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Lors des Rencontres internationales de Genève en 1961, le politologue et économiste français Bertrand de Jouvenel (1903-1987) a donné une conférence marquante intitulée Arcadie, sur le thème « Les conditions du bonheur ». D’abord engagé à gauche, Jouvenel s’intéresse ensuite aux mouvements nationalistes et au Parti populaire français dans les années 1930 avant de rompre avec eux en 1938. Pionnier de la prospective et fondateur de la revue Futuribles, il devient un théoricien libéral et un précurseur de l’écologie politique après la Seconde Guerre mondiale. Écrivain sous le pseudonyme de Guillaume Champlitte, il publie une trentaine d’ouvrages, dont Du Pouvoir, et sa vie personnelle est marquée par des relations complexes et un héritage familial influent mêlant politique et intellect.
Dans Arcadie, Jouvenel explore les conditions sociales et matérielles nécessaires au bonheur, en se concentrant sur les individus des pays économiquement avancés. Il distingue le bonheur en tant que sentiment personnel de la qualité des conditions extérieures qui le favorisent, rejetant l’idée qu’il soit entièrement autonome ou garanti par la société. Il analyse ce que les structures sociales, économiques et culturelles offrent aux individus pour vivre une vie satisfaisante.
Il commence par rappeler les progrès du XXᵉ siècle, notamment la sécurité matérielle accrue grâce aux allocations sociales, la diminution du chômage et la généralisation des congés payés. La transmission intergénérationnelle des avantages économiques illustre le dynamisme social, mais le progrès reste limité : les positions élevées demeurent rares et la mobilité ascendante des plus défavorisés est partielle. La redistribution des richesses est réelle mais souvent insuffisante pour créer un mode de vie pleinement harmonieux.
Jouvenel distingue la solidarité sociale – couverture des risques comme maladie et vieillesse – du progrès économique, qu’il considère comme inédit mais porteur d’effets secondaires négatifs. Les gains matériels ne traduisent pas toujours une amélioration réelle de la qualité de vie : pollution, destruction des espaces naturels, urbanisation chaotique ou disparition de biens gratuits affectent profondément le bien-être. Les affections et attachements humains sont essentiels : la valeur d’un bien ou d’une activité dépend de son contexte relationnel et affectif.
Il critique aussi la dissociation croissante entre travail et loisir. Si le travail devient plus productif, il perd souvent son aspect plaisant et social, provoquant une dichotomie entre acquisition de biens et satisfaction réelle. Jouvenel insiste sur la nécessité d’un travail délectable, permettant d’accomplir des activités utiles tout en étant personnellement gratifiant. Le progrès économique et technologique devrait enrichir la vie humaine, non seulement augmenter la production.
Enfin, il évoque la mobilité obligatoire dans la société industrielle et la pression pour s’adapter constamment aux exigences économiques. Cette mobilité provoque un déracinement affectif et familial, accentuant le sentiment de perte malgré l’amélioration du niveau de vie. Jouvenel met en lumière la tension entre la rapidité du changement social et l’incapacité de la société à créer un cadre stable favorisant le bonheur et le respect de l’homme.
En conclusion, sa conférence propose une réflexion nuancée : le bonheur dépend autant des conditions matérielles que de la qualité des relations humaines, des attachements affectifs et de la possibilité de donner du sens à sa vie. Il appelle à un rééquilibrage entre production, consommation et aménagement de l’existence, soulignant que le véritable progrès doit rendre la vie non seulement plus aisée, mais aussi plus harmonieuse et gratifiante.
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By David GlaserLors des Rencontres internationales de Genève en 1961, le politologue et économiste français Bertrand de Jouvenel (1903-1987) a donné une conférence marquante intitulée Arcadie, sur le thème « Les conditions du bonheur ». D’abord engagé à gauche, Jouvenel s’intéresse ensuite aux mouvements nationalistes et au Parti populaire français dans les années 1930 avant de rompre avec eux en 1938. Pionnier de la prospective et fondateur de la revue Futuribles, il devient un théoricien libéral et un précurseur de l’écologie politique après la Seconde Guerre mondiale. Écrivain sous le pseudonyme de Guillaume Champlitte, il publie une trentaine d’ouvrages, dont Du Pouvoir, et sa vie personnelle est marquée par des relations complexes et un héritage familial influent mêlant politique et intellect.
Dans Arcadie, Jouvenel explore les conditions sociales et matérielles nécessaires au bonheur, en se concentrant sur les individus des pays économiquement avancés. Il distingue le bonheur en tant que sentiment personnel de la qualité des conditions extérieures qui le favorisent, rejetant l’idée qu’il soit entièrement autonome ou garanti par la société. Il analyse ce que les structures sociales, économiques et culturelles offrent aux individus pour vivre une vie satisfaisante.
Il commence par rappeler les progrès du XXᵉ siècle, notamment la sécurité matérielle accrue grâce aux allocations sociales, la diminution du chômage et la généralisation des congés payés. La transmission intergénérationnelle des avantages économiques illustre le dynamisme social, mais le progrès reste limité : les positions élevées demeurent rares et la mobilité ascendante des plus défavorisés est partielle. La redistribution des richesses est réelle mais souvent insuffisante pour créer un mode de vie pleinement harmonieux.
Jouvenel distingue la solidarité sociale – couverture des risques comme maladie et vieillesse – du progrès économique, qu’il considère comme inédit mais porteur d’effets secondaires négatifs. Les gains matériels ne traduisent pas toujours une amélioration réelle de la qualité de vie : pollution, destruction des espaces naturels, urbanisation chaotique ou disparition de biens gratuits affectent profondément le bien-être. Les affections et attachements humains sont essentiels : la valeur d’un bien ou d’une activité dépend de son contexte relationnel et affectif.
Il critique aussi la dissociation croissante entre travail et loisir. Si le travail devient plus productif, il perd souvent son aspect plaisant et social, provoquant une dichotomie entre acquisition de biens et satisfaction réelle. Jouvenel insiste sur la nécessité d’un travail délectable, permettant d’accomplir des activités utiles tout en étant personnellement gratifiant. Le progrès économique et technologique devrait enrichir la vie humaine, non seulement augmenter la production.
Enfin, il évoque la mobilité obligatoire dans la société industrielle et la pression pour s’adapter constamment aux exigences économiques. Cette mobilité provoque un déracinement affectif et familial, accentuant le sentiment de perte malgré l’amélioration du niveau de vie. Jouvenel met en lumière la tension entre la rapidité du changement social et l’incapacité de la société à créer un cadre stable favorisant le bonheur et le respect de l’homme.
En conclusion, sa conférence propose une réflexion nuancée : le bonheur dépend autant des conditions matérielles que de la qualité des relations humaines, des attachements affectifs et de la possibilité de donner du sens à sa vie. Il appelle à un rééquilibrage entre production, consommation et aménagement de l’existence, soulignant que le véritable progrès doit rendre la vie non seulement plus aisée, mais aussi plus harmonieuse et gratifiante.
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