Regards Philo

CHP12 - 05. La sagesse pratique


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1. Introduction

Dans cette ultime séance dédiée à Arthur Schopenhauer, Michel Onfray explore une dimension moins connue mais essentielle du philosophe : sa sagesse pratique. Loin de se réduire à une métaphysique du désespoir, Schopenhauer développe, notamment dans ses Aphorismes sur la sagesse dans la vie, une éthique de la lucidité, visant une vie moins douloureuse, plus autonome et plus libre. Il y articule pessimisme théorique et hédonisme existentiel, traçant un chemin de libération par l’exercice quotidien de soi.

2. D’une ontologie noire à une ontologie blanche

Onfray montre que Schopenhauer, bien qu’auteur d’une métaphysique du vouloir tragique et souffrant, propose une sotériologie laïque : il est possible d’échapper au désespoir par une pratique quotidienne fondée sur la conscience de soi, la sobriété et l’autonomie. Il ne s’agit pas d’un reniement, mais d’un complément pratique à sa philosophie théorique.

3. Être plutôt qu’avoir ou paraître

Schopenhauer distingue trois dimensions :

* Ce que l’on a : possessions matérielles, sources d’attachement.

* Ce que l’on paraît : l’image sociale, liée à l’orgueil et à la vanité.

* Ce que l’on est : seul critère valable pour le philosophe.

Renoncer à l’avoir et au paraître permet de concentrer son énergie sur l’être, cœur d’une vie philosophique.

4. Examen de conscience et journal intime

Deux exercices fondamentaux :

* L’examen de conscience (hérité de Socrate) : outil quotidien de lucidité sur soi, ses comportements, ses erreurs, ses répétitions.

* Le journal intime (inspiré de Marc Aurèle) : instrument de construction d’une forteresse intérieure, permettant de mesurer ses progrès et de renforcer son autonomie éthique.

5. Recettes de sagesse pour une vie moins douloureuse

Schopenhauer propose des règles simples et concrètes :

* La santé : 90 % du bonheur en dépend.

* La diététique : éviter les excès, préserver l’équilibre du corps.

* Le sommeil : il répare le cerveau et permet de lutter contre les représentations négatives.

* L’arithmétique des plaisirs : éviter les plaisirs qui coûtent plus qu’ils ne rapportent.

* L’instant présent : fuir la nostalgie et l’angoisse du futur.

* Le détachement de l’avoir : réduire les désirs au minimum vital.

* Le rapport mesuré à autrui : éviter la souffrance par excès de proximité, cultiver la bonne distance par la politesse.

6. Contre le cynisme et l’ascèse excessive

Schopenhauer critique :

* Le cynisme vulgaire, fondé sur la domination et l’indifférence à autrui.

* L’idéal ascétique intégral, hérité du bouddhisme, jugé inapplicable. Il propose une voie moyenne, lucide, pratique, fondée sur le refus des excès et l’attention à soi.

7. Philosophie populaire et critique du Philistin

Onfray souligne que cette sagesse pratique s’ancre dans une tradition de philosophie populaire, souvent méprisée, mais féconde :

* Elle puise dans les moralistes (La Rochefoucauld, Gracián, Chamfort).

* Elle critique le Philistin, personnage englué dans le paraître, la consommation, la superficialité. Le philosophe, au contraire, cherche la vérité dans l’intériorité, la solitude, et la cohérence entre pensée et vie.

8. Une ontologie blanche en conclusion

La philosophie de Schopenhauer n’est pas condamnée au désespoir. Elle propose un chemin d’accès à la sérénité, fondé sur la discipline, la lucidité et la solitude bienveillante. Le sourire du Bouddha, ultime image de cette sagesse, incarne cette paix obtenue par l’ajustement de soi au réel, sans illusion ni résignation.

💡 Conclusion

Schopenhauer nous lègue une éthique de l’autonomie, où le bonheur n’est pas la satisfaction illimitée des désirs, mais la réduction de la douleur par la maîtrise de soi. Sa sagesse pratique, enracinée dans la tradition antique comme dans l’expérience vécue, trace une voie exigeante mais accessible : devenir ce que l’on est, en renonçant à ce qui aliène — l’avoir, le paraître, et la soumission au vouloir. Le philosophe devient ainsi artisan de sa propre vie.

📚 Philosophes et concepts mentionnés

* Socrate (env. 470–399 av. J.-C.) — Philosophe grec, père de l’examen de conscience.

* Platon (env. 428–348 av. J.-C.) — Philosophe grec, théoricien du dualisme et du bien.

* Diogène de Sinope (env. 412–323 av. J.-C.) — Philosophe cynique, modèle de détachement radical.

* Aristote (384–322 av. J.-C.) — Philosophe grec, penseur de la médiété et de l’éthique de la vertu.

* Épicure (341–270 av. J.-C.) — Philosophe grec, défenseur de l’ataraxie et du plaisir mesuré.

* Marc Aurèle (121–180) — Empereur stoïcien, auteur des Pensées pour moi-même.

* Balthasar Gracián (1601–1658) — Moraliste espagnol, auteur de l’Oraculo manual, traduit par Schopenhauer.

* La Rochefoucauld (1613–1680) — Moraliste français, analyste du cœur humain.

* Immanuel Kant (1724–1804) — Philosophe allemand, inspirateur de la distinction entre phénomène et chose en soi.

* Arthur Schopenhauer (1788–1860) — Philosophe allemand, auteur du Monde comme volonté et comme représentation, penseur du pessimisme et de la sagesse existentielle.

* Friedrich Nietzsche (1844–1900) — Philosophe allemand, lecteur critique de Schopenhauer, théoricien de la vie forte.

* Sigmund Freud (1856–1939) — Père de la psychanalyse, influencé par la compulsion de répétition.

Crédits : Michel Onfray et la Contre-histoire de la philosophie



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