Ca sent la fin de règne. Elle a toujours la même odeur : celle du scandale de trop, de la finasserie de trop, de la préférence de soi affolée et méchante à l’oubli de soi en un sursaut d’honneur, par respect de la nation. Un Brutus qui enrage de ne pas avoir la place et veut le trône vient alors frapper avec sa dague. Beniamin Netanyahou, à son tour, subit la règle. Sauf circonstances exceptionnelles - par exemple une troisième intifada en Cisjordanie couplée à une offensive du Hamas à Gaza - il a peu de chance, malgré son talent, de survivre au coup que lui a porté Avigdor Lieberman, patron d’une petite formation politique en difficulté. L’homme qui jadis lui repassait ses chemises vient de lui tailler un costume funèbre en empêchant le Premier ministre israélien de former un gouvernement de coalition après sa victoire électorale en avril dernier. Quoi que l’on pense de Lieberman, la gauche travailliste étant totalement défaite en Israël, l’Histoire devait trouver quelqu’un pour assumer la tache. Car la démocratie israélienne, dans un Etat sans constitution, est au cœur de l’enjeu.
Netanyahou, on l’a assez répété, est un leader incontestable à la tête du Bibistan, mais sans scrupules. Pour gouverner, il n’a donc pas eu d’états d’âme à s’allier et à faire des concessions à la chaîne aux ultra-orthodoxes. Or ce n’était pas tout à fait la tambouille ordinaire de chaque premier ministre. Ces concessions ont d’abord abouti à la loi exceptionnelle et très contestée de juillet 2018 sur l’Etat nation juif pour les juifs. Puis au recul de Bibi devant la pression des partis religieux concernant le projet de loi sur la circonscription des jeunes haredim qui refusent de faire leur service militaire. Projet préparé par Lieberman alors ministre de la défense et qui visait à établir un quota annuel de conscrits ultra-orthodoxes, assorti de sanctions financières à l’encontre de leurs yeshivot en cas d’obstruction. Le laïc Lieberman a eu cet échec en travers de la gorge. Il argue à juste titre qu’au train où va la démographie des religieux, si leurs jeunes continuent à ne pas participer à l’effort national, l’armée israélienne pourrait à terme connaître de sérieuses difficultés. Rien que pour ces cyniques reculs, et alors que les ultra-orthodoxes déjà très favorisés, en rupture avec la loi générale, multiplient les revendications sociétales et obtiennent satisfaction, Netanyahou, s’est engagé sur un mauvais chemin.
Il a aggravé son cas, sans circonstance atténuante, en s’attaquant au contre-pouvoir : la Cour Suprême qui depuis 1948 est l’honneur d’Israël, garante du droit devant les dérives, de la défense des minorités israéliennes et du respect des Droits de l’Homme. Que des vilains mots pour Netanyahou. Empêtré dans ses scandales financiers et les accusations de corruption, possiblement au bord d’être condamné par la justice à l’automne prochain et donc obligé de renoncer à la vie politique, il a cherché à contourner la Cour Suprême en lui autant la possibilité de rejeter des lois adoptées à la Knesset et les décisions gouvernementales et parlementaires qu’elle considère comme inconstitutionnelles. Imagine-t-on un chef d’Etat en France s’attaquant au Conseil constitutionnel ? La question ici n’est pas de savoir si le désormais faiseur de rois Lieberman, avec ses prévisibles sièges en augmentation lors des élections surprise de septembre prochain, vaut plus ou moins que Netanyahou. La question est qu’en voulant mettre la justice au pas pour lui échapper, et pour faire passer par la même des textes nécessaires à ses combinaisons politiques qui modifient la face d’Israël, Netanyahou a délibérément pris le risque d’engager l’Etat sioniste sur le chemin d’un état théocratique, de ceux que prétendument il combat. Ce qui, au-delà du soutien naturel à Israël, devrait imposer une réflexion sérieuse aux juifs du monde entier.