Regards Philo

CHP04 - 05. « Pilloter » les anciens


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1. Introduction

Dans cette conférence, Michel Onfray analyse la méthode de Michel de Montaigne pour aborder les philosophes antiques et modernes. En utilisant le terme « pilloter », issu de l’apiculture, Onfray décrit comment Montaigne butine dans les œuvres des Anciens pour en extraire le miel, c’est-à-dire les idées qu’il trouve utiles et stimulantes. Cette approche sélective et libre s’inscrit dans la tradition humaniste et marque l’originalité des Essais.

2. Le rapport de Montaigne à l’Antiquité

Un amour précoce pour la culture antiqueMontaigne développe très tôt une fascination pour l’Antiquité. Élevé en latin dès son plus jeune âge, il considère cette langue morte comme sa langue maternelle. Cette immersion influence sa vision du monde et son rapport aux textes antiques, qu’il lit dans leur langue originale ou en traduction.

La bibliothèque de Montaigne : un trésor antique et contemporainSa bibliothèque, riche d’environ 1000 volumes, comprend :

* Auteurs antiques : Platon, Aristote, Sénèque, Épicure, Lucrèce, Diogène Laërce, etc.

* Auteurs contemporains : Machiavel, Luther, Dante, Pétrarque, ainsi que des récits de voyage relatant la découverte des Amériques.

* Poètes et humanistes : Marot, Du Bellay, et des philosophes comme Érasme.

Montaigne grave aussi 57 sentences dans sa bibliothèque, dont 56 issues de l’Antiquité gréco-latine et une seule contemporaine, de Michel de L’Hospital.

3. La méthode du « pillotage »

Butiner sans suivre un système rigideMontaigne refuse de s’enfermer dans un système philosophique unique. Il puise dans divers courants antiques selon ses besoins :

* Stoïcisme pour sa sagesse pratique et son éthique du détachement.

* Épicurisme pour l’éloge du plaisir modéré.

* Scepticisme pour son doute méthodique et sa méfiance envers les vérités absolues.

Cette approche souple lui permet de construire une philosophie personnelle, fondée sur l’expérience et la réflexion individuelle.

Critique des systèmes fermésMontaigne critique les philosophies dogmatiques et les concepts abstraits déconnectés du réel. Il se méfie particulièrement du platonisme et du pythagorisme pour leur dualisme entre le monde sensible et le monde des idées. Il préfère les philosophies centrées sur l’existence concrète, la pratique quotidienne et la recherche du bonheur ici et maintenant.

4. Montaigne et les courants philosophiques antiques

Les stoïciens et les épicuriensMontaigne adopte des éléments des deux écoles sans s’y enfermer :

* Stoïcisme : Il apprécie l’idée de distinguer ce qui dépend de nous et ce qui ne dépend pas de nous (inspiré d’Épictète) et l’importance de la maîtrise de soi.

* Épicurisme : Il adhère à la quête d’un plaisir simple et naturel, tout en rejetant l’atomisme matérialiste d’Épicure.

Les sceptiquesMontaigne est souvent associé au scepticisme pyrrhonien, mais Onfray nuance ce point. Montaigne pratique un doute méthodique, inspiré davantage de Socrate que de Pyrrhon. Il cherche la vérité sans jamais l’affirmer de manière dogmatique, adoptant la devise socratique : « Tout ce que je sais, c’est que je ne sais rien. »

Les cyniques et les cyrénaïquesMontaigne s’inspire aussi des cyniques (comme Diogène) pour leur critique des conventions sociales et leur vie simple et autonome. Des cyrénaïques, il retient la valorisation du plaisir immédiat, tout en prônant la modération.

5. La critique des Anciens

Contre Platon et PythagoreMontaigne critique :

* Le dualisme platonicien : Il rejette la séparation entre le monde des idées et le monde sensible.

* La métaphysique pythagoricienne : Il refuse l’idée d’une âme immatérielle et immortelle distincte du corps.

La déplatonisation de SocrateMontaigne tente de libérer Socrate de l’image que Platon en a donnée. Il valorise le Socrate historique, celui du doute et du dialogue, et non le Socrate idéalisé et métaphysicien de Platon.

L’indifférence envers AristoteMalgré la place centrale d’Aristote dans la scolastique médiévale, Montaigne l’ignore largement. Il critique l’aristotélisme pour son formalisme excessif et sa complexité inutile, préférant des philosophies plus proches de l’expérience humaine.

6. Montaigne et la modernité de son approche

Un penseur du concret et de l’immanenceMontaigne privilégie les philosophies orientées vers la vie pratique et l’expérience concrète. Il se méfie des abstractions et valorise les savoirs utiles à la conduite de la vie. Son approche pluraliste et tolérante en fait un précurseur des penseurs modernes.

Un humanisme tolérant et critiqueMontaigne adopte une posture de tolérance vis-à-vis des différences culturelles et religieuses. Il critique la barbarie coloniale dans son essai Des cannibales, défend la tolérance religieuse en pleine période de guerres de religion, et remet en question les pratiques de torture et les persécutions des sorcières.

💡 Conclusion

Michel Onfray présente Montaigne comme un philosophe humaniste qui, en « pillotant » les Anciens, construit une pensée personnelle et originale. Refusant les systèmes rigides, Montaigne adopte une méthode souple et critique, puisant dans divers courants antiques pour élaborer une philosophie du concret et de l’immanence. Cette approche fait de lui un précurseur de la pensée moderne, où le scepticisme méthodique, la quête du bonheur et la tolérance occupent une place centrale.

📚 Philosophes mentionnés

* Pythagore (vers 580 – vers 495 av. J.-C.) — Philosophe grec, fondateur du pythagorisme, connu pour son dualisme âme-corps.

* Héraclite (vers 544 – vers 480 av. J.-C.) — Philosophe grec du changement perpétuel, auteur de la doctrine du « flux ».

* Parménide (VIe – Ve siècle av. J.-C.) — Philosophe grec, penseur de l’Un et de l’immobilité.

* Socrate (470 av. J.-C. – 399 av. J.-C.) — Philosophe grec, maître du dialogue et du doute méthodique.

* Aristippe de Cyrène (vers 435 av. J.-C. – vers 356 av. J.-C.) — Philosophe grec, fondateur de l’école cyrénaïque, prônant la recherche du plaisir immédiat.

* Platon (428/427 av. J.-C. – 348/347 av. J.-C.) — Philosophe grec, fondateur de l’Académie, auteur du dualisme idées-monde sensible.

* Diogène de Sinope (vers 412 av. J.-C. – vers 323 av. J.-C.) — Philosophe cynique, adepte de la vie simple et du rejet des conventions sociales.

* Aristote (384 av. J.-C. – 322 av. J.-C.) — Philosophe grec, élève de Platon, théoricien de la logique et des sciences naturelles.

* Épicure (341 av. J.-C. – 270 av. J.-C.) — Philosophe grec, fondateur de l’épicurisme, prônant l’ataraxie et les plaisirs simples.

* Lucrèce (vers 98 av. J.-C. – vers 55 av. J.-C.) — Philosophe et poète romain, auteur de De rerum natura, défenseur de l’épicurisme.

* Sénèque (4 av. J.-C. – 65 ap. J.-C.) — Philosophe stoïcien romain, auteur des Lettres à Lucilius.

* Épictète (vers 50 – vers 135) — Philosophe stoïcien grec, auteur du Manuel.

* Marc Aurèle (121 – 180) — Empereur romain et philosophe stoïcien, auteur des Pensées pour moi-même.

* Diogène Laërce (IIIe siècle) — Biographe des philosophes grecs, auteur de Vies et doctrines des philosophes illustres.

* Dante Alighieri (1265 – 1321) — Poète italien, auteur de la Divine Comédie, chef-d'œuvre de la littérature mondiale décrivant un voyage allégorique à travers l'Enfer, le Purgatoire et le Paradis.

* Guillaume d’Ockham (1285 – 1347) — Philosophe médiéval, défenseur du nominalisme.

* Pétrarque (1304 – 1374) — Poète et humaniste italien, considéré comme le "père de l'humanisme", célèbre pour son Canzoniere, recueil de poèmes dédiés à Laure.

* Érasme (1466 – 1536) — Humaniste, théologien et philosophe néerlandais, auteur de L'Éloge de la folie, critique satirique de la société et de l'Église de son temps.

* Nicolas Machiavel (1469 – 1527) — Homme politique et philosophe italien, auteur du Prince, ouvrage fondateur de la science politique moderne.

* Martin Luther (1483 – 1546) — Moine et théologien allemand, initiateur de la Réforme protestante en publiant ses 95 thèses contre les indulgences en 1517.

* Clément Marot (1496 – 1544) — Poète français de la Renaissance, connu pour ses épîtres, élégies et traductions des Psaumes, contribuant au développement de la poésie française.

* Joachim du Bellay (1522 – 1560) — Poète français, membre de la Pléiade, auteur de Défense et illustration de la langue française, plaidoyer pour l'enrichissement de la langue et de la littérature françaises.

* Michel de Montaigne (1533–1592) — Philosophe humaniste français, auteur des Essais.

* Friedrich Nietzsche (1844 – 1900) — Philosophe allemand, auteur de Ecce Homo, critique du platonisme et du christianisme.

Crédits : Michel Onfray et la Contre-histoire de la philosophie



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