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Or
1. Introduction
Michel Onfray explore dans cette conférence l'idée des "deux corps" de Montaigne, empruntée à Ernst Kantorowicz et sa théorie des deux corps du roi (le corps physique et le corps politique). Onfray applique ce concept à Montaigne pour illustrer la distinction entre le corps physique du philosophe, soumis aux aléas de la vie et de la mort, et son corps philosophique, incarné par son œuvre, qui survit à la disparition du corps matériel.
2. La mort de Montaigne : entre réalité et symbolisme
Une mort inattendue et paisibleMontaigne meurt le 13 septembre 1592 non pas des douleurs chroniques dues à ses coliques néphrétiques, mais d'une "esquinancie", une angine diphtérique qui l'étouffe progressivement.
* Sérénité face à la mort : Montaigne meurt entouré de ses amis, dans une atmosphère paisible, en demandant l'extrême-onction et en assistant à l'élévation de l'hostie avant de rendre son dernier souffle.
* Philosopher, c'est apprendre à mourir : La manière dont Montaigne aborde sa mort incarne sa philosophie. Fidèle à sa maxime "Philosopher, c’est apprendre à mourir", il meurt sereinement, sans peur ni agitation.
Le corps mortel et ses pérégrinations posthumesAprès sa mort, le corps de Montaigne connaît plusieurs péripéties :
* Le cœur est séparé du corps : Le cœur est placé dans la chapelle Saint-Michel, tandis que le corps repose dans l’église des Feuillants à Bordeaux.
* Pérégrinations du corps : Le cercueil subit plusieurs déplacements, passant par le musée de l'Académie de Bordeaux, un incendie endommageant le sarcophage, et enfin sa réinstallation au musée d'Aquitaine.
* Un sarcophage devenu symbole : Le sarcophage devient même une boîte aux lettres pour la Résistance durant la Seconde Guerre mondiale, illustrant l'ironie du destin du "corps réel" de Montaigne.
3. Le corps philosophique : une œuvre immortelle
Les Essais : un autoportrait éternelMontaigne laisse derrière lui un "corps philosophique", constitué de ses Essais, qui témoignent de sa pensée et lui confèrent une forme d'immortalité :
* Un autoportrait en mouvement : Les Essais sont une œuvre vivante et évolutive, constamment enrichie par Montaigne jusqu’à sa mort.
* La survie de la pensée : Ce "corps philosophique" survit bien au-delà du corps physique, continuant d’influencer des générations de penseurs.
Marie de Gournay : la gardienne du texteAprès la mort de Montaigne, c’est Marie de Gournay, sa "fille d’alliance", qui prend en charge la préservation et la diffusion des Essais :
* Édition posthume : Elle veille à l'édition et à la publication des Essais, assurant leur transmission.
* Travail d’édition : Elle opère des choix éditoriaux, supprime ou ajoute des passages, ce qui suscite des débats sur la fidélité au texte original.
4. Les deux lectures de Montaigne : officiel et libertin
Montaigne officiel : le philosophe consensuelOnfray distingue un Montaigne "officiel", celui des institutions, souvent réduit à une image consensuelle :
* Humaniste tolérant : Ce Montaigne est présenté comme un humaniste équilibré, promoteur de la modération et de la sagesse.
* Lectures académiques : C’est le Montaigne enseigné dans les écoles, souvent édulcoré et dépolitisé.
Montaigne libertin : le philosophe subversifMais Onfray met également en lumière un "Montaigne libertin", plus radical et subversif :
* Scepticisme et relativisme : Ce Montaigne critique les dogmes religieux et philosophiques, prônant un scepticisme méthodique.
* Épicurisme caché : Il dissimule des idées épicuriennes, notamment sur le plaisir, la nature et la mort, sous un vernis chrétien pour éviter la censure.
* Influence sur les libertins : Ce Montaigne inspire les libertins érudits du XVIIe siècle, qui s’approprient ses idées les plus audacieuses.
5. La postérité de Montaigne : entre influences et malentendus
Les penseurs influencés par MontaigneMontaigne a marqué la philosophie européenne, influençant des figures majeures :
* Shakespeare : Certains passages de La Tempête semblent directement inspirés des Essais, notamment du chapitre Des cannibales.
* Philosophes anglais : Locke et Hume sont influencés par l'empirisme et le scepticisme de Montaigne, intégrant ses idées sur la connaissance issue des sens.
* Kant : Bien que très éloigné du style montanien, Kant admire Montaigne pour sa capacité à observer le "moi" et s’en inspire dans son Anthropologie du point de vue pragmatique.
Les critiques : Descartes et PascalMontaigne a également été la cible de critiques acerbes :
* Descartes : Bien qu’influencé par Montaigne, Descartes s’oppose à son scepticisme, en développant le cogito comme fondement indubitable du savoir.
* Pascal : Il reproche à Montaigne son scepticisme et son relativisme moral, le qualifiant de philosophe frivole qui évite les vérités transcendantes.
💡 Conclusion
Michel Onfray propose une lecture nuancée de Montaigne à travers le prisme des "deux corps" :
* Le corps mortel : Celui qui meurt le 13 septembre 1592, mais dont les restes ont connu des péripéties posthumes dignes d'un roman.
* Le corps philosophique : Celui des Essais, qui continue d’inspirer et de susciter débats et réflexions des siècles après sa mort.
Montaigne est ainsi "mort et vivant", à la fois enseveli et perpétué dans son œuvre. Il incarne le philosophe dont le "corps philosophique" transcende la mort biologique, permettant à sa pensée de traverser les siècles.
📚 Philosophes et concepts mentionnés
* Socrate (470 av. J.-C. – 399 av. J.-C.) — Philosophe grec, modèle du sage acceptant sereinement la mort.
* Platon (428/427 av. J.-C. – 348/347 av. J.-C.) — Philosophe grec, auteur du Phédon, dialogue sur l’immortalité de l’âme.
* Épicure (341 av. J.-C. – 270 av. J.-C.) — Philosophe grec, fondateur de l’épicurisme, prônant l’ataraxie et l'absence de crainte face à la mort.
* Lucrèce (98 av. J.-C. – 55 av. J.-C.) — Poète et philosophe romain, auteur de De rerum natura, défenseur de l’épicurisme matérialiste.
* Lucien de Samosate (125 – 192) — Écrivain satirique grec, célèbre pour ses dialogues critiques des dogmes.
* Giordano Bruno (1548 – 1600) — Philosophe italien, défenseur du panthéisme, brûlé par l’Inquisition.
* René Descartes (1596 – 1650) — Philosophe rationaliste français, auteur du Discours de la méthode.
* Blaise Pascal (1623 – 1662) — Mathématicien et philosophe français, auteur des Pensées et du pari sur l’existence de Dieu.
* John Locke (1632 – 1704) — Philosophe empiriste anglais, auteur de L’Essai sur l’entendement humain.
* David Hume (1711 – 1776) — Philosophe écossais, figure majeure de l’empirisme et du scepticisme.
* Emmanuel Kant (1724 – 1804) — Philosophe allemand, auteur de Critique de la raison pure et Anthropologie du point de vue pragmatique.
* Ernst Kantorowicz (1895 – 1963) — Historien allemand, auteur de Les Deux Corps du roi, concept appliqué ici à Montaigne.
Crédits : Michel Onfray et la Contre-histoire de la philosophie
1. Introduction
Michel Onfray explore dans cette conférence l'idée des "deux corps" de Montaigne, empruntée à Ernst Kantorowicz et sa théorie des deux corps du roi (le corps physique et le corps politique). Onfray applique ce concept à Montaigne pour illustrer la distinction entre le corps physique du philosophe, soumis aux aléas de la vie et de la mort, et son corps philosophique, incarné par son œuvre, qui survit à la disparition du corps matériel.
2. La mort de Montaigne : entre réalité et symbolisme
Une mort inattendue et paisibleMontaigne meurt le 13 septembre 1592 non pas des douleurs chroniques dues à ses coliques néphrétiques, mais d'une "esquinancie", une angine diphtérique qui l'étouffe progressivement.
* Sérénité face à la mort : Montaigne meurt entouré de ses amis, dans une atmosphère paisible, en demandant l'extrême-onction et en assistant à l'élévation de l'hostie avant de rendre son dernier souffle.
* Philosopher, c'est apprendre à mourir : La manière dont Montaigne aborde sa mort incarne sa philosophie. Fidèle à sa maxime "Philosopher, c’est apprendre à mourir", il meurt sereinement, sans peur ni agitation.
Le corps mortel et ses pérégrinations posthumesAprès sa mort, le corps de Montaigne connaît plusieurs péripéties :
* Le cœur est séparé du corps : Le cœur est placé dans la chapelle Saint-Michel, tandis que le corps repose dans l’église des Feuillants à Bordeaux.
* Pérégrinations du corps : Le cercueil subit plusieurs déplacements, passant par le musée de l'Académie de Bordeaux, un incendie endommageant le sarcophage, et enfin sa réinstallation au musée d'Aquitaine.
* Un sarcophage devenu symbole : Le sarcophage devient même une boîte aux lettres pour la Résistance durant la Seconde Guerre mondiale, illustrant l'ironie du destin du "corps réel" de Montaigne.
3. Le corps philosophique : une œuvre immortelle
Les Essais : un autoportrait éternelMontaigne laisse derrière lui un "corps philosophique", constitué de ses Essais, qui témoignent de sa pensée et lui confèrent une forme d'immortalité :
* Un autoportrait en mouvement : Les Essais sont une œuvre vivante et évolutive, constamment enrichie par Montaigne jusqu’à sa mort.
* La survie de la pensée : Ce "corps philosophique" survit bien au-delà du corps physique, continuant d’influencer des générations de penseurs.
Marie de Gournay : la gardienne du texteAprès la mort de Montaigne, c’est Marie de Gournay, sa "fille d’alliance", qui prend en charge la préservation et la diffusion des Essais :
* Édition posthume : Elle veille à l'édition et à la publication des Essais, assurant leur transmission.
* Travail d’édition : Elle opère des choix éditoriaux, supprime ou ajoute des passages, ce qui suscite des débats sur la fidélité au texte original.
4. Les deux lectures de Montaigne : officiel et libertin
Montaigne officiel : le philosophe consensuelOnfray distingue un Montaigne "officiel", celui des institutions, souvent réduit à une image consensuelle :
* Humaniste tolérant : Ce Montaigne est présenté comme un humaniste équilibré, promoteur de la modération et de la sagesse.
* Lectures académiques : C’est le Montaigne enseigné dans les écoles, souvent édulcoré et dépolitisé.
Montaigne libertin : le philosophe subversifMais Onfray met également en lumière un "Montaigne libertin", plus radical et subversif :
* Scepticisme et relativisme : Ce Montaigne critique les dogmes religieux et philosophiques, prônant un scepticisme méthodique.
* Épicurisme caché : Il dissimule des idées épicuriennes, notamment sur le plaisir, la nature et la mort, sous un vernis chrétien pour éviter la censure.
* Influence sur les libertins : Ce Montaigne inspire les libertins érudits du XVIIe siècle, qui s’approprient ses idées les plus audacieuses.
5. La postérité de Montaigne : entre influences et malentendus
Les penseurs influencés par MontaigneMontaigne a marqué la philosophie européenne, influençant des figures majeures :
* Shakespeare : Certains passages de La Tempête semblent directement inspirés des Essais, notamment du chapitre Des cannibales.
* Philosophes anglais : Locke et Hume sont influencés par l'empirisme et le scepticisme de Montaigne, intégrant ses idées sur la connaissance issue des sens.
* Kant : Bien que très éloigné du style montanien, Kant admire Montaigne pour sa capacité à observer le "moi" et s’en inspire dans son Anthropologie du point de vue pragmatique.
Les critiques : Descartes et PascalMontaigne a également été la cible de critiques acerbes :
* Descartes : Bien qu’influencé par Montaigne, Descartes s’oppose à son scepticisme, en développant le cogito comme fondement indubitable du savoir.
* Pascal : Il reproche à Montaigne son scepticisme et son relativisme moral, le qualifiant de philosophe frivole qui évite les vérités transcendantes.
💡 Conclusion
Michel Onfray propose une lecture nuancée de Montaigne à travers le prisme des "deux corps" :
* Le corps mortel : Celui qui meurt le 13 septembre 1592, mais dont les restes ont connu des péripéties posthumes dignes d'un roman.
* Le corps philosophique : Celui des Essais, qui continue d’inspirer et de susciter débats et réflexions des siècles après sa mort.
Montaigne est ainsi "mort et vivant", à la fois enseveli et perpétué dans son œuvre. Il incarne le philosophe dont le "corps philosophique" transcende la mort biologique, permettant à sa pensée de traverser les siècles.
📚 Philosophes et concepts mentionnés
* Socrate (470 av. J.-C. – 399 av. J.-C.) — Philosophe grec, modèle du sage acceptant sereinement la mort.
* Platon (428/427 av. J.-C. – 348/347 av. J.-C.) — Philosophe grec, auteur du Phédon, dialogue sur l’immortalité de l’âme.
* Épicure (341 av. J.-C. – 270 av. J.-C.) — Philosophe grec, fondateur de l’épicurisme, prônant l’ataraxie et l'absence de crainte face à la mort.
* Lucrèce (98 av. J.-C. – 55 av. J.-C.) — Poète et philosophe romain, auteur de De rerum natura, défenseur de l’épicurisme matérialiste.
* Lucien de Samosate (125 – 192) — Écrivain satirique grec, célèbre pour ses dialogues critiques des dogmes.
* Giordano Bruno (1548 – 1600) — Philosophe italien, défenseur du panthéisme, brûlé par l’Inquisition.
* René Descartes (1596 – 1650) — Philosophe rationaliste français, auteur du Discours de la méthode.
* Blaise Pascal (1623 – 1662) — Mathématicien et philosophe français, auteur des Pensées et du pari sur l’existence de Dieu.
* John Locke (1632 – 1704) — Philosophe empiriste anglais, auteur de L’Essai sur l’entendement humain.
* David Hume (1711 – 1776) — Philosophe écossais, figure majeure de l’empirisme et du scepticisme.
* Emmanuel Kant (1724 – 1804) — Philosophe allemand, auteur de Critique de la raison pure et Anthropologie du point de vue pragmatique.
* Ernst Kantorowicz (1895 – 1963) — Historien allemand, auteur de Les Deux Corps du roi, concept appliqué ici à Montaigne.
Crédits : Michel Onfray et la Contre-histoire de la philosophie