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1. Lorenzo Valla, un philosophe oublié
Michel Onfray introduit cette conférence en rappelant l’injustice historique dont est victime Lorenzo Valla (1407-1457), un philosophe humaniste majeur de la Renaissance, souvent méconnu ou mal interprété. Onfray déplore que, malgré l’importance de ses travaux, Valla reste absent des programmes classiques de philosophie, éclipsé par des figures plus célèbres comme Jean Pic de la Mirandole ou Giordano Bruno.
Lorenzo Valla est présenté comme un penseur polymorphe : latiniste puriste, philologue, dialecticien, brillant orateur, mais aussi un philosophe épicurien chrétien, figure paradoxale et unique à la Renaissance.
2. Lorenzo Valla : un humaniste critique et polémiste
Un latiniste puriste et philologue
Valla est reconnu pour son travail sur la langue latine, notamment dans Les Élégances de la langue latine (1435-1444), où il prône le retour à un latin pur, fidèle à Cicéron et Quintilien, en opposition au latin "de cuisine" utilisé par les juristes, théologiens et scolastiques de son époque.
En tant que philologue, il s'inscrit pleinement dans l’esprit scientifique et critique de la Renaissance, participant à l’établissement rigoureux des textes, en remettant en question les versions corrompues par des siècles de copies approximatives.
La donation de Constantin : une bombe intellectuelle
Le travail le plus célèbre de Valla est sans doute sa démystification de la Donation de Constantin (1442), un texte utilisé depuis des siècles par l'Église pour légitimer son pouvoir temporel. Par une analyse philologique minutieuse, Valla prouve que ce document est un faux, rédigé plusieurs siècles après l'époque de Constantin.
Ses méthodes incluent :
* Analyse linguistique : Le latin employé dans le texte est postérieur à l’époque de Constantin.
* Anachronismes : Mention de villes et concepts inexistants au IVe siècle.
* Raisonnement logique et historique : Pourquoi un empereur comme Constantin aurait-il cédé tout le pouvoir temporel à l'Église ?
Cette remise en question choque l'Église et menace Valla de représailles. Il est obligé de fuir Rome et trouve refuge à la cour du roi Alphonse d'Aragon.
Un esprit polémique et provocateur
Onfray souligne le caractère explosif de Valla : colérique, hypersensible, et toujours prêt à la polémique. Il accumule les inimitiés, même parmi ses proches collaborateurs, et n’hésite pas à se fâcher pour des détails linguistiques.
Pour Onfray, cette agressivité dialectique n’est pas anodine : elle fait partie intégrante de la démarche philosophique de Valla, qui cherche toujours à remettre en question les vérités établies, y compris au prix de sa propre réputation.
3. Un chrétien épicurien : l’oxymore philosophique
Lorenzo Valla est souvent présenté sous un angle réducteur : soit comme un épicurien non chrétien, soit comme un chrétien non épicurien. Michel Onfray démonte ces lectures simplistes et propose une vision plus nuancée : Valla est chrétien et épicurien, un oxymore qui, selon Onfray, ouvre la voie à un humanisme singulier.
De Voluptate : du plaisir chrétien
Dans De Voluptate (1431), Valla explore la notion de plaisir à travers un dialogue en trois temps :
* Stoïcien : Valorisation de la vertu et du dépassement des désirs.
* Épicurien : Défense du plaisir comme bien suprême.
* Chrétien : Synthèse des deux, où le plaisir est concilié avec la foi chrétienne.
Valla y défend un hédonisme chrétien : le plaisir est un don de Dieu, et chercher le plaisir (y compris corporel) n’est pas contradictoire avec la foi. Cette thèse subversive conduit certains à l’accuser de libertinage ou de dissimulation, mais Onfray insiste sur la sincérité de cette tentative de concilier les deux traditions.
Fidélité au christianisme : le dialogue sur le libre-arbitre
Dans son Dialogue sur le libre-arbitre, Valla adopte une posture profondément chrétienne, défendant la foi contre les prétentions de la raison à tout expliquer. Il soutient un fidéisme radical :
* La foi doit primer sur la raison.
* Il faut croire sans chercher à démontrer, car certains mystères (comme la volonté divine) sont inaccessibles à l’intellect humain.
* L’humilité est une vertu supérieure au savoir.
Onfray souligne ici la tension dialectique chez Valla : il est capable d’une critique acerbe de l’Église tout en restant fidèle au cœur du message chrétien.
4. La critique des institutions : Église, scolastique et monachisme
Déconstruction de la scolastique
Valla s’attaque aussi à la philosophie scolastique, dominée par l’aristotélisme, qu’il juge rigide et stérile. Pour lui, la philosophie doit revenir à une forme vivante et directe, inspirée des dialogues antiques, plutôt que s’enfermer dans des jeux dialectiques artificiels.
La critique des moines et du monachisme
Dans De la profession religieuse (1440), Valla dénonce l’hypocrisie des moines et la corruption des ordres religieux. Il critique leur prétendue supériorité spirituelle, souvent contredite par des comportements licencieux et matérialistes.
Défense d’un christianisme primitif
Valla milite pour un retour aux sources évangéliques : un christianisme centré sur les pauvres, les opprimés et les sans-grades, en opposition au christianisme institutionnel et corrompu du Vatican. Cette volonté rappelle le programme d’autres réformateurs comme Érasme et préfigure en partie les thèses protestantes.
5. Libre-arbitre et prédestination : un dilemme théologique
Dans ses réflexions sur le libre-arbitre, Valla tente de concilier la préscience divine et la liberté humaine. Il propose une solution dialectique :
* Dieu sait tout ce que les hommes vont faire.
* Mais cette prescience n'annule pas la liberté des hommes.
* Dieu prévoit, mais ne prédétermine pas les actes humains.
Cette position, proche du fidéisme, évite les impasses du déterminisme total tout en préservant l’idée de responsabilité morale, essentielle au christianisme.
💡 Conclusion
Enfin Lorenzo Valla vint met en lumière la complexité et la richesse d’un philosophe trop souvent mal compris. Michel Onfray montre que Lorenzo Valla incarne la tension créatrice entre deux traditions a priori inconciliables : l’épicurisme et le christianisme.
Loin d’être un simple provocateur, Valla apparaît comme un penseur profond, engagé, et pionnier d’une critique lucide des institutions religieuses, tout en demeurant fidèle à une foi sincère et épicurienne.
Sa tentative de réconcilier le plaisir et la foi ouvre la voie à une humanité affranchie, où la quête du bonheur n’est plus en contradiction avec la spiritualité.
📚 Philosophes mentionnés
* Épicure (341 – 270 av. J.-C.) — Philosophe grec, fondateur de l’épicurisme matérialiste et hédoniste.
* Cicéron (106 – 43 av. J.-C.) — Philosophe et orateur romain, critique de l’épicurisme.
* Quintilien (env. 35 – env. 96) — Rhéteur latin, auteur de L'Institution oratoire.
* Saint Augustin (354 – 430) — Père de l’Église, défenseur du fidéisme et du péché originel.
* Thomas d'Aquin (1225 – 1274) — Philosophe scolastique, théoricien de la conciliation entre foi et raison.
* Poggio Bracciolini (1380 – 1459) — Humaniste italien, découvreur du De natura rerum de Lucrèce.
* Lorenzo Valla (1407 – 1457) — Humaniste italien, auteur de La donation de Constantin et De Voluptate.
* Érasme (1466 – 1536) — Humaniste hollandais, défenseur d’un christianisme épicurien.
* Michel de Montaigne (1533 – 1592) — Philosophe et essayiste français, influencé par l’épicurisme.
* Friedrich Nietzsche (1844 – 1900) — Philosophe allemand, critique du christianisme et théoricien de la transvaluation des valeurs.
* Léo Strauss (1899 – 1973) — Philosophe politique, auteur de La persécution et l'art d'écrire.
Crédits : Michel Onfray et la Contre-histoire de la philosophie
1. Lorenzo Valla, un philosophe oublié
Michel Onfray introduit cette conférence en rappelant l’injustice historique dont est victime Lorenzo Valla (1407-1457), un philosophe humaniste majeur de la Renaissance, souvent méconnu ou mal interprété. Onfray déplore que, malgré l’importance de ses travaux, Valla reste absent des programmes classiques de philosophie, éclipsé par des figures plus célèbres comme Jean Pic de la Mirandole ou Giordano Bruno.
Lorenzo Valla est présenté comme un penseur polymorphe : latiniste puriste, philologue, dialecticien, brillant orateur, mais aussi un philosophe épicurien chrétien, figure paradoxale et unique à la Renaissance.
2. Lorenzo Valla : un humaniste critique et polémiste
Un latiniste puriste et philologue
Valla est reconnu pour son travail sur la langue latine, notamment dans Les Élégances de la langue latine (1435-1444), où il prône le retour à un latin pur, fidèle à Cicéron et Quintilien, en opposition au latin "de cuisine" utilisé par les juristes, théologiens et scolastiques de son époque.
En tant que philologue, il s'inscrit pleinement dans l’esprit scientifique et critique de la Renaissance, participant à l’établissement rigoureux des textes, en remettant en question les versions corrompues par des siècles de copies approximatives.
La donation de Constantin : une bombe intellectuelle
Le travail le plus célèbre de Valla est sans doute sa démystification de la Donation de Constantin (1442), un texte utilisé depuis des siècles par l'Église pour légitimer son pouvoir temporel. Par une analyse philologique minutieuse, Valla prouve que ce document est un faux, rédigé plusieurs siècles après l'époque de Constantin.
Ses méthodes incluent :
* Analyse linguistique : Le latin employé dans le texte est postérieur à l’époque de Constantin.
* Anachronismes : Mention de villes et concepts inexistants au IVe siècle.
* Raisonnement logique et historique : Pourquoi un empereur comme Constantin aurait-il cédé tout le pouvoir temporel à l'Église ?
Cette remise en question choque l'Église et menace Valla de représailles. Il est obligé de fuir Rome et trouve refuge à la cour du roi Alphonse d'Aragon.
Un esprit polémique et provocateur
Onfray souligne le caractère explosif de Valla : colérique, hypersensible, et toujours prêt à la polémique. Il accumule les inimitiés, même parmi ses proches collaborateurs, et n’hésite pas à se fâcher pour des détails linguistiques.
Pour Onfray, cette agressivité dialectique n’est pas anodine : elle fait partie intégrante de la démarche philosophique de Valla, qui cherche toujours à remettre en question les vérités établies, y compris au prix de sa propre réputation.
3. Un chrétien épicurien : l’oxymore philosophique
Lorenzo Valla est souvent présenté sous un angle réducteur : soit comme un épicurien non chrétien, soit comme un chrétien non épicurien. Michel Onfray démonte ces lectures simplistes et propose une vision plus nuancée : Valla est chrétien et épicurien, un oxymore qui, selon Onfray, ouvre la voie à un humanisme singulier.
De Voluptate : du plaisir chrétien
Dans De Voluptate (1431), Valla explore la notion de plaisir à travers un dialogue en trois temps :
* Stoïcien : Valorisation de la vertu et du dépassement des désirs.
* Épicurien : Défense du plaisir comme bien suprême.
* Chrétien : Synthèse des deux, où le plaisir est concilié avec la foi chrétienne.
Valla y défend un hédonisme chrétien : le plaisir est un don de Dieu, et chercher le plaisir (y compris corporel) n’est pas contradictoire avec la foi. Cette thèse subversive conduit certains à l’accuser de libertinage ou de dissimulation, mais Onfray insiste sur la sincérité de cette tentative de concilier les deux traditions.
Fidélité au christianisme : le dialogue sur le libre-arbitre
Dans son Dialogue sur le libre-arbitre, Valla adopte une posture profondément chrétienne, défendant la foi contre les prétentions de la raison à tout expliquer. Il soutient un fidéisme radical :
* La foi doit primer sur la raison.
* Il faut croire sans chercher à démontrer, car certains mystères (comme la volonté divine) sont inaccessibles à l’intellect humain.
* L’humilité est une vertu supérieure au savoir.
Onfray souligne ici la tension dialectique chez Valla : il est capable d’une critique acerbe de l’Église tout en restant fidèle au cœur du message chrétien.
4. La critique des institutions : Église, scolastique et monachisme
Déconstruction de la scolastique
Valla s’attaque aussi à la philosophie scolastique, dominée par l’aristotélisme, qu’il juge rigide et stérile. Pour lui, la philosophie doit revenir à une forme vivante et directe, inspirée des dialogues antiques, plutôt que s’enfermer dans des jeux dialectiques artificiels.
La critique des moines et du monachisme
Dans De la profession religieuse (1440), Valla dénonce l’hypocrisie des moines et la corruption des ordres religieux. Il critique leur prétendue supériorité spirituelle, souvent contredite par des comportements licencieux et matérialistes.
Défense d’un christianisme primitif
Valla milite pour un retour aux sources évangéliques : un christianisme centré sur les pauvres, les opprimés et les sans-grades, en opposition au christianisme institutionnel et corrompu du Vatican. Cette volonté rappelle le programme d’autres réformateurs comme Érasme et préfigure en partie les thèses protestantes.
5. Libre-arbitre et prédestination : un dilemme théologique
Dans ses réflexions sur le libre-arbitre, Valla tente de concilier la préscience divine et la liberté humaine. Il propose une solution dialectique :
* Dieu sait tout ce que les hommes vont faire.
* Mais cette prescience n'annule pas la liberté des hommes.
* Dieu prévoit, mais ne prédétermine pas les actes humains.
Cette position, proche du fidéisme, évite les impasses du déterminisme total tout en préservant l’idée de responsabilité morale, essentielle au christianisme.
💡 Conclusion
Enfin Lorenzo Valla vint met en lumière la complexité et la richesse d’un philosophe trop souvent mal compris. Michel Onfray montre que Lorenzo Valla incarne la tension créatrice entre deux traditions a priori inconciliables : l’épicurisme et le christianisme.
Loin d’être un simple provocateur, Valla apparaît comme un penseur profond, engagé, et pionnier d’une critique lucide des institutions religieuses, tout en demeurant fidèle à une foi sincère et épicurienne.
Sa tentative de réconcilier le plaisir et la foi ouvre la voie à une humanité affranchie, où la quête du bonheur n’est plus en contradiction avec la spiritualité.
📚 Philosophes mentionnés
* Épicure (341 – 270 av. J.-C.) — Philosophe grec, fondateur de l’épicurisme matérialiste et hédoniste.
* Cicéron (106 – 43 av. J.-C.) — Philosophe et orateur romain, critique de l’épicurisme.
* Quintilien (env. 35 – env. 96) — Rhéteur latin, auteur de L'Institution oratoire.
* Saint Augustin (354 – 430) — Père de l’Église, défenseur du fidéisme et du péché originel.
* Thomas d'Aquin (1225 – 1274) — Philosophe scolastique, théoricien de la conciliation entre foi et raison.
* Poggio Bracciolini (1380 – 1459) — Humaniste italien, découvreur du De natura rerum de Lucrèce.
* Lorenzo Valla (1407 – 1457) — Humaniste italien, auteur de La donation de Constantin et De Voluptate.
* Érasme (1466 – 1536) — Humaniste hollandais, défenseur d’un christianisme épicurien.
* Michel de Montaigne (1533 – 1592) — Philosophe et essayiste français, influencé par l’épicurisme.
* Friedrich Nietzsche (1844 – 1900) — Philosophe allemand, critique du christianisme et théoricien de la transvaluation des valeurs.
* Léo Strauss (1899 – 1973) — Philosophe politique, auteur de La persécution et l'art d'écrire.
Crédits : Michel Onfray et la Contre-histoire de la philosophie