Regards Philo

CHP03 - 05. La transvaluation gnostique


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1. Le défi de penser la gnose

Michel Onfray introduit cette dernière séance consacrée au gnosticisme en soulignant la difficulté de saisir un corpus diffus, fragmentaire et souvent transmis par des sources hostiles, notamment les Pères de l’Église. Il affirme cependant la valeur philosophique de ces courants, en insistant sur leur dimension hédoniste et licencieuse, souvent occultée dans les récits officiels.

Il aborde la pensée gnostique à travers huit figures emblématiques, chacune incarnant une idée majeure : la grâce, le déterminisme, la transgression, le féminisme, l’immanence, l’anarchisme, l’indifférentisme et la vitesse des ascèses.

2. Simon le magicien : la grâce et la prédestination

Simon de Samarie, connu sous le nom de Simon le Magicien, est une figure centrale du gnosticisme. Il élabore une théorie de la grâce et de la prédestination qui influencera plus tard des penseurs comme Saint Augustin, Pascal ou Calvin. Selon lui, la grâce divine détermine le salut indépendamment des actions humaines, remettant en question la notion de libre arbitre.

Simon est aussi célèbre pour sa relation avec Hélène, une ancienne prostituée qu'il élève au rang de divinité. Ce couple incarne une inversion des valeurs chrétiennes : la réhabilitation de la chair et du féminin sacré. Sa mort, entourée de légendes métaphoriques (chute du ciel, ensevelissement volontaire), illustre la tension entre spiritualité et matérialité dans la pensée gnostique.

3. Basilide : l’indifférentisme et le docétisme

Disciple de Simon, Basilide développe une philosophie de l’indifférence, où le salut ne dépend pas des œuvres, mais d’une connaissance intérieure. Il est connu pour sa version radicale du docétisme, une hérésie affirmant que Jésus n’a pas réellement souffert sur la croix, mais que Simon de Cyrène l’aurait remplacé à son insu. Jésus, selon Basilide, observait la scène en riant depuis les cieux.

Cette pensée aboutit à une forme de relativisme moral : si le monde est une illusion créée par un démiurge imparfait, alors le bien et le mal deviennent des constructions arbitraires.

4. Valentin : le déterminisme et l’élection spirituelle

Valentin propose une vision du monde où les âmes humaines sont divisées en trois catégories :

* Les hyléniques (purement matériels, voués à la destruction)

* Les psychiques (intermédiaires, encore sauvables)

* Les pneumatiques (spirituels, prédestinés au salut)

Ce déterminisme strict pose la question du libre arbitre et du consentement. Valentin suggère que l'adhésion consciente à la gnose est une preuve d’élection divine, créant un paradoxe entre déterminisme et liberté apparente.

5. Carpocrate et Épiphane : anarchisme et vitesse des ascèses

Carpocrate prône une philosophie libertaire où la transgression des lois sociales et morales devient un chemin vers la libération. Il enseigne que toutes les âmes doivent expérimenter pleinement le mal pour se purifier et atteindre le plérôme (le monde divin). Plus la transgression est intense, plus le salut est rapide, d’où la notion de "vitesse des ascèses".

Son fils Épiphane, décrit comme un "Rimbaud gnostique", radicalise ces idées en prônant l’abolition de la propriété privée et des hiérarchies sociales. Il développe une critique acerbe des institutions et de la famille, anticipant certaines idées anarchistes modernes.

6. Sérinthe : le salut dans l’immanence

Sérinthe défend l'idée d'un salut immanent : la libération spirituelle ne se trouve pas dans un au-delà céleste, mais dans le monde matériel lui-même. Il enseigne qu'un nouvel âge d'or terrestre est possible, marqué par l’abondance et la jouissance sans limites.

Cette pensée s’oppose radicalement au christianisme, qui valorise la souffrance et la promesse d’un paradis après la mort.

7. Marc : le féminisme gnostique

Marc se distingue par la place centrale qu’il accorde aux femmes dans ses cercles gnostiques. Contrairement à la tradition chrétienne patriarcale, il valorise le féminin sacré et permet aux femmes de devenir des thaumaturges (faiseuses de miracles).

Le féminisme de Marc s’exprime aussi dans ses rituels, où les femmes jouent un rôle actif dans les initiations et les pratiques mystiques. Il remet en question les hiérarchies de genre et promeut une égalité spirituelle entre hommes et femmes.

8. Nicolas : la transgression absolue

Nicolas incarne la figure du transgresseur ultime. Il prône une sexualité libre et collective, allant jusqu’à légitimer l’inceste et les pratiques rituelles extrêmes. Ses rituels incluent des banquets orgiaques, des consommations symboliques de sperme, de sang menstruel et même de fœtus, interprétés comme des métaphores de l'union avec le divin.

Pour Nicolas, la transgression est un moyen d’accéder à la libération spirituelle. En brisant tous les tabous, l’individu se libère des chaînes morales imposées par la société et les religions dominantes.

9. La transvaluation des valeurs : au-delà du bien et du mal

Michel Onfray conclut en soulignant que les gnostiques opèrent une véritable "transvaluation des valeurs", au sens nietzschéen du terme. Ils renversent les hiérarchies morales établies :

* Ce que le christianisme considère comme péché devient vertu.

* La transgression devient un acte sacré.

* Le corps, souvent méprisé par les religions, est célébré comme un vecteur de libération.

Les gnostiques défendent une éthique relative où le bien et le mal sont des constructions arbitraires créées par des entités inférieures (les archontes). Cette philosophie subversive pose les bases d’une pensée alternative, valorisant l’hédonisme, la liberté et l’immanence.

💡 Conclusion

La transvaluation gnostique révèle un pan méconnu et subversif de la philosophie antique. Michel Onfray met en lumière un courant qui défie les dogmes chrétiens, valorise la transgression, la jouissance et l'usage libératoire du corps. En inversant les valeurs morales établies, les gnostiques offrent une alternative radicale au christianisme dominant, défendant une philosophie hédoniste, anarchiste et libertaire.

Cette exploration des gnoses hédonistes s’inscrit dans le projet plus large d’Onfray : une contre-histoire de la philosophie, dévoilant les courants marginalisés et occultés par la tradition dominante.

📚 Philosophes mentionnés

* Pythagore (env. 570 av. J.-C. – env. 495 av. J.-C.) — Philosophe et mathématicien grec, initiateur de doctrines mystiques et numérologiques.

* Platon (env. 428 av. J.-C. – 348 av. J.-C.) — Philosophe grec, fondateur du dualisme corps/âme et de l’idéalisme.

* Épicure (341 av. J.-C. – 270 av. J.-C.) — Philosophe grec, fondateur de l’épicurisme, doctrine matérialiste et hédoniste.

* Paul de Tarse (5 – 67) — Apôtre du christianisme, promoteur du christianisme paulinien.

* Irénée de Lyon (env. 130 – 202) — Père de l’Église, auteur de Contre les hérésies, critique virulent du gnosticisme.

* Plotin (env. 205 – 270) — Philosophe néoplatonicien, développe l’idée des émanations divines.

* Mani (216 – 276) — Fondateur du manichéisme, philosophie dualiste influencée par le gnosticisme.

* Spinoza (1632 – 1677) — Philosophe rationaliste, auteur de L’Éthique, défenseur du déterminisme.

* Arthur Schopenhauer (1788 – 1860) — Philosophe allemand pessimiste, auteur du Monde comme volonté et comme représentation.

* Friedrich Nietzsche (1844 – 1900) — Philosophe allemand, auteur de Par-delà le bien et le mal et du concept de "transvaluation des valeurs".

* Émile Cioran (1911 – 1995) — Philosophe roumain, auteur de De l’inconvénient d’être né, influencé par le pessimisme gnostique.

Crédits : Michel Onfray et la Contre-histoire de la philosophie



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