
Sign up to save your podcasts
Or
1. Une résistance chrétienne au christianisme
Michel Onfray ouvre sa conférence en soulignant un paradoxe fondamental : il existe une résistance chrétienne au christianisme lui-même. Cette opposition n'est pas une critique extérieure, mais provient de l'intérieur du christianisme, visant l'Église officielle, qui s'est progressivement constituée en institution dogmatique, défendant un idéal ascétique marqué par la haine du corps, des désirs et des plaisirs.
Cependant, Onfray rappelle qu'un autre christianisme était possible, un christianisme non ascétique, voire féministe et hédoniste, opposé au courant dominant misogyne et castrateur. Ce christianisme alternatif s'incarne dans une figure oubliée de la philosophie : Lorenzo Valla (1407-1457), le premier à défendre un christianisme épicurien, conciliant foi chrétienne et recherche du plaisir.
2. Lorenzo Valla : le fondateur du christianisme épicurien
De Voluptate : le manifeste épicurien chrétien
L'œuvre majeure de Valla, De Voluptate (1431), explore la notion de plaisir dans une perspective philosophique et théologique. Composé sous forme de dialogue, le texte met en scène trois personnages représentant trois écoles philosophiques :
* Leonardo Bruni – le stoïcien, défenseur de la vertu comme souverain bien.
* Antonio Beccadelli – l’épicurien, prônant le plaisir comme finalité de l’existence.
* Niccolò Niccoli – le chrétien épicurien, synthétisant les deux positions.
Le dialogue conduit à une synthèse inédite : un christianisme épicurien, où le plaisir est compatible avec la foi chrétienne. Pour Valla, aimer Dieu n’est pas un acte de soumission, mais une source de plaisir suprême.
Une dialectique subtile entre ascétisme et hédonisme
Onfray insiste sur l’importance de la structure dialectique du texte. Le discours stoïcien est présenté comme rigide et ascétique, valorisant la souffrance et la vertu pour elles-mêmes. L’épicurien défend, au contraire, le plaisir corporel et la recherche du bonheur immédiat.
Le chrétien épicurien, figure de synthèse, propose une voie médiane : il conserve la quête du plaisir tout en l’inscrivant dans une finalité spirituelle. Le plaisir devient un moyen d’atteindre Dieu, et la foi est perçue comme une source de joie profonde.
3. Le plaisir comme souverain bien : critique des morales ascétiques
Opposition au stoïcisme
Valla, à travers le dialogue, critique la morale stoïcienne qui valorise l’ascèse et la souffrance. Selon lui, la recherche de la vertu pour elle-même conduit à la frustration et à une tristesse inhérente à l’idéal stoïcien, trop exigeant pour l’être humain.
Onfray souligne la critique implicite du christianisme ascétique dans cette analyse : comme le stoïcisme, le christianisme officiel impose des idéaux inatteignables (amour du prochain, pardon absolu, chasteté) qui génèrent culpabilité et frustration.
Réhabilitation du plaisir corporel
L’épicurien du dialogue, Antonio Beccadelli, défend la valeur du plaisir corporel, non pas dans sa version débauchée, mais comme une quête naturelle et légitime. Il célèbre les plaisirs des cinq sens, y compris la sexualité, tant qu’ils sont fondés sur le consentement et l’amour.
Cette défense du plaisir corporel s’oppose frontalement à la morale chrétienne traditionnelle, qui condamne les désirs du corps. Valla, en prônant un plaisir raisonné et modéré, s’inscrit dans la lignée d’Épicure, tout en adaptant cette philosophie à un cadre chrétien.
4. Un christianisme jubilatoire : foi et plaisir réconciliés
L’amour de Dieu comme source de plaisir
Dans la perspective de Valla, aimer Dieu n’est pas un devoir imposé par crainte du châtiment ou par respect de la loi, mais un acte libre et joyeux. Le plaisir n’est pas opposé à la spiritualité ; au contraire, il en devient le moteur. Onfray insiste sur cette idée révolutionnaire : la religion peut être une source de plaisir, et non de souffrance.
Un paradis terrestre et céleste
Valla conçoit le paradis non seulement comme un lieu céleste après la mort, mais aussi comme une expérience possible sur terre. En cultivant le plaisir et la joie dans le respect des vertus chrétiennes (foi, espérance et charité), l’homme peut goûter à un avant-goût du paradis ici et maintenant.
5. La postérité du christianisme épicurien
Marsile Ficin et Érasme : héritiers de Valla
Onfray souligne que Valla a ouvert la voie à d’autres penseurs humanistes qui tenteront de réconcilier hédonisme et christianisme :
* Marsile Ficin (1433-1499), platonicien de la Renaissance, adopte une approche similaire dans son propre De Voluptate, tout en y intégrant des éléments néoplatoniciens.
* Érasme (1466-1536) poursuit cette tradition en défendant un christianisme joyeux et tolérant, éloigné des rigueurs dogmatiques.
Montaigne et Gassendi : les derniers chrétiens épicuriens
Onfray voit également dans Montaigne et Gassendi des figures tardives du christianisme épicurien :
* Montaigne (1533-1592), dans ses Essais, célèbre les plaisirs simples de la vie tout en cultivant une foi chrétienne modérée.
* Pierre Gassendi (1592-1655), chanoine et philosophe, réhabilite Épicure en tentant de le concilier avec la foi chrétienne.
💡 Conclusion
Un christianisme épicurien met en lumière un courant oublié de la philosophie occidentale : celui qui cherche à réconcilier foi chrétienne et recherche du plaisir. Michel Onfray démontre, à travers l’exemple de Lorenzo Valla, qu’un tel christianisme a existé, bien que marginalisé par l’Église officielle.
Ce christianisme épicurien propose une vision jubilatoire et optimiste de la vie, où le plaisir n’est plus un péché mais un don de Dieu, à savourer avec gratitude. Ce courant invite à repenser la relation entre spiritualité et hédonisme, en refusant les morales ascétiques fondées sur la culpabilité et la souffrance.
📚 Philosophes mentionnés
* Épicure (341 – 270 av. J.-C.) — Philosophe grec, fondateur de l’épicurisme matérialiste et hédoniste.
* Cicéron (106 – 43 av. J.-C.) — Philosophe et orateur romain, critique virulent de l’épicurisme.
* Plutarque (env. 46 – 125) — Philosophe grec, critique de l’épicurisme.
* Sénèque (env. 4 av. J.-C. – 65) — Philosophe stoïcien romain, défenseur de l’ascèse morale.
* Saint Augustin (354 – 430) — Père de l’Église, auteur de La Cité de Dieu.
* Dante Alighieri (1265 – 1321) — Poète italien, auteur de La Divine Comédie, critique des épicuriens.
* Lorenzo Valla (1407 – 1457) — Humaniste italien, auteur de De Voluptate, fondateur du christianisme épicurien.
* Marsile Ficin (1433 – 1499) — Philosophe platonicien de la Renaissance, auteur d’un De Voluptate.
* Érasme (1466 – 1536) — Humaniste hollandais, défenseur d’un christianisme hédoniste et tolérant.
* Michel de Montaigne (1533 – 1592) — Philosophe et essayiste français, auteur des Essais, influencé par l’épicurisme.
* Pierre Gassendi (1592 – 1655) — Philosophe et prêtre français, réhabilitant Épicure dans une perspective chrétienne.
* Friedrich Nietzsche (1844 – 1900) — Philosophe allemand, critique du christianisme ascétique et défenseur de la transvaluation des valeurs.
Crédits : Michel Onfray et la Contre-histoire de la philosophie
1. Une résistance chrétienne au christianisme
Michel Onfray ouvre sa conférence en soulignant un paradoxe fondamental : il existe une résistance chrétienne au christianisme lui-même. Cette opposition n'est pas une critique extérieure, mais provient de l'intérieur du christianisme, visant l'Église officielle, qui s'est progressivement constituée en institution dogmatique, défendant un idéal ascétique marqué par la haine du corps, des désirs et des plaisirs.
Cependant, Onfray rappelle qu'un autre christianisme était possible, un christianisme non ascétique, voire féministe et hédoniste, opposé au courant dominant misogyne et castrateur. Ce christianisme alternatif s'incarne dans une figure oubliée de la philosophie : Lorenzo Valla (1407-1457), le premier à défendre un christianisme épicurien, conciliant foi chrétienne et recherche du plaisir.
2. Lorenzo Valla : le fondateur du christianisme épicurien
De Voluptate : le manifeste épicurien chrétien
L'œuvre majeure de Valla, De Voluptate (1431), explore la notion de plaisir dans une perspective philosophique et théologique. Composé sous forme de dialogue, le texte met en scène trois personnages représentant trois écoles philosophiques :
* Leonardo Bruni – le stoïcien, défenseur de la vertu comme souverain bien.
* Antonio Beccadelli – l’épicurien, prônant le plaisir comme finalité de l’existence.
* Niccolò Niccoli – le chrétien épicurien, synthétisant les deux positions.
Le dialogue conduit à une synthèse inédite : un christianisme épicurien, où le plaisir est compatible avec la foi chrétienne. Pour Valla, aimer Dieu n’est pas un acte de soumission, mais une source de plaisir suprême.
Une dialectique subtile entre ascétisme et hédonisme
Onfray insiste sur l’importance de la structure dialectique du texte. Le discours stoïcien est présenté comme rigide et ascétique, valorisant la souffrance et la vertu pour elles-mêmes. L’épicurien défend, au contraire, le plaisir corporel et la recherche du bonheur immédiat.
Le chrétien épicurien, figure de synthèse, propose une voie médiane : il conserve la quête du plaisir tout en l’inscrivant dans une finalité spirituelle. Le plaisir devient un moyen d’atteindre Dieu, et la foi est perçue comme une source de joie profonde.
3. Le plaisir comme souverain bien : critique des morales ascétiques
Opposition au stoïcisme
Valla, à travers le dialogue, critique la morale stoïcienne qui valorise l’ascèse et la souffrance. Selon lui, la recherche de la vertu pour elle-même conduit à la frustration et à une tristesse inhérente à l’idéal stoïcien, trop exigeant pour l’être humain.
Onfray souligne la critique implicite du christianisme ascétique dans cette analyse : comme le stoïcisme, le christianisme officiel impose des idéaux inatteignables (amour du prochain, pardon absolu, chasteté) qui génèrent culpabilité et frustration.
Réhabilitation du plaisir corporel
L’épicurien du dialogue, Antonio Beccadelli, défend la valeur du plaisir corporel, non pas dans sa version débauchée, mais comme une quête naturelle et légitime. Il célèbre les plaisirs des cinq sens, y compris la sexualité, tant qu’ils sont fondés sur le consentement et l’amour.
Cette défense du plaisir corporel s’oppose frontalement à la morale chrétienne traditionnelle, qui condamne les désirs du corps. Valla, en prônant un plaisir raisonné et modéré, s’inscrit dans la lignée d’Épicure, tout en adaptant cette philosophie à un cadre chrétien.
4. Un christianisme jubilatoire : foi et plaisir réconciliés
L’amour de Dieu comme source de plaisir
Dans la perspective de Valla, aimer Dieu n’est pas un devoir imposé par crainte du châtiment ou par respect de la loi, mais un acte libre et joyeux. Le plaisir n’est pas opposé à la spiritualité ; au contraire, il en devient le moteur. Onfray insiste sur cette idée révolutionnaire : la religion peut être une source de plaisir, et non de souffrance.
Un paradis terrestre et céleste
Valla conçoit le paradis non seulement comme un lieu céleste après la mort, mais aussi comme une expérience possible sur terre. En cultivant le plaisir et la joie dans le respect des vertus chrétiennes (foi, espérance et charité), l’homme peut goûter à un avant-goût du paradis ici et maintenant.
5. La postérité du christianisme épicurien
Marsile Ficin et Érasme : héritiers de Valla
Onfray souligne que Valla a ouvert la voie à d’autres penseurs humanistes qui tenteront de réconcilier hédonisme et christianisme :
* Marsile Ficin (1433-1499), platonicien de la Renaissance, adopte une approche similaire dans son propre De Voluptate, tout en y intégrant des éléments néoplatoniciens.
* Érasme (1466-1536) poursuit cette tradition en défendant un christianisme joyeux et tolérant, éloigné des rigueurs dogmatiques.
Montaigne et Gassendi : les derniers chrétiens épicuriens
Onfray voit également dans Montaigne et Gassendi des figures tardives du christianisme épicurien :
* Montaigne (1533-1592), dans ses Essais, célèbre les plaisirs simples de la vie tout en cultivant une foi chrétienne modérée.
* Pierre Gassendi (1592-1655), chanoine et philosophe, réhabilite Épicure en tentant de le concilier avec la foi chrétienne.
💡 Conclusion
Un christianisme épicurien met en lumière un courant oublié de la philosophie occidentale : celui qui cherche à réconcilier foi chrétienne et recherche du plaisir. Michel Onfray démontre, à travers l’exemple de Lorenzo Valla, qu’un tel christianisme a existé, bien que marginalisé par l’Église officielle.
Ce christianisme épicurien propose une vision jubilatoire et optimiste de la vie, où le plaisir n’est plus un péché mais un don de Dieu, à savourer avec gratitude. Ce courant invite à repenser la relation entre spiritualité et hédonisme, en refusant les morales ascétiques fondées sur la culpabilité et la souffrance.
📚 Philosophes mentionnés
* Épicure (341 – 270 av. J.-C.) — Philosophe grec, fondateur de l’épicurisme matérialiste et hédoniste.
* Cicéron (106 – 43 av. J.-C.) — Philosophe et orateur romain, critique virulent de l’épicurisme.
* Plutarque (env. 46 – 125) — Philosophe grec, critique de l’épicurisme.
* Sénèque (env. 4 av. J.-C. – 65) — Philosophe stoïcien romain, défenseur de l’ascèse morale.
* Saint Augustin (354 – 430) — Père de l’Église, auteur de La Cité de Dieu.
* Dante Alighieri (1265 – 1321) — Poète italien, auteur de La Divine Comédie, critique des épicuriens.
* Lorenzo Valla (1407 – 1457) — Humaniste italien, auteur de De Voluptate, fondateur du christianisme épicurien.
* Marsile Ficin (1433 – 1499) — Philosophe platonicien de la Renaissance, auteur d’un De Voluptate.
* Érasme (1466 – 1536) — Humaniste hollandais, défenseur d’un christianisme hédoniste et tolérant.
* Michel de Montaigne (1533 – 1592) — Philosophe et essayiste français, auteur des Essais, influencé par l’épicurisme.
* Pierre Gassendi (1592 – 1655) — Philosophe et prêtre français, réhabilitant Épicure dans une perspective chrétienne.
* Friedrich Nietzsche (1844 – 1900) — Philosophe allemand, critique du christianisme ascétique et défenseur de la transvaluation des valeurs.
Crédits : Michel Onfray et la Contre-histoire de la philosophie