Invité Afrique Midi

L'intervention en Libye «a entraîné une détérioration des relations de la France avec l'Afrique», selon Ahmad el-Kadhafi


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Cousin du colonel Kadhafi, Ahmad el-Kadhafi a été l'un des plus hauts responsables sécuritaires de l'ancien régime avant de faire défection en 2011 lors du soulèvement populaire. À la suite de la condamnation de Nicolas Sarkozy à cinq ans de prison ferme dans le cadre de l'affaire du financement libyen de sa campagne présidentielle de 2007, Ahmad el-Kadhafi appelle le président Macron à ouvrir une enquête sur les véritables raisons de l'intervention militaire française en Libye. Dans une interview exclusive depuis Le Caire, Ahmad el-Kadhafi est l’invité d’Afrique midi au micro de Houda Ibrahim.

RFI: Quelle est votre première réaction à la condamnation en France de l'ancien président Nicolas Sarkozy à cinq ans de prison ? 

Ahmad el-Kadhafi: Je salue la justice française pour cette décision, même si ce n'était pas notre objectif. Nous aurions préféré que monsieur Sarkozy soit jugé non pas sur ce point, que nous considérons comme une affaire intérieure française, mais plutôt pour son intervention militaire en Libye en 2011, et son insistance au sein du Conseil de sécurité de l'ONU pour imposer des sanctions à la Libye et forcer l'intervention militaire de l'Otan. Ce qui a détruit le pays et ses forces militaires. Il s'agissait d'une violation flagrante du droit international, car les événements en Libye relevaient d'une affaire interne qui ne représentait aucune menace ni pour la communauté internationale ni pour la paix mondiale. Cette intervention ne s'appuyait pas non plus sur l'envoi d'une mission d'enquête du Conseil de sécurité, et elle n'était pas non plus justifiée, car tous les faits révélés depuis confirment qu'il s'agissait d'une agression flagrante contre un pays qui constituait une soupape de sécurité en Afrique. Je souhaite que le président Macron ouvre rapidement une enquête sur ce qui s'est passé en 2011, et sur les raisons pour lesquelles M. Sarkozy est intervenu en Libye et pour lesquelles les forces françaises nous ont attaqué en menant des frappes aériennes et navales, avant même qu'une résolution du Conseil de sécurité ne soit adoptée.

Parmi les pays qui ont participé à l'intervention de 2011 en Libye, la population libyenne en veut surtout à la France, pour quelle raison à votre avis ?

L'agression lancée par le président Sarkozy contre la Libye, les destructions qui en ont résulté et le chaos que nous subissons encore aujourd'hui ont engendré un climat d'hostilité envers la France. Cela a entraîné une rupture dans nos relations avec la France, une rupture qui n'existait pas auparavant. Cela a également entraîné une détérioration des relations avec l'Afrique. Ce qui se passe actuellement dans les pays du Sahel et du Sahara, avec l'expulsion des forces et des bases françaises de ces pays, est le prolongement de l'attaque contre la Libye. Les victimes en Méditerranée et les migrations qui frappent aujourd'hui tout le monde sont l'une des conséquences de la destruction de la Libye. La destruction des forces navales, terrestres et aériennes libyennes a également entraîné un chaos généralisé en Afrique du Nord et en Méditerranée, ainsi que la propagation de l'extrémisme et des extrémistes dans la région. Pour toutes ces raisons, il aurait été plus judicieux de juger Sarkozy, non pas pour avoir accepté de l'argent de la Libye ou de tout autre pays, car c'est normal et non une exception dans les démocraties occidentales. Tout le monde prend, et la Libye ne fait pas exception, car tout le monde paie lors des élections occidentales. C'est une caractéristique des démocraties occidentales. Nous demandons une enquête sur les raisons qui ont motivé l'intervention de Sarkozy en Libye, notamment au vu des révélations choquantes du président Trump, du président italien avant lui, de nombreux dirigeants occidentaux et de Madame Clinton. Ils ont tous exposé des faits choquants sur l'intervention de la France pour détruire la Libye, la débarrasser de Kadhafi et l'éliminer.

Des chefs d'État de l'Otant avaient annoncé que la France était le moteur qui a poussé à cette intervention en Libye, pour quels motifs ?

C'est la raison pour laquelle nous exigeons une enquête afin de faire éclater la vérité. Pourquoi ? Nous entretenions de bonnes relations avec M. Sarkozy. Nous avions signé des accords de plusieurs milliards de dollars avec lui et l'avions accueilli. Si nous lui avions proposé notre soutien, c'était pour avoir un ami à l'Élysée, car nous cherchions à construire les États-Unis d'Afrique. Nous ne voulions pas que la France s’oppose à nous ou fasse obstacle à notre action dans la construction d’une force africaine, dans la création d’une monnaie commune, le dinar d’or africain. Nous avions défendu ces objectifs dans les sommets de l’Union africaine. L’idée était que l’Afrique devienne un continent partenaire de l’Union européenne, de la Russie, de la Chine et d’autres nations, et qu’elle joue un rôle dans la paix et la stabilité mondiales. Et aussi de coopérer en Méditerranée… Sarkozy a détruit toutes ces choses avec son intervention.

Des spécialistes évoquaient des raisons personnelles chez le président Sarkozy pour attaquer la Libye, êtes-vous de cet avis ? 

C'est ce qui nous surprend et c'est ce que nous souhaitons savoir, car nous et M. Sarkozy, alors ministre de l'Intérieur qui était venu nous voir, nous avions instauré une grande coopération. Peut-être que les archives françaises, si elles sont ouvertes, le révéleront. Nous avons des responsables, dont certains ont malheureusement été tués dans des circonstances mystérieuses, et d'autres sont toujours présents. Le gouvernement libyen est prêt à ouvrir ces dossiers pour faire la lumière sur la coopération entre nous et le président Sarkozy, depuis son accession au pouvoir.  En fait, nous sommes toujours surpris par l'invasion française de la Libye et ses conséquences, et nous en avons tous payé le prix, la France et l'Afrique.

On vous reproche de ne pas fournir des documents nécessaires au procès du président Sarkozy, alors qu'à plusieurs reprises, vous affirmiez que vous possédiez ces documents ?

La France a bombardé tous les centres gouvernementaux, les quartiers généraux des services de renseignement et les centres de recherche. Vous le savez sans doute, la plupart des documents restants ont été volés. Certains documents ont fuité, même ceux concernant les réunions secrètes du Guide. Malheureusement, tout ce que nous possédons a été détruit lors de ces raids. Ils ont bombardé Kadhafi et l'ont tué aussi. Il s'agit là d'un crime pour lequel un pays comme la France, qui reconnaît désormais cette opération, doit réagir. La France, qui a tué un président lors d'une intervention illégale ayant conduit à de tels résultats, est censée ouvrir une enquête. Il s'agit d'une justice à rétablir. Nous ne voulons pas revivre le passé ni ressusciter qui que ce soit. Nous mourrons tous. Nous voudrions plutôt empêcher que ces tragédies ne se reproduisent. Nous regardons vers l'avenir, pas vers le passé.

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