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Morné du Plessis: «Mandela disait qu’il y a peu de choses capables d’unir les gens comme le sport»


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Il y a 30 ans, un événement sportif marquait l’Histoire de l’Afrique du Sud : le 24 juin 1995, l’équipe nationale des Springboks remportait la Coupe du monde de rugby face aux All Blacks néo-zélandais. Un événement devenu politique, alors que Nelson Mandela avait décidé d’embrasser le maillot vert et or, jusque-là symbole de la culture afrikaner en raison des politiques ségrégationnistes, et de se servir du ballon ovale comme outil de réconciliation. Morné du Plessis était, à l’époque, le manager de l’équipe nationale. Et il revient sur ce grand moment au micro de notre correspondante à Johannesburg, Claire Bargelès.

RFI : Avec le recul, comment la finale de 1995 a-t-elle marqué l’Histoire sud-africaine ?

Morné du Plessis : C’était vraiment une période très spéciale. C’était probablement la première occasion pour le monde de découvrir la nouvelle Afrique du Sud. Et pour nous, c'était un moment important, car beaucoup de gens, même au sein du pays, pensaient qu’il serait impossible d’avoir un transfert pacifique du pouvoir. Au milieu de tout cela, le rugby ne joue qu’un tout petit rôle au sein de la société, mais cela restait un jeu que les gens appréciaient ici, et cela offrait un temps où le pays pouvait être uni. La nation pouvait ainsi voir qu’il était possible de vivre et de se réjouir ensemble. Donc, oui, c’était bien un moment très spécial pour nous. 

Avant la fin de l’apartheid, vous avez été joueur et même capitaine des Springboks, à une époque où l’équipe nationale était perçue comme un symbole de la ségrégation dans le pays, et cible de boycott à l’international : pourquoi avoir malgré tout accepté ce poste 

J’ai, en effet, joué jusqu’aux années 1980, c’était en plein pendant la période de l’apartheid, et on ne jouait que pour une petite partie spécifique de la population. Mais, vous savez, nous étions jeunes, devenir un Springbok était très important, c’était le rêve de chaque petit garçon. Plus tard, j’ai eu la chance et l’honneur d’avoir pu faire partie d’un projet tourné vers la nation tout entière. Pour moi, qui venait de ce milieu lié à l’apartheid, c’était un privilège très particulier de pouvoir être témoin et participer à écrire une petite page de l’Histoire de la nouvelle Afrique du Sud. 

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Vous êtes ensuite, en effet, devenu manager de l’équipe. Quels étaient les signes que cette Coupe du monde était-elle différente des autres, et comment avez-vous compris que cela dépassait largement le cadre sportif 

Je pense qu’on a réalisé tout ça très tôt, et cela faisait partie d’une stratégie qu’on avait pour l’équipe, qui était prête à l’accepter. Il y avait des petites choses comme apprendre à chanter l’hymne national, car personne parmi nous, les Blancs, ne connaissions pour l’instant ce chant « Nkosi Sikelel' ». Il y avait aussi notre devise : « Une équipe, un pays ». Et puis, petit à petit, au fur et à mesure de la compétition, vous pouviez voir, dans les rues, dans les hôtels, la réaction des gens normaux, qui a eu un impact positif sur l’équipe. Ça a grossi, grossi, grossi, jusqu’à arriver à la finale, bien sûr, et nous savons comment ça s’est terminé. Vous savez, si on n’avait pas remporté la finale, oui, cela aurait malgré tout été un succès, on aurait pu se réjouir d'avoir réussi à accueillir une Coupe du monde, mais on dit que l’histoire est écrite par les vainqueurs. Et donc la victoire a rendu tout cela réel, vraiment très réel. 

Quels sont vos souvenirs des interactions entre Mandela et les joueurs 

Lorsqu’il est arrivé par hélicoptère à notre entraînement avant notre premier match contre l’Australie, moi-même ainsi que l’équipe de direction, forcément, nous avions été informés, mais les joueurs, eux, étaient toujours sur le terrain. L’hélicoptère s’est posé à la base militaire où nous nous entraînions. Le président est sorti, et évidemment, c'était une énorme surprise pour l’équipe. Il s’est mis à marcher sur le terrain pour aller rencontrer tous les joueurs, et l’un d’entre eux, Hennie Le Roux, avait une casquette des Springboks, et il lui a donné. Le président Mandela l’a mise, avec un immense sourire. Et je pense que ce moment a, en quelque chose, permis de briser la glace dans cette relation. 

Le symbole de 1995 a éclipsé le fait que les populations noires et métisses en Afrique du Sud n’ont pas attendu la fin de l’apartheid pour jouer au rugby, c’est une idée fausse toujours ancrée dans les esprits 

Tout à fait, c’est une erreur, et le rugby, dans différentes régions du pays, était très populaire au sein des communautés noires et « coloured », comme elles étaient appelées. Je pense que ce mythe est surtout dû au fait que ces populations n'étaient pas des supporters des Springboks. Mais ça ne veut pas dire qu’elles ne jouaient pas au rugby. Elles étaient très actives, mais exclues, à l’époque, à cause de l’instauration regrettable de l’apartheid. J’ai joué pour l’équipe locale de la Western Province, qui est basée dans la région du Cap, et à l’époque, lorsque les Springboks jouaient contre une équipe étrangère, comme les All Blacks ou les Lions, une partie de la population soutenait cette équipe étrangère. Mais lorsqu’on jouait pour la Western Province, tout le monde était derrière nous. C’était compréhensible : si, vous et moi, avions été frappés par les lois de l’apartheid, je suis sûr qu’on aurait eu la même réaction. 

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Même pour cette première Coupe du monde post-apartheid, il y avait très peu de diversité au sein des Springboks : Chester Williams était, en fait, le seul joueur de couleur à en faire partie. Aujourd’hui, Siya Kolisi mène l’équipe nationale en tant que premier capitaine noir de l’histoire. Est-ce à dire que la question raciale ne se pose plus 

En tout cas, pour moi et les personnes que je connais, il n’y a plus besoin de compter. Ce sont les meilleurs joueurs qui sont sélectionnés et vous pouvez observer la diversité par vous-même. Je n’ai plus besoin, moi ou quiconque, de l’expliquer au reste du monde. 

Depuis, les Springboks sont les seuls à avoir décroché quatre titres mondiaux, avec les victoires de 1995, 2007, 2019 et 2023. Diriez-vous que le rugby, encore aujourd’hui, c’est quelque chose qui continue d’unir la nation sud-africaine 

Oh oui, absolument. Comme le président Mandela le disait : il y a peu de choses capables d'unir les gens comme le fait le sport. Cela ne va pas résoudre tous nos problèmes et tous nos défis, mais, pour un instant, cela nous rassemble et ça, ça ne peut qu’être une bonne chose, mais si ce n’est que pour un court moment. 

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