
Sign up to save your podcasts
Or
1. Introduction
Dans cette conférence, Michel Onfray explore les trois exercices spirituels proposés par Montaigne dans les Essais : l’amitié, l’usage des femmes et l’usage des livres. S'inspirant du concept d’"exercices spirituels" développé par Pierre Hadot et repris par Michel Foucault, Onfray souligne que Montaigne ne se limite pas à théoriser la philosophie mais cherche à l'incarner dans sa vie quotidienne. Ces trois pratiques permettent à Montaigne de cultiver une sagesse hédoniste et tragique, où la quête du plaisir est tempérée par une conscience aiguë de la finitude humaine.
2. L’amitié : un mythe antique revisité
La relation entre Montaigne et La BoétieL'amitié entre Montaigne et Étienne de La Boétie est l'un des mythes fondateurs des Essais. Montaigne la célèbre comme une amitié idéale et parfaite, comparable aux modèles antiques d’Oreste et Pylade. Cependant, Onfray nuance cette image :
* Un mythe construit : Montaigne aurait idéalisé cette relation, la sublimant après la mort précoce de La Boétie.
* Des tensions et des silences : Montaigne passe sous silence certains aspects problématiques, comme son refus d'intégrer le Discours de la servitude volontaire de La Boétie dans les Essais, probablement pour des raisons politiques.
* La raison d’État contre l’amitié : Montaigne privilégie la prudence politique à la loyauté amicale, refusant de publier un texte jugé subversif dans un contexte de guerres de religion.
La philosophie antique de l’amitiéMontaigne puise dans la tradition antique pour penser l’amitié :
* Platon (Lysis) : Idée d’une amitié idéale et spirituelle.
* Épicure : L’amitié comme un bien suprême procurant la sécurité et le plaisir.
* Cicéron (Lælius) : L’amitié vertueuse fondée sur la bienveillance réciproque.
* Sénèque : La véritable amitié ne doit pas être intéressée.
Montaigne adopte ces perspectives tout en soulignant l’exceptionnalité de son amitié avec La Boétie par la célèbre formule : « Parce que c'était lui, parce que c'était moi ».
3. L’usage des femmes : entre hédonisme et misogynie
La complexité du rapport de Montaigne aux femmesOnfray analyse la vision ambivalente de Montaigne sur les femmes :
* Un regard misogyne : Montaigne reprend des stéréotypes de son époque, décrivant les femmes comme vaniteuses, naïves et insatiables.
* Un féminisme naissant : Malgré ces préjugés, Montaigne défend l’idée que les inégalités entre les sexes ne sont pas naturelles mais sociales, issues de l’éducation et des conventions. Il écrit : « Les mâles et les femelles sont jetés au même moule, sauf l’institution et l’usage ».
L’hédonisme sexuel et la liberté des femmesMontaigne adopte une approche épicurienne du plaisir sexuel :
* Droit au plaisir pour les femmes : Il affirme que les femmes, comme les hommes, ont droit au plaisir et critique les normes morales qui le leur refusent.
* La critique du mariage d’amour : Montaigne considère que le mariage est un contrat social et non une affaire de passion. L’amour véritable est trop instable pour constituer la base solide d’un mariage.
* L’éloge du couple ataraxique : Inspiré de Lucrèce, Montaigne prône un couple équilibré, fondé sur la complicité et la modération des passions.
La relation avec Marie de GournayOnfray évoque également la relation ambigüe entre Montaigne et Marie de Gournay, qu’il désignait comme sa « fille d’alliance ». Bien que certains aient spéculé sur une possible relation amoureuse, Montaigne semble surtout avoir vu en elle une héritière spirituelle, à qui il confia l'édition posthume des Essais.
4. L’usage des livres : entre lecture et écriture
Le rapport hédoniste à la lecturePour Montaigne, les livres sont une source essentielle de plaisir et de connaissance :
* Lecture sélective : Montaigne lit selon ses envies, préférant les auteurs antiques comme Plutarque, Lucrèce et Sénèque. Il avoue qu’après 40 ans, il ne lit plus un livre en entier, mais picore des passages qui l’inspirent.
* La lecture comme conversation : Il conçoit la lecture comme un dialogue avec les auteurs, une manière de "frotter sa cervelle" à celle des grands hommes.
L’écriture des Essais comme exercice spirituelL’acte d’écrire est pour Montaigne une pratique introspective et libératrice :
* Le fagotage des Essais : Il décrit son travail d’écriture comme un « fagotage » de pensées, un assemblage hétéroclite sans plan préétabli.
* L’écriture pour se connaître : Fidèle au précepte socratique « Connais-toi toi-même », Montaigne utilise les Essais pour se peindre et s’explorer, tout en s’interrogeant sur la nature humaine.
* Un autoportrait inachevé : Les Essais restent une œuvre ouverte, constamment enrichie et corrigée, jusqu’à la mort de Montaigne.
5. Les exercices spirituels : entre théorie et pratique
La philosophie comme mode de vieOnfray rappelle que pour Montaigne, la philosophie n’est pas qu’un discours théorique mais un art de vivre, en continuité avec la tradition antique :
* Pierre Hadot : Les exercices spirituels sont des pratiques visant à transformer l’individu.
* Michel Foucault : Le « souci de soi » est central dans la philosophie antique, où il s’agit d’être en accord avec soi-même à travers des exercices de maîtrise et de réflexion.
Les trois commerces : amitié, femmes et livresCes trois domaines sont les terrains où Montaigne exerce sa philosophie au quotidien :
* L’amitié : Un espace d’harmonie et d’élévation spirituelle.
* Les femmes : Un terrain d’expérimentation des plaisirs et des affects.
* Les livres : Un dialogue constant avec les grandes pensées, permettant la construction de soi.
💡 Conclusion
Michel Onfray met en lumière l’approche incarnée de la philosophie chez Montaigne, où la théorie se prolonge dans la pratique quotidienne à travers des exercices spirituels. En explorant l’amitié, l’usage des femmes et l’usage des livres, Montaigne élabore une sagesse hédoniste et tragique, où la quête du plaisir se conjugue avec la conscience de la mort et la recherche de la sérénité. Sa philosophie reste profondément actuelle, invitant à vivre pleinement tout en cultivant la liberté intérieure et la connaissance de soi.
📚 Philosophes mentionnés
* Socrate (470 av. J.-C. – 399 av. J.-C.) — Philosophe grec, figure fondatrice de la philosophie occidentale, maître du "Connais-toi toi-même".
* Platon (428/427 av. J.-C. – 348/347 av. J.-C.) — Philosophe grec, auteur du Lysis, dialogue sur l’amitié.
* Aristote (384 av. J.-C. – 322 av. J.-C.) — Philosophe grec, auteur de l’Éthique à Nicomaque, abordant les différentes formes d’amitié.
* Épicure (341 av. J.-C. – 270 av. J.-C.) — Philosophe grec, fondateur de l’épicurisme, prônant l’ataraxie et les plaisirs modérés.
* Cicéron (106 av. J.-C. – 43 av. J.-C.) — Philosophe et orateur romain, auteur du Lælius, dialogue sur l’amitié.
* Lucrèce (98 av. J.-C. – 55 av. J.-C.) — Poète et philosophe romain, auteur de De rerum natura, défenseur de l’épicurisme matérialiste.
* Sénèque (4 av. J.-C. – 65 ap. J.-C.) — Philosophe stoïcien romain, auteur des Lettres à Lucilius, réflexions sur l’éthique et l’amitié.
* Étienne de La Boétie (1530 – 1563) — Philosophe et ami de Montaigne, auteur du Discours de la servitude volontaire.
* Friedrich Nietzsche (1844 – 1900) — Philosophe allemand, auteur du concept d’« éternel retour » et défenseur d’une sagesse tragique.
* Pierre Hadot (1922 – 2010) — Philosophe français, théoricien des "exercices spirituels" dans la philosophie antique.
* Michel Foucault (1926 – 1984) — Philosophe français, auteur du Souci de soi, étude des pratiques philosophiques antiques.
Crédits : Michel Onfray et la Contre-histoire de la philosophie
1. Introduction
Dans cette conférence, Michel Onfray explore les trois exercices spirituels proposés par Montaigne dans les Essais : l’amitié, l’usage des femmes et l’usage des livres. S'inspirant du concept d’"exercices spirituels" développé par Pierre Hadot et repris par Michel Foucault, Onfray souligne que Montaigne ne se limite pas à théoriser la philosophie mais cherche à l'incarner dans sa vie quotidienne. Ces trois pratiques permettent à Montaigne de cultiver une sagesse hédoniste et tragique, où la quête du plaisir est tempérée par une conscience aiguë de la finitude humaine.
2. L’amitié : un mythe antique revisité
La relation entre Montaigne et La BoétieL'amitié entre Montaigne et Étienne de La Boétie est l'un des mythes fondateurs des Essais. Montaigne la célèbre comme une amitié idéale et parfaite, comparable aux modèles antiques d’Oreste et Pylade. Cependant, Onfray nuance cette image :
* Un mythe construit : Montaigne aurait idéalisé cette relation, la sublimant après la mort précoce de La Boétie.
* Des tensions et des silences : Montaigne passe sous silence certains aspects problématiques, comme son refus d'intégrer le Discours de la servitude volontaire de La Boétie dans les Essais, probablement pour des raisons politiques.
* La raison d’État contre l’amitié : Montaigne privilégie la prudence politique à la loyauté amicale, refusant de publier un texte jugé subversif dans un contexte de guerres de religion.
La philosophie antique de l’amitiéMontaigne puise dans la tradition antique pour penser l’amitié :
* Platon (Lysis) : Idée d’une amitié idéale et spirituelle.
* Épicure : L’amitié comme un bien suprême procurant la sécurité et le plaisir.
* Cicéron (Lælius) : L’amitié vertueuse fondée sur la bienveillance réciproque.
* Sénèque : La véritable amitié ne doit pas être intéressée.
Montaigne adopte ces perspectives tout en soulignant l’exceptionnalité de son amitié avec La Boétie par la célèbre formule : « Parce que c'était lui, parce que c'était moi ».
3. L’usage des femmes : entre hédonisme et misogynie
La complexité du rapport de Montaigne aux femmesOnfray analyse la vision ambivalente de Montaigne sur les femmes :
* Un regard misogyne : Montaigne reprend des stéréotypes de son époque, décrivant les femmes comme vaniteuses, naïves et insatiables.
* Un féminisme naissant : Malgré ces préjugés, Montaigne défend l’idée que les inégalités entre les sexes ne sont pas naturelles mais sociales, issues de l’éducation et des conventions. Il écrit : « Les mâles et les femelles sont jetés au même moule, sauf l’institution et l’usage ».
L’hédonisme sexuel et la liberté des femmesMontaigne adopte une approche épicurienne du plaisir sexuel :
* Droit au plaisir pour les femmes : Il affirme que les femmes, comme les hommes, ont droit au plaisir et critique les normes morales qui le leur refusent.
* La critique du mariage d’amour : Montaigne considère que le mariage est un contrat social et non une affaire de passion. L’amour véritable est trop instable pour constituer la base solide d’un mariage.
* L’éloge du couple ataraxique : Inspiré de Lucrèce, Montaigne prône un couple équilibré, fondé sur la complicité et la modération des passions.
La relation avec Marie de GournayOnfray évoque également la relation ambigüe entre Montaigne et Marie de Gournay, qu’il désignait comme sa « fille d’alliance ». Bien que certains aient spéculé sur une possible relation amoureuse, Montaigne semble surtout avoir vu en elle une héritière spirituelle, à qui il confia l'édition posthume des Essais.
4. L’usage des livres : entre lecture et écriture
Le rapport hédoniste à la lecturePour Montaigne, les livres sont une source essentielle de plaisir et de connaissance :
* Lecture sélective : Montaigne lit selon ses envies, préférant les auteurs antiques comme Plutarque, Lucrèce et Sénèque. Il avoue qu’après 40 ans, il ne lit plus un livre en entier, mais picore des passages qui l’inspirent.
* La lecture comme conversation : Il conçoit la lecture comme un dialogue avec les auteurs, une manière de "frotter sa cervelle" à celle des grands hommes.
L’écriture des Essais comme exercice spirituelL’acte d’écrire est pour Montaigne une pratique introspective et libératrice :
* Le fagotage des Essais : Il décrit son travail d’écriture comme un « fagotage » de pensées, un assemblage hétéroclite sans plan préétabli.
* L’écriture pour se connaître : Fidèle au précepte socratique « Connais-toi toi-même », Montaigne utilise les Essais pour se peindre et s’explorer, tout en s’interrogeant sur la nature humaine.
* Un autoportrait inachevé : Les Essais restent une œuvre ouverte, constamment enrichie et corrigée, jusqu’à la mort de Montaigne.
5. Les exercices spirituels : entre théorie et pratique
La philosophie comme mode de vieOnfray rappelle que pour Montaigne, la philosophie n’est pas qu’un discours théorique mais un art de vivre, en continuité avec la tradition antique :
* Pierre Hadot : Les exercices spirituels sont des pratiques visant à transformer l’individu.
* Michel Foucault : Le « souci de soi » est central dans la philosophie antique, où il s’agit d’être en accord avec soi-même à travers des exercices de maîtrise et de réflexion.
Les trois commerces : amitié, femmes et livresCes trois domaines sont les terrains où Montaigne exerce sa philosophie au quotidien :
* L’amitié : Un espace d’harmonie et d’élévation spirituelle.
* Les femmes : Un terrain d’expérimentation des plaisirs et des affects.
* Les livres : Un dialogue constant avec les grandes pensées, permettant la construction de soi.
💡 Conclusion
Michel Onfray met en lumière l’approche incarnée de la philosophie chez Montaigne, où la théorie se prolonge dans la pratique quotidienne à travers des exercices spirituels. En explorant l’amitié, l’usage des femmes et l’usage des livres, Montaigne élabore une sagesse hédoniste et tragique, où la quête du plaisir se conjugue avec la conscience de la mort et la recherche de la sérénité. Sa philosophie reste profondément actuelle, invitant à vivre pleinement tout en cultivant la liberté intérieure et la connaissance de soi.
📚 Philosophes mentionnés
* Socrate (470 av. J.-C. – 399 av. J.-C.) — Philosophe grec, figure fondatrice de la philosophie occidentale, maître du "Connais-toi toi-même".
* Platon (428/427 av. J.-C. – 348/347 av. J.-C.) — Philosophe grec, auteur du Lysis, dialogue sur l’amitié.
* Aristote (384 av. J.-C. – 322 av. J.-C.) — Philosophe grec, auteur de l’Éthique à Nicomaque, abordant les différentes formes d’amitié.
* Épicure (341 av. J.-C. – 270 av. J.-C.) — Philosophe grec, fondateur de l’épicurisme, prônant l’ataraxie et les plaisirs modérés.
* Cicéron (106 av. J.-C. – 43 av. J.-C.) — Philosophe et orateur romain, auteur du Lælius, dialogue sur l’amitié.
* Lucrèce (98 av. J.-C. – 55 av. J.-C.) — Poète et philosophe romain, auteur de De rerum natura, défenseur de l’épicurisme matérialiste.
* Sénèque (4 av. J.-C. – 65 ap. J.-C.) — Philosophe stoïcien romain, auteur des Lettres à Lucilius, réflexions sur l’éthique et l’amitié.
* Étienne de La Boétie (1530 – 1563) — Philosophe et ami de Montaigne, auteur du Discours de la servitude volontaire.
* Friedrich Nietzsche (1844 – 1900) — Philosophe allemand, auteur du concept d’« éternel retour » et défenseur d’une sagesse tragique.
* Pierre Hadot (1922 – 2010) — Philosophe français, théoricien des "exercices spirituels" dans la philosophie antique.
* Michel Foucault (1926 – 1984) — Philosophe français, auteur du Souci de soi, étude des pratiques philosophiques antiques.
Crédits : Michel Onfray et la Contre-histoire de la philosophie