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Or
Dans cet épisode, Michel Onfray poursuit son exploration de la pensée d’Épicure en s'attardant sur les deux derniers préceptes du tétrapharmakos (le quadruple remède) et en développant l'idée paradoxale d'un hédonisme ascétique.
1. Le tétrapharmakos : les deux derniers remèdes
Les deux premiers remèdes ("les dieux ne sont pas à craindre" et "la mort n’est pas à craindre") abordés dans l’épisode précédent ouvraient la voie à une sérénité face aux craintes métaphysiques. Les deux derniers remèdes sont centrés sur la gestion de la douleur et la quête du bonheur :
* "La douleur est supportable" :Épicure enseigne que la douleur peut être dominée par la raison et la volonté. Il distingue :
* Les douleurs aiguës et brèves qui, bien que violentes, passent rapidement ou conduisent à la mort, mettant ainsi fin à la souffrance.
* Les douleurs chroniques et légères qui peuvent être atténuées par la philosophie et la maîtrise de soi.
Cette approche rationaliste considère la douleur comme un simple signal corporel, un déséquilibre atomique temporaire, qu'il faut aborder sans angoisse excessive.
* "Le bonheur est atteignable" :Pour Épicure, le bonheur réside dans l’atteinte de l’ataraxie (absence de troubles) et l’aponie (absence de douleur corporelle). Il prône un plaisir mesuré et stable, loin des excès.
2. La diététique des désirs : classer pour mieux vivre
Épicure propose une hiérarchie des désirs afin de guider les individus vers une vie heureuse :
* Désirs naturels et nécessaires (essentiels à la survie) :
* Boire, manger, se vêtir, se loger.→ Ils doivent être comblés pour éviter la souffrance.
* Désirs naturels et non nécessaires (plaisirs non vitaux mais agréables) :
* Aliments raffinés, relations sexuelles.→ Ils peuvent être comblés mais ne sont pas essentiels.
* Désirs non naturels et non nécessaires (illimités et sources de troubles) :
* Pouvoir, richesse, gloire.→ Ils doivent être rejetés car ils entraînent frustration et anxiété.
Ce classement aide à privilégier les désirs simples et stables, évitant les désirs vains qui perturbent l’âme.
3. L’hédonisme ascétique : un plaisir sobre et réfléchi
Contrairement aux clichés qui présentent l’épicurisme comme une quête effrénée de plaisirs sensoriels, Épicure défend un hédonisme modéré et réfléchi :
* Le plaisir n’est pas dans l’excès mais dans l’absence de souffrance.
* Moins on désire, plus on a de chances d’atteindre l’ataraxie.
* Le plaisir en repos (plaisir stable et durable) est supérieur au plaisir en mouvement (liés aux stimulations passagères).
* Épicure prône une frugalité heureuse : boire de l’eau, manger du pain, et profiter des plaisirs simples de la vie.
Cet hédonisme ascétique s’apparente à une forme de sagesse, où l’individu cultive la maîtrise de soi pour atteindre le bonheur.
4. La gestion de la douleur et la critique des doctrines opposées
Épicure s’oppose aux visions doloristes qui valorisent la souffrance, que ce soit dans le stoïcisme ou plus tard dans le christianisme. Il rejette toute vision qui considère la douleur comme rédemptrice ou noble :
* Pour lui, la douleur est simplement un déséquilibre physique à corriger.
* Il refuse la notion de "mal" métaphysique : la souffrance n’a pas de dimension morale.
* Le travail philosophique permet d’apprivoiser la douleur psychique par des raisonnements rationnels.
5. La philosophie comme médecine de l’âme
Épicure conçoit la philosophie comme un remède thérapeutique :
* Elle guérit l’âme de ses passions inutiles et de ses craintes.
* Elle enseigne à se contenter de peu et à savourer les plaisirs simples.
* Elle cultive la sérénité intérieure par l’élimination des désirs vains et des peurs irrationnelles.
Le philosophe devient ainsi médecin de l’âme, aidant les individus à atteindre un équilibre stable et durable.
💡 Conclusion
L'enseignement d'Épicure propose une voie vers le bonheur en alliant plaisir et sagesse. Loin des images d'un épicurisme débridé, l’hédonisme ascétique repose sur la modération, la simplicité et la maîtrise des désirs. Il s'agit non pas de rejeter le plaisir, mais de le choisir avec discernement afin d’atteindre l'ataraxie et vivre en paix. La philosophie devient alors un art de vivre, une médecine de l’âme qui apaise les souffrances physiques et psychiques.
📚 Philosophes et concepts mentionnés
* Pythagore (env. 570 av. J.-C. – env. 495 av. J.-C.) – Philosophe et mathématicien grec, à l'origine des métaphysiques dualistes que l’épicurisme rejette.
* Leucippe (5e siècle av. J.-C.) – Philosophe présocratique, fondateur de la théorie atomiste avec Démocrite.
* Démocrite (env. 460 av. J.-C. – env. 370 av. J.-C.) – Philosophe grec, théoricien de l’atomisme et source majeure de l’épicurisme.
* Socrate (env. 470 av. J.-C. – 399 av. J.-C.) – Philosophe grec, introduisant la réflexion éthique sur le bonheur et la vertu.
* Platon (env. 427 av. J.-C. – env. 347 av. J.-C.) – Philosophe grec, défenseur du dualisme âme/corps, fortement critiqué par Épicure.
* Aristote (384 av. J.-C. – 322 av. J.-C.) – Philosophe grec, qui introduit la notion de hiérarchisation des désirs et des plaisirs.
* Épicure (341 av. J.-C. – 270 av. J.-C.) – Fondateur de l’épicurisme, prônant l’ataraxie et l’hédonisme ascétique.
* Aristippe de Cyrène (env. 435 av. J.-C. – env. 356 av. J.-C.) – Fondateur de l’école cyrénaïque, partisan d’un hédonisme plus immédiat et sensuel.
* Lucrèce (env. 99 av. J.-C. – env. 55 av. J.-C.) – Poète et philosophe romain, auteur de De Natura Rerum, défenseur du matérialisme épicurien.
* Sénèque (env. 4 av. J.-C. – 65 apr. J.-C.) – Philosophe stoïcien, prônant l’endurance face à la douleur.
* Épictète (env. 50 – env. 125) – Philosophe stoïcien, insistant sur la maîtrise des représentations face à la douleur.
* Plotin (env. 205 – env. 270) – Philosophe néoplatonicien, défenseur de la transcendance et critique de la matière.
* Gilles Deleuze (1925 – 1995) – Philosophe français, qui a développé la notion de "plan d’immanence", en lien avec la pensée épicurienne.
Crédits : Michel Onfray et la Contre-histoire de la philosophie
Dans cet épisode, Michel Onfray poursuit son exploration de la pensée d’Épicure en s'attardant sur les deux derniers préceptes du tétrapharmakos (le quadruple remède) et en développant l'idée paradoxale d'un hédonisme ascétique.
1. Le tétrapharmakos : les deux derniers remèdes
Les deux premiers remèdes ("les dieux ne sont pas à craindre" et "la mort n’est pas à craindre") abordés dans l’épisode précédent ouvraient la voie à une sérénité face aux craintes métaphysiques. Les deux derniers remèdes sont centrés sur la gestion de la douleur et la quête du bonheur :
* "La douleur est supportable" :Épicure enseigne que la douleur peut être dominée par la raison et la volonté. Il distingue :
* Les douleurs aiguës et brèves qui, bien que violentes, passent rapidement ou conduisent à la mort, mettant ainsi fin à la souffrance.
* Les douleurs chroniques et légères qui peuvent être atténuées par la philosophie et la maîtrise de soi.
Cette approche rationaliste considère la douleur comme un simple signal corporel, un déséquilibre atomique temporaire, qu'il faut aborder sans angoisse excessive.
* "Le bonheur est atteignable" :Pour Épicure, le bonheur réside dans l’atteinte de l’ataraxie (absence de troubles) et l’aponie (absence de douleur corporelle). Il prône un plaisir mesuré et stable, loin des excès.
2. La diététique des désirs : classer pour mieux vivre
Épicure propose une hiérarchie des désirs afin de guider les individus vers une vie heureuse :
* Désirs naturels et nécessaires (essentiels à la survie) :
* Boire, manger, se vêtir, se loger.→ Ils doivent être comblés pour éviter la souffrance.
* Désirs naturels et non nécessaires (plaisirs non vitaux mais agréables) :
* Aliments raffinés, relations sexuelles.→ Ils peuvent être comblés mais ne sont pas essentiels.
* Désirs non naturels et non nécessaires (illimités et sources de troubles) :
* Pouvoir, richesse, gloire.→ Ils doivent être rejetés car ils entraînent frustration et anxiété.
Ce classement aide à privilégier les désirs simples et stables, évitant les désirs vains qui perturbent l’âme.
3. L’hédonisme ascétique : un plaisir sobre et réfléchi
Contrairement aux clichés qui présentent l’épicurisme comme une quête effrénée de plaisirs sensoriels, Épicure défend un hédonisme modéré et réfléchi :
* Le plaisir n’est pas dans l’excès mais dans l’absence de souffrance.
* Moins on désire, plus on a de chances d’atteindre l’ataraxie.
* Le plaisir en repos (plaisir stable et durable) est supérieur au plaisir en mouvement (liés aux stimulations passagères).
* Épicure prône une frugalité heureuse : boire de l’eau, manger du pain, et profiter des plaisirs simples de la vie.
Cet hédonisme ascétique s’apparente à une forme de sagesse, où l’individu cultive la maîtrise de soi pour atteindre le bonheur.
4. La gestion de la douleur et la critique des doctrines opposées
Épicure s’oppose aux visions doloristes qui valorisent la souffrance, que ce soit dans le stoïcisme ou plus tard dans le christianisme. Il rejette toute vision qui considère la douleur comme rédemptrice ou noble :
* Pour lui, la douleur est simplement un déséquilibre physique à corriger.
* Il refuse la notion de "mal" métaphysique : la souffrance n’a pas de dimension morale.
* Le travail philosophique permet d’apprivoiser la douleur psychique par des raisonnements rationnels.
5. La philosophie comme médecine de l’âme
Épicure conçoit la philosophie comme un remède thérapeutique :
* Elle guérit l’âme de ses passions inutiles et de ses craintes.
* Elle enseigne à se contenter de peu et à savourer les plaisirs simples.
* Elle cultive la sérénité intérieure par l’élimination des désirs vains et des peurs irrationnelles.
Le philosophe devient ainsi médecin de l’âme, aidant les individus à atteindre un équilibre stable et durable.
💡 Conclusion
L'enseignement d'Épicure propose une voie vers le bonheur en alliant plaisir et sagesse. Loin des images d'un épicurisme débridé, l’hédonisme ascétique repose sur la modération, la simplicité et la maîtrise des désirs. Il s'agit non pas de rejeter le plaisir, mais de le choisir avec discernement afin d’atteindre l'ataraxie et vivre en paix. La philosophie devient alors un art de vivre, une médecine de l’âme qui apaise les souffrances physiques et psychiques.
📚 Philosophes et concepts mentionnés
* Pythagore (env. 570 av. J.-C. – env. 495 av. J.-C.) – Philosophe et mathématicien grec, à l'origine des métaphysiques dualistes que l’épicurisme rejette.
* Leucippe (5e siècle av. J.-C.) – Philosophe présocratique, fondateur de la théorie atomiste avec Démocrite.
* Démocrite (env. 460 av. J.-C. – env. 370 av. J.-C.) – Philosophe grec, théoricien de l’atomisme et source majeure de l’épicurisme.
* Socrate (env. 470 av. J.-C. – 399 av. J.-C.) – Philosophe grec, introduisant la réflexion éthique sur le bonheur et la vertu.
* Platon (env. 427 av. J.-C. – env. 347 av. J.-C.) – Philosophe grec, défenseur du dualisme âme/corps, fortement critiqué par Épicure.
* Aristote (384 av. J.-C. – 322 av. J.-C.) – Philosophe grec, qui introduit la notion de hiérarchisation des désirs et des plaisirs.
* Épicure (341 av. J.-C. – 270 av. J.-C.) – Fondateur de l’épicurisme, prônant l’ataraxie et l’hédonisme ascétique.
* Aristippe de Cyrène (env. 435 av. J.-C. – env. 356 av. J.-C.) – Fondateur de l’école cyrénaïque, partisan d’un hédonisme plus immédiat et sensuel.
* Lucrèce (env. 99 av. J.-C. – env. 55 av. J.-C.) – Poète et philosophe romain, auteur de De Natura Rerum, défenseur du matérialisme épicurien.
* Sénèque (env. 4 av. J.-C. – 65 apr. J.-C.) – Philosophe stoïcien, prônant l’endurance face à la douleur.
* Épictète (env. 50 – env. 125) – Philosophe stoïcien, insistant sur la maîtrise des représentations face à la douleur.
* Plotin (env. 205 – env. 270) – Philosophe néoplatonicien, défenseur de la transcendance et critique de la matière.
* Gilles Deleuze (1925 – 1995) – Philosophe français, qui a développé la notion de "plan d’immanence", en lien avec la pensée épicurienne.
Crédits : Michel Onfray et la Contre-histoire de la philosophie