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CHP04 - 03. Les noms de Montaigne


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1. Michel de Montaigne

Michel Onfray explore dans cette conférence la figure complexe de Michel de Montaigne, marquant un tournant dans l’économie de la pensée occidentale. Après avoir étudié le christianisme épicurien chez Érasme, Onfray s’intéresse à Montaigne comme figure clé d’un « épicurisme chrétien » inversé, où l’accent n’est plus sur la foi mais sur l’hédonisme modéré. Cette conférence inaugure une série consacrée à Montaigne, analysé à travers une approche psycho-biographique, mettant en lumière la relation entre son corps, sa pensée et son œuvre.

2. Psycho-biographie et méthode généalogique

L’importance du corps dans la penséeMichel Onfray adopte une méthode psycho-biographique inspirée de Nietzsche et Sartre, considérant que toute philosophie est la confession d’une personne et l’autobiographie d’un corps. Il explore ainsi comment la pensée de Montaigne se construit à partir de son propre vécu corporel, de ses maladies, de ses blessures physiques et morales. Le corps souffrant de Montaigne — marqué par des coliques néphrétiques, des crises de calculs rénaux, et des faiblesses physiques — devient un moteur essentiel dans l’élaboration de sa pensée philosophique.

La quête du "je" et de la subjectivitéOnfray souligne que Montaigne s’interroge profondément sur la nature du "je". Les Essais sont l’occasion pour lui de se découvrir et de se peindre, non par narcissisme, mais pour mieux comprendre qui il est. Cette quête de soi est difficile, car Montaigne doute constamment de sa propre valeur et cherche à s’aimer malgré ses défauts physiques et psychologiques. Il n’écrit pas pour célébrer son ego, mais pour s’en approcher honnêtement.

3. Le portrait physique et moral de Montaigne

Un corps défaillant et souffrantMontaigne dresse lui-même un portrait sans complaisance :

* Physique : Petit, aux membres disproportions et à la santé fragile, il souffre de nombreuses maladies. Il évoque notamment sa perte de cheveux précoce, son visage peu expressif, et ses crises douloureuses dues aux calculs rénaux.

* Sexualité : Il parle librement de ses difficultés sexuelles, évoquant son impuissance et ses frustrations. Cette honnêteté est rare pour son époque.

* Santé mentale : Montaigne confesse des périodes de mélancolie et de profonde anxiété, accentuées par sa conscience aiguë de la mort.

Un esprit inquiet et paradoxalMontaigne se décrit également comme :

* Irrésolu et paresseux : Il avoue une certaine nonchalance et un goût pour le loisir plus que pour l’action.

* Hypersensible : Il est profondément ému par la souffrance des autres, y compris celle des animaux, tout en étant fasciné par la cruauté et les monstres.

* Modeste et sceptique : Son scepticisme s’exprime par la devise "Que sais-je ?", illustrant son refus des dogmes et sa méfiance envers les certitudes.

4. L’éducation et l’influence du père

Un projet éducatif uniqueLe père de Montaigne, inspiré par les idées pédagogiques d’Érasme, mit en place une éducation singulière pour son fils :

* Une immersion latine : Montaigne est élevé dans un environnement où seul le latin est parlé, ce qui fait de lui un "enfant romain" détaché de sa culture natale.

* Une éducation douce et musicale : Il est éveillé chaque matin par de la musique douce et grandit dans un cadre qui privilégie la joie et le plaisir d’apprendre.

Les conséquences psychologiquesCe projet éducatif engendre un décalage profond :

* Montaigne grandit éloigné des enfants de son âge et du monde réel, créant une forme de solitude précoce.

* Ce décalage entre sa formation idéalisée et la réalité du monde accentue son sentiment d’étrangeté à soi-même et aux autres.

5. Montaigne et la quête d’une sagesse hédoniste

De la douleur au plaisir modéréLes souffrances physiques et morales de Montaigne le poussent à chercher un équilibre. Sa philosophie valorise un hédonisme mesuré, où le plaisir doit être recherché, mais toujours dans la modération. Il rejette les excès, qu’ils soient ascétiques ou hédonistes, et prône un art de vivre simple et serein.

L’importance du loisir et du retraitMontaigne se retire dans sa tour pour se consacrer à la lecture, à l’écriture et à la méditation. Ce retrait n’est pas une fuite, mais un choix délibéré pour vivre à son propre rythme et selon ses propres lois. Le loisir ("otium" chez les Romains) devient pour lui une valeur fondamentale, permettant l’épanouissement personnel et la réflexion philosophique.

6. Les Essais : une quête de soi et du monde

Un projet d’écriture uniqueLes Essais sont un projet littéraire sans précédent :

* Montaigne y dicte ses pensées, souvent à haute voix, dans un style libre et digressif.

* Il s’y peint "sans fard ni masque", offrant un autoportrait sincère et complexe.

* Les Essais mêlent réflexions personnelles, citations antiques et observations du monde, créant un dialogue constant entre l’individu et l’universel.

Un équilibre entre scepticisme et hédonismeMontaigne développe un scepticisme tempéré : il doute de tout, y compris de ses propres certitudes, mais il trouve dans cette incertitude une source de liberté et de plaisir. Son hédonisme n’est pas celui des excès, mais celui d’un bonheur simple, fait de petits plaisirs quotidiens et de moments de sérénité.

💡 Conclusion

Michel Onfray présente Montaigne comme une figure fondatrice de la pensée moderne, à la croisée du scepticisme, de l’hédonisme et de l’humanisme. À travers les Essais, Montaigne explore les complexités de l’âme humaine, en se peignant lui-même pour mieux comprendre les autres. Son œuvre témoigne d’une quête de soi profonde, marquée par la douleur et la fragilité, mais orientée vers une sagesse apaisée et un art de vivre simple.

Montaigne apparaît ainsi comme un philosophe de la vie quotidienne, prônant la modération, la tolérance et l’amour de la liberté. Son message reste d’une étonnante actualité : "Le grand et glorieux chef-d'œuvre de l'homme est de vivre à propos."

📚 Philosophes mentionnés

* Socrate (470 av. J.-C. – 399 av. J.-C.) — Philosophe grec, figure fondatrice de la philosophie occidentale.

* Platon (428/427 av. J.-C. – 348/347 av. J.-C.) — Philosophe grec, auteur du Banquet et du Mythe de la caverne.

* Épicure (341 av. J.-C. – 270 av. J.-C.) — Philosophe grec, fondateur de l’épicurisme, prônant l’ataraxie et les plaisirs modérés.

* Horace (65 av. J.-C. – 8 av. J.-C.) — Poète romain, célèbre pour son Carpe Diem et son éloge du loisir (otium).

* Sénèque (4 av. J.-C. – 65 ap. J.-C.) — Philosophe stoïcien romain, auteur des Lettres à Lucilius.

* Plotin (205 – 270) — Philosophe néoplatonicien, auteur des Ennéades.

* Érasme de Rotterdam (1467 – 1536) — Humaniste et théologien chrétien, auteur de L’Éloge de la folie et des Colloques.

* Jean Bodin (1530 – 1596) — Juriste et philosophe français, auteur de La Démonomanie des sorciers.

* Michel de Montaigne (1533–1592) — Philosophe humaniste français, auteur des Essais.

* Friedrich Nietzsche (1844 – 1900) — Philosophe allemand, auteur du Guet Savoir, critique de la morale occidentale.

* Jean-Paul Sartre (1905 – 1980) — Philosophe existentialiste français, auteur de L’Être et le Néant.

Crédits : Michel Onfray et la Contre-histoire de la philosophie



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