Parlons d’abord de ce qui saute aux yeux dans la maison France au sortir de ces élections européennes. La recomposition du paysage politique se poursuit avec la disparition vertigineuse par mille mètres de fond de la droite, après celle de la gauche, deux Titanic partis. Voguent désormais, combat bord à bord, l’extrême - droite du Rassemblement National et le centre droit libéral de LRem.

         Mais, et c’est un énorme mais, tout se passe comme si le mouvement Gilets Jaunes et l’épisode Grand débat n’avaient pas eu lieu. Envolés ! Aurions-nous donc rêvé pendant sept mois ? En effet, Marine Le Pen, réceptacle de la gronde, avec 23, 43% des voix fait moins bien qu’aux Européennes de 2014 où elle avait recueilli 24, 86 % des suffrages. Malgré un électorat hyper mobilisé, elle progresse même peu en regard de la présidentielle de 2017. Bonne nouvelle, qui s’en double d’une autre : preuve est apportée que l’élargissement de sa base électorale est décidément une affaire hautement problématique.  

          Quant à Emmanuel Macron, qui a perdu son pari principal malgré sa propagande médiatique hors norme, il plafonne lui aussi avec ses 22, 31 %, en retrait par rapport au premier tour de la présidentielle et lui aussi confronté à la même difficulté que Le Pen, il ne convainc pas au-delà de son cercle CSP+. Saura-t-il en tirer la conséquence première, à savoir qu’un chef de l’Etat ne peut l’être d’une fraction de la nation et qu’il lui faut maintenant trouver la formule magique pour gouverner un pays archipélisé ?

         Et puis, bien sûr, il y a la revanche de Nicolas Hulot à travers Janick Jadot qui a toutes les raisons d’exulter avec ses 13,47, qui ne sont pas seulement de circonstances. Il ne fait pas doute que bien des électeurs ne voulant ni de Le Pen, ni de Macron, ni de Bellamy se sont tournés vers lui. Mais s’ils l’ont fait c’est que l’écologie est l’idéologie nouvelle, profondément européenne, dont l’objectif est le seul à respirer quelque humanisme vrai, de la grandeur et à donner de l’enthousiasme. Gageons ici que la percée d’Europe- Ecologie- Les Verts n’est pas pour une fois un feu de paille et que ce parti est le mieux placé dorénavant pour amener progressivement les jeunes, qui font les légions de l’abstention, à rallier la vie politique.

         S’impose enfin une autre réalité. La France, que l’on croyait isolée, canard boiteux de l’Europe, est en fait à l’unisson des autres pays de l’UE. Ou ils sont à l’unisson de la France, grosso modo traversés par les mêmes lignes de force, confrontés à la même redistribution, tantôt plus à l’extrême-droite comme la Hongrie de Viktor Orban, tantôt plus verts comme l’Allemagne d’Angela Merkel, tantôt plus à gauche comme l’Espagne de Pedro Sanchez. Nous nous inscrivons tous dans une recomposition de type continental. Laquelle se traduit dans le nouveau parlement européen par l’extrême morcellement sorti des urnes. Comme dans bien des pays européens aux attelages hétéroclites ou faisant face comme la France à une incapacité gestionnaire, à Bruxelles, dans l’hémicycle, façon 4 ème République s’ouvre l’ère épuisante et frustrante des discussions de marchands de tapis, des négociations infinies pour parvenir à une majorité. Ce qui était déjà extrêmement difficile à 28 pour l’exécutif européen, le devient pour le législatif.  C’est le résultat majeur de ces élections. Une aubaine pour l’Amérique de Trump, la Russie de Poutine, la Turquie d’Erdogan et bien sûr la Chine de Xi Jinping.