Bonjour et bienvenue dans Comment C'est Arrivé Là ? Aujourd'hui, on s'attaque aux origines de nos séries : le roman-feuilleton.
Aujourd'hui je vous emmène à la fin du XVIIIème siècle et on commence avec le sens premier du mot feuilleton. À l'origine, il désigne un encart de bas de page de journal, on l'appelle aussi parfois "le rez de chaussée". Cet emplacement est réservé à l'époque du Consulta (entre 1799 et 1804) pour les critiques de théâtre, d'où son nom de "feuilleton dramatique", mais aussi parfois des articles de science ou de littérature.
Au fil du temps, le volet littéraire va prendre le pas sur les autres thématiques et les historiens s'accordent à décerner le titre de premier feuilletoniste au journaliste Julien Louis Geoffroy. Ses critiques de théâtre, souvent parfumée au vitriol, firent le succès du Journal des Débats, confirmant la réputation de brutalité littéraire de leur auteur. Parmi ses confrères de l'époque, on retrouve un certain Châteaubriant, et même, le premier consul, qui comme votre dévouée chroniqueuse, utilise alors un pseudonyme. Je dois reconnaître qu'au vu de l'époque, signer une critique théâtrale ou littéraire "Bonaparte" pouvait nuire à une carrière politique...
D'ailleurs ces encarts deviennent parfois le théâtre de batailles livrées à coup de traits de plume acides et acérés. Selon la tradition du patronage des arts, instaurée par Colbert, "toute expression artistique peut faire l'objet de débats philosophiques et politiques". Quand on peut se permettre de faire de la propagande sans en dire le nom, pourquoi s'en priver ?
Le succès est tel, que l'emplacement du feuilleton changera plusieurs fois de place, et du bas de page, ira visiter des colonnes centrales, ou même la dernière page... Les thématiques s'élargiront autour des années 1820-1830 pour aller vers des récits de voyages, de souvenirs, des annonces de salons, ainsi que des contes et nouvelles. Le feuilleton dramatique changera alors de nom pour s'appeler désormais le feuilleton de variétés
Au cours des années 1830, certains auteurs publieront des chapitres de romans dans ces encarts, tel Balzac qui en 1836 y publiera "La Vieille Fille" par épisodes avant de republier cette histoire sous le format d'un roman. Même si à l'époque, ce mode de publication est jugé peu pratique pour suivre un récit au long court, il arrive de plus en plus fréquemment que des nouvelles un peu longue se publient en deux voir trois épisodes. Et plus on s'approche de 1840, plus les récits s'étirent en longueur, passant de la nouvelle-feuilleton au roman-feuilleton. On peut citer quelques succès du genre tel que "Les Mystères de Paris" D'Eugène Sue, "Les Mémoires du Diable" de Frédéric Soulié ou encore dois-je vraiment les présenter ? "Les Trois Mousquetaires" d'Alexandre Dumas.
Evidemment, ces publications sont accueillies à leur époque comme un sous-genre littéraire et taxées de médiocrité par les élites littéraires contemporaines. Oui, j'ai bien parlé de médiocrité pour des romans qu'on qualifie aujourd'hui de classiques de la littérature. Aujourd'hui on retrouve le même débat à propos de la romance (quelques publications sous le #jesuisunthion ou la vidéo de Mélanie Desforges sur le sujet https://www.youtube.com/watch?v=45MFJ1gVOOQ ) et de l'auto édition. La bienveillance à travers les âges, ça me laisse rêveuse.
Le processus permet non seulement de fidéliser la clientèle qui veut la suite de son histoire, mais aussi d'appâter des lecteurs en vue de vendre l'œuvre au format livre une fois qu'elle sera terminée. Un pari gagnant-gagnant pour l'auteur et le journal. L'enjeu publicitaire et économique, en revanche, impacte fortement le métier et les journaux ne recrutent plus seulement des journalistes, mais également des équipes d'auteurs, spécialisés dans la rédaction de ces textes. En effet, du rythme rapide de diffusion, souvent hebdomadaire, mais parfois quotidien, découle l'obligation d'écrire un même récit à plusieurs mains.
Le baron Chapuys de Montlaville prononcera plusieurs discours à la tribune de l’Assemblée nationale entre 1843 et 1847, où seront dénoncés les dangers de ce qu’il compare à une véritable œuvre d’aliénation de la raison par l’imagination. Le succès retentissant des roman-feuilleton prend de l'ampleur au point de former une culture de masse. Certains journaux en privilégient même l'espace réservé dans leur colonnes au détriment des publications politiques ! Le journaliste Aldred Nettement se plaindra d'ailleurs de " l’affadissement des positions politiques autrefois défendues par les journaux, qui doivent à présent se ménager les opinions de tous bords pour contenter leurs annonceurs et survivre."
Dans les années 1910, le roman-feuilleton se dirigera vers le feuilleton cinéma, avec l'adaptation de Fantomas par Louis Feuillade. Petit à petit, il s'orientera vers la radio dans les années 30 avec "Les Aventures de Sherlock Holmes", puis la télévision dans les années 1950. Le premier feuilleton télédiffusé en France s'intitule "L'Agence Nostradamus" et se compose de 9 épisodes de 15 minutes. Le format par épisode s'allongera jusqu'à 90 minutes, lors des fameuses saga de l'été dans les années 80-90 avant de se normaliser entre 40 et 50 minutes en moyenne de nos jours.
Je vous donne rendez-vous au prochain épisode, et vous souhaite une belle journée, à l'écoute du Son Unique