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Or
J’ai une question pour toi : as-tu déjà entendu quelqu’un se souvenir avec plaisir ou nostalgie de ses cours de langues du collège ou du lycée ? As-tu déjà entendu quelqu’un s’extasier de leur qualité, du fait qu’ils lui aient permis d’apprendre à bien parler une langue étrangère ? Non ? Eh bien moi non plus ! C’est bizarre, n’est-ce pas ? Chaque fois que quelqu’un parle de ses cours de langues de l’école, c’est pour les critiquer. Comment cela se fait-il ?
D’abord, reconnaissons que ce n’est pas facile d’apprendre (ou d’enseigner) une langue étrangère avec 3 ou 4 heures de cours par semaine, et encore moins au sein d’une classe de 25 à 40 élèves… Il est compréhensible qu’on ne devienne pas bilingue, même après 5 à 7 ans à ce régime. Cependant, ces cours ont bien un objectif. Ne devrions-nous pas être capables, en fin de lycée, de tenir une conversation simple dans les langues apprises ? Alors pourquoi n’est-ce pas le cas ?
N’essaie pas de me dire que c’est un problème français ! Je vis en Allemagne, et je ne compte plus le nombre de fois où j’ai entendu : « J’ai appris le français à l’école, j’en ai quelques souvenirs, mais je suis incapable de parler. » D’ailleurs, mon cousin allemand (eh oui, j’ai de la famille originaire d’Allemagne, même si moi, je suis française) résumait ses cours de français à des cours de grammaire française. Et inutile de préciser que de tels cours ne permettent pas de parler plus tard…
Bon, c’est peut-être un peu caricatural. Toi qui donnes des cours de langue, tu te dis que tu fais quand même aussi de la compréhension écrite et orale, et un peu d’expression. Il est vrai que l’expression orale, avec 30 élèves dans ta classe, reste malgré tout assez limitée, mais tu fais de ton mieux et il y en a ! On ne peut pas dire le contraire. L’expression écrite, ce sont souvent des devoirs et des tests, et si tu es honnête, il est clair que certain·es se donnent plus de peine que d’autres. Tout ne dépend pas non plus de toi…
Alors, qu’est-ce qui manque au Français (ou à l’Allemand) quand un étranger lui demande en anglais (ou en français) dans la rue comment se rendre à la gare ou au musée ? Est-ce que je me trompe en supposant qu’une réponse simple va te venir assez spontanément à l’esprit : du vocabulaire ?
Bien sûr, parler correctement une langue, cela demande de maîtriser la grammaire. Mais le premier élément indispensable pour être en mesure de parler (et de comprendre), ce sont les mots, c’est le vocabulaire… Quelques mots dans le désordre suffisent souvent à se faire comprendre. J’en veux pour preuve la tactique (très efficace) que certain·es ont adopté ici à Berlin pour demander leur chemin. Leur question se limite à : « où gare ? » et si elle n’est pas correcte, elle est parfaitement compréhensible.
Pour répondre en anglais à notre étranger perdu dans la rue en France, il faudrait des mots du type : « à droite », « à gauche », « tout droit », « la première rue », « prendre », « tourner », etc… Et peut-être aussi justement un peu moins de complexes au sujet de la grammaire. Peu importe que la phrase soit parfaitement juste du point de vue grammatical, du moment qu’elle est compréhensible.
Et là, tu vas très certainement me dire que ces mots ont sûrement déjà été vus à l’école pendant le cours de langue. Et tu auras parfaitement raison. Je crois que nous touchons maintenant le cœur du problème !
En effet, ils ont assurément été vus au moins une fois, lorsque l’unité « donner des directions » a été traitée. Et avec un peu de chance, il y a eu une deuxième édition l’année suivante, mais ce n’est plus du tout sûr. Et ensuite, ces mots n’ont très vraisemblablement plus jamais été utilisés. Résultat : ils ont été oubliés ! Car nous savons pertinemment que l’apprentissage (et celui du vocabulaire en est l’exemple paroxystique) repose sur les répétitions et les révisions.
Pourtant, l’apprentissage du vocabulaire, sans même parler des révisions, est souvent donné à faire seul·e à la maison… Comme tout le monde n’a pas forcément appris à apprendre, cela donne des résultats très variables selon les élèves. Tout cela ne fait qu’augmenter l’hétérogénéité de la classe. Le résultat, c’est que la grande majorité d’entre nous se retrouve incapable de parler la langue étrangère qu’elle a étudiée à l’école pendant des années.
C’est logique ! Nous avons finalement toujours fait ainsi. Nous observons que cela ne fonctionne pas, mais en l’absence de meilleure idée, nous continuons à faire ce que nous avons appris à faire par l’exemple.
Aujourd’hui, tu es toi-même professeur de langue, et tes apprenant·es sont peut-être motivé·es et capables d’apprendre seul·es à la maison. Peut-être que cela fonctionne mieux à l’âge adulte et que c’est l’opportunité pour elles et eux de combler d’anciennes lacunes accumulées à l’école par manque de motivation (et de maturité). Peut-être que cela dépend des enfants…
Mais est-ce bien vrai ? Trouvent-ils le temps d’apprendre régulièrement ? Leur rappelles-tu au moins de temps en temps de le faire ? Leur expliques-tu aussi comment s’y prendre ? Dans quelle mesure as-tu le même réflexe que tes ancien·nes professeur·es au sujet du vocabulaire ? Combien de temps consacres-tu à son apprentissage sur ton heure de cours ? Et combien d’occasions offres-tu à tes apprenant·es de réviser ?
Tu penses peut-être qu’il serait possible de faire mieux, mais tu manques d’idées concrètes et efficaces. Tu as déjà essayé différentes stratégies : cela fonctionne dans un premier temps, jamais sur la durée… Il faut avouer que les cours de didactique du lexique en FLE n’ont pas été ni très instructifs, ni très concrets sur ce sujet.
Et pense à tous ceux qui pensent avoir plus appris avec Duolingo que pendant ces longues années d’apprentissage. Comment est-ce possible ? Si tu as toi-même testé l’application, tu t’es certainement rendu compte qu’elle était très basique. Le niveau qu’elle permet d’atteindre dans une langue reste très bas. Il est donc inquiétant que ce niveau assez bas soit jugé plus haut que celui atteint pendant les cours de l’école, tu ne penses pas ?
Évidemment, en dehors de l´école, sans contrainte, il est beaucoup plus facile d’être motivé·e. En plus, l’application est toujours disponible sur le portable : c’est plus facile de s’entraîner tous les jours (une des clés de l’apprentissage : des sessions courtes mais fréquentes). On se concentre cinq minutes et hop ! On a déjà l’impression d’avoir appris quelque chose. Ces succès motivent à en faire plus. Tu ne me crois pas ? Alors va faire un tour dans les commentaires de l’article dans lequel j’explique pourquoi Duolingo ne permet de parler (et je dis bien « parler ») une langue. Tu y trouveras de fervents adeptes de l’application !
Même si je ne crois toujours pas que Duolingo permette de parler une langue (pas utilisé seul en tout cas), il est peut-être temps de tirer les leçons de son succès. Il me semble qu’il faudrait tout simplement remettre le vocabulaire au centre de l’apprentissage : c’est lui qui permet à la fois de comprendre et de s’exprimer quand on débute dans une langue. C’est grâce à sa maîtrise que nos apprenant·es connaîtront leurs premiers succès et seront motivé·es pour aller plus loin.
Qu’en penses-tu ? Combien de temps de ton cours consacres-tu à l’apprentissage du vocabulaire ? Est-ce que tu penses à faire des rappels réguliers ? As-tu des techniques efficaces pour cela ? As-tu réfléchi à des activités en adéquation avec les dernières découvertes des sciences cognitives sur le fonctionnement du cerveau et de la mémoire ?
Je suis curieuse de lire tes réponses.
L’article Pourquoi les cours de langues sont-ils si peu efficaces ? est apparu en premier sur Culture FLE.
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J’ai une question pour toi : as-tu déjà entendu quelqu’un se souvenir avec plaisir ou nostalgie de ses cours de langues du collège ou du lycée ? As-tu déjà entendu quelqu’un s’extasier de leur qualité, du fait qu’ils lui aient permis d’apprendre à bien parler une langue étrangère ? Non ? Eh bien moi non plus ! C’est bizarre, n’est-ce pas ? Chaque fois que quelqu’un parle de ses cours de langues de l’école, c’est pour les critiquer. Comment cela se fait-il ?
D’abord, reconnaissons que ce n’est pas facile d’apprendre (ou d’enseigner) une langue étrangère avec 3 ou 4 heures de cours par semaine, et encore moins au sein d’une classe de 25 à 40 élèves… Il est compréhensible qu’on ne devienne pas bilingue, même après 5 à 7 ans à ce régime. Cependant, ces cours ont bien un objectif. Ne devrions-nous pas être capables, en fin de lycée, de tenir une conversation simple dans les langues apprises ? Alors pourquoi n’est-ce pas le cas ?
N’essaie pas de me dire que c’est un problème français ! Je vis en Allemagne, et je ne compte plus le nombre de fois où j’ai entendu : « J’ai appris le français à l’école, j’en ai quelques souvenirs, mais je suis incapable de parler. » D’ailleurs, mon cousin allemand (eh oui, j’ai de la famille originaire d’Allemagne, même si moi, je suis française) résumait ses cours de français à des cours de grammaire française. Et inutile de préciser que de tels cours ne permettent pas de parler plus tard…
Bon, c’est peut-être un peu caricatural. Toi qui donnes des cours de langue, tu te dis que tu fais quand même aussi de la compréhension écrite et orale, et un peu d’expression. Il est vrai que l’expression orale, avec 30 élèves dans ta classe, reste malgré tout assez limitée, mais tu fais de ton mieux et il y en a ! On ne peut pas dire le contraire. L’expression écrite, ce sont souvent des devoirs et des tests, et si tu es honnête, il est clair que certain·es se donnent plus de peine que d’autres. Tout ne dépend pas non plus de toi…
Alors, qu’est-ce qui manque au Français (ou à l’Allemand) quand un étranger lui demande en anglais (ou en français) dans la rue comment se rendre à la gare ou au musée ? Est-ce que je me trompe en supposant qu’une réponse simple va te venir assez spontanément à l’esprit : du vocabulaire ?
Bien sûr, parler correctement une langue, cela demande de maîtriser la grammaire. Mais le premier élément indispensable pour être en mesure de parler (et de comprendre), ce sont les mots, c’est le vocabulaire… Quelques mots dans le désordre suffisent souvent à se faire comprendre. J’en veux pour preuve la tactique (très efficace) que certain·es ont adopté ici à Berlin pour demander leur chemin. Leur question se limite à : « où gare ? » et si elle n’est pas correcte, elle est parfaitement compréhensible.
Pour répondre en anglais à notre étranger perdu dans la rue en France, il faudrait des mots du type : « à droite », « à gauche », « tout droit », « la première rue », « prendre », « tourner », etc… Et peut-être aussi justement un peu moins de complexes au sujet de la grammaire. Peu importe que la phrase soit parfaitement juste du point de vue grammatical, du moment qu’elle est compréhensible.
Et là, tu vas très certainement me dire que ces mots ont sûrement déjà été vus à l’école pendant le cours de langue. Et tu auras parfaitement raison. Je crois que nous touchons maintenant le cœur du problème !
En effet, ils ont assurément été vus au moins une fois, lorsque l’unité « donner des directions » a été traitée. Et avec un peu de chance, il y a eu une deuxième édition l’année suivante, mais ce n’est plus du tout sûr. Et ensuite, ces mots n’ont très vraisemblablement plus jamais été utilisés. Résultat : ils ont été oubliés ! Car nous savons pertinemment que l’apprentissage (et celui du vocabulaire en est l’exemple paroxystique) repose sur les répétitions et les révisions.
Pourtant, l’apprentissage du vocabulaire, sans même parler des révisions, est souvent donné à faire seul·e à la maison… Comme tout le monde n’a pas forcément appris à apprendre, cela donne des résultats très variables selon les élèves. Tout cela ne fait qu’augmenter l’hétérogénéité de la classe. Le résultat, c’est que la grande majorité d’entre nous se retrouve incapable de parler la langue étrangère qu’elle a étudiée à l’école pendant des années.
C’est logique ! Nous avons finalement toujours fait ainsi. Nous observons que cela ne fonctionne pas, mais en l’absence de meilleure idée, nous continuons à faire ce que nous avons appris à faire par l’exemple.
Aujourd’hui, tu es toi-même professeur de langue, et tes apprenant·es sont peut-être motivé·es et capables d’apprendre seul·es à la maison. Peut-être que cela fonctionne mieux à l’âge adulte et que c’est l’opportunité pour elles et eux de combler d’anciennes lacunes accumulées à l’école par manque de motivation (et de maturité). Peut-être que cela dépend des enfants…
Mais est-ce bien vrai ? Trouvent-ils le temps d’apprendre régulièrement ? Leur rappelles-tu au moins de temps en temps de le faire ? Leur expliques-tu aussi comment s’y prendre ? Dans quelle mesure as-tu le même réflexe que tes ancien·nes professeur·es au sujet du vocabulaire ? Combien de temps consacres-tu à son apprentissage sur ton heure de cours ? Et combien d’occasions offres-tu à tes apprenant·es de réviser ?
Tu penses peut-être qu’il serait possible de faire mieux, mais tu manques d’idées concrètes et efficaces. Tu as déjà essayé différentes stratégies : cela fonctionne dans un premier temps, jamais sur la durée… Il faut avouer que les cours de didactique du lexique en FLE n’ont pas été ni très instructifs, ni très concrets sur ce sujet.
Et pense à tous ceux qui pensent avoir plus appris avec Duolingo que pendant ces longues années d’apprentissage. Comment est-ce possible ? Si tu as toi-même testé l’application, tu t’es certainement rendu compte qu’elle était très basique. Le niveau qu’elle permet d’atteindre dans une langue reste très bas. Il est donc inquiétant que ce niveau assez bas soit jugé plus haut que celui atteint pendant les cours de l’école, tu ne penses pas ?
Évidemment, en dehors de l´école, sans contrainte, il est beaucoup plus facile d’être motivé·e. En plus, l’application est toujours disponible sur le portable : c’est plus facile de s’entraîner tous les jours (une des clés de l’apprentissage : des sessions courtes mais fréquentes). On se concentre cinq minutes et hop ! On a déjà l’impression d’avoir appris quelque chose. Ces succès motivent à en faire plus. Tu ne me crois pas ? Alors va faire un tour dans les commentaires de l’article dans lequel j’explique pourquoi Duolingo ne permet de parler (et je dis bien « parler ») une langue. Tu y trouveras de fervents adeptes de l’application !
Même si je ne crois toujours pas que Duolingo permette de parler une langue (pas utilisé seul en tout cas), il est peut-être temps de tirer les leçons de son succès. Il me semble qu’il faudrait tout simplement remettre le vocabulaire au centre de l’apprentissage : c’est lui qui permet à la fois de comprendre et de s’exprimer quand on débute dans une langue. C’est grâce à sa maîtrise que nos apprenant·es connaîtront leurs premiers succès et seront motivé·es pour aller plus loin.
Qu’en penses-tu ? Combien de temps de ton cours consacres-tu à l’apprentissage du vocabulaire ? Est-ce que tu penses à faire des rappels réguliers ? As-tu des techniques efficaces pour cela ? As-tu réfléchi à des activités en adéquation avec les dernières découvertes des sciences cognitives sur le fonctionnement du cerveau et de la mémoire ?
Je suis curieuse de lire tes réponses.
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