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Fanny Chiarello dépeint Coline, une adolescente marginale, entre colère et lucidité, vivant dans une ancienne ville minière du Nord de la France, qui fuit un quotidien miné par la désindustrialisation et la condescendance des clichés de classe. Isolée, végane, lesbienne, elle trouve refuge sur les terrils, écoutant Jamila Woods et inventant un dialogue intérieur libérateur, dénonçant la domination, l'exploitation, la confusion des valeurs, et la perte de sens. Grâce à une écriture incisive, une langue inventive et drôle, Fanny Chiarello capte la révolte et la tendresse d'une jeunesse ultra-consciente de sa situation. Colline invente un langage de survie, un monde parallèle pour résister, révélant la puissance vitale de l'imaginaire face au mensonge collectif.
Colline, Fanny Chiarello, Cambourakis, 2025.
Tu as pleuré, ma petite chérie.
Ma grand-mère m'a considérée avec une pitié non dissimulée puis s'est tournée vers ma mère en haussant les épaules.
On est démuni quand on voit ces jeunes gens qui ont tout mais qui sont toujours si tristes.
J'ai secoué la tête levé les yeux au ciel et les ai laissés à leurs discours discount, je ne me sentais pas concernée. Je ne suis ni blasée ni vide et si par moments je suis désespérée c'est d'être entourée d'individus à la pensée plate et formatée pour qui l'accomplissement est lié à ce qu'on amasse — ceux-là ignorent que la joie jaillit au plus près de la mélancolie, qu'elle en est même une forme exactement comme la saveur est une douleur car toute affection physique plus ou moins intense varie sur un spectre qui va de très pénible à exquis.
elle ne place pas homo sapiens au centre de tout
elle est gourmande
elle ne veut pas d'enfants parce que
elle ne vit pas sur un réseau social
elle a un usage téléphonique du téléphone
elle fait des trucs un peu bizarres parfois
J'ai d'abord ressenti un léger embarras quand je me suis rendu compte que ça me décrivait moi sous mon meilleur angle avec la bonne lumière et je m'en suis rendu compte parce qu'en écrivant cette ligne sur les trucs un peu bizarres j'ai essayé de me rappeler la dernière fois que j'avais fait un happening au lycée (sans complice puisque je n'en ai pas) au cas où quelqu'un se serait reconnu dans mon excentricité (mais non) alors j'ai relu tout le reste et c'était mon portrait-robot pourtant je ne suis pas narcissique. Beaucoup de gens prétendent qu'ils s'ennuieraient avec leur double mais je ne crois pas que ça risquerait de m'arriver puisque je ne m'ennuie déjà pas avec moi-même. Peut-être qu'ils disent ça pour montrer leur ouverture à l'altérité ou alors ils sont vraiment vides et très soporifiques.
Elle écrit un poème !
J'ai tressailli quand j'ai compris que Kiki parlait de moi. Il se tenait si près qu'il aurait pu parcourir ma liste si je n'avais abruptement plaqué le clipboard contre ma cuisse et sur son visage déformé par l'excitation j'ai vu qu'il cherchait un divertissement dans le divertissement, il en avait assez des clubs et des trous assez d'attendre que les autres aient fini de jouer pour pouvoir gestibeugler à proportion de son ennui. Toute la famille s'y est mise.
Tu nous le lis ?
Rappelle-toi je me suis dit, ce n'est pas la teneur des propos qui blesse ou agresse mais l'intention non pas le venin mais son envie. Dans sale gouine ce n'est pas gouine qui offense ; dans elle écrit un poème être prise en flagrant n'effarouche pas mais on frémit qu'écrire un poème soit pointé comme un délit. Puis je me suis rendu compte que si je me mettais à courir personne ne me poursuivrait. Je regardais béer les bouches trémuler les glottes et l'ignorance triomphante qui ébranlait ces langues (la pensée de sa profondeur latente) m'a enfin fait détaler.
Motherfuckers won't shut up
Je ne me sentais plus si seule quand j'ai lâché le clipbord. J'ai couru. Les exclamations derrière moi ont redoublé je n'en ai distingué que d'insignifiantes bribes. Quelques derniers mots ont atteint mes tympans.
vas ?
Trop de ponctuation.
Coline, ce que vous faites est très dangereux !
Un jour je suis entrée dans une librairie sur un coup de tête après une exclagation de trop j'ai acheté L'Art de la ponctuation et le soir je l'ai lu d'une traite dans mon petit lit de jeune fille comme un gentil Musso-Levy ensuite de quoi j'ai décidé de ne pas faire ce qui est préconisé de ne pas m'insurger contre l'abus en invoquant le bon usage parce que le bon usage n'est pas plus mon ami que l'émo-ponctuation. J'ai décidé de créer mon propre système et je n'ai jamais cédé à la pression du corps enseignant appelons ça de la désobéissance mesurée. Seule Mme Q. ne m'a plus jamais retiré de points pour ce que ses collègues ont continué d'appeler ma ponctuation calamiteuse.
C'est elle, ça ?
J'ai réussi à me glisser à travers un fourré abrasif et il me semble que je vais pouvoir descendre quelques mètres sans autres complications qu'éboulis et ronces avant de parvenir à la masse sombre suivante. Je m'applique à progresser sans trop solliciter les zones de mon corps déjà douloureuses et ne prête plus guère attention aux interjections qui crépitent en amont aussi je sursaute violemment quand une petite masse très vive me bondit dessus.
Vous avez entendu ?
Je serre Pebble contre moi et pleure intensément mais brièvement et sans un son quoique la bouche grande ouverte puis je ris de l'accueillir en sauveur alors même qu'il n'a pas tout à fait l'acabit d'un saint-bernard. Mais avec lui auprès de moi je suis tirée d'affaire tel est le pouvoir de l'amour.
Colline, Fanny Chiarello, Cambourakis, 2025.
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[1] Ces raclures ne la fermeront pas / Nous avons été en guerre mon Dieu
By Pierre MénardFanny Chiarello dépeint Coline, une adolescente marginale, entre colère et lucidité, vivant dans une ancienne ville minière du Nord de la France, qui fuit un quotidien miné par la désindustrialisation et la condescendance des clichés de classe. Isolée, végane, lesbienne, elle trouve refuge sur les terrils, écoutant Jamila Woods et inventant un dialogue intérieur libérateur, dénonçant la domination, l'exploitation, la confusion des valeurs, et la perte de sens. Grâce à une écriture incisive, une langue inventive et drôle, Fanny Chiarello capte la révolte et la tendresse d'une jeunesse ultra-consciente de sa situation. Colline invente un langage de survie, un monde parallèle pour résister, révélant la puissance vitale de l'imaginaire face au mensonge collectif.
Colline, Fanny Chiarello, Cambourakis, 2025.
Tu as pleuré, ma petite chérie.
Ma grand-mère m'a considérée avec une pitié non dissimulée puis s'est tournée vers ma mère en haussant les épaules.
On est démuni quand on voit ces jeunes gens qui ont tout mais qui sont toujours si tristes.
J'ai secoué la tête levé les yeux au ciel et les ai laissés à leurs discours discount, je ne me sentais pas concernée. Je ne suis ni blasée ni vide et si par moments je suis désespérée c'est d'être entourée d'individus à la pensée plate et formatée pour qui l'accomplissement est lié à ce qu'on amasse — ceux-là ignorent que la joie jaillit au plus près de la mélancolie, qu'elle en est même une forme exactement comme la saveur est une douleur car toute affection physique plus ou moins intense varie sur un spectre qui va de très pénible à exquis.
elle ne place pas homo sapiens au centre de tout
elle est gourmande
elle ne veut pas d'enfants parce que
elle ne vit pas sur un réseau social
elle a un usage téléphonique du téléphone
elle fait des trucs un peu bizarres parfois
J'ai d'abord ressenti un léger embarras quand je me suis rendu compte que ça me décrivait moi sous mon meilleur angle avec la bonne lumière et je m'en suis rendu compte parce qu'en écrivant cette ligne sur les trucs un peu bizarres j'ai essayé de me rappeler la dernière fois que j'avais fait un happening au lycée (sans complice puisque je n'en ai pas) au cas où quelqu'un se serait reconnu dans mon excentricité (mais non) alors j'ai relu tout le reste et c'était mon portrait-robot pourtant je ne suis pas narcissique. Beaucoup de gens prétendent qu'ils s'ennuieraient avec leur double mais je ne crois pas que ça risquerait de m'arriver puisque je ne m'ennuie déjà pas avec moi-même. Peut-être qu'ils disent ça pour montrer leur ouverture à l'altérité ou alors ils sont vraiment vides et très soporifiques.
Elle écrit un poème !
J'ai tressailli quand j'ai compris que Kiki parlait de moi. Il se tenait si près qu'il aurait pu parcourir ma liste si je n'avais abruptement plaqué le clipboard contre ma cuisse et sur son visage déformé par l'excitation j'ai vu qu'il cherchait un divertissement dans le divertissement, il en avait assez des clubs et des trous assez d'attendre que les autres aient fini de jouer pour pouvoir gestibeugler à proportion de son ennui. Toute la famille s'y est mise.
Tu nous le lis ?
Rappelle-toi je me suis dit, ce n'est pas la teneur des propos qui blesse ou agresse mais l'intention non pas le venin mais son envie. Dans sale gouine ce n'est pas gouine qui offense ; dans elle écrit un poème être prise en flagrant n'effarouche pas mais on frémit qu'écrire un poème soit pointé comme un délit. Puis je me suis rendu compte que si je me mettais à courir personne ne me poursuivrait. Je regardais béer les bouches trémuler les glottes et l'ignorance triomphante qui ébranlait ces langues (la pensée de sa profondeur latente) m'a enfin fait détaler.
Motherfuckers won't shut up
Je ne me sentais plus si seule quand j'ai lâché le clipbord. J'ai couru. Les exclamations derrière moi ont redoublé je n'en ai distingué que d'insignifiantes bribes. Quelques derniers mots ont atteint mes tympans.
vas ?
Trop de ponctuation.
Coline, ce que vous faites est très dangereux !
Un jour je suis entrée dans une librairie sur un coup de tête après une exclagation de trop j'ai acheté L'Art de la ponctuation et le soir je l'ai lu d'une traite dans mon petit lit de jeune fille comme un gentil Musso-Levy ensuite de quoi j'ai décidé de ne pas faire ce qui est préconisé de ne pas m'insurger contre l'abus en invoquant le bon usage parce que le bon usage n'est pas plus mon ami que l'émo-ponctuation. J'ai décidé de créer mon propre système et je n'ai jamais cédé à la pression du corps enseignant appelons ça de la désobéissance mesurée. Seule Mme Q. ne m'a plus jamais retiré de points pour ce que ses collègues ont continué d'appeler ma ponctuation calamiteuse.
C'est elle, ça ?
J'ai réussi à me glisser à travers un fourré abrasif et il me semble que je vais pouvoir descendre quelques mètres sans autres complications qu'éboulis et ronces avant de parvenir à la masse sombre suivante. Je m'applique à progresser sans trop solliciter les zones de mon corps déjà douloureuses et ne prête plus guère attention aux interjections qui crépitent en amont aussi je sursaute violemment quand une petite masse très vive me bondit dessus.
Vous avez entendu ?
Je serre Pebble contre moi et pleure intensément mais brièvement et sans un son quoique la bouche grande ouverte puis je ris de l'accueillir en sauveur alors même qu'il n'a pas tout à fait l'acabit d'un saint-bernard. Mais avec lui auprès de moi je suis tirée d'affaire tel est le pouvoir de l'amour.
Colline, Fanny Chiarello, Cambourakis, 2025.
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[1] Ces raclures ne la fermeront pas / Nous avons été en guerre mon Dieu