Le CD-DPA, le Collectif pour la défense des droits du peuple de l’Azawad/Nord-Mali, a publié ce lundi son rapport semestriel sur les violations des droits humains. Le rapport recense, pour la période allant d'octobre 2024 à mars 2025, plus de 350 personnes tuées dans les seules régions du nord du Mali. Si les groupes jihadistes sont responsables d'une partie des violences contre les civils, c'est très majoritairement à l'armée malienne et à ses supplétifs du groupe Wagner que les exactions sont attribuées. Boubacar Ould Hamadi, ancien président de l'autorité intérimaire de la région de Tombouctou et président du collectif CD-DPA, est l'invité d'Afrique Midi.
RFI : Le CD-DPA est une organisation très jeune créée en octobre dernier. Pour quelle raison, dans quel contexte ?
Boubacar Ould Hamadi : Le CD-DPA a été créé dans un contexte très difficile après le déclenchement des hostilités entre les forces armées maliennes, soutenues par leurs supplétifs russes de Wagner, et les mouvements signataires de l'accord.
RFI : Les mouvements signataires de l'accord de paix de 2015…
Effectivement, c'est suite à cela qu'il y a eu des exactions, décapitations, disparitions forcées, frappes de drone sur les populations civiles, sur les campements, contrainte à l'exil des populations, beaucoup de déplacements et de réfugiés vers les pays voisins et dans le grand Nord [les confins du nord du Mali, vers la frontière algérienne, NDLR]. Ce sont toutes ces raisons qui nous ont poussés à créer cette organisation, pour travailler sur les questions de violations des droits humains, mais aussi la détresse, l'aspect humanitaire.
Vos membres viennent tous du Nord du Mali, certains sont en exil. Il y a le mot « Azawad » dans le nom de votre collectif, collé il est vrai à « Nord Mali. » Azawad, c'est un terme géographique mais qui, dans le contexte, fait immédiatement penser aux rebelles indépendantistes du FLA dont vous avez d'ailleurs parlé. Quels sont vos liens avec eux ?
Effectivement, nos membres viennent tous des cinq régions du nord du Mali, de l'Azawad, entre parenthèses. Le mot « Azawad » n'est pas synonyme de lutte armée. Le mot « Azawad » est une identité communautaire, territoriale depuis des siècles. Nous, en tant qu’acteurs de la société civile, en tant que élus locaux [pour certains des membres du CD-DPA, NDLR], nous avons décidé de continuer à défendre nos populations, à défendre notre territoire. Et avec le FLA, il n’y a aucun lien.
Le Front de libération de l'Azawad, les rebelles indépendantistes…
Oui. C'est un mouvement politico-militaire qui a ses revendications politiques et territoriales. Nous, nous sommes une organisation de la société civile qui défend les droits d'une population martyrisée et contrainte à l'exil, par la voie pacifique et légale.
D'où viennent vos informations, vos bilans, les noms des victimes que vous listez ? En clair, comment est-ce que vous travaillez ?
Comme je vous l’ai dit au début, nous sommes composés de membres issus de cinq régions du Nord : Tombouctou, Gao, Kidal, Taoudeni et Ménaka. Nous disposons de leaders de ces régions. Nous avons un large réseau de relais communautaires sur le territoire et nous suivons les incidents à la minute. Dès qu’il y a un incident, nous avons tous les détails à travers les images, les témoignages des victimes et des ayants-droits [les familles, NDLR]. Nous avons souvent des parents qui sont directement victimes, et les communautés savent que nous documentons cela. Du coup, il y a beaucoup de volontaires qui nous aident. Dès qu'il y a une situation, on est automatiquement contacts, donc nous, nous suivons, nous documentons cela.
Les morts que vous recensez, s'agit-il vraiment toujours de civils ? Pour certains des cas que vous citez, comme le bombardement du marché d'Ejjdeir, dans la région de Tombouctou, en mars, l'armée affirme avoir tué des terroristes…
La foire hebdomadaire d’Ejjdeir, qui a été bombardée le 17 mars 2025, c'était une foire hebdomadaire où il n'y avait que des civils qui venaient faire des petits commerces et d'ailleurs, c'est le seul marché qu’il reste dans cette zone. Nous avons des parents qui sont morts là-bas. Nous avons documenté, nous avons la liste, les noms, les moments et comment ça s'est passé. Mais ce qui est sûr, c’est que nous suivons les communiqués des forces armées maliennes chaque jour : leurs drones tapent sur des civils et on dit que ce sont des terroristes…
Avez-vous transmis vos conclusions aux autorités maliennes de transition ? Êtes-vous en contact avec elles ?
Non, malheureusement nous ne sommes pas en contact avec les autorités de transition, mais nous sommes en contact avec beaucoup d'acteurs de la société civile, des partis politiques, des leaders... Que ce soit dans les régions du Nord, les régions du Sud ou à Bamako même, nous sommes en contact avec beaucoup d'acteurs. Mais aujourd'hui, la transmission de notre rapport aux autorités de transition a quelle utilité ? À partir du moment où les civils qu’on bombarde sont considérés comme des terroristes, ça a quelle utilité ? Aucune juridiction n'a ouvert une enquête sur tous ces civils qui sont morts dans les régions du Nord. Donc, je ne vois pas la plus-value de transmettre un document aux autorités de transition.
Et donc votre rapport, et surtout ses annexes, qui documentent précisément les lieux, les dates, les noms des victimes, vous en faites quoi ? Vous les transmettez à qui ?
Nous allons transmettre ce document aux organisations nationales des droits de l'homme, aux organisations internationales, aux juridictions internationales, pour que justice soit faite. Nous espérons que les autorités de transition ou des juridictions nationales ou internationales parviendront à faire justice, à arrêter ces criminels qui ont commis ces exactions contre des civils. Il faut les traduire devant les tribunaux compétents.
Vous attribuez 216 incidents sécuritaires à l'armée et à Wagner, et seulement 15 aux jihadistes du Jnim, liés à al-Qaïda, ou de l'État islamique au Sahel. La différence est immense, pour ne pas dire étonnante…
Oui, malheureusement, c'est l'armée républicaine qui commet plus d’exactions sur les civils. C'est vraiment étonnant et ça fait mal, mais c'est la réalité et les faits sont têtus. Ce qui peut l’expliquer aussi, c'est qu’on ne documente pas des attaques militaires, que ce soit contre l'armée ou de l'armée contre les jihadistes ou contre les séparatistes. Non, on ne documente que les attaques contre les civils. Voilà, c'est ce qui justifie ces chiffres-là.
Ce que vous dites, c'est que les attaques des groupes jihadistes dans le Nord visent essentiellement des cibles militaires et que c'est pour ça que vous ne les documentez pas ?
On n’a pas de statistiques par rapport aux attaques militaires, mais on se focalise surtout sur des attaques contre les civils, quel qu'en soit l'acteur.
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