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Or
Marie-Eve: Lorsque nous avons choisi le sujet du jour en séance de rédaction, Olivier a lâché avec cynisme: Oh ben ça alors, quelle originalité! Mais enfin mon scoubidou, tu n’es pas de la team joie?
Vous en voulez de la joie? J’vais vous en donner moi, vous allez voir... Et je vous garantis que c’est une menace, pas une promesse! Non mais c’est vrai quoi, qu’est-ce qu’on a à battre des nageoires comme des otaries qui auraient sniffé la banquise? C’est quoi cette injonction universelle à la banane, à l’éclate, au contentement sans borne, cette épidémie de coachs en jubilation? Et puis au fond, c’est quoi la joie et où peut-on la trouver?
M.-E.: Bonne question... À laquelle on tente de répondre dans la présente émission. Tu as quelque chose à ajouter?
Oui, j’ai un peu de sel à verser sur la plaie. La joie, d’abord, c’est petit. C’est un bonheur diminutif, éphémère et diaphane. Je parle de ce type de plaisir qu’on va chercher dans la première gorgée de bière, le premier café du matin ou la première cigarette, ce type de plaisir dont des écrivains experts en spéléologie de leur nombril se sont fait une spécialité. La joie c’est ça: un truc fugace, un bonheur Wish glané çà et là, un ersatz. Et n’oublions pas que la joie est aussi une émotion ambivalente: elle peut être féroce, maligne, ce que l’allemand résume avec le terme de Schadenfreude, la joie de contempler les infortunes d’autrui. Bref, pas joli joli tout ça. Sans compter que la joie... Je ne sais pas... Il y a un côté satisfaction de ruminant qui digère là-dedans. La joie du veau conduit à l’abattoir ou du consommateur tondu bien comme il faut, en somme.
M.-E.: Euh à quoi tu fais allusion au juste?
Rappelle-toi il y a 25 ans, quand le monde de la téléphonie s’est ouvert aux joies du libéralisme. On a vu débarquer alors plein de nouveaux opérateurs dont l’un, diAx, a vomi des réclames qui me chauffent toujours les sangs, un quart de siècle après! Ces publicités montraient, dans une esthétique vintage, des clients surjouant la joie la plus sotte, plongés dans une sorte de transe de béatitude devant les offres d’abonnement. Oh bien sûr, ça se voulait très second degré, dans le sabir de la marque ça s’adressait à des clients vachement calés et en mesure de décoder l’humour so chic de la campagne... Alors que dans les faits, ces réclames décrivaient surtout le consommateur comme un imbécile heureux! C’est d’ailleurs caractéristique d’une mentalité boutiquière propre au capitalisme: faut rendre le client tout joyeux, tout foufou, histoire qu’il ouvre grand son porte-monnaie et dépense sans compter, un bon gros sourire de pigeon peint sur sa face. Eh bien à ces joies commerçantes, j’oppose le mantra de Cyrano dans une fameuse tirade: non merci!
M.-E.: Mais il n’y a pas de joie que dans la consommation Olivier, tu es de mauvaise foi! Il y a des joies intimes, des joies esthétiques, contemplatives ou sensuelles...
Certes, et tu poses là une question intéressante, celle des sources de la joie. Souvent, on va la chercher dans le développement personnel, la contemplation tu l’as dit, la flânerie existentielle. Or on se goure. Ou alors, réservons la joie à un public de quadras bobos qui enchaînent stages de yoga, massages aux bols chantants et cinéma d’auteur ouzbek, mais oui vous savez, ces films où vous avez un plan séquence de trois plombes sur une steppe pelée, avec au milieu un gars qui regarde son bol de lait de yack fermenté. D’abord, pourquoi la joie aurait-elle partie liée avec une temporalité façon guimauve, avec la lenteur et la calme déambulation dans la nature, hein? Allez dire à un sportif, voire à certains artistes, que la joie consiste à ralentir! À contempler! A-t-on oublié les futuristes, au début du XXe siècle? Pour Marinetti et consorts, il y avait de la beauté, de la joie dans l’action, dans la vitesse, dans la confrontation! Alors qu’aujourd’hui, les Occidentaux laminés sont contraints de chercher un peu d’allégresse en se réfugiant trois jours dans un monastère sans Wi-Fi, avec vœu de silence, repas frugaux et câlins aux arbres lors des balades en forêt... Le pire est que la finalité reste la même: diAx nous voulait joyeux dans la consommation, les firmes de maintenant nous veulent choyés, cocolés, requinqués sur notre temps libre pour retrouver la niaque et la joie dans le travail ET dans la consommation. La boucle est bouclée et le cercle vicieux.
M.-E.: OK. On fait quoi alors? Il y a une morale à ta chronique?
Je ne sais pas trop. Mais qu’on me laisse jouer au maître yogi au moins une fois. Mes adeptes auront droit, pour chaque cours, à un cocktail de bienvenue à base d’amphétamines, à une bande-son dédiée à Rammstein et à Black Sabbath, ainsi qu’à quelques coups de fouet pour qu’ils changent de place dans la salle, et au trot nom de Zeus, entre chaque exercice. De quoi découvrir, enfin, la joie dans la sueur et dans l’agitation.
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Marie-Eve: Lorsque nous avons choisi le sujet du jour en séance de rédaction, Olivier a lâché avec cynisme: Oh ben ça alors, quelle originalité! Mais enfin mon scoubidou, tu n’es pas de la team joie?
Vous en voulez de la joie? J’vais vous en donner moi, vous allez voir... Et je vous garantis que c’est une menace, pas une promesse! Non mais c’est vrai quoi, qu’est-ce qu’on a à battre des nageoires comme des otaries qui auraient sniffé la banquise? C’est quoi cette injonction universelle à la banane, à l’éclate, au contentement sans borne, cette épidémie de coachs en jubilation? Et puis au fond, c’est quoi la joie et où peut-on la trouver?
M.-E.: Bonne question... À laquelle on tente de répondre dans la présente émission. Tu as quelque chose à ajouter?
Oui, j’ai un peu de sel à verser sur la plaie. La joie, d’abord, c’est petit. C’est un bonheur diminutif, éphémère et diaphane. Je parle de ce type de plaisir qu’on va chercher dans la première gorgée de bière, le premier café du matin ou la première cigarette, ce type de plaisir dont des écrivains experts en spéléologie de leur nombril se sont fait une spécialité. La joie c’est ça: un truc fugace, un bonheur Wish glané çà et là, un ersatz. Et n’oublions pas que la joie est aussi une émotion ambivalente: elle peut être féroce, maligne, ce que l’allemand résume avec le terme de Schadenfreude, la joie de contempler les infortunes d’autrui. Bref, pas joli joli tout ça. Sans compter que la joie... Je ne sais pas... Il y a un côté satisfaction de ruminant qui digère là-dedans. La joie du veau conduit à l’abattoir ou du consommateur tondu bien comme il faut, en somme.
M.-E.: Euh à quoi tu fais allusion au juste?
Rappelle-toi il y a 25 ans, quand le monde de la téléphonie s’est ouvert aux joies du libéralisme. On a vu débarquer alors plein de nouveaux opérateurs dont l’un, diAx, a vomi des réclames qui me chauffent toujours les sangs, un quart de siècle après! Ces publicités montraient, dans une esthétique vintage, des clients surjouant la joie la plus sotte, plongés dans une sorte de transe de béatitude devant les offres d’abonnement. Oh bien sûr, ça se voulait très second degré, dans le sabir de la marque ça s’adressait à des clients vachement calés et en mesure de décoder l’humour so chic de la campagne... Alors que dans les faits, ces réclames décrivaient surtout le consommateur comme un imbécile heureux! C’est d’ailleurs caractéristique d’une mentalité boutiquière propre au capitalisme: faut rendre le client tout joyeux, tout foufou, histoire qu’il ouvre grand son porte-monnaie et dépense sans compter, un bon gros sourire de pigeon peint sur sa face. Eh bien à ces joies commerçantes, j’oppose le mantra de Cyrano dans une fameuse tirade: non merci!
M.-E.: Mais il n’y a pas de joie que dans la consommation Olivier, tu es de mauvaise foi! Il y a des joies intimes, des joies esthétiques, contemplatives ou sensuelles...
Certes, et tu poses là une question intéressante, celle des sources de la joie. Souvent, on va la chercher dans le développement personnel, la contemplation tu l’as dit, la flânerie existentielle. Or on se goure. Ou alors, réservons la joie à un public de quadras bobos qui enchaînent stages de yoga, massages aux bols chantants et cinéma d’auteur ouzbek, mais oui vous savez, ces films où vous avez un plan séquence de trois plombes sur une steppe pelée, avec au milieu un gars qui regarde son bol de lait de yack fermenté. D’abord, pourquoi la joie aurait-elle partie liée avec une temporalité façon guimauve, avec la lenteur et la calme déambulation dans la nature, hein? Allez dire à un sportif, voire à certains artistes, que la joie consiste à ralentir! À contempler! A-t-on oublié les futuristes, au début du XXe siècle? Pour Marinetti et consorts, il y avait de la beauté, de la joie dans l’action, dans la vitesse, dans la confrontation! Alors qu’aujourd’hui, les Occidentaux laminés sont contraints de chercher un peu d’allégresse en se réfugiant trois jours dans un monastère sans Wi-Fi, avec vœu de silence, repas frugaux et câlins aux arbres lors des balades en forêt... Le pire est que la finalité reste la même: diAx nous voulait joyeux dans la consommation, les firmes de maintenant nous veulent choyés, cocolés, requinqués sur notre temps libre pour retrouver la niaque et la joie dans le travail ET dans la consommation. La boucle est bouclée et le cercle vicieux.
M.-E.: OK. On fait quoi alors? Il y a une morale à ta chronique?
Je ne sais pas trop. Mais qu’on me laisse jouer au maître yogi au moins une fois. Mes adeptes auront droit, pour chaque cours, à un cocktail de bienvenue à base d’amphétamines, à une bande-son dédiée à Rammstein et à Black Sabbath, ainsi qu’à quelques coups de fouet pour qu’ils changent de place dans la salle, et au trot nom de Zeus, entre chaque exercice. De quoi découvrir, enfin, la joie dans la sueur et dans l’agitation.
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