durée : 00:52:44 - L'Heure bleue - par : Laure Adler, Céline Villegas - Dans son dernier ouvrage "La société du dédain" (O. Jacob), Christian Vigouroux cherche à comprendre et à combattre le dédain "dévastateur élémentaire de la vie sociale" et mène une réflexion autour de cette notion de mépris.
Christian Vigouroux, haut fonctionnaire français et professeur de droit public, propose un regard singulier sur la société actuelle. Sa longue carrière au sein de l'administration française lui a prêté un regard affiné sur la société, dans son état politique comme sociologique.
Juriste de formation, il s'est penché sur l'impact de la dialectique de la force dans la gestion politique. Son précédent ouvrage Du juste exercice de la force , propose une analyse de l'usage de la force qui fascine la politique et dicte les besoins de la démocratie.
Ainsi, dans son dernier ouvrage La société du dédain , l'écrivain se penche sur le dédain et son impact sociétal. Il décrit ce sentiment comme une menace, comme un outil qui invisibilise et fait tomber dans l'insignifiance les acteurs politiques comme le peuple. Le dédain a cette particularité qui le positionne capable de toucher tout objet.
Extrait de l'entretien
Laure Adler : Avez vous subi beaucoup d'injustices dans votre existence, et ce, depuis l'enfance ?
Christian Vigouroux : "Tout le monde a connu le dédain, c'est ça qui m'a tenté. Les puissants, les misérables, les petits, les grands, les hommes, les femmes. Et tous, on a senti à un moment qu'on était pas vu, qu'on était en quelque sorte transformé en pâte translucide. La lumière passe à travers."
Vous voulez dire que le dédain est une forme d'injustice.
"Le dédain est une forme de non-reconnaissance. À charge après chacun de trouver que c'est injuste ou que finalement que c'est normal parce qu'on représente rien. Mais c'est une manière de ne pas voir. Le dédain, c'est un rideau qu'on tire sans rémission, pas transperçable."
Une invisibilité ?
"Une invisibilité ! Je connais pas beaucoup d'entre nous qui souhaitent être invisibles. On a tous besoin d'être intéressants à un moment. Et le dédain pour des raisons politiques, diplomatiques, psychologiques, amoureuses ou non amoureuses, fait qu'on gomme. Le dédain, c'est la gomme. Le mépris, c'est le crayon. Si je vous méprise, je vous regarde dans les yeux. Je vous considère comme pas intéressante, comme moins que rien. Éventuellement, je vous le dis, je vous le fais sentir, je vous bouscule. Le dédain, c'est très économe."
Dédain et mépris font bon ménage ?
"D'une certaine façon, c'est pour ça que je me suis intéressé au dédain. Le dédain est encore plus terrible parce qu'on vit avec les autres, c'est quelque fois pénible, c'est quelquefois heureux, mais l'autre fait partie de nous mêmes. Le mépris rejoint l'autre alors que le dédain, on ne le voit pas. C'est pour ça que c'est presque primaire. Le mépris, c'est chaud. On est entré en relation avec le mépris. Le dédain c'est froid, on n'entre pas en relation."
Le dédain, ça s'apprend ?
"Ça peut s'apprendre par reproduction sociale, par imitation, par contrefaçon même avec un peu d'ironie, en l'accentuant. Mais c'est aussi, malheureusement inné parce qu'on se divise en catégories, en classes, en communauté, en union d'ou on ne sort pas sans hésiter sur ce qu'on va trouver donc le dédain protège."