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Malgré les apparences, IA et loi ne sont pas incompatibles. Si de nombreuses questions se posent quant à l’utilisation de l’IA, nous a expliqué Aurore Sauviat, avocate associée chez Lawderis Avocats au Com’ en Or Day de Lille le 20 mars 2025, des réponses juridiques existent. Créer avec l’IA mène-t-il forcément à la contrefaçon ? A-t-on le droit d’exploiter commercialement des résultats de l’IA ? Puis-je revendiquer les droits d’auteur sur ce que j’ai créé en utilisant des outils d’intelligence artificielle, sans oublier les questions de droit à l’image des personnes physiques vivantes ou mortes ? Et enfin, qui est responsable si un chatbot IA se trompe ? Aurore a uniquement décidé de traiter trois questions lors de cette conférence : 1/IA et droit d’auteur 2/IA et droit à l’image et enfin, 3/les questions de responsabilité dans l’usage de l’IA. Elle a apporté des réponses claires qui rassureront les professionnels qui tremblent à l’idée d’approcher les doigts de leur clavier. Non ! L’IA n’est pas un Far West entouré d’un vide juridique.
Aurore nous a avertis : « On lit énormément de fausses informations dans les médias et sur les réseaux sociaux. Il y a une telle méconnaissance des sujets de droit d’auteur qu’on mélange des sujets qui sont complètement distincts ». En amont, il s’agit des libertés prises par les éditeurs de solutions IA pour entraîner leurs algorithmes, et en aval, l’utilisation qui est faite de ces outils d’IA pour produire des œuvres et notamment des images.
« Il y a déjà 50 contentions en cours aux États-Unis sur ce sujet-là. Deux ou trois au Royaume-Uni, deux en Allemagne, un nouveau qui vient d’arriver en France et les premiers contentieux européens font leur apparition ».
Si du point de vue de l’auteur et de l’utilisateur, le « pillage » des œuvres par les entraînements d’IA génératives paraît évident, le problème est que la réponse à la question « amont », elle, l’est beaucoup moins, nous explique la juriste.
C’est que du côté des éditeurs d’intelligence artificielle, on essaie de se cacher derrière « certaines exceptions aux droits d’auteur qui permettent de ne pas demander l’autorisation au créateur dans certains cas spécifiques ». Il s’agit du « fair use » aux USA (qu’Aurore traduit fort justement par « utilisation équitable »).
« L’utilisation équitable permet à une partie d’utiliser une œuvre protégée par des droits d’auteur sans l’autorisation du détenteur des droits d’auteur à des fins telles que la critique, le commentaire, le reportage, l’enseignement, l’érudition ou la recherche. »
« On commence à avoir les premières réponses qui se dégagent, mais elles sont extrêmement parcellaires parce qu’elles portent sur des contentieux très spécifiques », explique Aurore. Quoiqu’il en soit, nous explique Aurore, « la posture adoptée par les éditeurs d’IA consiste quand même à ne pas payer pour ce qu’ils ont ‘scrapé’ et à recourir en Europe à une autre exception. Il s’agit de l’exception de « text and data mining » (TDM) ou fouille de textes et de données, qui a été introduite par la Directive (UE) 2019/790 sur le droit d’auteur dans le marché unique numérique (DSM).
Cette exception a été « malheureusement créée dans une directive sur le droit d’auteur de 2019 » explique Aurore.
À cette époque, les LLM n’avaient pas encore été adoptés massivement. Les négociations engagées par les grands producteurs de contenus, les « majors », la SACEM et son homologue allemand (GEMA) n’ont pas abouti à un accord sur la rémunération des créateurs dont les œuvres avaient été utilisées sans autorisation. Si ces négociations n’ont pas abouti explique la juriste, c’est que le « but des éditeurs d’IA est de ne pas payer ou de payer le plus tard possible ».
Ce n’est pas parce que vous avez utilisé un outil qui a violé les droits d’auteur, que vous avez « automatiquement porté atteinte à ces droits d’auteur » explique Aurore. « Car la notion de contrefaçon ne s’apprécie pas de manière générale », et c’est ce qui explique que les auteurs ont bien du mal à faire valoir leurs droits.
Dès lors que vous utiliserez un outil d’intelligence artificielle pour créer, en faisant œuvre d’un véritable processus créatif, et que vous produisez un résultat qui ne ressemble pas à des œuvres d’art physiques existantes qu’on peut nommer, dénommer, ni identifier spécifiquement, alors vous ne violez pas les droits d’auteur.
On imagine la difficulté pour les artistes et les créateurs de contenus à faire valoir des droits qui sont finalement bien fragiles et qui, d’autre part, ne sont pas protégés à la même vitesse que celle qui régit l’innovation technologique. Au passage, cela vaut aussi pour nous, créateurs de contenus professionnels, qui nourrissons Internet depuis 30 ans.
Voici pour le sujet des droits d’auteur en amont, mais il y a également le sujet aval : « Lorsque j’intègre dans mes workflows des outils d’intelligence artificielle, est-ce que, premièrement, je peux en faire une exploitation commerciale, et deuxièmement, je peux revendiquer des droits d’auteur ? »
Ce sont encore « des problématiques qu’on mélange à tort », insiste Aurore Sauviat.
Vous pouvez éventuellement revendiquer une exploitation commerciale sans être protégé par le droit d’auteur. La réponse à la question ci-dessus est donc un énigmatique « ça dépend ».
Cela dépend des conditions générales d’utilisation des outils dont vous vous servez pour créer. Beaucoup de ces outils ont été mis à disposition en mode freemium. Aurore nous enjoint donc de « bien lire les conditions générales d’utilisation, car une utilisation gratuite ne permet pas librement, voire pas du tout, de faire des résultats produits une exploitation commerciale ». Dans certains cas, un filigrane devrait être apposé. C’était d’ailleurs la méthode choisie par Adobe au moment du lancement d’Adobe Firefly en 2023. Mais à ma connaissance, ces filigranes ont été abandonnés depuis.
Deuxième question distincte de la première, « Est-ce que je peux revendiquer des droits d’auteur sur ce que j’ai créé à l’aide d’un outil d’intelligence artificielle ? » Là encore, la réponse est « Ça dépend de l’originalité de votre création », explique Aurore Sauviat.
« Juridiquement, cela signifie que votre création témoigne de l’empreinte de la personnalité d’un auteur ». Ce langage juridique issu de la jurisprudence peut se traduire en bon français. Cela signifie que vous êtes capable de démontrer l’ensemble de vos choix créatifs. Aurore, qui travaille exclusivement avec des créatifs explique ainsi que « lorsque les créas utilisent l’IA pour générer quelque chose, ce n’est pas avec une simple phrase, un prompt, un résultat vite fait exploité directement ». Au contraire, ils travaillent en amont, réalisent des croquis, créent des « moodboards », ils réfléchissent à leur travail et procèdent de manière itérative. Enfin, ils travaillent aussi à leur postproduction en corrigeant les résultats bruts issus de l’IA. Par ailleurs, ils ne donnent pas d’élément de marque à l’IA, ils les intègrent en postproduction. « C’est l’ensemble de ce processus créatif qui démontre le droit d’auteur et qui qualifie l’empreinte de la personnalité d’un créateur ».
Malgré les grandes différences entre copyright et droits d’auteur, la situation entre la France et les États-Unis n’est pas très différente, explique la juriste.
La seule différence avec les États-Unis, c’est que de l’autre côté de l’Atlantique, le copyright fait l’objet d’un enregistrement. Au moment de la création de l’œuvre, vous la soumettez à l’US Copyright Office et on vous répond tout de suite si c’est ‘copyrightable’ ou non.
Ici, la situation est inversée. Juridiquement, en France, vous détenez des droits d’auteur dès lors que vous matérialisez votre œuvre. Et c’est seulement quand il y a un contentieux judiciaire sur du plagiat que vous allez devoir démontrer que, d’une part, vous êtes titulaire des droits d’auteur et d’autre part, que vous allez démontrer pourquoi votre œuvre est originale.
En conclusion, quand vous êtes créatif, vous vous devez de « documenter vos processus créatifs et garder des preuves de ce processus ». La preuve sur ces sujets-là se fait par tout moyen qui vous permettra de revendiquer des droits d’auteur sur ce que vous avez créé à l’aide de l’intelligence artificielle ».
Deuxième sujet connexe, l’IA et le droit à l’image. Que se passe-t-il quand, lors de l’utilisation de l’IA, je décide d’exploiter les droits à l’image de personnes physiques ?
Cela peut se matérialiser dans du clonage vocal, ou la réutilisation de l’image, des attributs de la personnalité de quelqu’un, qu’il soit vivant ou qu’il soit mort. La question des clients d’Aurore est « ai-je le droit de le faire ? » Pour une fois, la réponse est beaucoup plus simple, nous explique la juriste. « Ce n’est pas du tout une zone grise ».
« Tant que vous êtes vivant, vous pouvez vous opposer à l’exploitation de votre image, de votre voix, de votre attitude, de votre façon de marcher, de votre nom ou de votre prénom si l’on a omis de vous demander votre autorisation ».
C’est ce qui s’est passé avec Scarlett Johnson et la voix d’OpenAI. Sam Altman est un grand fan du film Her et il avait demandé à Scarlett Johnson d’utiliser sa voix pour faire la voix d’OpenAI. Celle-ci avait refusé. Altman a donc recréé la voix de Scarlett Johnson. Mais l’actrice étant toujours vivante, « elle s’est opposée à la réplication de quelque chose qui reproduisait sa voix de manière extrêmement proche ».
Sous la pression du bad buzz, OpenAI a finalement fait marche arrière. Mais juridiquement, ils auraient pu avoir des arguments pour poursuivre l’utilisation de cette voix-là qui ressemble à celle de Scarlett Johnson, car il s’agissait en fait de la synthétisation de la voix d’un autre être humain.
Pour les célébrités décédées, c’est une tout autre histoire. « Dès lors que vous mourrez, vous n’avez plus de droit à la personnalité et vos héritiers ne récupèrent pas non plus ce droit ».
Si une célébrité meurt, n’importe qui peut réutiliser son image pour faire de la publicité, de la promotion. C’est pour cela qu’on voit Gandhi qui, depuis des années, vend du Microsoft, vend des voitures, ou Einstein ou Marilyn Monroe qui nous vendent des pizzas. Même si avec l’arrivée de l’intelligence artificielle, cela heurte plus le public, il ne s’agit pas d’une infraction à la loi.
Ensuite, il y a le sujet qui est celui des deepfakes. Tout le monde pense que c’est interdit. Mais ce n’est pas aussi simple que cela.
« Le deepfake en soi n’est pas du tout interdit, car il est soumis au principe de la liberté d’expression ».
On a donc le droit de faire un deepfake pour réaliser une satire, une caricature politique. Cela existe depuis longtemps nous confirme la juriste. Les adeptes de Canteloup le savent.
« La première contrainte, c’est l’obligation de mentionner que vous faites du deepfake », explique Aurore, et que « vous avez réutilisé un outil d’IA pour régénérer l’image ou la voix de quelqu’un ». Deuxième contrainte, « ne pas porter atteinte à l’ordre public ». En effet, plus de 90 % des deepfakes sont générés dans des cas de « revenge porn » ou à des fins pornographiques.
En dehors de ces limites, le deepfake n’est donc pas interdit.
Dernier cas d’usage décrit par Aurore lors de cette conférence, IA et responsabilité. Cela est particulièrement important dans le cas où vous mettez en place des chatbots dans le cadre de vos activités. Aurore a eu notamment le cas avec des sociétés du secteur de l’événementiel.
Pour faire court, la réponse est oui, nous explique la juriste.
Ce ne peut être l’IA qui est responsable, elle n’est ni une personne physique ni morale. Ce ne peut être l’éditeur de la solution non plus, car « il ne fait que vous fournir un outil, et vous êtes responsable de la façon dont vous l’utilisez ». Pas plus que n’allez poursuivre Nikon au cas où vous avez réalisé une photo illégale avec un appareil de cette marque, vous ne pourrez pas non plus poursuivre l’éditeur de votre solution de chatbot IA.
En conclusion, Aurore nous a rassurés : « L’IA, ce n’est pas du tout le Far West. » Les juristes ont beaucoup de réponses à vous apporter, nous a-t-elle dit.
« Il existe un corpus important de textes en droit d’auteur, en droit de la consommation, sur la loi influenceur et le fameux IA Act, qui nous permettent d’apporter des réponses. » En conclusion, Aurore nous enjoint à « adopter les outils d’IA pour [nos] métiers, si [nous] le [souhaitons] ».
Mais elle nous prévient aussi sur la nécessaire mise en place d’un dispositif de sécurité juridique pour permettre de mettre en place ces technologies de manière saine pour nos entreprises.
Nous vous invitons également à regarder notre présentation lors de cet événement du 20 mars 2025
The post L’IA n’est pas un Far West juridique ! appeared first on Marketing and Innovation.
Malgré les apparences, IA et loi ne sont pas incompatibles. Si de nombreuses questions se posent quant à l’utilisation de l’IA, nous a expliqué Aurore Sauviat, avocate associée chez Lawderis Avocats au Com’ en Or Day de Lille le 20 mars 2025, des réponses juridiques existent. Créer avec l’IA mène-t-il forcément à la contrefaçon ? A-t-on le droit d’exploiter commercialement des résultats de l’IA ? Puis-je revendiquer les droits d’auteur sur ce que j’ai créé en utilisant des outils d’intelligence artificielle, sans oublier les questions de droit à l’image des personnes physiques vivantes ou mortes ? Et enfin, qui est responsable si un chatbot IA se trompe ? Aurore a uniquement décidé de traiter trois questions lors de cette conférence : 1/IA et droit d’auteur 2/IA et droit à l’image et enfin, 3/les questions de responsabilité dans l’usage de l’IA. Elle a apporté des réponses claires qui rassureront les professionnels qui tremblent à l’idée d’approcher les doigts de leur clavier. Non ! L’IA n’est pas un Far West entouré d’un vide juridique.
Aurore nous a avertis : « On lit énormément de fausses informations dans les médias et sur les réseaux sociaux. Il y a une telle méconnaissance des sujets de droit d’auteur qu’on mélange des sujets qui sont complètement distincts ». En amont, il s’agit des libertés prises par les éditeurs de solutions IA pour entraîner leurs algorithmes, et en aval, l’utilisation qui est faite de ces outils d’IA pour produire des œuvres et notamment des images.
« Il y a déjà 50 contentions en cours aux États-Unis sur ce sujet-là. Deux ou trois au Royaume-Uni, deux en Allemagne, un nouveau qui vient d’arriver en France et les premiers contentieux européens font leur apparition ».
Si du point de vue de l’auteur et de l’utilisateur, le « pillage » des œuvres par les entraînements d’IA génératives paraît évident, le problème est que la réponse à la question « amont », elle, l’est beaucoup moins, nous explique la juriste.
C’est que du côté des éditeurs d’intelligence artificielle, on essaie de se cacher derrière « certaines exceptions aux droits d’auteur qui permettent de ne pas demander l’autorisation au créateur dans certains cas spécifiques ». Il s’agit du « fair use » aux USA (qu’Aurore traduit fort justement par « utilisation équitable »).
« L’utilisation équitable permet à une partie d’utiliser une œuvre protégée par des droits d’auteur sans l’autorisation du détenteur des droits d’auteur à des fins telles que la critique, le commentaire, le reportage, l’enseignement, l’érudition ou la recherche. »
« On commence à avoir les premières réponses qui se dégagent, mais elles sont extrêmement parcellaires parce qu’elles portent sur des contentieux très spécifiques », explique Aurore. Quoiqu’il en soit, nous explique Aurore, « la posture adoptée par les éditeurs d’IA consiste quand même à ne pas payer pour ce qu’ils ont ‘scrapé’ et à recourir en Europe à une autre exception. Il s’agit de l’exception de « text and data mining » (TDM) ou fouille de textes et de données, qui a été introduite par la Directive (UE) 2019/790 sur le droit d’auteur dans le marché unique numérique (DSM).
Cette exception a été « malheureusement créée dans une directive sur le droit d’auteur de 2019 » explique Aurore.
À cette époque, les LLM n’avaient pas encore été adoptés massivement. Les négociations engagées par les grands producteurs de contenus, les « majors », la SACEM et son homologue allemand (GEMA) n’ont pas abouti à un accord sur la rémunération des créateurs dont les œuvres avaient été utilisées sans autorisation. Si ces négociations n’ont pas abouti explique la juriste, c’est que le « but des éditeurs d’IA est de ne pas payer ou de payer le plus tard possible ».
Ce n’est pas parce que vous avez utilisé un outil qui a violé les droits d’auteur, que vous avez « automatiquement porté atteinte à ces droits d’auteur » explique Aurore. « Car la notion de contrefaçon ne s’apprécie pas de manière générale », et c’est ce qui explique que les auteurs ont bien du mal à faire valoir leurs droits.
Dès lors que vous utiliserez un outil d’intelligence artificielle pour créer, en faisant œuvre d’un véritable processus créatif, et que vous produisez un résultat qui ne ressemble pas à des œuvres d’art physiques existantes qu’on peut nommer, dénommer, ni identifier spécifiquement, alors vous ne violez pas les droits d’auteur.
On imagine la difficulté pour les artistes et les créateurs de contenus à faire valoir des droits qui sont finalement bien fragiles et qui, d’autre part, ne sont pas protégés à la même vitesse que celle qui régit l’innovation technologique. Au passage, cela vaut aussi pour nous, créateurs de contenus professionnels, qui nourrissons Internet depuis 30 ans.
Voici pour le sujet des droits d’auteur en amont, mais il y a également le sujet aval : « Lorsque j’intègre dans mes workflows des outils d’intelligence artificielle, est-ce que, premièrement, je peux en faire une exploitation commerciale, et deuxièmement, je peux revendiquer des droits d’auteur ? »
Ce sont encore « des problématiques qu’on mélange à tort », insiste Aurore Sauviat.
Vous pouvez éventuellement revendiquer une exploitation commerciale sans être protégé par le droit d’auteur. La réponse à la question ci-dessus est donc un énigmatique « ça dépend ».
Cela dépend des conditions générales d’utilisation des outils dont vous vous servez pour créer. Beaucoup de ces outils ont été mis à disposition en mode freemium. Aurore nous enjoint donc de « bien lire les conditions générales d’utilisation, car une utilisation gratuite ne permet pas librement, voire pas du tout, de faire des résultats produits une exploitation commerciale ». Dans certains cas, un filigrane devrait être apposé. C’était d’ailleurs la méthode choisie par Adobe au moment du lancement d’Adobe Firefly en 2023. Mais à ma connaissance, ces filigranes ont été abandonnés depuis.
Deuxième question distincte de la première, « Est-ce que je peux revendiquer des droits d’auteur sur ce que j’ai créé à l’aide d’un outil d’intelligence artificielle ? » Là encore, la réponse est « Ça dépend de l’originalité de votre création », explique Aurore Sauviat.
« Juridiquement, cela signifie que votre création témoigne de l’empreinte de la personnalité d’un auteur ». Ce langage juridique issu de la jurisprudence peut se traduire en bon français. Cela signifie que vous êtes capable de démontrer l’ensemble de vos choix créatifs. Aurore, qui travaille exclusivement avec des créatifs explique ainsi que « lorsque les créas utilisent l’IA pour générer quelque chose, ce n’est pas avec une simple phrase, un prompt, un résultat vite fait exploité directement ». Au contraire, ils travaillent en amont, réalisent des croquis, créent des « moodboards », ils réfléchissent à leur travail et procèdent de manière itérative. Enfin, ils travaillent aussi à leur postproduction en corrigeant les résultats bruts issus de l’IA. Par ailleurs, ils ne donnent pas d’élément de marque à l’IA, ils les intègrent en postproduction. « C’est l’ensemble de ce processus créatif qui démontre le droit d’auteur et qui qualifie l’empreinte de la personnalité d’un créateur ».
Malgré les grandes différences entre copyright et droits d’auteur, la situation entre la France et les États-Unis n’est pas très différente, explique la juriste.
La seule différence avec les États-Unis, c’est que de l’autre côté de l’Atlantique, le copyright fait l’objet d’un enregistrement. Au moment de la création de l’œuvre, vous la soumettez à l’US Copyright Office et on vous répond tout de suite si c’est ‘copyrightable’ ou non.
Ici, la situation est inversée. Juridiquement, en France, vous détenez des droits d’auteur dès lors que vous matérialisez votre œuvre. Et c’est seulement quand il y a un contentieux judiciaire sur du plagiat que vous allez devoir démontrer que, d’une part, vous êtes titulaire des droits d’auteur et d’autre part, que vous allez démontrer pourquoi votre œuvre est originale.
En conclusion, quand vous êtes créatif, vous vous devez de « documenter vos processus créatifs et garder des preuves de ce processus ». La preuve sur ces sujets-là se fait par tout moyen qui vous permettra de revendiquer des droits d’auteur sur ce que vous avez créé à l’aide de l’intelligence artificielle ».
Deuxième sujet connexe, l’IA et le droit à l’image. Que se passe-t-il quand, lors de l’utilisation de l’IA, je décide d’exploiter les droits à l’image de personnes physiques ?
Cela peut se matérialiser dans du clonage vocal, ou la réutilisation de l’image, des attributs de la personnalité de quelqu’un, qu’il soit vivant ou qu’il soit mort. La question des clients d’Aurore est « ai-je le droit de le faire ? » Pour une fois, la réponse est beaucoup plus simple, nous explique la juriste. « Ce n’est pas du tout une zone grise ».
« Tant que vous êtes vivant, vous pouvez vous opposer à l’exploitation de votre image, de votre voix, de votre attitude, de votre façon de marcher, de votre nom ou de votre prénom si l’on a omis de vous demander votre autorisation ».
C’est ce qui s’est passé avec Scarlett Johnson et la voix d’OpenAI. Sam Altman est un grand fan du film Her et il avait demandé à Scarlett Johnson d’utiliser sa voix pour faire la voix d’OpenAI. Celle-ci avait refusé. Altman a donc recréé la voix de Scarlett Johnson. Mais l’actrice étant toujours vivante, « elle s’est opposée à la réplication de quelque chose qui reproduisait sa voix de manière extrêmement proche ».
Sous la pression du bad buzz, OpenAI a finalement fait marche arrière. Mais juridiquement, ils auraient pu avoir des arguments pour poursuivre l’utilisation de cette voix-là qui ressemble à celle de Scarlett Johnson, car il s’agissait en fait de la synthétisation de la voix d’un autre être humain.
Pour les célébrités décédées, c’est une tout autre histoire. « Dès lors que vous mourrez, vous n’avez plus de droit à la personnalité et vos héritiers ne récupèrent pas non plus ce droit ».
Si une célébrité meurt, n’importe qui peut réutiliser son image pour faire de la publicité, de la promotion. C’est pour cela qu’on voit Gandhi qui, depuis des années, vend du Microsoft, vend des voitures, ou Einstein ou Marilyn Monroe qui nous vendent des pizzas. Même si avec l’arrivée de l’intelligence artificielle, cela heurte plus le public, il ne s’agit pas d’une infraction à la loi.
Ensuite, il y a le sujet qui est celui des deepfakes. Tout le monde pense que c’est interdit. Mais ce n’est pas aussi simple que cela.
« Le deepfake en soi n’est pas du tout interdit, car il est soumis au principe de la liberté d’expression ».
On a donc le droit de faire un deepfake pour réaliser une satire, une caricature politique. Cela existe depuis longtemps nous confirme la juriste. Les adeptes de Canteloup le savent.
« La première contrainte, c’est l’obligation de mentionner que vous faites du deepfake », explique Aurore, et que « vous avez réutilisé un outil d’IA pour régénérer l’image ou la voix de quelqu’un ». Deuxième contrainte, « ne pas porter atteinte à l’ordre public ». En effet, plus de 90 % des deepfakes sont générés dans des cas de « revenge porn » ou à des fins pornographiques.
En dehors de ces limites, le deepfake n’est donc pas interdit.
Dernier cas d’usage décrit par Aurore lors de cette conférence, IA et responsabilité. Cela est particulièrement important dans le cas où vous mettez en place des chatbots dans le cadre de vos activités. Aurore a eu notamment le cas avec des sociétés du secteur de l’événementiel.
Pour faire court, la réponse est oui, nous explique la juriste.
Ce ne peut être l’IA qui est responsable, elle n’est ni une personne physique ni morale. Ce ne peut être l’éditeur de la solution non plus, car « il ne fait que vous fournir un outil, et vous êtes responsable de la façon dont vous l’utilisez ». Pas plus que n’allez poursuivre Nikon au cas où vous avez réalisé une photo illégale avec un appareil de cette marque, vous ne pourrez pas non plus poursuivre l’éditeur de votre solution de chatbot IA.
En conclusion, Aurore nous a rassurés : « L’IA, ce n’est pas du tout le Far West. » Les juristes ont beaucoup de réponses à vous apporter, nous a-t-elle dit.
« Il existe un corpus important de textes en droit d’auteur, en droit de la consommation, sur la loi influenceur et le fameux IA Act, qui nous permettent d’apporter des réponses. » En conclusion, Aurore nous enjoint à « adopter les outils d’IA pour [nos] métiers, si [nous] le [souhaitons] ».
Mais elle nous prévient aussi sur la nécessaire mise en place d’un dispositif de sécurité juridique pour permettre de mettre en place ces technologies de manière saine pour nos entreprises.
Nous vous invitons également à regarder notre présentation lors de cet événement du 20 mars 2025
The post L’IA n’est pas un Far West juridique ! appeared first on Marketing and Innovation.