Regards Philo

CHP08 - 08. Fatalité, inégalité, cruauté


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1. Introduction

Dans cet épisode, Michel Onfray poursuit son analyse du Marquis de Sade, en se concentrant sur les concepts de fatalité, inégalité et cruauté qui traversent son œuvre et sa pensée. Onfray critique les interprétations modernes de Sade, notamment celles des surréalistes et des structuralistes, qui en ont fait un pur producteur de textes, ignorant son contexte historique, sa biographie et sa vision du monde. L’épisode explore en quoi Sade peut être considéré comme un philosophe et comment il s’inscrit dans la tradition matérialiste du XVIIIe siècle.

2. Sade est-il un philosophe ?

Les critères philosophiques selon Deleuze

Onfray rappelle la définition du philosophe donnée par Gilles Deleuze : un philosophe est celui qui invente des personnages conceptuels et crée des concepts. Sade pourrait ainsi être considéré comme un philosophe, car ses écrits mettent en scène des figures idéologiques et développent un système de pensée cohérent, bien que radical.

Une pensée construite à travers le roman

Sade exprime ses idées à travers ses romans philosophiques, où il alterne scènes de débauche et dissertations théoriques sur la nature humaine, la morale et la société. Onfray décrit ce procédé comme une alternance entre l’excès sexuel et la réflexion intellectuelle, créant ainsi une structure unique dans l’histoire des idées.

3. Le matérialisme de Sade : héritage et rupture

Un matérialiste dans la lignée des Lumières

Sade puise dans le matérialisme du XVIIIe siècle, notamment chez Helvétius, d’Holbach et La Mettrie. Il reprend :

* L’éloge des passions, communes aux matérialistes, contre les traditions idéalistes et religieuses.

* Le déterminisme absolu, rejetant le libre arbitre et affirmant que l’homme est gouverné par des lois naturelles inévitables.

* Une vision athée et immanente du monde, où tout est matière et énergie, sans transcendance.

Une radicalisation du matérialisme

Sade dépasse les autres matérialistes en tirant des conséquences extrêmes de leur philosophie :

* Il refuse toute morale collective, estimant que seules comptent les pulsions individuelles.

* Il défend une hiérarchie des êtres, où les forts ont naturellement le droit d’opprimer les faibles.

* Il célèbre la cruauté comme loi fondamentale de la nature, au-delà même de l’utilitarisme d’Helvétius ou de l’éthocratie de d’Holbach.

4. La fatalité et l’inégalité comme lois naturelles

L’homme est-il libre ?

Pour Sade, l’homme est un pur produit des lois naturelles. Il ne choisit rien : ni ses désirs, ni ses actes, ni son destin. Cette absence totale de libre arbitre conduit à une vision du monde où :

* La morale est une illusion sociale imposée par les faibles pour limiter les forts.

* La société n’a aucun sens, car elle est un artifice contre la nature.

Une justification de l’inégalité

Sade ne cherche pas à corriger les inégalités, mais à les exacerber. Il considère que :

* Les forts doivent exercer leur domination sans entrave.

* Les faibles ne sont que des objets pour la jouissance des puissants.

* L’idée de justice est un leurre, car la nature elle-même n’a pas de morale.

5. La cruauté, essence du monde et moteur du plaisir

Une philosophie de la destruction

Sade va plus loin que le simple matérialisme : il fait de la destruction une fin en soi. Contrairement à l’hédonisme classique, qui cherche le plaisir réciproque, Sade prône un plaisir fondé sur la domination, la souffrance et l’humiliation de l’autre.

Un monde divisé entre bourreaux et victimes

Dans la logique sadienne, il n’existe que deux types d’individus :

* Les bourreaux, qui jouissent de leur pouvoir et de leur liberté totale.

* Les victimes, qui subissent sans recours possible.

La seule règle qui vaille est celle du rapport de force, où chaque être humain doit exploiter ses capacités de destruction pour maximiser sa jouissance.

💡 Conclusion

Michel Onfray déconstruit le mythe d’un Sade progressiste ou révolutionnaire, en montrant qu’il est au contraire un réactionnaire féodal, exaltant la loi du plus fort et niant toute forme de justice sociale. Son matérialisme extrême le distingue des Lumières et le place dans une catégorie à part : celle d’un philosophe de la cruauté absolue, où la fatalité, l’inégalité et la violence sont érigées en principes fondamentaux du monde.

📚 Philosophes mentionnés

* Épicure (341 av. J.-C. – 270 av. J.-C.) — Philosophe matérialiste et hédoniste.

* Lucrèce (env. 94 av. J.-C. – env. 55 av. J.-C.) — Poète et philosophe épicurien.

* Pierre Gassendi (1592 – 1655) — Philosophe empiriste et matérialiste.

* René Descartes (1596 – 1650) — Philosophe rationaliste, défenseur du dualisme.

* Baruch Spinoza (1632 – 1677) — Philosophe rationaliste et panthéiste.

* Jean-Jacques Rousseau (1712 – 1778) — Philosophe des Lumières, théoricien du contrat social.

* Claude-Adrien Helvétius (1715 – 1771) — Philosophe des Lumières, théoricien du bonheur collectif.

* Paul-Henri Thiry d’Holbach (1723 – 1789) — Philosophe matérialiste, critique du christianisme et défenseur d’une éthique rationaliste.

* Donatien Alphonse François de Sade (1740 – 1814) — Écrivain et philosophe matérialiste, partisan d’une vision féodale et radicale du pouvoir.

* Friedrich Nietzsche (1844 – 1900) — Philosophe allemand, critique du rationalisme et du christianisme.

* Gilles Deleuze (1925 – 1995) — Philosophe français, auteur de Le Pli. Leibniz et le baroque.

Crédits : Michel Onfray et la Contre-histoire de la philosophie



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