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Or
1. Introduction
Dans cette conférence, Michel Onfray approfondit l’analyse de John Stuart Mill, en mettant en lumière les différences fondamentales entre son utilitarisme et celui de Bentham. Contrairement à une idée répandue, Mill ne se contente pas de prolonger la pensée de son prédécesseur ; il la corrige, la raffine et la transforme. Sa vision de l’hédonisme et de l’utilitarisme s’éloigne du simple calcul quantitatif du plaisir pour proposer un hédonisme qualitatif, plus soucieux de la dignité humaine, de l’éthique et de la justice sociale.
2. L’opposition entre Bentham et Mill : quantité contre qualité
Bentham conçoit l’hédonisme en termes quantitatifs : la morale se résume à maximiser le plaisir et minimiser la douleur, sans différenciation entre les plaisirs. Mill rejette cette approche et affirme qu’il existe des plaisirs supérieurs et inférieurs, basés sur leur valeur intellectuelle, morale et émotionnelle :
* Bentham : "Tous les plaisirs se valent s’ils procurent la même intensité de satisfaction."
* Mill : "Il vaut mieux être un homme insatisfait qu’un porc satisfait. Il vaut mieux être Socrate insatisfait qu’un imbécile satisfait."
Cette hiérarchie des plaisirs introduit un critère de qualité : les plaisirs intellectuels (art, philosophie, musique, etc.) sont plus nobles que les plaisirs purement sensoriels.
3. De l’égoïsme utilitariste à l’altruisme moral
Une autre divergence majeure entre Mill et Bentham concerne l’éthique du plaisir :
* Bentham : L’homme doit chercher son plaisir personnel en priorité, et l’addition des plaisirs individuels constituera le bonheur collectif.
* Mill : Le bonheur ne peut être recherché directement ; il est une conséquence de l’altruisme. Ce n’est qu’en œuvrant pour le bien des autres qu’on trouve son propre bonheur.
Cette approche fait de Mill un penseur moins égoïste et plus social. Il insiste sur l’importance de l’éducation morale, qui permet d’apprendre à rechercher des plaisirs élevés et à intégrer l’intérêt collectif dans ses choix.
4. Un socialisme tempéré face au libéralisme radical
Alors que Bentham reste attaché à une vision libérale stricte, Mill développe un "socialisme tempéré", qui n’exclut pas l’intervention de l’État pour garantir une répartition plus juste des richesses et des opportunités. Il défend :
* Un État protecteur des individus contre les abus du capitalisme.
* Une régulation du marché pour éviter l’exploitation des plus faibles.
* Le droit de vote pour les femmes et les classes laborieuses.
Ce positionnement lui vaut d’être récupéré par les libéraux, qui cherchent à minimiser son engagement socialiste, alors qu’il constitue une rupture claire avec l’individualisme pur de Bentham.
5. L’utilitarisme sans Dieu : une éthique immanente
Mill rejette toute justification religieuse de la morale. Contrairement aux doctrines chrétiennes qui fondent la morale sur un ordre divin, il pense que l’éthique repose sur une analyse rationnelle du bien et du mal, en fonction des conséquences des actions. Cette approche le rapproche du conséquentialisme, où :
* Une action est bonne si elle produit plus de bonheur que de souffrance.
* Une action est mauvaise si elle nuit au bien-être général.
Cependant, Mill ne tombe pas dans un relativisme total : il maintient que certains principes (justice, liberté, équité) sont essentiels et universels.
6. La critique de Bentham et la construction d’un utilitarisme humaniste
Dans son Essai sur Bentham (1838), Mill critique sévèrement son prédécesseur :
* Bentham néglige l’histoire et la culture : il ignore les apports des philosophes antérieurs.
* Sa vision est trop mécanique : il réduit la morale à un simple calcul mathématique des plaisirs.
* Il méconnaît la nature humaine : il suppose que tous les individus sont rationnels et recherchent spontanément leur intérêt bien compris, ce qui est faux.
Mill construit alors un utilitarisme plus souple et plus adapté à la réalité humaine, qui prend en compte les sentiments, la culture et l’éducation.
💡 Conclusion
John Stuart Mill réinvente l’utilitarisme en le libérant de l’approche quantitative et mécanique de Bentham. Il affirme que tous les plaisirs ne se valent pas et introduit une hiérarchie des plaisirs, privilégiant les plaisirs intellectuels et moraux. Son utilitarisme devient altruiste et social, rejetant l’égoïsme benthamien au profit d’une recherche du bien collectif.
Cette vision le rapproche d’un socialisme tempéré, où l’État joue un rôle de protection face aux excès du capitalisme. Son éthique, fondée sur la justice et la liberté, marque une rupture avec le libéralisme pur et ouvre la voie à un utilitarisme humaniste et progressiste.
Loin d’être un simple héritier de Bentham, John Stuart Mill propose une transformation radicale de l’utilitarisme, en y intégrant des éléments d’altruisme, de justice sociale et de culture morale. Son œuvre marque ainsi une rupture avec le libéralisme pur et préfigure une vision plus humaniste et progressiste de l’éthique et de la politique.
📚 Philosophes et concepts mentionnés
* Socrate (env. 470-399 av. J.-C.) – Philosophe grec, défenseur du questionnement éthique et de la recherche de la vérité.
* Platon (env. 428-348 av. J.-C.) – Philosophe grec, théoricien du bien absolu et des idées supérieures.
* Épicure (341-270 av. J.-C.) – Philosophe grec, fondateur de l’hédonisme modéré et du plaisir réfléchi.
* Jean-Jacques Rousseau (1712-1778) – Philosophe français, défenseur de la nature et de la souveraineté populaire.
* Jeremy Bentham (1748-1832) – Philosophe britannique, père de l’utilitarisme quantitatif.
* Emmanuel Kant (1724-1804) – Philosophe allemand, défenseur de l’impératif catégorique et du devoir moral absolu.
* John Stuart Mill (1806 – 1873) — Philosophe et économiste britannique, représentant majeur de l'utilitarisme et du libéralisme au XIXᵉ siècle.
* Pierre-Joseph Proudhon (1809-1865) – Philosophe anarchiste français, critique du capitalisme et du libéralisme.
* Karl Marx (1818-1883) – Philosophe et économiste allemand, théoricien du communisme.
* Pierre Kropotkine (1842-1921) – Philosophe anarchiste russe, défenseur de la coopération et de l’entraide sociale.
Crédits : Michel Onfray et la Contre-histoire de la philosophie
1. Introduction
Dans cette conférence, Michel Onfray approfondit l’analyse de John Stuart Mill, en mettant en lumière les différences fondamentales entre son utilitarisme et celui de Bentham. Contrairement à une idée répandue, Mill ne se contente pas de prolonger la pensée de son prédécesseur ; il la corrige, la raffine et la transforme. Sa vision de l’hédonisme et de l’utilitarisme s’éloigne du simple calcul quantitatif du plaisir pour proposer un hédonisme qualitatif, plus soucieux de la dignité humaine, de l’éthique et de la justice sociale.
2. L’opposition entre Bentham et Mill : quantité contre qualité
Bentham conçoit l’hédonisme en termes quantitatifs : la morale se résume à maximiser le plaisir et minimiser la douleur, sans différenciation entre les plaisirs. Mill rejette cette approche et affirme qu’il existe des plaisirs supérieurs et inférieurs, basés sur leur valeur intellectuelle, morale et émotionnelle :
* Bentham : "Tous les plaisirs se valent s’ils procurent la même intensité de satisfaction."
* Mill : "Il vaut mieux être un homme insatisfait qu’un porc satisfait. Il vaut mieux être Socrate insatisfait qu’un imbécile satisfait."
Cette hiérarchie des plaisirs introduit un critère de qualité : les plaisirs intellectuels (art, philosophie, musique, etc.) sont plus nobles que les plaisirs purement sensoriels.
3. De l’égoïsme utilitariste à l’altruisme moral
Une autre divergence majeure entre Mill et Bentham concerne l’éthique du plaisir :
* Bentham : L’homme doit chercher son plaisir personnel en priorité, et l’addition des plaisirs individuels constituera le bonheur collectif.
* Mill : Le bonheur ne peut être recherché directement ; il est une conséquence de l’altruisme. Ce n’est qu’en œuvrant pour le bien des autres qu’on trouve son propre bonheur.
Cette approche fait de Mill un penseur moins égoïste et plus social. Il insiste sur l’importance de l’éducation morale, qui permet d’apprendre à rechercher des plaisirs élevés et à intégrer l’intérêt collectif dans ses choix.
4. Un socialisme tempéré face au libéralisme radical
Alors que Bentham reste attaché à une vision libérale stricte, Mill développe un "socialisme tempéré", qui n’exclut pas l’intervention de l’État pour garantir une répartition plus juste des richesses et des opportunités. Il défend :
* Un État protecteur des individus contre les abus du capitalisme.
* Une régulation du marché pour éviter l’exploitation des plus faibles.
* Le droit de vote pour les femmes et les classes laborieuses.
Ce positionnement lui vaut d’être récupéré par les libéraux, qui cherchent à minimiser son engagement socialiste, alors qu’il constitue une rupture claire avec l’individualisme pur de Bentham.
5. L’utilitarisme sans Dieu : une éthique immanente
Mill rejette toute justification religieuse de la morale. Contrairement aux doctrines chrétiennes qui fondent la morale sur un ordre divin, il pense que l’éthique repose sur une analyse rationnelle du bien et du mal, en fonction des conséquences des actions. Cette approche le rapproche du conséquentialisme, où :
* Une action est bonne si elle produit plus de bonheur que de souffrance.
* Une action est mauvaise si elle nuit au bien-être général.
Cependant, Mill ne tombe pas dans un relativisme total : il maintient que certains principes (justice, liberté, équité) sont essentiels et universels.
6. La critique de Bentham et la construction d’un utilitarisme humaniste
Dans son Essai sur Bentham (1838), Mill critique sévèrement son prédécesseur :
* Bentham néglige l’histoire et la culture : il ignore les apports des philosophes antérieurs.
* Sa vision est trop mécanique : il réduit la morale à un simple calcul mathématique des plaisirs.
* Il méconnaît la nature humaine : il suppose que tous les individus sont rationnels et recherchent spontanément leur intérêt bien compris, ce qui est faux.
Mill construit alors un utilitarisme plus souple et plus adapté à la réalité humaine, qui prend en compte les sentiments, la culture et l’éducation.
💡 Conclusion
John Stuart Mill réinvente l’utilitarisme en le libérant de l’approche quantitative et mécanique de Bentham. Il affirme que tous les plaisirs ne se valent pas et introduit une hiérarchie des plaisirs, privilégiant les plaisirs intellectuels et moraux. Son utilitarisme devient altruiste et social, rejetant l’égoïsme benthamien au profit d’une recherche du bien collectif.
Cette vision le rapproche d’un socialisme tempéré, où l’État joue un rôle de protection face aux excès du capitalisme. Son éthique, fondée sur la justice et la liberté, marque une rupture avec le libéralisme pur et ouvre la voie à un utilitarisme humaniste et progressiste.
Loin d’être un simple héritier de Bentham, John Stuart Mill propose une transformation radicale de l’utilitarisme, en y intégrant des éléments d’altruisme, de justice sociale et de culture morale. Son œuvre marque ainsi une rupture avec le libéralisme pur et préfigure une vision plus humaniste et progressiste de l’éthique et de la politique.
📚 Philosophes et concepts mentionnés
* Socrate (env. 470-399 av. J.-C.) – Philosophe grec, défenseur du questionnement éthique et de la recherche de la vérité.
* Platon (env. 428-348 av. J.-C.) – Philosophe grec, théoricien du bien absolu et des idées supérieures.
* Épicure (341-270 av. J.-C.) – Philosophe grec, fondateur de l’hédonisme modéré et du plaisir réfléchi.
* Jean-Jacques Rousseau (1712-1778) – Philosophe français, défenseur de la nature et de la souveraineté populaire.
* Jeremy Bentham (1748-1832) – Philosophe britannique, père de l’utilitarisme quantitatif.
* Emmanuel Kant (1724-1804) – Philosophe allemand, défenseur de l’impératif catégorique et du devoir moral absolu.
* John Stuart Mill (1806 – 1873) — Philosophe et économiste britannique, représentant majeur de l'utilitarisme et du libéralisme au XIXᵉ siècle.
* Pierre-Joseph Proudhon (1809-1865) – Philosophe anarchiste français, critique du capitalisme et du libéralisme.
* Karl Marx (1818-1883) – Philosophe et économiste allemand, théoricien du communisme.
* Pierre Kropotkine (1842-1921) – Philosophe anarchiste russe, défenseur de la coopération et de l’entraide sociale.
Crédits : Michel Onfray et la Contre-histoire de la philosophie