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S3E31 Chronique de Candice - Autrice ou auteur, la relecture sensible diffère


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Qui sont les censeurs? Qui sont les censurés? Qui sont les censeurs de la censure? Et bien, ce n’est pas si simple. Ce ne sont pas des lectrices wokistes féministes qui tapent sur des auteurs mecs cis pas déconstruits. Ça aurait été trop facile.



Commençons avec une petite blague. En 2023, Nicolas Mathieu s’offusque publiquement que Kevin Lambert ait fait appel à une lecture sensible pour son livre sélectionné au Goncourt, alors que cinq mois plus tôt, il réécrivait un passage du livre de Bruno Le Maire et le postait sur les réseaux. C’est drôle non? Une chose est sûre, dans les deux cas, il donne son avis alors que personne ne le lui demande. Et devinez quoi? Le passage du ministre de l’économie réécrit par le lauréat du Goncourt 2018 concerne la sexualité d’une femme cubaine. Excellent.



Je reprends. Jeanine Cummins, Keira Drake, Laura Moriarty, Laurie Forest, Amélie Wen Zhao, Kate Clanchy, Naomi Alderman: les principaux livres qui ont fait polémique ces dernières années et ont nécessité une relecture sensible pour être publiés ont été écrits par des femmes. Dingue non? On accuse plus facilement les femmes de mal représenter les genres et les identités minoritaires. Comment ça se fait?



Et bien on ne critique pas de la même manière les œuvres des femmes et des hommes. Celles des femmes sont soumises à un examen public plus intense. Surtout de la part des autres femmes. On va lui en demander plus, juste parce que c’est une femme. Et on va lui demander de faire mieux que ses homologues masculins. Les attentes sont plus élevées car, comme ce sont des femmes, elles doivent être plus particulièrement sensibles aux questions de diversité et d’inclusion. Alors que chez les mecs, on s’en fout. Parce que ce sont des mecs, ils ont le droit à l’erreur. Et puis on ne peut pas trop leur en demander quand même, ils ne savent pas de quoi ils parlent. 



Et ça marche très bien. On demande aux autrices de revoir leurs copies, elles le font. Parce qu’une femme, elle a envie de bien faire, elle est ouverte à la critique constructive, au dialogue. Elle accepte les retours négatifs, elle cherche à s’améliorer, à se remettre en question. Et sans doute, elle est plus réceptive aux critiques concernant la représentation des minorités. Donc, elle réécrit.



Mais si ça se trouve il y a plein d’auteurs hommes qui font appel à des relecteurices sensibles, mais qui sont moins médiatisés? Et oui. On ne sait pas. Parce qu’autant le conflit médiatique entre femmes, avec des débats passionnés remplis d’émotion, ça fait vendre, autant les hommes qui remettent en question leur écriture, ce serait être faible. Et la faiblesse, ce n'est pas vendeur chez un homme. Donc peut-être qu’il y a autant d’hommes que de femmes qui travaillent avec des lecteurices sensibles. C’est juste qu’on ne le sait pas, parce qu'à part certains comme Kevin Lambert, ils n’en font pas la publicité.



La morale de l’histoire? Les méchants ne sont pas toujours ceux que l'on croit, ce n’est pas binaire. Les ministres ne savent pas écrire des scènes érotiques. C’est souvent celui qui fait le plus de bruit qui gagne. C’est plus facile d’être dur avec les autres. Les limites de la censure, c’est un peu quand ça nous arrange. Tout le monde a des biais. Ce n'est pas une morale, je vous l’avais dit, ce n'est pas si simple.



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Émission diffusée sur Radio Vostok en direct du Service de la culture de Meyrin, le 14 juin 2024

Publiée le 20 juin 2024

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