Regards Philo

CHP03 - 03. L’archipel des gnoses


Listen Later

1. Une époque d’angoisse et de transition

Michel Onfray situe cette conférence dans la continuité de ses précédentes sur la résistance au christianisme, en explorant cette fois l’archipel des gnoses. Il inscrit son analyse dans une perspective foucaldienne d’Épistémè, observant comment des courants de pensée émergent dans des contextes précis. Le gnosticisme apparaît ainsi dans une époque d’angoisse, marquée par le déclin du monde antique et l’émergence du christianisme impérial.

Onfray souligne le tuilage entre deux mondes : l’effacement progressif du paganisme et l’affirmation du christianisme d'État, produisant des tensions philosophiques et spirituelles.

2. L’affirmation d’un christianisme totalitaire

Onfray décrit comment le christianisme, initialement persécuté, devient progressivement une idéologie dominante et totalitaire sous l’impulsion des empereurs comme Constantin et Théodose. Le passage du statut de persécuté à persécuteur est marqué par la destruction de temples païens, l’autodafé de textes anciens et la persécution des hérétiques et des juifs.

Il aborde l'élaboration d'une législation chrétienne oppressive, notamment le Code théodosien (435), qui institutionnalise la haine contre les païens et légitime la destruction des lieux et des textes païens. L’exemple de la philosophe Hypatie d'Alexandrie, assassinée par des moines chrétiens, illustre cette violence.

Onfray analyse ce pouvoir chrétien comme totalitaire, s’appuyant sur les théories d’Anna Arendt, en soulignant le contrôle des sphères publique et privée et la politisation totale de la société.

3. Les conditions matérielles de l’effacement du monde antique

L’effacement du monde antique n’est pas seulement le fruit d’une volonté idéologique, mais aussi de conditions matérielles. Onfray décrit comment la fragilité des supports d’écriture (papyrus, codex) et les choix idéologiques des copistes chrétiens ont contribué à la disparition de pans entiers de la pensée antique. Le passage du papyrus au parchemin, puis au papier, a entraîné un tri drastique des textes conservés.

Les palimpsestes témoignent de cette pratique : des textes antiques sont effacés pour laisser place à des écrits chrétiens. Il cite l’exemple de la République de Cicéron effacée pour des commentaires sur les psaumes de saint Augustin.

4. Le gnosticisme : Un continent oublié

Michel Onfray explore ensuite le gnosticisme, qu’il décrit comme un archipel de pensées alternatives, souvent occultées par l’histoire officielle du christianisme. Le gnosticisme est une pensée plurielle apparue au Ier siècle après J.-C., qui prône la connaissance (gnose) comme voie de salut. Il s'agit d'une philosophie dualiste qui oppose le monde matériel, considéré comme mauvais, au monde spirituel.

Les gnostiques croient qu’un démiurge imparfait a créé le monde matériel, et que seule l’étincelle divine en chaque individu permet d’échapper à cette prison corporelle. Onfray distingue deux tendances :

* Le gnosticisme ascétique, qui prône la détestation du corps et le renoncement.

* Le gnosticisme licencieux, qui utilise le corps pour épuiser le mal en se livrant à des pratiques sexuelles ou alimentaires extrêmes.

5. Figures et écoles gnostiques

Onfray évoque plusieurs figures et écoles gnostiques :

* Simon le magicien : personnage mythique, concurrent de Paul, qui aurait tenté d’impressionner les foules en volant au-dessus de Rome.

* Basilide, Carpocrate et son fils Épiphanes : promoteurs d’une philosophie libertaire et d’un communisme primitif.

* Valentin : représentant du gnosticisme spirituel (pneumatique).

* Les barbelognostiques : connus pour leurs pratiques sexuelles et leurs rituels extrêmes.

* Les ophites : adorateurs du serpent, symbole de connaissance.

* Les fibionites : numérologues mystiques.

Il mentionne aussi la découverte majeure de Nag Hammadi (1945), qui a révélé une bibliothèque entière de textes gnostiques, dont des évangiles apocryphes comme ceux de Thomas, Philippe et Matthias, et les Logias de Jésus.

6. La lutte des Pères de l’Église contre la gnose

Les Pères de l’Église ont mené une guerre idéologique contre les gnostiques. Onfray mentionne plusieurs figures importantes :

* Irénée de Lyon (Contre les hérésies), qui fixe l’orthodoxie chrétienne et condamne la gnose.

* Origène, célèbre pour ses interprétations allégoriques et sa castration volontaire.

* Tertullien, qui défend la foi contre la raison (Credo quia absurdum).

* Jean Chrysostome et Saint Augustin, qui ont consolidé la théologie chrétienne, tout en justifiant la persécution des hérétiques.

Ces Pères ont élaboré une vision dualiste stricte, opposant les « vrais philosophes » (eux-mêmes) aux « sophistes » (les penseurs alternatifs).

7. L’héritage gnostique et sa postérité

Michel Onfray souligne que le gnosticisme n’a pas disparu avec les persécutions. Il se prolonge à travers des mouvements ésotériques et mystiques, jusqu’aux frères et sœurs du libre esprit au XVe siècle. Il avance l’idée que la gnose a influencé des penseurs ultérieurs, comme Spinoza, et persiste dans certaines traditions philosophiques alternatives.

Onfray distingue la gnose ascétique, qui rejette le corps, et la gnose hédoniste, qui l’exploite pour atteindre la libération. Cette opposition souligne la complexité et la richesse du continent gnostique.

💡 Conclusion

L’archipel des gnoses révèle un pan méconnu de l’histoire de la philosophie : un ensemble foisonnant de pensées alternatives, souvent occultées par le triomphe du christianisme impérial. Michel Onfray montre comment ces courants gnostiques ont offert des voies de salut différentes, oscillant entre ascétisme radical et hédonisme libérateur. En les redécouvrant, il propose une lecture critique du processus historique qui a conduit à l’effacement des philosophies dissidentes au profit d’un christianisme d’État.

📚 Philosophes mentionnés

* Pythagore (env. 570 av. J.-C. – env. 495 av. J.-C.) — Philosophe et mathématicien grec, initiateur de doctrines mystiques.

* Platon (env. 428 av. J.-C. – 348 av. J.-C.) — Philosophe grec, fondateur de l’idéalisme et du dualisme corps/âme.

* Épicure (341 av. J.-C. – 270 av. J.-C.) — Philosophe grec, fondateur de l’épicurisme.

* Sénèque (env. 4 av. J.-C. – 65) — Philosophe stoïcien romain.

* Paul de Tarse (5 – 67) — Apôtre du christianisme, promoteur de la pulsion de mort chrétienne.

* Irénée de Lyon (env. 130 – 202) — Père de l'Église, auteur de Contre les hérésies.

* Origène (env. 185 – 253) — Père de l’Église, théologien chrétien et philosophe platonicien.

* Tertullien (env. 155 – 220) — Père de l’Église, auteur de l’Apologétique.

* Plotin (env. 205 – 270) — Philosophe néoplatonicien, auteur des Ennéades.

* Saint Augustin (354 – 430) — Père de l’Église, auteur de La Cité de Dieu et des Confessions.

* Jean Chrysostome (env. 349 – 407) — Père de l’Église, connu pour ses sermons et son éloquence.

* Anna Arendt (1906 – 1975) — Philosophe et politologue allemande, théoricienne du totalitarisme.

* Michel Foucault (1926 – 1984) — Philosophe français, auteur du concept d’Épistémè.

Crédits : Michel Onfray et la Contre-histoire de la philosophie



Get full access to Open Mind Galaxy at openmindgalaxy.substack.com/subscribe
...more
View all episodesView all episodes
Download on the App Store

Regards PhiloBy Open Mind Galaxy