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By Monde Solidaire • Fréquence Terre
The podcast currently has 213 episodes available.
Nous sommes en 1986. Danielle Mitterrand créé la Fondation France Libertés avec une volonté : défendre les droits humains et soutenir la résistance des peuples opprimés à travers le monde.
Depuis, de l’Apartheid en Afrique du Sud au peuple kurde, du Tibet aux différents peuples autochtones, son engagement et ses prises de position ont fait le tour du monde.
35 ans après, la Fondation Danielle Mitterrand rend hommage à l’action de sa fondatrice… 10 ans après sa disparition. Une exposition, un livre et une grande cérémonie le 27 novembre, pour saluer une vie de résistance, et pour mieux construire l’avenir.
Après les rencontres de début novembre, « Sans transition : utopies et métamorphoses », la Fondation va célébrer plus solennellement Danielle Mitterrand. Ce sera les 26 et 27 novembre, à Cluny, en Saône-et-Loire. Tout d’abord, pourquoi ce choix de Cluny? Qu’est-ce que cela représente ?
« Danielle Mitterrand est une ancienne résistante. Elle s’est engagée à l’âge de 17 ans dans la résistance du maquis bourguignon. Elle a gardé en elle cette envie de lutte, cette envie de résister. C’est quelque chose qui la guidera jusqu’à la fin de sa vie et que la Fondation essaie de perpétuer. Le choix de Cluny s’est rapidement porté pour nous comme une évidence. C’est un endroit qu’elle affectionne tout particulièrement. C’est là où elle a grandi. C’est là où elle repose. Symboliquement, il y a un lien qui est très fort entre Danielle Mitterrand et le territoire de Cluny. Pour nous, cela faisait vraiment sens de faire cet hommage sur ce territoire qui lui est si cher. »
Deux temps forts pour ce week-end. Tout d’abord la projection d’un documentaire, « Danielle Mitterrand, une certaine idée de la France « , ce sera le vendredi 26 novembre. Un film qui retrace les combats de Danielle Mitterrand.
« Il sera projeté au cinéma de Cluny le vendredi 26 novembre à 20h30. C’est un documentaire réalisé par Laurence Thiriat et Thierry Gadault il y a deux ans. Il permet de retracer tous les moments forts de la vie de Danielle et toutes les luttes pour lesquelles elle s’est engagée. Pour nous, c’est important de pouvoir le diffuser pour pouvoir partager ces moments avec le territoire clunisien. On voulait qu’il y ait un moment ouvert simplement aux Clunisois. Et après, il y a un moment d’échange de prévu avec Gilbert Mitterrand, le fils de Danielle Mitterrand et président de la Fondation. Il sera accompagné de Laurence Thiriat et Thierr Gadault pour compléter les débats et échanges. »
Et le samedi 27 novembre, ce sera la grande cérémonie d’hommage, 10 ans après sa disparition, l’occasion de célébrer une vie d’actions. Qu’est-ce qui est prévu ?
« Il y a plusieurs temps forts. Ce sera un après-midi qui va mêler plusieurs interventions, plusieurs témoignages, que ce soit des peuples proches de Danielle, dont elle a soutenu les luttes et les causes, ou des personnes qui lui ont été proches et qui ont défendu son combat. On aura des peuples kurdes, des peuples sahraouis, des Iraniens. Mais nous reviendrons aussi sur son combat pour l’eau et la lutte qu’elle a mené pour rendre le droit à la nature, et sur son combat plus général pour défendre la voix des opprimés et la volonté de créer un monde plus juste et solidaire. L’idée est de reprendre l’esprit de Danielle et de continuer à le faire vivre à travers les témoignages de personnes qui l’ont connu. »
Et pour prolonger ce week-end, un livre vient de paraître, « Danielle Mitterrand, Une vie de résistance », une série de témoignages de ceux qui ont croisé sa route, vingt-deux personnalités françaises et internationales qui prennent la plume pour la raconter.
« C’est un livre qui sort aux éditions de l’Observatoire qui retrace la vie de Danielle Mitterrand et ses combats à travers le regard de ceux qui l’ont connue. Ce sont des personnes en France ou à l’international qui l’ont connue soit dans l’euphorie des années 1970, pendant sa période à l’Elysée ou dans ses combats à la Fondation. Parmi les plus connues, on peut citer le Dalaï Lama, Vandana Shiva, Jean Ziegler, Elise Lucet, Joan Baez, Akhenaton, Philippe Starck, Cécile Duflot… 22 personnalités qui ont participé à ce livre, qui ont croisé sa route et qui peuvent retracer à travers leur parole ce qu’a fait Danielle Mitterrand et qui fait qu’aujourd’hui notre vie et notre monde sont un peu meilleurs. »
Enfin, pour ceux qui ne pourront pas être présents à Cluny, citons cette exposition photo que vous mettez en œuvre, pour raconter l’histoire de la Fondation en images. 35 photos, 35 souvenirs pour construire l’avenir.
« C’est exposition a été créée à partir du projet 35 ans d’utopies, qui a rythmé cette année anniversaire de la Fondation, et qui revient sur l’histoire des luttes menées par Danielle Mitterrand. A travers cette exposition, il s’agit de redonner à voir la manière dont Danielle Mitterrand était avant-gardiste, autant dans les valeurs qu’elle a porté que dans les luttes qu’elle a mené avec la Fondation. On pourra retrouver plusieurs photos où Danielle Mitterrand apparait aux côtés de peuples en lutte contre les oppressions et pour défendre leur droit. On peut voir notamment une photo prises avec le Dalaï Lama, lorsque Danielle Mitterrand reçoit de ses mains le prix Lumière de la vérité pour sa défense des droits du peuple tibétain. Malgré les nombreuses protestations du gouvernement chinois, elle a reçu à la Fondation plusieurs grandes figures de la résistance tibétaine. Sur une autre photo, elle apparaît aux côtés de Nelson Mandela, qui a été prise en juin 1991 dans les locaux de la Fondation. Après sa sortie de prison, la première visite en France de Nelson Mandela est pour Danielle Mitterrand pour saluer son implication dans la lutte contre l’apartheid. Avec la Fondation, elle a organisé les première rencontres historiques entre Afrikaners blancs et les membres du Congrès national africain (ANC). »
« Et il y a une autre série de photos où l’on voit Danielle Mitterrand sur le terrain, au plus près de celles et ceux qui sont en lutte et qu’elle soutient. Il y a cette très jolie photo où elle apparaît assise au milieu de femmes sahraouis dans un camp de réfugiés lorsqu’elle était venue les soutenir dans leur lutte pour le droit à l’autodétermination, malgré les risques de créer un incident diplomatique. Cela s’est joué à très peu de susciter la colère du roi du Maroc Hassan II. Et puis il y a des photos où on la voit lors d’une manifestation pour le droit à l’eau à Marseille. Il y a une grande diversité de thèmes qui sont abordés, qui reflètent cette diversité de luttes engagées par Danielle Mitterrand et la Fondation depuis 35 ans. »
Pour aller plus loin :
La Fondation Danielle Mitterrand a 35 ans. Fidèle à sa volonté de rendre les utopies concrètes, elle nous invite pour l’occasion à sortir de notre zone de confort et à revoir nos façons de penser et d’agir.
Les 5 et 6 novembre prochain, c’est à un week-end de rencontre, d’échanges et d’expérimentations qu’elle nous convie, pour penser la métamorphose radicale de nos société.
« Sans transition : utopies et métamorphoses », c’est le titre de ces rencontres organisées par la Fondation. Elle fait le constat d’un « libéralisme qui continue sa domination mortifère. En quoi est-ce mortifère ? Nos sociétés sont arrivées à un cap fatidique ?
« Aujourd’hui, on est dans un système mortifère en raison d’une construction sociétale qui est destructive à plusieurs niveau. On a une crise environnementale, avec une destruction massive du vivant, qui nous pousse à reconsidérer cette relation que nous avons avec la terre qui nous accueille. On a aussi une crise systémique politique, par la montée des systèmes de haine, de domination politique avec des dictatures qui augmentent. Il y a aussi des droits humains qui réduisent de plus en plus, et une crise sociétale avec une augmentations des inégalités, des discriminations, et de plus en plus de conflits. Ce système mortifère cultive une forme de mort, qu’elle soit sociétale ou du vivant. Ce constat pousse à se questionner sur, comment changer notre rapport à l’autre, au vivant, et comment opérer une métamorphose. »
Face à cette urgence, il n’y a pas d’homme providentiel ou de solution unique magique. Il faut donc apprendre des uns et des autres, ensemble ?
« Oui. A la Fondation, on essaie de travailler sur un élément de langage qui est celui de la métamorphose. Cela apporte beaucoup d’imaginaire et d’espoir. La métamorphose peut se faire à plusieurs niveau, sociétal, écologique… C’est un nouveau rapport à l’autre, retrouver un peu plus de bienveillance, construire ensemble des communs, construire des choses à long terme qui puissent nous permettre de retrouver un peu de bon sens dans notre manière de vivre au quotidien. Il s’agit de ne pus voir le vivant comme quelque chose qui appartiendrait à l’être humain et utile à sa prospérité, mais plutôt quelque chose où l’on a besoin mutuellement l’un de l’autre. Il faut construire ces dynamiques communes qui font que nous pouvons vivre ensemble. »
Lors de ces rencontres, vous allez mettre en lumière notamment les « utopies concrètes » qui se multiplient et que vous soutenez, en France et ailleurs, au Chili ou au Rojava notamment. Quelles seront ces utopies concrètes et de ces manières de faire communs qui seront présentes lors de ce week-end.
« Je rajouterais utopies concrètes et radicales dans le sens d’aller à la racine des problèmes. Et il y a aussi cette idée de « sans transition » dans le sens où nous avons vraiment besoin de donner vie aux utopies pour enclencher des métamorphoses. Seront présents notamment le lauréat du prix Danielle Mitterrand 2020, Buzuruna Juzuruna, mais aussi un représentant du village guyanais Atopo W+P+ (Prospérité), un village en voie d’autonomisation, que la Fondation soutient pour faire éclore des métamorphoses radicales dans leur fonctionnement au quotidien. Il y a aura également le collectif Les Semeuses, qui font un travail autour de l’agroécologie près de Bure, dans la Meuse, là où il y a un projet d’enfouissement de déchets nucléaires. Et puis le projet des Lentillères sera également présent, C’est un projet, à Dijon, de revitalisation du territoire. »
Ces remontres se dérouleront à l’Hôtel de Ville de Paris les 5 et 6 novembre prochain. Deux jours pour entrer dans le concret, avec des ateliers d’échanges et d’expérimentation.
« Ces utopies permettent d’illustrer de manière concrètes le changement que l’on peut apporter au niveau local. Ce sont des moments de prise de paroles que nous allons retrouver dans les ateliers d’échange des pratiques, des temps de concertation entre acteurs parties prenantes du mouvement altermondialiste. On va retrouver des intellectuels, des personnes de la société civile, des militants, tout un panel assez large pour réfléchir, ensemble, à comment on opère cette métamorphose. Nous allons essayer de poser un regard plus concret sur les mondes désirables de demain. Les ateliers d’expérimentations vont essayer d’apporter un peu de créatif dans nos manières de vivre. La métamorphose ne passe pas juste par la pensée, mais aussi par la métamorphose de nos corps, de nos envies. On y travaille avec un collectif, la Fine compagnie, qui va nous accompagner pour faire vivre nos imaginaires créatifs. »
Et avec ces ateliers, ces lieu d’échange et d’expérimentation, il y a aussi l’idée d’en repartir riches de ces échanges pour aller essaimer ailleurs.
« Cette rencontre nous permet aussi, en tant qu’acteur au cœur du changement, de se poser cette question de comment, nous-même, on peut se métamorphoser. Ce n’est pas qu’un constat que l’on pose à l’extérieur mais que l’on amène aussi à l’intérieur de nos maisons. Nous-mêmes, en tant qu’acteur de la société civile, on peut aussi avoir des pratiques à modifier. »
La journée du samedi se terminera par une « soirée des métamorphoses radicales », avec notamment la remise du prix Danielle Mitterrand 2021.
« Le Prix Danielle Mitterrand 2021 est remis au collectif des Saisonnières en lutte de Huelva, en Andalousie, en Espagne. Ce collectif est une initiative autogérée qui défend les droits fondamentaux des travailleuses saisonnières du secteur fraisier. Leur initiative permet de mettre en lumière un effet néfaste de l’agriculture intensive : les conditions de travail, voire d’exploitations, des travailleuses et travailleurs au sud de l’Espagne. C’est un collectif ouvertement attaché aux luttes féministes et antiracistes et qui cherche à rompre avec la dynamique de rejet suscité par la sélection ciblée des travailleuses. Il tisse des liens de solidarité entre les saisonnières de différents pays et avec populations locales d’Andalousie. »
Les ateliers du vendredi 5 et samedi 6 novembre sont sur invitation. La soirée des métamorphose radicales, à partir de 17h le samedi, est ouverte à tous.
Pour vous inscrire : Soirée des métamorphose radicales
Pour aller loin :
« Coupures d’eau : Victoire des citoyens face aux multinationales« , c’est le titre d’un ouvrage signé Emmanuel Poilane et Jean-Claude Oliva. C’est le récit de plus de quatre ans de combat contre les coupures d’eau et pour redonner de la dignité aux victimes de ces coupures.
Est-ce que les relations se sont un peu normalisées entre les usagers et les distributeurs d’eau ? Est-ce qu’elles sont plus à l’écoute, plus conciliantes ?
« Il s’est passé plusieurs choses. La première, c’est que les coupures et les réductions d’eau sont interdites. Les géants de l’eau ont perdu l’arme fatale pour récupérer les impayés. Maintenant, ils sont obligés de travailler sur une dynamique de récupération des impayés via par exemple des prélèvements sur salaire. Donc on est dans un mode normal. L’impayé sur une facture d’eau doit être payé, mais n’amène plus à ce que les gens soient dans des conditions hallucinantes dans leur domicile. C’est la grosse avancée de notre combat. Il y a un autre sujet qui a été très intéressant dans notre combat, c’est quand on a travaillé avec l’Institut national de recherche en sciences et technologies pour l’environnement et l’agriculture (IRSTEA), notamment avec Marie Tsanga-Tabi (ingénieure de recherche). Elle a travaillé avec ses étudiants et a récupéré les bases de données des 1 500 témoignages que l’on a eu. Elle a fait un travail scientifique d’analyse de ces témoignages. Elle a rendu un document qui est accessible sur le site de la Fondation. Ce document explique ce que vivent ces populations pauvres et en quoi la violence mises en œuvre par les multinationales était contre-productive pour tout le monde. A la fin de notre combat, on a pu présenter ce document avec Marie Tsanga, en présence de l’ensemble des multinationales de l’eau et des représentants des régies publiques, pour que les multinationales puissent s’en emparer. Cela a clairement amené une évolution dans le fonctionnement des multinationales. Ces changements ont été très rapides chez certaines, notamment Suez. Elle a été la première multinationale condamnée et a ensuite très vite changer son mode de fonctionnement pour mieux accompagner les problématiques d’impayés. Cela a été plus long pour Veolia et la Saur. Véolia, par exemple, a créé une nouvelle direction, qu’ils appellent le suivi des consommateurs. Cette direction est clairement dédiée à l’accompagnement des familles précaires qui n’arrivent pas à payer la facture d’eau. Je reviens sur quelque chose qui nous avait été dite au démarrage, comme quoi les coupures d’eau étaient indispensables au modèle économique de l’eau. On se rend bien compte plusieurs années après que ce n’est pas le cas. Les coupures d’eau sont interdites et le modèle économique de l’eau est toujours ce qu’il est, avec ses faiblesses, avec ses forces. Il ne s’est pas du tout écroulé avec l’interdiction des coupures d’eau. »
Il reste encore un combat : celui de faire reconnaitre le droit à l’eau pour tous dans la loi. Les députés avaient entamé le travail avant 2017. Où en est-on depuis ?
« D’un point de vue de communication, tout le monde dit, le droit à l’eau en France existe. Mais d’un point de vue juridique, les multinationales partent du principe que le droit à l’eau en France n’existe pas. Malheureusement, le climat parlementaire actuel ne permet pas réellement de faire avancer les choses. On a eu des petites avancées, notamment dans la loi de proximité, où il y a eu des avancées, notamment sur l’accès à l’eau au niveau des fontaines. Ce sont de petites choses. Mais c’est vrai qu’on attend une vraie grande loi qui puisse permettre de renforcer encore la puissance du droit à l’eau. Derrière, il serait formidable de pouvoir mettre en place un système préventif qui protège et renforce les familles qui n’arrivent pas à payer l’eau, qui n’ont pas accès à l’eau. On estime à peu près à 300 000 familles en France qui sont dans des difficultés très importantes, et un million de familles qui sont dans des difficultés réelles pour payer l’eau. Si on pouvait mettre en place une vraie protection législative et un système préventif d’aide, ce serait formidable. Malheureusement, ce n’est pas réellement d’actualité pour l’instant. »
Vous avez intitulé votre livre « Victoire des citoyens face aux multinationales ». Est-ce que cela veut dire que votre combat va au-delà des géants de l’eau ? Il s’inscrit dans une autre dynamique ?
« C’est pour cela que l’on a fait ce livre. C’est autant pour raconter l’histoire, que pour inviter les citoyens qui sont engagés, qui mènent des combats, à se dire que, parfois, on peut renverser la table. On est dans une période aujourd’hui qui est très violente. Je pense qu’on a une responsabilité en tant que citoyen engagé pour déconstruire ces violences. Et derrière le combat qu’on a mené, on a clairement déconstruit de la violence pour ces familles qui, chaque année, étaient victimes de ces coupures d’eau. Je fais partie des personnes qui pensent qu’on a la possibilité, chacun à notre endroit, de participer à la déconstruction que ces violences. On doit jouer un rôle. Ce qui a été formidable avec ce combat, c’est qu’on ne s’est pas mis en frontal, on n’a pas fait des manifestations. On s’est servi de deux outils. On s’est servi en premier de la justice. Et cela a fonctionné. Aujourd’hui il y a plein d’associations qui travaillent sur cette dimension de judiciarisation des combats associatifs. La deuxième chose, c’est le relais des médias qui, à chaque décision de justice, parlaient de nos affaires et mettaient en lumière la façon dont les entreprises se comportaient. Ils expliquaient la violence qui était faite aux familles. Les multinationales ont eu du mal à accepter ça. C’est pour cela que Veolia nous a attaqué en diffamation. On a dû se défendre devant la Cour correctionnelle, et on a gagné. Et le juge, dans sa décision de justice, a dit « vous avez eu raison de dire ce que vous avez dit, même si cela pouvait paraître violent pour l’entreprise. Parce qu’en aucun cas vous ne l’avez fait pour vous-même, vous l’avez fait pour l’intérêt général. Et à partir du moment où vous faites les choses pour l’intérêt général, vous avez raison de le dire, de le crier et de faire en sorte que les choses changent ». Et c’est vrai qu’on pourrait attendre des politiques, on pourrait des élites de notre pays, de travailler pour l’intérêt général. On voit que malheureusement c’est trop peu le cas. Et en tant qu’association, en tant que militant, en tant que personne engagée, on a aujourd’hui cette responsabilité de porter l’intérêt général, non pas pour nous en tant que personne, mais bien pour le collectif. C’était formidable d’être entendu par la justice comme légitime à porter cet intérêt général. Ce livre raconte cette histoire-là. Et il est là pour donner envie à celle et ceux qui portent ses combats, qui ont envie de faire des choses pour l’intérêt général, de dire, nous sommes légitimes chacune et chacun pour l’intérêt général. Je trouve que dans la période actuelle où il y a énormément de violence, cela doit participer à permettre à chacune et à chacun de s’engager sans violence, et de participer au contraire à déconstruire les violences qui sont en œuvre dans notre pays. »
Pour aller plus loin :
C’est le récit d’un combat de quatre ans contre les géants de l’eau. Un combat contre les multinationales pour faire respecter la dignité de chacun et pour faire avancer le droit à l’eau en France. Emmanuel Poilane, de la Fondation Danielle Mitterrand, et Jean-Claude Oliva, directeur de la Coordination Eau Ile-de-France, signent « Coupures d’eau : Victoire des citoyens face aux multinationales« , aux éditions 2031, avec la collaboration de Justine Loubry et Benjamin Grimont. En 140 pages ils reviennent sur le parcours qui les ont mené à une victoire assez inattendue : contraindre les multinationales à respecter l’interdiction des coupures d’eau.
Commençons par rappeler les origines de ce combat. En 2012, vous menez un travail sur le droit à l’eau pour tous, cheval de bataille de Danielle Mitterrand. Et c’est là que la question des coupures d’eau s’est présentée à vous.
« La Fondation et la Coordination travaillaient depuis très longtemps sur les questions de « l’eau, bien commun », de la place de l’eau dans la société, de cette ambition du droit à l’eau pour tous, et pas seulement pour ceux qui peuvent payer. Ce sont ces sujets-là qui nous ont amenés à arriver jusqu’aux coupures d’eau. On a notamment porter un plaidoyer très important au moment du Forum mondial de l’eau à Marseille en 2012, juste après la mort de Danielle Mitterrand. C’est cette mobilisation qui nous nous a d’abord poussé à travailler avec un groupe d’une quarantaine d’organisations pour essayer de faire avancer le droit à l’eau en France d’un point de vue législatif. On a travaillé sur un texte, à la fois philosophique et juridique. On l’a proposé notamment à Jean Glavany qui nous a aidé à regrouper un certain nombre de groupes parlementaires à l’Assemblée de l’époque pour porter une proposition de loi devant l’Assemblée nationale et le Sénat afin de faire avancer le droit à l’eau en France. C’est à partir de cette initiative qu’on a découvert la problématique des coupures d’eau, et notamment grâce à Henri Smets qui a écrit un article sur ce sujet disant notamment que le droit à l’eau en France avançait avec la loi Brottes qui venait de passer. On s’est donc rendu compte qu’il y avait un texte qui interdisait les coupures d’eau. On s’est dit, c’est formidable, le droit à l’eau en France avance. A partir de ce moment-là, on s’est retrouvé assailli par tout un tas de familles disant, « nous sommes coupés, vous dites que c’est interdit, comment peut-on faire ? ». »
Vous avez donc eu très vite une multitude de témoignages de Français victimes de ces coupures, des appels à l’aide de personnes confrontées, au quotidien, à l’absence d’eau au robinet pendant des mois et des mois.
« Très vite, on a construit un appel à témoignage. Cet appel à témoignage nous amener des centaines et des centaines de témoignages de familles qui n’avaient pas l’eau. On a donc travaillé sur la base de ces témoignages, dans un premier temps plutôt en médiation, en échangeant avec les entreprises de l’eau, en posant la question aux fédérations des acteurs de l’eau, en interrogeant le ministère de l’environnement. Et on s’est retrouvé dans une situation où tout le monde nous répondait, « vous lisez mal la loi, les coupures d’eau sont autorisées et sont même indispensables au modèle économique de l’eau ». On a été confronté à quelque chose de nouveau pour nous, et pas très courant à ce moment-là pour les associations : le seul moyen possible, c’est d’aller devant un juge et de vérifier si la lecture de la loi qui est la nôtre est la bonne. C’est comme cela qu’on a déclenché une première action en justice sur Soissons, une deuxième sur Bourges, et une troisième dans l’Est et dans le Nord. Et petit à petit, on s’est rendu compte que les juges validaient notre position de l’interdiction des coupures d’eau et indemnisaient très fortement les victimes. On a mené tout au long de ces quatre ou cinq années un travail complémentaire entre des médiations directes avec les acteurs de l’eau pour que l’eau soit remise, et de temps en temps, sur des cas emblématiques, des dépôts de plainte devant les tribunaux pour faire en sorte que ce système s’arrête. On a aidé quasiment 1 500 familles en l’espace de cinq ans, et on a gagné plus de 25 procès devant les tribunaux.
On l’a déjà évoqué ici, mais on peut rappeler qu’au quotidien, ne pas avoir d’eau courante chez soi, c’est un défi et une atteinte à la dignité.
« C’est vraiment ce sujet qui nous a amené devant le Conseil constitutionnel. Les multinationales de l’eau notamment traitaient les usagers du service public comme des numéros de facture. Ils n’avaient pas conscience de ce que vivaient les gens dans les maisons quand ils coupaient l’eau. Ils coupaient l’eau le matin depuis la rue, sans même interroger les personnes, et « débrouillez-vous : tant que vous n’avez pas payé, vous ne retrouverez pas l’eau ». Et ils mettaient les familles dans des situations hallucinantes, où, quand on a plus d’eau dans une maison, elle est clairement invivable. Ils ont confronté les gens à une violence invraisemblable. Dans l’ensemble des jugements qu’on a eu, les préjudices moraux qu’on demandait étaient liés à cette violence qui leur était faite en leur coupant l’eau. »
« Ces préjudices moraux étaient très importants au regard de ce que donnent d’habitude les juges. Cela a d’ailleurs fait l’objet d’une réaction de Veolia dans le deuxième ou troisième jugement, où l’avocate de Veolia a dit, « si une personne était morte, le préjudice moral aurait été moins important ». Et les juges, malgré cette remarque, ont continué à demander des préjudices moraux très importants aux multinationales. C’est même allé jusqu’à près de 20 000 euros pour un cas dans le sud de la France qui a notamment été éclairé dans l’émission « Complément d’enquête » qui raconte l’histoire de ce monsieur qui a été le plus indemnisé dans le cadre du combat qu’on a mené. »
Mais malgré toutes les condamnations, cela n’a pas découragé les multinationales de continuer leurs pratiques.
« Les coupures d’eau pour les multinationales, c’était quand même l’arme fatale. A partir du moment où on vous coupe l’eau, vous n’avez qu’une solution pour vivre normalement : c’est de payer la facture d’eau. Donc quand on a une arme aussi puissante, on a du mal à s’en priver. En trois jugements, la loi était bien énoncée. Les multinationales se sont accrochées et ont continué, jugement après jugement, en essayant d’étouffer les affaires. Ils n’allaient qu’en première instance, ils ne faisaient pas appel, ils payaient rubis sur l’ongle en espérant qu’on arrête d’en parler et qu’on se fatigue. Et c’est vrai qu’on ne s’est pas fatigué. Mais cela a été un très long combat. »
Ce combat a forcé les multinationales à changer leurs pratiques. Un combat qui veut inciter les citoyens à oser s’engager contre les violences de notre société. C’est aussi le but de cet ouvrage. On en reparle la semaine prochaine.
Pour aller plus loin :
C’est un évènement démocratique particulier que va vivre le Chili le week-end prochain. Les 15 et 16 mai, les Chiliens sont appelés aux urnes. Ils désigneront notamment des maires, des conseillers municipaux et des gouverneurs.
Mais ce scrutin est aussi celui où seront élus les membres de l’Assemblée constituante qui aura pour mandat de rédiger la nouvelle constitution du pays.
Ce week-end, les Chiliens vont donc élire ceux qui auront pour mission d’écrire la nouvelle constitution. C’est le fruit de revendications portées de longue date par la population.
« De longue date, oui. J’oserais même dire que, depuis qu’elle s’est créée en 1980 en pleine dictature sous l’époque de Pinochet, cette même Constitution est restée en place une fois la démocratie de retour au Chili au début des années 1990. Et elle n’a cessé d’être remise en question par la société civile et par les différentes générations qui ont vécu sous l’ère de cette Constitution. Quand a débuté tout le mouvement social en 2019, qui avait été initié par la hausse du ticket de métro de 30 pesos, il est apparu tout de suite une logique qui s’est traduite en une phrase emblématique de ce mouvement social : ce ne sont pas les 30 pesos de la hausse du ticket, ce sont les 30 années de la Constitution au Chili. »
Derrière cette future constitution, il y a aussi l’idée de mettre un terme à cette constitution de 1980, écrite sous la dictature militaire d’Augusto Pinochet.
« C’est réellement essayer de tourner la page. Paradoxalement, la Constitution se vend au Chili dans les différents kiosques à journaux. Les gens sont très informés sur la Constitution. Et paradoxalement, c’est une Constitution qui est complètement cadenassée quant à la possibilité la modifier. Ce processus de changement de Constitution ne date pas seulement de ces dernières années. Déjà en 2013, lors son second mandat, la présidente Michelle Bachelet avait initié tout un processus pour essayer de modifier les grandes lignes de cette Constitution. Donc c’est un thème qui est assez récurrent. Il fallait sûrement tout ce soulèvement social qui n’a pas été très facile. Il a été évidemment entouré de beaucoup de violences de la part des forces de l’ordre chiliennes, et freiné ensuite par la situation sanitaire de la pandémie. Donc c’est un processus qui a été très long à mettre en place. »
Cette constitution de 1980 consacrait totalement la vision néolibérale de l’économie et une approche conservatrice de la société.
« Tout à fait. La mise en place de cette Constitution a été largement appuyée par ce qu’on appelait à cette époque les Chicago boys. Ce sont toutes ces politiques néolibérales qui se sont traduites dans cette Constitution qui était assez unique pour l’époque et qui a été après très célébrée par Margaret Thatcher entre autres. Basiquement, elle prévoit un démantèlement du service public et une privatisation de tous les services et les biens communs d’une société et d’un peuple. »
Cette future nouvelle constitution est souhaitée par près de 8 Chiliens sur 10. Et elle devrait être réellement innovante.
« Elle a deux aspects très innovants. D’une part, la parité de ses constituants, une parité vraiment effective. C’était un désir de la population et de la société civile à vraiment intégrer un processus qui soit avec une parité exemplaire. C’est quelque chose à remarquer. Et d’autre part, le fait d’avoir une proportion de représentants issus des peuples autochtones chiliens à l’écriture de cette Constitution. C’est assez remarquable et presque inattendu. Parce que le Chili est l’un des très rares pays en Amérique latine, avec l’Uruguay je crois, à ne pas avoir de reconnaissance de ces peuples autochtones au sein de la Constitution. Donc ces deux aspects donnent un espace, non seulement innovant, mais aussi, souhaitons-le, porteur pour cette future Constitution qui se veut, si possible, multiculturelle et très ouverte sur la réalité du Chili actuel. »
En dehors de cette constituante, le scrutin de ce week-end va aussi être l’occasion pour les Chiliens d’élire pour la première fois des gouverneurs de région. Et parmi les candidats, figure Rodrigo Mundaca, prix Danielle-Mitterrand 2019, dont l’un des grands combats est la question cruciale de l’accès à l’eau.
« Rodrigo Mundaca, depuis plusieurs années maintenant, est devenu une figure presque incontournable de la société civile au Chili et des différents mouvements sociaux. On le connaît à travers le mouvement qui s’appelle Modatima (Mouvement pour la défense de l’accès à l’eau, à la terre et la protection de l’environnement), qui lutte pour l’accès et le droit à l’eau au Chili entre autres. Lui-même viens d’une ville qui s’appelle Petorca, à qui est au nord de Santiago, et qui est un peu le symbole du vol par l’agro-industrie de l’avocat au Chili. C’est une zone qui vit en stress hydrique. Le Chili, depuis une dizaine d’années, vit une méga sécheresse. Donc dans des conditions déjà très compliquées de stress hydrique, cette méga industrie de l’avocat vient renforcer ce modèle qui est complètement à l’encontre des droits fondamentaux humains et de l’accès à l’eau. Rodrigo Munda, dans toute cette lutte, a préféré, non pas être dans la candidat en tant que représentant de la Constituante, mais plutôt en tant que gouverneur. Il faut savoir que ce rôle de gouverneur est une première au Chili. C’est un rôle politique qui ressemble à ce qu’on peut connaître en France comme les présidents de région. Et il devrait permettre, s’il est élu, de pouvoir insuffler un programme très innovant et très local pour faire avancer tout ce qui peut être en lien à l’environnement, au droit à l’eau, mais aussi à une participation démocratique intéressante à suivre. »
Pour aller plus loin :
Rodrigo Mundaca, prix Danielle Miterrand 2019, prône un autre rapport à la nature
35 ans de combat pour un monde plus juste et plus solidaire, 35 ans d’action pour que soient reconnus les droits de tous les peuples…
Aujourd’hui, la Fondation Danielle Mitterrand poursuit le chemin tracé par sa fondatrice et l’adapte à un monde toujours perturbé, plus chahuté.
Danielle Mitterrand a toujours eu le souci de donner la voix aux sans-parole, aux sans-papiers, aux sans-terre. Le droit de tous les peuples était au centre de toutes ses préoccupations. Aujourd’hui, est-ce que la Fondation revendique encore cette priorité ? Est-ce toujours le cas, voire encore plus ?
« C’est toujours central. Le droit des peuples, c’est ce qui nous a fait démarrer en tant que Fondation. Donner la voix aux sans voix, cela tenait beaucoup à cœur Danielle Mitterrand. On continue aujourd’hui en mettant en lumière les actions qui sont portées directement par les peuples. A l’époque, on défendait beaucoup les Sahraouis, les Tibétains et les peuples autochtones dans leur recherche d’autodétermination et de respect de leurs droits. Aujourd’hui, c’est toujours d’actualité. Il y a des soulèvements populaires un peu partout, au Liban, au Chili ou ailleurs, où le peuple se réveille, exige le respect de ses droits, exige de pouvoir retrouver son pouvoir. C’est pour cela que l’on a développé tout un programme autour des questions de démocratie, et notamment de démocratie radicale qui essaie de dépasser les régimes représentatifs, pour retrouver l’essence du mot démocratie : le pouvoir au peuple, par le peuple, pour le peuple. »
Droits des peuples, biopiraterie, droit à l’eau, citoyenneté, sont l’ADN de la Fondation. 35 ans après, quels sont les positionnements majeurs de la Fondation ?
« Globalement, cela reste le même ADN, la défense des droits humains et des biens communs du vivant. C’est cet entrelacement entre les droits de l’homme et de l’environnement : comment les deux s’interconnectent et comment une Terre viable au niveau écologique permet et facilite la réalisation des droits humains et leur plein épanouissement ? Vu l’urgence actuelle et les enjeux majeurs aujourd’hui, quand on voit les soulèvements populaires et ce qu’il y a derrière comme critique des pouvoirs établis, du capitalisme et des ravages en cours, on est obligé d’acter des positionnements encore plus forts pour remettre au centre un certain nombre de choses. »
La Fondation a donc désormais deux axes de travail, « Vivant et commun » et « Alternative démocratique et commun », avec l’idée derrière de faire émerger un autre rapport au vivant.
« On le voit aujourd’hui, le néolibéralisme productiviste entraîne des ravages majeurs, l’extinction de la biodiversité, le réchauffement climatique… Cela pose la question de comment on doit habiter cette Terre, et de quel rapport on a avec les non-humains, avec les écosystèmes. Il faut essayer de redonner toute sa place au vivant. Cela a toujours été très central pour la Fondation, mais on le réaffirme encore plus. On essaie d’adopter une démarche plus systémique qu’avant où on avait une porte d’entrée par l’eau, une porte d’entrée par l’extractivisme, une porte d’entrée par la biopiraterie. Là, l’idée est de travailler tous ces enjeux en même temps. Derrière, c’est un seul et même système qui est en cause : un vivant qui est là, à la disposition des humains, à exploiter, à aménager. L’autre affirmation, c’est d’essayer de reposer ces questions de démocratie en actes, de démocratie radicale. On le lie à cette question de l’autonomie, de l’autodétermination. La question des communs est une piste intéressante pour essayer de repenser à la fois le rapport au vivant, le rapport à l’autre, la manière de faire société. C’est une alternative au capitalisme néolibéral et au dépassement de notion de propriété privée. »
Il y a donc une nécessité de s’adapter aux défis de plus en plus nombreux ?
« C’est une bonne question. Une des premières piste a été d’acter le caractère systémique de tous les ravages contre lesquels on essaie de lutter. On estime que cela va permettre d’arrêter de raisonner en silo, qui est le problème aujourd’hui, où l’on ne raisonne que sur le climat, que sur la biodiversité que sur l’eau. On a aussi acté que, face à l’urgence, il fallait arrêter de croire à la transition, une notion qui induirait que l’on va y aller petit à petit. Il faut opérer plutôt un rupture franche. C’est pour cela que l’on parle de concept de métamorphose et de rupture. Comme disait Einstein, on ne résout pas un problème avec les modes de pensée qui l’on engendré. Ce n’est pas en essayant de faire des petites améliorations par-ci par-là que l’on va arriver à trancher le problème. »
« Face aux enjeux, on est obligés de multiplier les fronts de résistance, d’entremêler les stratégie et de soutenir tous les acteurs qui essaient de se soulever, que ce soit par des actions classiques de plaidoyers, que par des occupations de territoires, des réappropriations de lieux. L’urgence est de montrer qu’il y a des alternatives qui se construisent et qui sont très importantes. Il faut essayer d’ouvrir les imaginaires et se dire qu’un autre monde est possible. On en revient à ce que Danielle Mitterrand a toujours dit. C’est pour cela qu’elle était très proche du mouvement altermondialiste. Un autre monde est possible, il est déjà en construction. »
Est-ce à dire que, malgré la force du message de Danielle Mitterrand, ses alertes n’ont pas encore pleinement portés leurs fruits?
« Aujourd’hui, c’est difficile de ne pas être au courant de la situation. La logique du court terme prime. Pour beaucoup, toutes les catastrophes à venir du changement climatique, c’est encore assez loin. C’est pour cela qu’on a décidé d’arrêter le plaidoyer et le fait d’attendre des Etats. On fait le choix plutôt de soutenir ceux qui sont sur le terrain, ceux qui sont déjà en train de métamorphoser, ceux qui vont racheter des forêts pour les gérer en commun, ceux qui vont monter un réseau d’entraide en lien avec le Covid, ceux qui vont récupérer des fruits et légumes pour en faire des repas. Des choses très diverses et variées, qui peuvent paraître anecdotiques, mais qui fleurissent un peu partout et qui sont assez profondes dans la rupture qu’elles opèrent avec ce qu’on a l’habitude de faire. C’est cela que l’on veut les soutenir en priorité pour leur donner plus de visibilité afin d’arriver à convaincre que, in fine, il y a déjà une métamorphose en route.«
Pour aller plus loin
En mars 1986 Danielle Mitterrand se lançait dans un combat : celui pour un monde plus solidaire. Soucieuse de changer de monde, elle le voulait plus juste et respectueux du vivant.
35 ans après, c’est à une métamorphose radicale que nous invite la Fondation, qui se réinvente.
Pour concrétiser cette utopie, vous vous êtes fixés de nouveaux objectifs et des modes d’actions renouvelés. Le vivant, la citoyenneté, restent toujours présents, mais d’une autre manière.
« On travaillait beaucoup sur la question du droit à l’eau. On va continuer sur les lois mais cela va être beaucoup moins important. On est en train de se concentrer sur les questions du lien entre le droit à l’eau et le droit de l’eau. Il y a des initiatives territoriales où l’on essaie de repenser notre rapport à l’eau, pour que l’élément eau, et tout ce qui le constitue – une rivière, des fleuves – puissent avoir des droits et participer à la vie du territoire. On voit foisonner par exemple des parlements, de la Loire, de la Seine, du Rhône. On va essayer de dialoguer avec les autres espèces vivantes, pour les prendre en compte. Et cela va aussi agir sur le changement climatique, sur l’effondrement de la biodiversité, puisque l’on va repenser notre façon d’envisager le monde. C’est le champ d’un autre rapport aux vivants. C’est notre programme Vivant et communs. »
Votre second programme s’intitule Alternatives démocratiques et communs.
« Là, on va s’intéresser aux droits humains en allant plus loin, en se posant la question de, comment faire société sans remettre des rapports de domination. Avec l’État-nation, vous déléguez votre pouvoir à l’Etat une fois tous les 5 ans. Et finalement votre pouvoir vous est ôté. Vous pouvez avoir l’Etat qui rajoute de la domination sur les êtres. Donc, on regarde comment on peut s’extirper de ces modèles qui entraînent la domination des puissants. On s’intéresse beaucoup notamment aux mouvements des communs, au communalisme, à l’autogestion, à ce qui se passe dans les Zad, à ce qui se passe au nord-est de la Syrie. Cela va nous permettre de repenser et d’agir tous ensemble sans rapport de domination. Et il y a aussi la question de l’égalité homme-femme. Ce sont deux grandes entrées. Mais on travaille toujours sur la question de l’eau et des peuples autochtones ou sur le Kurdistan, mais par ces deux entrées. »
2021 n’est pas qu’une année de célébration. C’est aussi la poursuite des actions et le démarrage de nouvelles campagnes. Quels sont les grands rendez-vous de l’année qui vient ?
« On a beaucoup d’événements. Sur la fin de l’année on a deux temps. Un premier qui est ouvert à la société civile : les rencontres “Sans transition, donnons vie aux utopies”. On va essayer de réunir 250 personnes issues de la société civile, des artistes, des universitaires, des représentants du mouvement associatif, des politiques, pour s’interroger sur la situation d’aujourd’hui. Quand on regarde notre système actuel, les accords de Paris, s’ils sont suivis, on arrive à 3,2 degrés de réchauffement climatique à la fin du siècle. Cela nous amène dans une impasse. Aujourd’hui notre système, tel qu’il est, nous amène dans une impasse. L’idée de transition écologique telle qu’elle est pensée par les gouvernants et la plupart de nos structures nous amène dans une impasse. Donc, plutôt que de rester dans un constat et dans la dénonciation, on va essayer de réfléchir ensemble à comment on peut opérer une rupture historique avec ce système mortifère. L’agriculture intensive détruit des sols, elle détruit la vie. L’extractivisme, l’industrie pétrolière, c’est la même chose. Nous aurons deux jours de rencontres pour discuter de cela, pour avoir des temps de réflexion sur la métamorphose. Comment on peut entrer en métamorphose et essayer d’envisager d’autres pratiques, d’autres imaginaires? Ce sera notre gros événement à Paris. Les dates ne sont pas encore fixées. »
« Le deuxième événement sera une cérémonie hommage à Danielle Mitterrand, le 27 novembre à Cluny. Lors de cette cérémonie, on va donner la parole à celles et ceux que Danielle a soutenue et à ceux qui nous ont soutenus. Ce ne sera pas qu’un hommage. Il y a la volonté de rappeler ces valeurs fondamentales qu’avait Danielle Mitterrand, celle de la Résistance. Elle a été résistante et elle a résisté toute sa vie aux injustices. Là, il faut résister. On ne peut plus juste s’indigner dans notre canapé. Il faut s’engager. Pour les deux événements, il y aura deux livres. Un premier sur le fond et sur les nouveaux positionnement de la Fondation. Le deuxième livre est un livre hommage à Danielle Mitterrand qui recueillera des témoignages de personnalités qui ont connu Danielle, pour remettre les actions transformatrices de Danielle Mitterrand au centre. Elle a été avant tout une militante et une figure de l’altermondialisme. »
Un rendez-vous incontournable comme chaque année, c’est le prix Danielle Mitterrand. Le prix 2021 aura une saveur particulière ?
« Ce prix sera remis lors de ces deux jours de rencontres. Comme ce sont aussi les 35 ans de la Fondation et les 10 ans de disparition de Danielle Mitterrand, on va essayer de donner une dimension à la fois historique et qui nous prolonge vers l’avenir. Ce prix sera donné à un collectif qui ne porte pas seulement une initiative, mais vraiment un collectif qui aura eu dans son histoire et dans son appréhension du monde, une symbolique très forte sur cette question de cette résistance et de transformation. La cérémonie en elle-même sera un peu plus importante que d’habitude. Elle aura une dimension festive plus importante que d’autres fois. Vu ce qu’on vit actuellement, il est important de célébrer, de prendre des temps ensemble pour être joyeux, et se rappeler le bonheur d’échanger les uns avec les autres. »
La Fondation France Libertés-Danielle Mitterrand est redevenue cette année la Fondation Danielle Mitterrand. Pourquoi ce choix ? En quoi c’est important et qu’est-ce que cela change ?
« Danielle Mitterrand a créé sa structure en la nommant France Libertés. Elle ne voulait pas qu’elle ne porte que son nom. On est très attachés à ce nom de France Libertés. Mais on a voulu remettre la personnalité de Danielle Mitterrand au centre, parce qu’il nous semble fondamental que ses valeurs soient plus reconnues et puissent nous guider. On a besoin d’éclaireurs. On va remettre Danielle Mitterrand au centre. Et la notion de fondation est importante. France Libertés pouvait faire penser à une ONG. Nous sommes une fondation politique, au sens noble du terme, pas liée à un parti. Nous sommes une fondation qui a pour objectif de travailler sur les idées, d’agiter les idées et de soutenir celles et ceux qui transforment notre société ici et ailleurs. Dans notre logo, qui est un petit peu retravaillé, France Libertés apparaît toujours, parce que c’est notre histoire. »
Pour aller plus loin :
Il y a 35 ans, Danielle Mitterrand s’engageait dans un combat : le combat contre toutes les souffrances des hommes. Avec sa Fondation, elle aspirait à une utopie : organiser une alternative à un monde plus juste et plus humaniste.
35 ans après, la Fondation continue de s’inscrire dans les pas de sa fondatrice et appelle à une métamorphose radicale de la société.
Au mois de janvier, l’éditorial de Gilbert Mitterrand, le président de la Fondation, avait pour titre : « Donnons vie aux utopies pour une métamorphose radicale ». Un appel que ne renierai pas Danielle Mitterrand et qui sonne comme celui d’une urgence.
En 35 ans, le monde et la société ont changé, trop ou pas assez, c’est selon. Est-ce que les urgences de l’époque sont les mêmes aujourd’hui ? Est-ce que ce sont les mêmes combats ?
« Oui. Probablement. Sauf que les urgences sont encore plus importantes que par le passé. Dans les années 1980, on parlait d’un péril écologique et d’un péril néolibéral de la mondialisation. La grosse différence avec l’époque, c’est qu’aujourd’hui on le ressent plus fortement. Le péril est là et n’a jamais été aussi important. Dans les années 1980, on parlait d’une possibilité d’une transformation due au changement climatique. Aujourd’hui, les effets sont là. C’est notre génération et la génération de nos enfants qui sont en danger. La transformation est plus qu’urgente. Elle ne peut pas s’attaquer qu’à la superficie et au premières conséquences, mais vraiment aux causes. Dès le début, l’ambition de Danielle Mitterrand était de s’attaquer aux causes, que tout le monde ait des droits et qu’on puisse développer une justice qui permette d’éviter des inégalités qui perturbent l’équilibre de la planète. On avait déjà conscience de ça. Aujourd’hui, c’est face à nous. C’est inédit dans l’histoire de l’humanité que l’humanité elle-même puisse être en danger. Une partie de la vie sur terre est clairement en danger. Il faut développer d’autres pratiques et d’autres imaginaires. Il faut envisager d’autres façons de vivre tous ensemble, joyeuses, et qui procurent du bien-être. C’est ce moteur-là qui nous permettra de transformer nos sociétés. »
Qu’est-ce qui a changé réellement en 35 ans ? La dégradation du monde, de la société, la prise de conscience de citoyens ?
« Il y a pas mal de choses. Probablement qu’il y a une prise de conscience plus importante du péril, mais moins de pourquoi il est là. On a toujours la volonté de remplacer les voitures au pétrole par des voitures électriques, ce qui malheureusement répond à un problème mais en pose un autre. Ce qui a pu changer c’est que, notamment dans la société civile, on est sorti des grandes organisations, les grands syndicats, les grandes ONG, qui jouaient un rôle et que les états ont essayer de démanteler. Elles ont eu du mal à se pérenniser parce qu’elle se sont probablement coupées de la base. Ces organisations s’écroulent un peu et les syndicats sont de moins en moins attirants. Mais derrière, on a des citoyens qui disent, on va changer les choses. On ne va plus demander, mais on va réquisitionner le pouvoir et ne plus le déléguer. On a partout un foisonnement de collectifs qui ont envie de transformer les choses. Avant, on était sur une approche internationale. Dans les années 1980, 1990, on rêvait d’un changement par des gouvernements internationaux. Aujourd’hui, on en est un peu revenu. On a une relocalisation des luttes qui peut poser problème, parce qu’on ne peut pas penser les choses qu’à partir du territoire. Mais il faut les penser à partir du territoire en les liant aux autres territoires. La dernière chose qui a changé, c’est de ne plus voir l’être humain comme le maître du monde. On a toute une philosophie, issue notamment des peuples autochtone, où on ne veut plus transformer le monde pour le dominer, mais le transformer par des alliances, en vivant en harmonie avec les autres êtres vivants. Donc ce sont plutôt des choses positives à l’intérieur d’un péril qui, lui, grandit. »
La société change, le monde change,… la Fondation se doit donc de se réinventer ou d’adapter son action ?
« Oui. Concrètement. On a décidé quasiment de ne plus faire de plaidoyer institutionnel. Comme on a moins de moyens, on ne va plus juste demander à l’état de changer. On a décidé de soutenir celles et ceux qui, sur le terrain, agissent. Danielle faisait ça. On va les soutenir en les mettant en lumière. En les finançant ou en les liant à d’autres, on va soutenir des collectifs qui envisagent le monde autrement, qui envisagent, dans leurs pratique, de prendre en compte les êtres vivants. Ce sont des collectifs où le pouvoir, à l’intérieur, va être partagé et va tendre vers l’autonomie, mais une autonomie qui se fait toujours en interdépendance. On diminue fortement notre travail en direction des états. Et on se concentre sur la société civile, sur ces collectif. On va aussi renforcer les récits mobilisateurs. On a des initiatives qui sont extrêmement positives et qui donnent envie de se mobiliser et nous permettent de penser le monde autrement. Cela ouvre nos imaginaires et nos pratiques. On va les diffuser pour donner envie à d’autres de se mobiliser. Il s’agit de ne plus demander, mais de reprendre le pouvoir et de le redonner aux citoyennes et aux citoyens pour le partager. »
Pour aller plus loin :
Lutter contre toutes les injustices et défendre les libertés de chacun. Depuis 35 ans, la Fondation France Libertés-Danielle Mitterrand œuvre à la construction d’un monde plus solidaire. De la lutte contre l’apartheid au droit à l’eau pour tous, Danielle Mitterrand a été aux côtés des sans parole, des sans papier, des sans terre, pour refuser l’irréparable.
Avec Jacqueline Madrelle, vice-présidente de la Fondation Danielle Mitterrand.
« Une insoumise, une rebelle, qui a toujours résisté à toutes les injustices ». C’est le portrait de Danielle Mitterrand que vous nous avez dressé la semaine dernière. Elle s’est engagée dans la lutte pour le droit des peuples. C’est une constante de ses combats. On a évoqué avec vous son action aux côtés des enfants d’Afrique du Sud. Mais il y a eu aussi le Cambodge, le Tibet ou encore le peuple kurde.
« Pour le Tibet, je me rappelle que Danielle Mitterrand était venue à Bordeaux. A l’époque nous avions accueilli Gao Xingjian, un Chinois, qui n’était pas encore prix Nobel de littérature. On l’avait accueilli au Boulevard des Potes, le lieu de SOS racisme. C’est un peintre, un homme de théâtre. Il avait donné une pièce qui s’appelait « Dialoguer, interloquer ». J’avoue que cette pièce était quelque peu hermétique. Et Danielle me dit, « décidemment, je ne comprendrai jamais rien aux Chinois ». Elle a accueilli aussi souvent le Dalaï-lama, pour défendre tous ces peuples opprimés. Il y a eu aussi les Kurdes. C’est la « mère » des Kurdes. Quand il y avait eu le massacre d’Halabja (en 1988), on avait recueilli à l’époque des sommes très importantes qui étaient données par des mécènes, des grandes surfaces. On les a amené dans le bureau de Danielle au Trocadéro pour aider à la reconstruction des écoles au Kurdistan. Elle a aussi mis en lumière cette nécessaire lutte contre l’apartheid, avec les accords de Marly-le-Roi avec les responsables de l’ANC. On lui doit beaucoup de choses. Il y a eu le Chiapas, le Tibet, les Kurdes et toute l’Amérique du Sud. Danielle Mitterrand est souvent plus connue à l’étranger que dans son propre pays en France. C’est le paradoxe. Et elle en jouait. »
Danielle Mitterrand disait vouloir organiser une alternative à la mondialisation capitaliste. Et elle l’a mise en pratique notamment sur sa défense du droit à l’eau pour tous. Comment ce combat est arrivé ? Pourquoi ce choix ?
« L’eau pour tous, c’est parce qu’elle participait à beaucoup de forum mondiaux dans lesquels on dénonçait que l’eau ne devait pas être une marchandise. Comme elle a toujours dénoncé les ravages de la dictature économique et financière, l’eau en fait partie. C’est la première, à l’époque, qui a dénoncé avant tout le monde qu’il y avait une contradiction entre le statut économique de l’eau et son statut naturel. A partir de cette contradiction, elle a dit que l’eau ne pouvait pas être considérée comme une marchandise et devait échapper à tout statut économique. L’eau est comme l’air qu’on respire. Elle doit échapper à cette marchandise. D’où après l’élaboration de la charte des porteurs d’eau. La Fondation avait un statut consultatif au sein de l’ONU. Et elle a beaucoup bataillé pour qu’il y ait cette reconnaissance du droit à l’eau potable pour tous les peuples. C’est la Bolivie je crois qui, la première en 2010, a fait passer cette déclaration à l’ONU pour cette reconnaissance du droit à l’eau potable. Elle n’est pas encore acquise puisque la France ne l’a même pas mise dans sa Constitution. Il y a encore beaucoup de travail à faire. La Fondation s’est aussi beaucoup engagée, avec Emmanuel Poilane, sur la dénonciation des coupures d’eau avec l’application de la loi Brottes. Il y a beaucoup de choses de faites dans le domaine de l’eau. On le doit d’abord à l’engagement de sa présidente. Elle était venue à Bordeaux pour lancer ce mouvement des porteurs d’eau avec des sportifs de haut niveau. Et à chaque fois sa venue donnait lieu à des moments de grande complicité. Elle était très appréciée et très reconnue par les jeunes notamment. »
La biopiraterie, la citoyenneté, le droit des peuples, l’accès à l’eau. Il y a bien un lien entre toutes ces causes, un point commun ?
« Le lien, c’est la révolte contre toutes les injustices, contre toutes les oppressions. Son souhait était de faire respecter les droits de la nature. Nous humains, on fait partie de cette nature. Donc si on détruit cette nature, on se détruit nous-mêmes. C’est le droit à la vie. Elle était toujours animée d’un bon sens extraordinaire, qui manque à bon nombre de politique, un bon sens qui la guidait dans sa vie pour faire respecter la dignité humaine et le droit à la vie. L’eau c’est la vie. Lutter contre les oppressions, c’est lutter pour qu’on ait chacun une vie digne. C’est le droit à la vie, le droit à l’éducation, le droit à la santé, le droit à la culture. Tout ce qui l’a guidée toute sa vie, c’est le respect de la dignité humaine. Donner à chacun d’entre nous une vie digne. »
Agir, plaider, sensibiliser, ce sont les trois volets de l’action de la Fondation, trois volets voulus par Danielle Mitterrand. Pourquoi sont-ils si importants ?
« 35 ans d’utopie, et 35 ans on le souhaite encore d’utopie. Elle disait que chaque citoyen a le droit d’agir. Si chacun fait sa part, on peut changer le monde. Elle n’aimait pas d’ailleurs cette expression, « on va changer le monde ». On peut changer de monde. Pour les 25 ans de la Fondation, le slogan était juste un monde plus juste. Plaidoyer, c’est l’action de faire connaitre. Et il faut sensibiliser la plus grande partie des citoyens à cette possibilité de changer de monde. C’est très important. »
Changer de monde est un slogan qui résonne beaucoup en ce moment. Quelle voix la Fondation peut encore avoir aujourd’hui ? Comment le message de Danielle Mitterrand peut perdurer, peut se prolonger dans cette période perturbée et alors qu’on nous promet un « monde d’après » différent ?
« C’est d’abord changer de cette logique financière, de cette loi du marché, de cette loi du profit, qui va à l’encontre de la dignité humaine. Il faut montrer que les forces de l’argent, les forces des multinationales, nient tout ce qui est humain. Donc revenir à un monde respectueux de la nature, respectueux de l’humain. La Fondation s’engage dans ce plaidoyer pour la défense du vivant, pour la défense de toutes ces initiatives citoyennes à travers le monde. Elles montrent qu’on peut vivre autrement. Ce monde d’après, il ne faut pas qu’il soit pire que celui d’avant. La Fondation va dans ce sens-là, de respect de la nature, de respect de l’environnement. Il faut absolument changer de logiciel. Et la Fondation est le lieu par excellence pour avancer sur ce terrain-là. »
Pour aller plus loin :
Défendre les droits humains et les biens communs du vivant, construire un monde plus solidaire, ce sont les missions dévolues à la Fondation France Libertés il y a 35 ans par sa créatrice Danielle Mitterrand.
En mars 1986, Danielle Mitterrand s’est lancé dans le combat contre toutes les souffrances des hommes pour construire un monde plus solidaire.
Avec cette Fondation, Danielle Mitterrand disait vouloir être le maillon d’une alternative à la mondialisation capitaliste et à l’injustice. Qu’est-ce qui a motivé, il y a 35 ans, la création de cette Fondation ?
« La création de cette Fondation est d’abord dû à la personnalité de Danielle Mitterrand qui a tout le temps été une insoumise, une rebelle, qui a toujours résisté à toutes les injustices, quelles qu’elles soient. Souvent elle disait, mais quel mobile nous pense à défendre des causes indéfendables, qui semblent perdues ? Elle disait, sans doute, c’est le refus de l’irréparable. Toute la motivation de la création de la Fondation se trouve dans le refus de l’irréparable. Elle ne pouvait pas supporter de voir des injustices et que ces injustices perdurent. Toute sa vie, elle n’a été qu’engagement et résistance. C’était un mode de vie pour elle. Il ne faut pas oublier qu’à 17 ans elle a obtenu la médaille de la Résistance. Je pense que c’est ce qui a forgé sa raison de vivre, sa façon de résister à toutes les injustices quelles qu’elles soient. Elle a toujours défendu tous ceux qui étaient sans, les sans-parole, les sans-papiers, les sans-terre. Elle a toujours été du côté des opprimés et des plus faibles. Elle ne supportait pas l’injustice. Elle n’aimait quand on disait d’elle, c’est une femme engagée. Non. Elle était engagement. C’était une philosophie de vie. »
La Fondation est née de la fusion de trois associations humanitaires, « L’association du 21 juin », « Cause commune » et « La France est avec vous ». Et le choix s’est vite porté sur le nom de France Libertés.
« C’est un beau label, c’est un beau nom France Libertés. Et libertés avec un S. Pour elle, la liberté n’était pas un concept. C’était défendre les libertés, tout ce qui fait la vie, les libertés dans notre vie. C’est ce qui était important pour elle. Ce n’était pas la liberté comme un concept philosophique. Il faut se rappeler le logo de la Fondation : le mélange du chêne, la force du chêne et la paix représentée par l’olivier. »
Comment elle s’adaptait entre son statut de femme du président et sa volonté, sa nécessité de s’engager, de porter des combats ?
« Il y a eu des situations sans doute très délicates. Lors de petits déjeuners dans la rue de Bièvre, il y avait des discussions fort animées. C’était très compliqué. Elle a dû donner des sueurs froides au ministre des Affaires étrangères qui était Roland Dumas à l’époque. Je pense que c’était une forme de contre-pouvoir. Et François Mitterrand devait apprécier cette situation. Il disait que tout pouvoir devait susciter son contre-pouvoir. Avec sa Fondation, elle exerçait une sorte de contre-pouvoir. Elle faisait ouvrir les yeux à certains. Elle allait voir les vrais gens. Elle racontait comment parfois elle s’est un petit peu ennuyée quand elle devait tenir la conversation avec des femmes de présidents dans la diplomatie officielle. Elle préférait aller voir sur le terrain, déjouer les programmes qui étaient faits d’avance pour aller voir la réalité des choses. C’est à partir de cette réalité-là qu’elle pouvait aller dénoncer toutes les injustices. Je pense qu’elle a su utiliser cette position de « première dame », nom qu’elle n’aimait pas à juste titre, pour être active sur un autre terrain. »
Comment ses sont passés les premiers temps de la Fondation ?
« La Fondation au début était au Trocadéro avec la vue sur l’esplanade qui s’appelle maintenant l’esplanade des Droits de l’Homme. Chaque fois qu’on allait dans les locaux de la Fondation, il y avait une ambiance très enthousiaste. On savait qu’on allait rencontrer là des écrivains, des artistes de la planète toute entière. Je me souviens qu’il y avait Breyten Breytenbach qui luttait pour les droits de l’Afrique du Sud avec l’ANC. C’était toujours très joyeux, très enthousiaste. On savait qu’on allait pouvoir dialoguer. Cela foisonnait d’idée. C’était plein de jeunes qui entouraient Danielle. Elle s’est beaucoup entourée de la jeunesse. On pensait pouvoir réaliser plein de choses. Ces rencontres avec toutes les nationalités, c’était extraordinaire. »
Vous étiez au démarrage de la Fondation. Vous étiez en Gironde, avec des comités relais. Comment ça fonctionnait ?
« Ce n’était pas hiérarchisé comme une association. C’était des comités qui n’existaient que par le projet qu’ils portaient. Les comités avaient le choix, soit de relayer les actions de la Fondation, soit de travailler sur des actions initiées par les associations locales. Il y avait des comités dans chaque département. A l’époque, cela soulevait un enthousiasme considérable. »
Et c’est en Gironde que vous avez été amenée à accueillir des enfants sud-africains victimes de l’apartheid. Une belle aventure humaine.
« Moi j’ai des souvenirs extraordinaires avec le comité relais. Notamment quand Danielle Mitterrand nous avait demandé d’accueillir ces enfants d’Afrique du Sud, juste avant la libération de Nelson Mandela, cela devait être à l’été 1989. On ne savait pas forcément tout de ces enfants qui était accompagnés par des adultes qui étaient membres de l’ANC. C’était une aventure humaine dont on se souvient encore avec beaucoup d’émotion. Cela avait suscité un grand élan de solidarité de plein de corps de métiers, notamment de l’Education nationale, de la médecine. Ces enfants étaient souvent victimes de crises de paludisme. C’était des enfants de 10 ans à 18 ans. A l’époque il y avait en France un racisme sous-jacent. Ces enfants devaient être accueillis dans des familles le week-end. Peu de maires ont acceptés de les accueillis dans un collège. A l’époque, le collège d’Hourtin dans le Médoc, dans le nord de la Gironde, a accepté d’accueillir ces enfants. Et le week-end ils partaient dans des familles. Je me rappelle d’être allé chercher ces enfants à la Fondation, d’avoir pris le train avec eux. Et ces enfants ne voulaient pas s’asseoir à côté des blancs dans le train, parce qu’ils avaient l’apartheid dans leur chair. Pour eux, marcher à côté d’un blanc, c’était du domaine de l’interdit. Au fur et à mesure, on a appris à se connaître. Il se sont familiarisés avec la proximité des blancs. C’était une aventure humaine très intéressante. »
Et ce chemin plein d’humanité avec ces enfants s’est achevé sur un grand spectacle.
« Ces enfants étaient dans une école de danse. La veille de leur départ, ils ont donné un grand spectacle à Hourtin, en présence de Julien Clerc qui était venu pour soutenir la lutte antiraciste. Il faut se replacer dans le contexte des années 1989. Les Touré Kunda ont chanté sur scène avec les enfants et les enfants ont donné un spectacle inoubliable en présence de Danielle. La Fondation pour moi c’est une grande famille. Ca toujours été quelque chose de très joyeux, plein d’humanité. Danielle donnait cette énergie-là. »
Et à travers cet accueil des enfants sud-africains, c’est le droit des peuples qui était mis en avant par Danielle Mitterrand.. Une constante de l’action de la Fondation, aux côtés également du droit à l’eau ou de la citoyenneté. Une révolte contre toute les injustices que nous continuerons d’évoquer la semaine prochaine.
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