Un entretien autour du féminisme décolonial et du féminisme occidental avec Françoise Vergès autour de son dernier ouvrage, Un féminisme décolonial (La Fabrique, 2019).
L’émission (1 heure 20 minutes) comporte :
Une genèse de son livre à un niveau personnel et politique : son enfance réunionnaise en tant que femme racisée et fille de militants anti-coloniaux, son séjour dans une Algérie post-coloniale patriarcale, son arrivée en France et sa participation aux luttes anti-racistes, anticapitalistes et féministes des années 1970, et sa réaction au récit fallacieux du féminisme français ;
Une définition du féminisme décolonial comme analyse multidimensionnelle (prise en compte des rapports de genre, de race et de classe) et comme projet politique visant à une abolition non seulement du patriarcat, mais également du capitalisme, du colonialisme, de l’esclave et du racisme et de leurs effets genrés ;
Une relecture de l’histoire à l’aune des femmes esclaves et de leur oppression spécifique (violées à des fins notamment reproductives) ;
Une critique des appels à une loyauté inconditionnelle et une perpétuation de l’oppression patriarcale au sein des mouvements de lutte antiraciste, au profit d’une approche en termes de solidarité (à double sens), de déconstruction des masculinités racisées et de fidélité à une histoire commune ;
Un appel au dépassement du féminisme carcéral et sa logique punitive, raciste et classiste ;
Une critique du féminisme civilisationnel, porté par des féministes bourgeoises (souvent blanches, mais aussi parfois racisées) et aveugle au racisme et aux oppressions spécifiques aux femmes prolétaires racisées ;
Un appel à une approche du féminisme « par en bas », à partir des revendications et des luttes des femmes les plus opprimées, et non seulement à partir du concept d’égalité de genre ;
Une analyse de « la femme blanche » (fragile, pure, frigide) et, en miroir, de « la femme du Tiers-Monde » (robuste, impure, vénale) comme un produit de l’histoire coloniale et esclavagiste, aujourd’hui réactualisé avec l’opposition femme blanche – femme voilée ;
Une déconstruction de l’histoire du féminisme, et notamment d’Olympe de Gouges (abolitionniste, mais raciste), de l’héritage colonial du féminisme civilisationnel dit « universaliste » (en réalité occidentalo-centrique) et de l’instrumentalisation des « droits de la femme » dans l’impérialisme néolibéral contemporain ;
Une critique de l’exotisation du patriarcat en Occident et de la « culturalisation » des droits des femmes (en Occident, comme partie de son « ADN », et ailleurs parfois comme une création étrangère aux cultures locales) ;
Une contextualisation de l’essor du féminisme civilisationnel au cours des années 2000 comme un des derniers avatars un peu crédibles du « progressisme » occidental (donc légitimant son impérialisme) notamment face aux régressions des droits des femmes dans certains pays ;
Une critique du « gender mainstreaming » des organisations internationales ;
Une analyse du micro-crédit comme un prolongement « progressiste » des plans d’ajustement structurels du FMI dans un but pacificateur par l’intégration (sur un mode individuel) des femmes racisées au capitalisme néolibéral ;
Une déconstruction du modèle occidental pseudo-universel de famille, dénié aux esclaves, instrument de répression des familles élargies et condition de l’inatteignable « respectabilité » des petites bourgeoisies racisées ;
Une critique du consumérisme comme norme de « civilisation » tendanciellement inatteignable pour une majeure partie des femmes racisées du Sud global (responsabilisant celles-ci de leur « échec » et les incitant à se sacrifier au travail plutôt qu’à lutter) et reposant sur leur exploitation et celle de leur environnement ;
Une analyse de l’usure des corps des femmes racisées assignées au nettoyage des centres impérialistes – invisibilisées en dépit de leur rôle central dans la reproduction du capitalisme occidental – et de l’externalisation des dégâts corporels et écologiques de celui-ci (et des inégalités de santé et environnementales afférentes) ;
Une critique du fémonationalisme et de l’homonationalisme.