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CHP04 - 08. Une sagesse tragique


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1. Introduction

Dans cette conférence, Michel Onfray explore la philosophie de Montaigne sous l'angle de la sagesse tragique. Il met en lumière comment Montaigne, à travers les Essais, développe une réflexion hédoniste marquée par une conscience aiguë de la mort. Loin de tout optimisme naïf ou pessimisme désespéré, Montaigne adopte une posture tragique, acceptant la finitude humaine tout en valorisant le plaisir et la sérénité dans l’existence.

2. Montaigne et l'hédonisme tragique

L’accident fondateur et la révélation de la mortUn événement central dans la vie de Montaigne est l'accident de cheval qu'il décrit dans les Essais. Ce moment, où il frôle la mort, agit comme une révélation :

* Il prend conscience de l’omniprésence de la mort dans la vie.

* Loin de craindre la mort, il découvre une forme de paix et de plaisir dans cet abandon à l'inéluctable.

Philosopher, c’est apprendre à mourirMontaigne reprend cette maxime de Cicéron pour souligner que la philosophie doit nous préparer à la mort. Cependant, pour Montaigne :

* Apprendre à mourir, c’est avant tout apprendre à vivre pleinement.

* La mort n’est pas un mal à fuir, mais une composante naturelle de la vie.

3. Une vision tragique et lucide de l’existence

L’acceptation de la finitudeMontaigne adopte une posture tragique :

* Il accepte la mort comme une réalité inévitable et omniprésente.

* Il refuse les illusions religieuses de l’au-delà et se concentre sur la vie présente.

La mort fait partie de la vieMontaigne perçoit la mort non pas comme une rupture, mais comme une continuité :

* Vie et mort sont les deux faces d’une même médaille.

* Cette conscience aiguë de la mort donne plus de valeur et de saveur à la vie.

Ni optimisme, ni pessimisme : la voie tragiqueMontaigne ne verse ni dans l’optimisme naïf ni dans le pessimisme désespéré :

* L’optimiste voit toujours le meilleur dans le réel.

* Le pessimiste anticipe toujours le pire.

* Le tragique, comme Montaigne, accepte le réel tel qu’il est, avec ses joies et ses souffrances.

4. La sagesse hédoniste de Montaigne

Le plaisir comme souverain bienMontaigne s’inscrit dans la tradition épicurienne :

* Le plaisir est le but de l’existence, mais il s’agit d’un plaisir mesuré et réfléchi.

* Il prône un hédonisme lucide, qui prend en compte la souffrance et la mort.

L’ataraxie : la sérénité face à la mortMontaigne cherche à atteindre l’ataraxie, la tranquillité de l’âme :

* Il faut apprivoiser la mort pour vivre pleinement.

* La sagesse consiste à vivre « à propos », en harmonie avec soi-même et le monde.

La critique du dolorisme chrétienMontaigne s’oppose à la valorisation chrétienne de la souffrance :

* Il rejette l’idée que la douleur ait une valeur rédemptrice.

* Pour lui, le bonheur et le plaisir sont des buts légitimes et naturels.

5. Techniques pour apprivoiser la mort

Changer sa représentation de la mortMontaigne, influencé par le stoïcisme et l’épicurisme, recommande de travailler sur nos représentations :

* La mort n’est pas un mal en soi, mais c’est la peur de la mort qui est nuisible.

* Il faut considérer la mort comme un simple retour au néant, identique à l’état avant notre naissance.

Le moment de la mort comme apogée de la vieMontaigne pense que le dernier instant de la vie donne du sens à toute l’existence :

* Il faut mourir comme on a vécu, en cohérence avec ses valeurs et sa vision du monde.

* Une « bonne mort » est celle qui clôt une vie vécue pleinement et sereinement.

Vivre dans le présentL’une des clés de la sagesse tragique est l’ancrage dans le présent :

* Il faut cesser de vivre dans l’angoisse du futur ou les regrets du passé.

* Le moment présent est le seul espace où l’on peut véritablement exister et jouir de la vie.

6. Une philosophie de la liberté et de la sérénité

Éviter les souffrances inutilesMontaigne conseille d’éviter tout ce qui nuit à notre sérénité intérieure :

* Se préserver des passions destructrices, des responsabilités lourdes, et des attachements excessifs.

* Favoriser la simplicité, l’amitié sincère et les plaisirs modérés.

L’éloge de la nature et des animauxMontaigne voit dans les animaux et les peuples dits « sauvages » des modèles de sagesse naturelle :

* Ils vivent en harmonie avec leurs instincts sans les complexités inutiles des hommes civilisés.

* Il admire leur capacité à vivre l’instant présent sans crainte de la mort.

La culture comme moyen de retrouver la natureParadoxalement, Montaigne pense que la culture et la philosophie peuvent aider à retrouver une forme de sagesse naturelle :

* Il faut utiliser la culture non pour s’éloigner de la nature, mais pour mieux y revenir.

* Son idéal est un retour à une simplicité originelle, débarrassée des artifices sociaux et religieux.

💡 Conclusion

Michel Onfray présente Montaigne comme un philosophe de la sagesse tragique, alliant une profonde conscience de la mort à une quête hédoniste du plaisir. Pour Montaigne, la reconnaissance de notre finitude n’est pas un obstacle au bonheur, mais au contraire, ce qui donne toute sa valeur à la vie. En apprenant à mourir, on apprend surtout à vivre pleinement, dans la sérénité et la liberté intérieure. Cette sagesse tragique, loin d’être sombre ou désespérée, est une célébration joyeuse de l’existence humaine dans toute sa complexité.

📚 Philosophes mentionnés

* Héraclite (vers 544 av. J.-C. – vers 480 av. J.-C.) — Philosophe grec du changement perpétuel, célèbre pour la maxime « On ne se baigne jamais deux fois dans le même fleuve ».

* Socrate (470 av. J.-C. – 399 av. J.-C.) — Philosophe grec, maître du dialogue et du doute méthodique.

* Platon (428/427 – 348/347 av. J.-C.) — Philosophe grec, défenseur du dualisme âme-corps.

* Diogène de Sinope (vers 412 av. J.-C. – vers 323 av. J.-C.) — Philosophe cynique, adepte de la vie simple et du rejet des conventions sociales.

* Épicure (341 av. J.-C. – 270 av. J.-C.) — Philosophe grec, fondateur de l’épicurisme, prônant l’ataraxie et les plaisirs modérés.

* Cicéron (106 av. J.-C. – 43 av. J.-C.) — Philosophe et orateur romain, auteur de Tusculanes, d’où est tirée la maxime « Philosopher, c’est apprendre à mourir ».

* Lucrèce (98 av. J.-C. – 55 av. J.-C.) — Poète et philosophe romain, auteur de De rerum natura, défenseur de l’épicurisme matérialiste.

* Épictète (vers 50 – vers 135) — Philosophe stoïcien grec, auteur du Manuel.

* Marc Aurèle (121 – 180) — Empereur romain et philosophe stoïcien, auteur des Pensées pour moi-même.

* Saint Augustin (354 – 430) — Philosophe et théologien chrétien, auteur des Confessions.

* Jean-Jacques Rousseau (1712 – 1778) — Philosophe genevois, auteur du Discours sur l'origine et les fondements de l'inégalité parmi les hommes, défenseur du retour à la nature.

* Jeremy Bentham (1748 – 1832) — Philosophe anglais, fondateur de l’utilitarisme, théoricien du calcul des plaisirs et des peines.

* Arthur Schopenhauer (1788 – 1860) — Philosophe allemand, auteur du Monde comme volonté et comme représentation, penseur pessimiste.

* Friedrich Nietzsche (1844 – 1900) — Philosophe allemand, auteur du Gai Savoir, défenseur de la philosophie tragique et critique du christianisme.

* Sigmund Freud (1856 – 1939) — Neurologue autrichien, fondateur de la psychanalyse, théoricien des pulsions de vie (Éros) et de mort (Thanatos).

Crédits : Michel Onfray et la Contre-histoire de la philosophie



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