pour les esprits « non duels », la productivité est souvent problématique, quand ce n'est pas carrément une forme de torture. Peut-on vraiment n'avoir aucun objectif et persister à bâtir sur une pulsion créative à plus long terme ? Je dis "Clairement!".Oh comme il semble, bien que ce ne soit pas le cas, que ce monde soit plus facile pour les fonceurs et les proactifs parmi nous. Vous savez, le type "Pas de gain sans douleur"….. ceux que nous considérons souvent comme étant disciplinés. Mais pour certains autres, ceux qui demandent plus souvent "pourquoi?" et son rarement satisfaits par un oui ou un non, la soi-disant manifestation peut être perçue comme un véritable calvaire. Les actions concrètes et la réalisation de soi peuvent présenter un défi suffisamment grand pour maintenir ces "indécis chroniques" dans un état constant d'anxiété, voire de dégoût de soi. Cela dit, il arrive que ce type de personne trouve de l'espoir dans des traditions fondées sur des philosophies de non-dualisme et de non-agir. Pourtant, beaucoup ayant adopté ces philosophies demeureront hantés par la poussée de leur créativité et de leur épanouissement. Cette pulsion est souvent associée à l'ego, et donc une version pervertie de la discipline est nécessaire pour, le plus souvent, réprimer plutôt que transmuter l'envie obsessionnelle de faire, d'être productif. Dans d'autres cas, le non-agir se traduira par une attitude de "fais juste suivre le flow, man", attitude qui fait fi de notre propension naturelle et humaine pour la croissance et l'accomplissement.
Ainsi, dans notre réalité axée sur la « binarité », la discipline est souvent considérée et/ou exprimée comme un comportement forcé et contraint, et pour toute personne soucieuse de la nature inter-relationnelle de son existence, cela pose un problème majeur. Malgré tout, sans jamais se pousser au changement, vers la nouveauté et l'évolution, un sentiment toujours croissant de stagnation aigrira très probablement l'adepte jusqu'à sa perte. Fondamentalement, l'action forcée procure à l'adepte un sentiment artificiel d'être vivant, tandis que les plus apathiques risquent de s'embourber dans un épais nihilisme.
Ainsi, on pourrait conclure que la discipline, lorsqu'elle est définie par une action énergique, doit simplement être utilisée de manière équilibrée... en forçant parfois un peu les choses, et d'autres fois en lâchant prise. Bien que cette approche de compromis semble "saine", ou du moins souhaitable, elle est également irréaliste pour une très bonne raison: tout centre de gravité coincé entre "trop" et "pas assez", en plus d'être enraciné dans la dualité, est un modèle beaucoup trop simpliste pour être effectivement applicable à notre vie. En vérité, l'immuable centre de gravité de «l'action juste» ne peut être saisi mentalement et encore moins calculé. Développer sur ce sujet sortirait du cadre de ce texte, et donc pour l'instant je vous invite à y penser de cette manière; l'action n'est pas la non-action, mais la non-action n'est pas non plus l'inaction.
Cela dit, existe-t-il une forme de discipline qui ne soit pas intrinsèquement dualiste ? Je veux dire... oui et non... après tout, cela demeure un mot que les gens transformeront en ce qui satisfait le mieux leur machine égoïque. Mais pour les besoins de cet argument, disons que la non-action exigerait donc plutôt une non-discipline. Et comme il s'agit d'un concept assez inutile (littéralement), j'appellerai cette "version" proposée de la discipline l'alt-discipline, parce que ça sonne weird et que je fais tellement génération X.
Ok donc... l'alt-discipline. Tout d'abord, cela rejoint une idée que je rappelle souvent aux gens, à savoir que le contrôle et la maîtrise sont des concepts distincts, le premier nécessitant une posture d'opposition tandis que le second repose sur un état d'esprit coopératif. Une autre façon de distinguer les deux, et cela nous aidera dans notre révision de la discipline, est de considérer les implications de la violence. Le contrôle est toujours violent, même lorsqu'il est appliqué avec soi-disant bonnes intentions, car le contrôle n'écoute pas. Il proscrit la réceptivité. Néanmoins, cela ne rend pas la maîtrise automatiquement douce et paisible pour autant. En effet, toujours métaphoriquement parlant, la maîtrise guérit autant qu'elle détruit. Elle pousse à un changement ― et cette partie suivante est importante ― tout en respectant la nature de ce qu'on souhaite changer. Et c'est pourquoi la maîtrise semble bien plus difficile que le contrôle, car le plus problématique, du moins du point de vue d'une machine égoïque, est de déterminer ce qui devrait et pourrait être changé, versus ce qui doit rester tel quel. En d'autres mots, marier le bourgeonnement de nos désirs de créativité au flux essentiel de la Nature, allier le « ce que je veux » au « ce qui Est ». Et donc pour en revenir à notre point principal, pour le dire en termes plus simples, la discipline (telle qu'elle est souvent comprise et exprimée) est basée sur le contrôle, tandis que l'alt-discipline se base sur la maîtrise.
Je concèderais cependant que ce terme, maîtrise, peut sembler quelque peu effrayant. Je veux dire, cela semble inaccessible... parce que ça l'est! Rappelez-vous, l'alt-discipline ainsi que la maîtrise sont des concepts fondamentalement non-duels, et ne peuvent donc pas être considérés comme des objectifs autant qu'une attitude générale, une tendance, une "coloration" de notre comportement... et la clé requise pour les deux est très simple: l'écoute. Meh... le terme est un peu faible. Je suppose que "conscience" semble plus complète, moins mentale, mais l'écoute pointe vers une autre considération importante, que je décrirai un peu plus loin.
Donc, avant de développer sur l'écoute/conscience, abordons ce qui pourrait être la principale raison pour laquelle vous lisez ceci. Comment utilise-t-on l’alt discipline pour répondre à son impulsion créative et générative? Hm... il y a tellement de détails qui ne vont pas avec cette question même, mais elle devra faire l'affaire pour l'instant. Je souhaite vraiment vous laisser avec quelque chose de concrètement praticable. Car oui, le principe d'action reste souvent très insaisissable pour le penseur non-duel, et croyez-moi, je sais comment cela peut conduire à la douleur et au désespoir existentiels les plus profonds. Mais attendez... il y a une bonne nouvelle: les actions réellement éclairées, des plus petites aux plus importantes, doivent émerger d'un paradoxe... alors, c'est déjà ça de prit! Mais reste la question du "comment"... essayons de l'explorer de la manière la plus concrète possible.
Puisque la non-action ne peut être définie ni par l'action ni par l'inaction, un point central ne peut pas être discerné mentalement, car le processus intellectuel est désamorcé par les paradoxes. D'emblée, ça règle le cas de la forme "conventionnelle" de discipline qui nécessite l'application d'objectifs bien définis. Pour le penseur non-duel, cela est problématique car tout objectif fixe tend à se brouiller avec le temps, tout comme la motivation pour atteindre ledit objectif. L'alt-discipline n'est donc pas mise en œuvre sur des actions spécifiques en soi, et peut-être mieux considérée comme une présence volontairement soutenue. Fondamentalement, ça signifie demeurer à tout moment attentif à la fois à la route et à sa boussole intérieure. C'est à peu près tout. Vous pensez que c'est trop facile ? Allez-y! Essayez! La plupart des gens ne savent même pas qu'il existe une boussole intérieure, et le courage nécessaire pour suivre ses indications est en fait une qualité rare.
Mais attendez... en quoi est-ce différent de l'attitude « fais juste suivre le flow, man » mentionnée au début ? Et plus précisément, comment l'alt-discipline aide-t-elle à résoudre le problème encore plus important de la persévérance? D'un effort soutenu? Eh bien, c'est précisément ce sur quoi je m'alignais tout ce temps, et je suis heureux que tu sois toujours avec moi pour le grand dévoilement dramatique.
En observant simplement la forme conventionnelle de la discipline, celle basée sur le contrôle et le dévouement enrégimenté, nous pouvons facilement voir comment elle est issue d'une croyance que la Vie/la Nature/ l'Univers/Peu Importe est, au pire, une force qui travaille pour votre décrépitude, ou au mieux, une puissance amorale et stagnante où rien n’est généré qui n'est pas volontairement créé. Les fervents partisans du contrôle et de l'ordre, qu'ils soient considérés comme disciplinés ou qu'ils souhaiteraient l'être, se méfient essentiellement des forces génératives de la Nature. Cela dit, il n'est pas très difficile d'être témoin de ces immenses forces à l'œuvre. Elles se meuvent constamment dans chaque arbre, chaque fleur, chaque animal, s'efforcent sans relâche à la fois à croître et à tendre vers un équilibre à la fois macrocosmique et microcosmique, et c'est pourquoi Elles transcendent la vie et la mort. Cela signifie qu'il y a « en vous » une même et réelle volonté de vous épanouir et de créer à laquelle vous pouvez vous ouvrir. Une volonté significative, individuelle ― et plus particulièrement sacrée ― que « juste suivre le flow » ne permettra pas... et la force aveugle et brutale non plus. Et ainsi la non-action, reposant sur les épaules de la Nature, est potentiellement infiniment plus forte que l'action motivée par un processus dualiste. À ce stade, vous pourriez avoir l'impression que je m'éloigne du sujet initial de la productivité et de la persévérance dans l'action, mais pensez-y de cette façon : un arbre vieux de 1000 ans pousse-t-il... en un après-midi ? Eh bien... bien évidemment que non! Il se bâtit sur lui-même... affronte les sécheresses et les tempêtes... les parasites... et continue naturellement de croître.
... ce qui me ramène au sujet précédent de l'écoute et/ou de la conscience nécessaire à l'application de l'alt-discipline. Comment le séquoia vieux de 1000 ans sait-il qu'il n'est pas un petit sapin touffu, une fleur ou un brin d'herbe?
Eh bien, très probablement, ni le séquoia ni personne d'autre sur cette liste n'a jamais eu à poser cette question. Bien sûr, c'est une hypothèse, mais je sais par expérience qu'il existe en fait un "espace" dans l'esprit humain où de telles questions ne font pas vraiment de sens, où il n'y a rien de plus qu'une pulsation ressentie, indiquant que faire et ce qui semble juste. Et bien que ce qui surgit dans cet "espace" soit filtré à travers notre appareil mental pour être transformé en pensées, émotions et actions, son état originel est pur qualia, sans forme. Ainsi, à l'instar des arbres, les humains habitent un véhicule constitué de manière archétypique ― que la nature égoïque rend bien plus complexe que celui de nos amis feuillus ― mais qui est finalement imprégné du même besoin et de la même capacité de croissance. Ce qui varie énormément d'un individu à l'autre, c'est la manière dont cette force de vie s'exprime. Cela rend l'écoute parfois très difficile, car contrairement aux arbres, je suppose, notre perception de la réalité est brouillée par d'innombrables opinions et conflits, tant internes qu'externes. C'est d'ailleurs pour cela que j'ai ressenti le besoin d'écrire un livre entier sur la connaissance de soi. Mais cette connaissance et cette alt-discipline n'exigent de l'adepte qu'un certain effort pour rechercher la clarté et la conscience. Tout comme la discipline "régulière", plus cette prise de conscience est pratiquée constamment, plus le paysage, à la fois physique et métaphysique, deviendra clair. Maintenant, peut-être que vous direz "eh bien, n'est-ce pas justement une forme de contrôle?" à quoi je répondrais que vous venez de pointer la chose la plus importante, sinon la seule qui demande une vigilance absolue. En effet, l'alt-discipline pourrait se résumer de façon aussi simple que d'empêcher l'effort de se transformer en violence, et la légèreté de se transformer en apathie.
D'accord. Petite pause pour résumer:
- La discipline, telle qu'elle est généralement perçue, est une question de contrôle, alors que l'alt-discipline (qui pourrait également être appelé non-discipline) se base sur la maîtrise;
- L'alt-discipline est une forme de pratique permettant aux penseurs non duels d'exprimer leur désir profond de croissance et d'épanouissement;
- Elle consiste principalement à être alerte aux instructions de notre boussole intérieure, ainsi qu'à notre environnement et aux circonstances;
- Une motivation naturelle alimente l'adepte en cohérence à la fois avec la non-action et le paradoxe, d'une façon spécifiquement appropriée pour lui-même;
- "Nettoyer/désengorger" l'esprit peut aider à distinguer les signaux de la boussole intérieure des bruits égoïques internes et/ou externes;
- Pour faire simple, l'alt-discipline consiste, par la présence consciente, à se garder de la violence et de l'apathie, tout en permettant aussi bien l'effort que la légèreté.
Super. Alors maintenant, pour la question que TOUT LE MONDE veut poser : l'alt-discipline peut-elle faire de moi un millionnaire?
Et bien, non. Non pas parce qu'elle maintient les gens dans la pauvreté, mais parce "qu'elle" ne fait rien de spécifique de qui que ce soit. Une question plus appropriée, pour commencer, serait peut-être plutôt: avez-vous vraiment, au fond de votre cœur, vraiment la certitude d'être millionnaire? En fait, cette prise de conscience, cette présence à vous-même, cette pesée instinctive de ce que vous croyez vouloir, de ce dont vous avez vraiment besoin et de ce qui est extérieurement réel, devrait éventuellement vous tirer vers une sorte de centre divin de gravité, dans lequel vous vous sentirez réellement vivant. Cela dit, "réellement vivant" se manifeste de manières parfois très surprenantes... et cela, je le crois fermement, est de loin la partie la plus cool de l'alt-discipline: la partie surprise! En faisant l'expérience de la discipline tout en considérant la réalité métaphysique, on pourra en effet rencontrer d'énormes synchronicités, et cela même pour l'adepte qui opte pour une discipline basée sur le contrôle. Après tout, le feu de Prométhée est amoral et suivra les fortes intentions, quelles qu'elles soient. Mais alors que la discipline forcée s'appuie sur la machine égoïque de l'adepte pour viser des objectifs, l'alt-discipline permet à un type d'intelligence beaucoup plus grand de participer à la réalisation de notre vision. Par conséquent, ce que l'alt-discipline fera de votre situation devient, en quelque sorte, secondaire. Son principal "but", ou non-but en fait, est d'apporter un sentiment d'harmonie à votre existence, d'insuffler dans votre vie un vrai sentiment de signification profonde. Ainsi donc, peut-être deviendriez-vous millionnaire... ou mendiant. Peut-être que cela détruira vos espoirs d'accumuler de l'argent, que vous en ayez déjà ou que vous ayez du mal à en amasser... ou peut-être que cela mettra en lumière vos croyances latentes de manque, vous aspirant hors de l'ermitage pour vous recracher dans une limousine. En termes simples, l'alt-discipline consiste à vous diriger vers ce que vous conviendrez sûrement d'être votre situation la plus appropriée, et en cours de route, généralement, de nombreux miracles vous attendent.
Aussi alambiqué et incomplet que cet essai puisse être, je pense qu'il est très important, à tout le moins, de mettre d'avant le fait qu'il existe un moyen pour les personnes qui ont du mal à prendre des décisions de vivre une vie fructueuse. Il me semble que cette forme de discipline ― et il s'agit bien d'une forme de discipline ― a rarement été discutée et défendue. D'une manière générale, les livres et autre matériel sur la motivation et la discipline ont été produits par des personnes motivées et disciplinées (au sens conventionnel du terme). Pour le penseur non-duel, ce matériel peut être très décourageant, conduisant même parfois l'adepte au désespoir et à l'auto-flagellation. Dans nos sociétés matérialistes, l'indécision est perçue comme une faiblesse, et honnêtement, elle l'est! Cependant, le fait demeure que dans de nombreux cas, l'indécision dérive, et est peut même une dégradation de la non-décision. Ainsi, il faut d'abord savoir que considérer l'incohérence dans l'acte même de décider est un point de vue valable qui peut être tenu fermement. Et deuxièmement, que l'adepte de la pensée non-duelle malheureusement devenu nihiliste est aussi en mesure de laisser s'épanouir ses impulsions créatives, et ainsi, vivre une vie harmonieuse et générative.
Écoutez... il existe tellement de façons de considérer le sujet de la discipline, comme celui de la motivation d'ailleurs. Une autre façon pour moi de les aborder aurait été de décrire une sorte de protodiscipline, primaire et éventuellement complémentaire d'une forme plus forcée. Comprenez aussi que je ne dénigre pas les approches plus conventionnelles basées sur le contrôle. Seulement, on peut s'y attendre par leur nature, le matériel à leur sujet est très, très abondant. Quant à elles, les formes de manifestation ne reposant pas sur une détermination obsessionnelle, cousine du matérialisme, et donc les formes de discipline non systémiques et non structurées dans le temps, ont rarement voire jamais été présentées comme des options légitimes. Mais cela dit, permettez-moi malgré tout de conclure en précisant que le terme alt-discipline lui-même n'a aucun sens. Même qu'il est super chiant à prononcer! Comprenez tout de même que je l'ai choisi pour cette raison, alors qu'il a maintenant rempli sa mission, j'espère que vous le jetterez comme vous le feriez pour l'emballage d'un cadeau.
J'aimerais terminer en suggérant quelques pistes d'introspection :
Qu'est-ce que le terme « discipline » évoque en vous? Prenez une seconde pour le ressentir. Est-ce que vous le ressentez comme étant excitant ? Difficile? Effrayant et possiblement dangereux ? Encourageant? Satisfaisant? Déprimant? Dans un effort pour garder cet essai sous le cap des 2000 mots, un effort auquel j'ai lamentablement échoué, je n'irai pas jusqu'à disséquer davantage ce terme comme je l'ai fait dans mon livre récent pour des mots comme méditation, destin et réalité. Au contraire, pour l'instant, je vous encourage à voir comment le terme "discipline" vit en vous. Est-il lié à une certaine conception du succès (et par conséquent, de l'échec)? Le ressentez-vous comme une obligation, et si oui, considérez-vous cette obligation comme étant remplie ? Ou est-il plus proche d'une sorte de jeu ? Pour vous toujours, la discipline est-elle intimement liée au terme productivité?
Ou en fait, peut-être ne pensez-vous tout simplement jamais à ce terme... soit parce que vous êtes une personne naturellement disciplinée, soit peut-être parce que le mot et le concept vous laissent indifférent... dans ce cas, vous regrettez possiblement de vous être fendu en quatre pour lire l'entièreté de ce texte!
Peu importe, l'essentiel est de se souvenir que vous n'êtes pas seul dans votre désir d'incarnation. La volonté même de la Nature cherche à y participer. Reste maintenant qu'à nous abandonner aux miracles qui, à ce jour, nous demeurent aussi inconnus que mystérieux.