Share StoryTANK
Share to email
Share to Facebook
Share to X
Scénariste & Réalisateur (Allemagne) qui a contribué à la conférence-table ronde 04 : Création de récits : l’affaire de tou·te·s ?
in English
Jan Schomburg a écrit et réalisé des films (Above us only sky – 2011, Forget my Self – 2014, Divine – 2020), a écrit des scénarios avec Maria Schrader (Stefan Zweig – Farewell to Europe, I’m your man) et a écrit deux romans (Das Licht und die Geräusche – 2017, Die Möglichkeit eines Wunders,- 2024).
En secret, il a même écrit et réalisé des sketchs comiques pour la télévision allemande. Ses films ont été projetés à la Berlinale, à Locarno, à Rotterdam, à New York, entre autres. Il a reçu le prix du cinéma allemand pour le scénario de I’m your man, le film Stefan Zweig – Farewell to Europe a remporté le prix du public de l’Académie européenne du cinéma. En 2024, il est l’auteur principal et le showrunner de « L’argent des autres » (WT), une série télévisée internationale en huit parties pour ZDF et DR.
— un entretien réalisé par Guillaume Desjardins – auteur et réalisateur, membre de Les Parasites de films documentaires et enregistré aux Champs Libres (Rennes), en décembre 2023, dans le cadre de la saison 04 du StoryTANK : « Quelles histoires pour notre temps ? ».
« Écouter les détails et à les laisser se développer d’eux-mêmes. »
Décomposer le processus d’écriture : des détails au général.
J’ai écrit des scénarios et des romans, j’ai réalisé quelques films et je suis, ce que l’on appelle aujourd’hui : showrunner. Showrunner a de nombreuses connotations et interprétations, notamment en Europe.
J’ai participé à un workshop organisé par des producteurs européens « The Creatives » qui questionnait la série, son existence dans le paysage de la création, la potentialité d’un réseau européen et plus précisément ce qu’est la narration européenne, en termes de série. Chacun de ces producteurs a demandé à un scénariste de ces différents pays de venir pour réfléchir, écouter, contribuer. Cette semaine a en quelque sorte révolutionné ma manière de penser, en termes de ce qu’est une idée et de la façon dont on peut inviter le hasard et aussi le collectif dans le processus de son développement.
Quand nous acquérons une certaine maturité professionnelle, nous nous développons souvent dans un sens où l’on sait déjà où l’on va. Un processus structurel que nous avons décomposé, du général aux détails. Nous avons appris à écouter les détails et à les laisser se développer d’eux-mêmes, d’une manière ou d’une autre. Je me suis distancé de mon propre processus industriel d’écriture alors que j’étais un peu coincé dans un chantier d’écriture sur 8 épisodes inhérents à un scandale financier. Une décomposition qui m’a vraiment beaucoup inspirée.
« La structuration de narration d’un film explique, en partie, pourquoi notre planète est là où elle est aujourd’hui, dans la mesure où l’individu est ultra-valorisé et le collectif, que trop peu. »
La structure dramatique classique et narcissique du récit.
Une histoire au cinéma est surtout vue comme un récit, à partir d’un personnage et l’identification du public inhérente liée souvent à un qui a un problème particulier. Il s’agit principalement de problèmes binaires qui apportent différents concepts dans la structure dramatique comme celui de “vouloir et avoir besoin”. Donc il y a un but que le personnage vise, mais une vérité plus profonde stimule potentiellement une autre finalité. Or, à différents égards, je ne pense pas qu’il y ait une vérité plus profonde et qu’il faille choisir entre ces deux aspirations comme l’impose, en quelque sorte, l’histoire d’un film. Un problème correspond à un personnage et nous suivons un personnage qui anticipe ce problème. Et d’une manière ou d’une autre, dans la plupart des films, le monde autour de ce personnage est organisé à travers ce problème. Tout ce qui se passe autour de lui, en arrière-plan, ajoute d’une manière ou d’une autre une complexité ou de l’aide à ce problème. Une organisation plutôt étrange et narcissique de voir le monde, qui, d’une certaine manière, serait donc organisé juste pour le personnage en question. J’ai le sentiment que cette structuration de narration explique, en partie, pourquoi notre planète est là où elle est aujourd’hui, dans la mesure où l’individu est ultra-valorisé et le collectif, que trop peu.
Toutes ces histoires fonctionnent comme des histoires de « messie », qui sont en quelque sorte des histoires « de Jésus », comme Harry Potter, Le Seigneur des anneaux, ou encore Star Wars : « OK, vous êtes maintenant responsable du destin du monde et vous êtes la personne la plus importante de la planète ». Ce qui déclenche un certain type de sentiment intense et en même temps, totalement suranné, totalement dépassé. D’une certaine manière, du moins pour moi, ces récits, précisément, ne correspondent pas à ce qu’est le monde en ce moment. Il a quelques exemples de récits qui ne fonctionnent pas nécessairement sur le même modèle. Et j’ai toujours été intéressé par ce genre de récits. Un exemple très étrange d’un récit qui fonctionne – dans un sens différent – est, par exemple : Pirates des Caraïbes. Dans la première partie de Pirates des Caraïbes, il est très clair qu’Orlando Bloom devrait être le personnage principal. Parce que son père était un pirate, il est lui, en tant que fils, du bon côté et tout le conflit dramatique est basé sur son personnage. Mais personne ne s’intéresse à son personnage parce que tout le monde aime regarder évoluer Jack Sparrow. Mais Jack Sparrow n’est pas un personnage dramatique au sens classique du terme. Il n’a pas de véritable développement, il n’a pas de conflit de ce genre. C’est juste un farceur qui est toujours un personnage secondaire normalement. Il y a tellement d’histoires qui ont une structure dramatique classique et qui sont vraiment mauvaises. Et il y en a quelques-unes qui sont vraiment incroyables car intenses et surprenantes… !
« Le conflit est juste un élément parmi toute la gamme des interactions humaines, du comportement humain, de ce qui nous intéresse dans un film. »
Le conflit dans le récit.
Lorsque j’écris pour une série, très souvent, le conflit n’est pas ce qui m’intéresse dans une scène. Parce qu’il y a tellement de gens qui donnent des notes sur les scénarios dans ce contexte industriel d’une série par exemple. Je dois écrire très vite, je sais que dans leur idée de structure, elle n’est pas encore configurée d’une manière classique mais quelque chose dans la scène me semble bon et n’est pas forcément le conflit. Telle une idée différente de la façon dont nous pourrions vivre ensemble peut-être. Les étapes suivantes me permettent de structurer le récit de cette scène, à ce qu’elle puisse être vue dans la structure classique.
Les frères Coen, par exemple, ont souvent une structure dramatique très spécifique. Par exemple, dans Fargo, les bons et les mauvais personnages ne se mélangent pas. Par exemple, McDormand n’a pas de côté obscur. Mais très souvent, à un moment donné, tout mène à une confrontation. Mais la confrontation n’a pas lieu. Il y a juste un vide et soudain, on voit deux personnages discuter pendant une demi-heure. Par exemple, dans la série que j’écris, il y a une procureure qui travaille, sur un temps long, pour que les gangsters soient jugés. Et enfin, il y a le grand procès. Il y a, normalement, une confrontation au tribunal, dans la scène du procès où elle souhaiterait prouver, devant tout l’audience, qu’ils sont coupables… Et cette procureure indique qu’elle n’aime pas être personnellement impliquée parce qu’il s’agit d’une idée collective de la loi appliquée et ce n’est pas un souhait, à titre personnel, de vouloir les punir. Elle ne se rendra pas au tribunal. Un collègue la remplacera. D’une certaine manière, avec cette alternative, on va ailleurs que dans la confrontation classique par exemple. J’ai le sentiment qu’il y a beaucoup de conflits. Le conflit est juste un élément parmi toute la gamme des interactions humaines, du comportement humain, de ce qui nous intéresse dans un film. Je n’ai rien contre les conflits, mais je pense qu’il y en a tellement, que le conflit rétrécit vraiment l’histoire. Alors qu’elle peut être, simplement, plus large.
« Développer un récit à partir d’une logique d’interaction différente de celle de l’opposition. »
L’interaction dans le récit.
Il y a un certain type de récit qui émerge de différentes structures. Par exemple, si on considère une boîte vide, en quelque sorte, c’est également une boîte dans laquelle on met quelque chose. Si nous travaillons, à partir de la structure générale vers les détails, s’impose une certaine limitation. De même, à l’inverse, si nous travaillons uniquement, à partir des détails vers le général, s’impose également une certaine limitation. Les structures peuvent aider à être inspiré, mais je les considère comme des outils, utiles si vous êtes bloqués, hors du flux narratif. Si nous les considérons comme des règles, beaucoup de films se ressemblent et c’est un peu ennuyeux.
D’une certaine manière, dans le processus d’écriture, j’essaie d’entrer dans une sorte d’état hypnotique. À regarder les choses précises d’une scène définie : « Il y a quelqu’un assis là, quelqu’un descend là-bas… Oh, il y a un sac à dos. Y a-t’il quelque chose dans le sac à dos ? Quel est ce bruit ? » … J’essaie de méditer sur la situation à l’instant -t et d’étudier ce que l’endroit créé me demande. Pour ouvrir à d’autres idées, pour initier des tournants. J’ai le sentiment que les récits que nous composons devraient s’éloigner du principe : « ça c’est l’autre et ça c’est nous » qui crée une frontière entre les deux. Nous devrions raconter des histoires qui montrent comment cette frontière peut être franchie, comment nous pouvons avoir une logique d’interaction différente de celle de l’opposition. Ces grandes histoires dont je parlais plus tôt, comme Le Seigneur des anneaux, quand on le revoir aujourd’hui, pour moi, l’histoire est si mauvaise et, d’une certaine manière, l’histoire est fasciste, avec les seuls blancs qui sauvent la terre. C’est une histoire bizarre et cette opposition entre gens mauvais et gens bons est vraiment problématique.
« L’art, en général, est aussi là pour mettre en lumière que le comportement humain, l’interaction humaine peuvent suivre une logique différente de celle, par exemple, de notre logique capitalistique ou guerrière. »
Le récit : une offre ouverte.
Je pense que l’art, en général, est aussi là pour mettre en lumière que le comportement humain, l’interaction humaine peuvent suivre une logique différente de celle, par exemple, de notre logique capitalistique ou guerrière. Et qu’il peut y avoir des visions, de la stupidité, de l’ironie, des absurdités… tout ce que la politique a perdu. En se plaçant en « forces de la raison », on considère comme totalement irrationnel et déraisonnable un grand nombre de pas de côté. Je pense que c’est pour moi l’une des principales raisons de raconter des histoires, en dehors du divertissement. Un récit est aussi principalement une offre : une offre ouverte. Je veux dire, bien sûr, si j’écris une scène, j’ai en quelque sorte une idée pour elle et j’ai également une sorte d’idée de ce qu’un spectateur en fera, de la façon dont elle ou il la percevra. Mais bien sûr, il est aussi possible qu’elle soit perçue totalement différemment. Personnellement, j’aime aussi un traitement ironique sur la même scène qui dirait : « Oh, mais c’est aussi l’inverse ! ». J’aime beaucoup quand les scènes sont en quelque sorte dialectiques et qu’elles démontrent les deux angles.
J’ai déjà fait un film sur une femme qui perd la mémoire et qui doit donc, reconstruire sa personnalité. À un moment donné, elle veut rencontrer sa mère, qu’elle a complètement oubliée. Elle se rend donc dans une maison de retraite et on apprend que sa mère souffre d’amnésie, de démence, d’Alzheimer. Elle rencontre cette femme, elles ne se souviennent pas l’une de l’autre, mais on remarque qu’il y a une sorte de connexion entre elles – génétique, biologique plus profonde. Et à un moment donné, une infirmière arrive et dit : « Oh, ce n’est pas votre mère. Vous vous êtes trompée. » La construction du récit amène cette scène qui peut donner un sentiment très intense, pluriel aux spectateurs. Un sentiment avec lequel j’aime jouer si possible.
« Ouvrir la porte à une autre perception de la réalité. »
La responsabilité du récit envers l’art.
J’aime beaucoup que les gens me racontent des/leurs histoires. Très souvent, l’inspiration émane de ces récits. J’aime écouter les gens parler de ce qu’ils ont vécu. Pour moi, écrire est une capacité à regarder et à écouter, à voir certaines choses devenir quelque chose de spécial. C’est plus une capacité à prendre un cadeau qu’à en créer un. Je pense qu’il s’agit surtout de regarder les gens et de les écouter. J’ai le sentiment qu’il est devenu un peu plus difficile de suivre un chemin « privé », intime dans la façon dont on raconte une histoire parce qu’il y a beaucoup de peur, non seulement chez les jeunes scénaristes mais également chez les producteurs et les distributeurs. Si nous parvenons à garder en nous toutes ces voix qui viennent à nous, nous parvenons à écouter, depuis l’intime, pour voir le monde d’une manière très unique. Beaucoup de jeunes essaient vraiment de s’intégrer dans ce qui existe déjà. L’intime est un endroit très fort et important pour les gens qui ont un angle privé. La seule responsabilité que nous avons est celle envers l’art et la logique de l’art. Une responsabilité politique, en quelque sorte, non pas dans le sens où nous sommes responsables de stopper le changement climatique ou autres mais dans celle d’ouvrir la porte à une autre perception de la réalité.
Screenwriter and Director (Germany) who took part in the conference 04: Storytelling: the Business of All?
en français
Jan Schomburg, *1976 wrote and directed movies (« Above us only sky » 2011, « Forget my Self » 2014, « Divine » 2020), wrote screenplays together with Maria Schrader (« Stefan Zweig – Farewell to Europe », « I’m your man ») and wrote two novels (« Das Licht und die Geräusche », 2017, « Die Möglichkeit eines Wunders », 2024).
Secretly he even wrote and directed sketch comedy for German Television.
His films were shown at Berlinale, Locarno, Rotterdam, New York, among others. He was awarded the German Film Prize for the screenplay for « I’m your man », the film « Stefan Zweig – Farewell to Europe » won the Audience Award of the European Film Academy.
In 2024, he is the head author and showrunner of « Other people’s money » (WT), an eight-part international TV series for ZDF and DR airing in March 25.
— an interview by Guillaume Desjardins, Writer-director, member of Les Parasites, recorded at Les Champs Libres (Rennes) in December 2023 in the framework of the serie “What stories for our time?”.
« We learned just to listen to detail and let it grow on itself somehow. »
Break down the writing process: from details to general.
I’ve been writing a few screenplays and a few novels. I’ve directed a few films and now there’s a new position coming up which is called “showrunner”. I wrote a series that will be shot in January 2024 and I will be the showrunner, whatever that means, because in the European context there’s, I think, a very different interpretation of this job.
I took part in a workshop organized by a few European producers called “The Creatives” and they asked themselves: “What is the story again? Why are we here? What’s the series? How could a European network look like? How could European storytelling in terms of a series look like?” Each of those producers asked one screenwriter from these different countries to come together without any task except thinking, listening, developing a little bit. This week somehow revolutionized my brain in terms of what an idea is and how you can invite chance and also the collective into this process.
And how after some time when you become a professional, you just develop in a sense that you already know what it will be and so on. It’s very structural, it’s very from the general into the details. So first you have the general structure, then you work on the details. We learned just to listen to detail and let it grow on itself somehow. For me that was really a very beautiful process because I was stuck a little bit in this, “I have to write eight episodes about a financial scandal”. It’s just an industrial process of writing. So that really inspired me a lot.
« I have the feeling, this idea of storytelling is part of why our planet is where it is right now. In that that the individual is valued very highly and the collective is not valued very highly. »
The classical and narcissistic dramatic structure of the narrative.
Generally, I would say a story in film is mostly seen as something that is told of a protagonist, and the identification of the audience with a character that has some kind of a problem. Mostly it’s binary problems: so there are different concepts in dramatic structure and there’s one called “want and need”. There’s something that the character’s aiming for but then there’s a real / deeper truth in his character that wants something else. In different ways, this is for me a weird thing to see a human being. First, because I don’t think there’s one deeper truth. And also, that you have to decide between these things. It’s a weird concept I would say.
This is what a film story is: a problem has a character and we follow a character anticipating this problem. And somehow, in most of the movies, then the world around this character is organised through this problem. Everything that happens around him, in the background, somehow adds to this problem or helps him. But it’s all organised in this narcissistic way. It’s a weird narcissistic way to see the world: that, somehow, all the world is organised just for you.
And I have the feeling, this idea of storytelling is part of why our planet is where it is right now. In that that the individual is valued very highly and the collective is not valued very highly. All these stories that work like messiah stories that are like, in a way, Jesus stories, like Harry Potter, Lord of the Rings, also Star Wars. This is all a story of, “okay so you are now responsible for the fate of the world and you’re the most important person on the planet.” And of course, this triggers somehow a certain kind of intense feeling but it’s, in a way, when you look at Lord of the Rings now or Star Wars or also Harry Potter, it seems so outdated in a way. Somehow it, at least for me, it doesn’t match what the world is about right now.
And I have the feeling that there are a few examples for stories that are really very close or that are very intense and which do not really necessarily work the way normal stories work. And I’ve been always interested in this kind of stories.
A very weird example for a story that is working in a different sense I would say is for example Pirates of the Caribbean. The first part of Pirates of the Caribbean, I’m not sure, I haven’t done some research, but in a structural sense it’s very clear that Orlando Bloom should be the main character. Because his father used to be a pirate now he’s on the good side and like the whole dramatic conflict is based on his character.
But nobody cares for his character because everyone loves to look at Jack Sparrow. But Jack Sparrow is not a dramatic character in the classical sense. He doesn’t have a real development, he doesn’t have a conflict in that way. He’s just a trickster who’s always a character on the side normally. There are so many stories that have like classical dramatic structure and they are just really bad. Nobody wants to watch it. And there are a few of them that are really amazing and, intense and surprising and so on.
« Conflict is just a little thing in the whole range of human interaction, of human behaviour, of what interests us about a film. »
Conflict in the narrative.
When I’m writing, very often conflict is not what is interesting for me about this scene. Because there are so many people giving notes on screenplays in this industrial context of a series for example. Very often I write a scene and because I have to write so quickly I know in their kind of idea of structure it’s not yet prepared very well, but there’s something in the scene that I know is good and it’s not the conflict. It’s a different idea of how we could live together maybe. And then I have to, in the next steps, I have to like prepare it in a way that it can be seen in the classical structure.
The Coen brothers, for example, have a very specific dramatic structure often. So first, they have like, for example, in Fargo they have good characters and bad characters and they don’t mix also. For instance, McDormand doesn’t have like a dark side. But then very often in these films at some point it all leads up to one showdown. But the showdown doesn’t happen. There’s just a vacuum and then suddenly you see two people talking for half an hour.
For example, in the series I’m writing so there’s a state attorney and she works for a very long time to get the gangsters to trial. And finally, there’s the big trial. And then normally there would be a showdown in court in the court scene and she would like prove in front of everybody “he’s guilty….” And this state attorney says I don’t like to be personally involved because it’s about a collective idea of the law being enforced. But it’s not about my personal idea that I want to punish these guys. I don’t have to go there. There’s a colleague who will read it and if it’s good it will stand in front of the court but it’s not a personal thing. Somehow, we go somewhere else than the classical confrontation for example.
I have the feeling there’s a lot of conflict. It’s just a little thing in the whole range of human interaction, of human behaviour, of what interests us about a film. I don’t have anything against conflict but I think there are so many, sometimes this idea really narrows the story. And I think it can be just broader.
« I have the feeling that the stories we are telling right now should go away from: that’s the other and that’s us and to make this border between. We should really tell stories that show how this border can be crossed, how we can have a different logic of interacting than to say that’s us and that’s them. »
Interaction in the narrative.
I just think there’s a certain kind of story that comes out of different structures. People say, well it’s just an empty box somehow but it’s still a box that you put something into. If you work from the general structure into the detail for example you will have a certain kind of limitation. Also, the other way around if you work only from the detail to the general you have also limitation. And of course, structures can also help you to be inspired but I really see it as some kind of tool that if you’re stuck and if you’re not in the flow you can be inspired by it. But if you take it as a rule then you have a lot of films that look the same and it’s a little boring also.
In a way I try to come into some kind of hypnotic state. If this would be a scene I would try to look at things. “There’s somebody sitting there, somebody’s going down there… Oh there’s a rucksack, there’s a backpack back there. Is something in the backpack? What’s the noise?”… I really try to meditate myself into the situation and just see what the place asks me for. If you really open yourself up to other ideas that you don’t have if you think of like turning points and you just don’t have them.
These big stories I was talking about earlier, if you look at them now, it’s really weird like Lord of the Rings, I saw it a few months ago and thought this is like such a bad and also, in a way a fascist story, in that the dark people from the east come and they have the bright, the only white people who save the earth and so on. It’s a weird story and the whole idea of: they are evil people and there are the good people. I think that’s really problematic.
« I think art in general is just also there to show that human behaviour, human interaction can follow a different logic than, for example, our capitalist logic or the logic of war. »
The story: an open offer.
And that there can be visions, stupidity, just irony, nonsense…, just all things that politics have lost. Or you think: “no, no this is like we are the forces of reason” and then you just hear that this is totally irrational and unreasonable and it doesn’t make sense, what’s happening. I think this is for me one of the main reasons to tell stories apart from entertainment.
I think a story is mainly also just an offer and it’s also an open offer. I mean of course if I write a scene I somehow have an idea for it but also, I have some kind of an idea of what a spectator will do with it, how he or she will see it. But of course, then it’s also possible that it’s seen very differently. Personally, I like to have also an ironic layer on the scene that says: “oh but it’s also the opposite.” I really love it when scenes do like somehow dialectic scenes and they show both angles.
I once did a film about a woman who loses her memory and so she has to reconstruct who she is and at some point, she wants to meet her mother who she has totally forgotten about so she goes to the old people’s home and her mother has amnesia, dementia, so Alzheimer. She meets this woman and they both cannot remember each other but then somehow you notice, oh there’s a somehow genetic kind of connection between them and you see, there’s like a deeper biological connection and at some point, the woman working at the old people’s home comes and says: “oh this is not your mother. You got the wrong woman.”
That kind of idea that well you think that biology is so strong but this is also a construction. And if a scene can do like a very intense feeling of: “oh she found her mother.” Then it’s also: “oh no she didn’t find her mother.” That’s something I like to play with if possible.
« Show a different logic and open a door to some other reception of the reality. »
The responsibility of the narrative towards art.
I really like people telling me stories. Very often an inspiration comes from… And I love to listen to people speak about what they lived through. But also, for me, writing is more an ability to watch and listen I think, to see certain things becoming something special. It’s more of an ability to pick a present up than to create a present. I think it’s really mainly looking at people and listening to them.
I have the feeling that it has become a little harder maybe to follow a private path in the way you’re telling a story because there’s a lot of fear in not only these young screenwriters but also in the producers and TV editors. I would say if you manage to keep in these whole voices that come to you, if you manage to listen to something private and to watch something private to see the world in a private way, that is something that is very unique now I think. Because many young people are really trying to fit into what’s already there. I have the feeling that’s a very strong and important place for people who have a private angle.
I think the only responsibility you have is to art and to the logic of art. And this then becomes also political responsibility but not in the sense that you’re responsible to stop climate change or something. It’s to show a different logic and to open a door to some other reception of the reality.
Neuroscience Researcher (France & Lebanon) who took part in the conference 04: Storytelling: the Business of All?
en français
Samah Karaki is a French-Lebanese neuroscientist. She founded and heads the Social Brain Institute (SBI), an association that uses knowledge from cognitive science to manage environmental and social issues.
Her first book, “Le talent est une fiction” (Talent is a fiction), was published in 2023 on the label Nouveaux Jours, by Lattès (Le Livre de Poche, 2024). She deconstructs the mythology surrounding individual success stories.
— an interview by Vassili Silovic, Writer and Director of documentary films, recorded at Les Champs Libres (Rennes) in December 2023 in the framework of the serie “What stories for our time?”.
« The creative act is actually to swim against my own current. »
Accept the complexity of the story to accept the other.
We are all storytellers and what I mean by that is that the minute we open our eyes to the world, we are perceiving and creating images and meanings. The difficulty is to perceive the world differently from what I already stored as perceptions. It’s easy for me to talk about the pains that I’ve experienced, to talk about the pains that are similar to the ones that I’ve experienced. What’s more difficult is to be able to get into the perspective of someone that I don’t know, of a group of people that I don’t know, that I don’t have shared experiences with.
The creative act is actually to swim against my own current, in a way, my own flow. And maybe, if I tell it this way, it sounds like something that comes with effort. But it could come from effort if I decide actively to look inside my thoughts and think: “What would you say? How would you behave? What would be the reasons that would make you behave the way that I am considering wrong?” And it could also come from the implicit knowledge that I can get through knowing you, through just the act of meeting and listening. And it comes with love, I should also love your story. It doesn’t sound like effort when we’re listening to loved ones. This is how I understand love: that I consider you as a complex person, I consider your story as complex as I could consider mine.
« Fiction can help me look at the external reasons that make people behave the way they do. And enlarges my empathy scale… »
The story: a shortcut to the existence and reality of the other.
I’m not doing it as a gift. I’m not living it as a gift. I’m doing it because I am sincerely open and interested in what you have to say. It doesn’t happen if I don’t meet you if I don’t ask you questions, if I don’t see you living around. And this can happen through literature, that I am delving into the reality of someone else. And the ability of fiction, actually, on us, that enlarges the perspective that we have of the world, because we kind of have a shortcut towards the existence and the reality of others.
The neuroscience and cognitive science, we have something called the fundamental attribution error. That when I behave, I see my behaviours with the external conditions. I explain my behaviours, putting them in the centre of conditions that led me to do stuff. But I have less compassion for others because I don’t see clearly the conditions, the external conditions. I attribute to their behaviour’s internal reasons, while I attribute to myself external ones.
Fiction can help me also look at the external reasons that make people behave the way they do. And enlarges my empathy scale to something that is larger than what I do usually for myself.
« I consider artists as people in the centre of life itself, and not at the corner of it. »
The art is political.
Artists are kind of engaged more than other people in this type of interaction with others. We have the idea of artists being narcissistic because they are delving continuously inside their own affects and their own feelings. But they actually are supposed to be sometimes getting out of their ego to be able to witness what also others around them experience. I think the art is political in the way that I should be able as an artist to go beyond my own experience and to see it situated somewhere. Even when I’m describing a family story, I’m placing this family inside its cultural and social network. That’s why it takes lots of knowledge to feel legitimate to talk about something. And this knowledge comes from life experiences themselves, from my openness and the openness of an artist to first accept that my perception is biased. And then to be humble enough to consider that anyone else than myself that didn’t have the same life as mine has something very interesting to teach me.
Tolstoï, who sometimes is a character somewhere in his book, but he works so hard to be able to, every time he gives the voice to another character, to completely shift the gaze to the young woman, to the child, to the man, to the military guy. And then he leaves a space for him to voice what he thinks about all of this. I kind of see it like as if Tolstoy said, “I want to say things. Okay, I’m going to put that voice inside the character so I don’t pollute the other gazes that should be around that character.” And that takes lots of humility, but it also takes lots of knowledge and lots of research. In order to create anything, we should also have a pool of experiences that cook somewhere, incubate, to call it incubation. And then we start experimenting because it doesn’t mean that I’m going to give this perception from nowhere. We experiment, we do trial and error, and then at some point I forget about myself. And at some point, I feel that this storytelling went beyond me. It takes lots of discipline.
« It takes lots of discipline, and it’s maybe in opposition to what we consider the sudden inspiration that comes from nowhere. »
Creating the story: a complex process.
It takes lots of discipline, and it’s maybe in opposition to what we consider the sudden inspiration that comes from nowhere. And it’s actually just the same exact process as building anything, as building any thought. Scientists do the same thing. It’s a process that is complex, and that of course relies on your past experiences and expertise. But it’s also following the same exact processes as building any material objects. Because you process, you do pilots of it, then you see if it works, if it fits.
The creative process, if you look at it in the brain, it’s not in the left or right brain. It’s actually engaging many circuits, executive circuits, that kind of make sense of what I’m doing, the default network that delves into my past experiences, and it’s what we call the imagination networks. But also, my salient network that is constantly reading information coming from the body and coming also from the environment around me. And they are interacting continuously with each other. If you’re looking at somebody painting for seven hours, it doesn’t have to be a creative process. It could be a technical, a technical autonomous process. Then from time to time, you look at that, you look at that, and you shift it in a way that makes more sense. And then the product of this is actually the result of a very complex process.
We like to see artistic talent as something that comes with a potential, and then the product kind of emerges from this potential. But the process in this is a very complex one. There is effort, but there’s also lots of pleasure.
There is desperation. There is sometimes the feeling that I am too stuck in my ability to look inside, to look from another perspective. And then you keep that, you go do something else, you get back to it, and you incubate again, and then you experiment again, and then you do essays and errors, and then something comes out. And this product is judged by others, it doesn’t belong to you anymore. The inspiration is kind of a collective. The process is in itself collective. But also, the appreciation of artistic product is also collective, because the making sense of it doesn’t belong to the artist anymore, once it’s put in front of the senses of other people.
Writing is a result of training. It doesn’t come from a sudden inspiration again. It’s a discipline, and then this exercise becomes easier with time.
And then also the processing of the negative emotion that comes from this being stuck, you train on it also and you go beyond it at some point. The way you read books, it’s also an exercise. You know, like how do you get inspired when you hear somebody telling you a story? How do you take notes of that? It’s all tactics that could be taught also, and that could be modelled by other people that they have their own ways of dealing with this writing expertise. It’s not something magical. It’s not something that comes from nowhere. It’s a process that we can use better tools to organize our thoughts.
«When I’m faced with uncertainty, my brain doesn’t like this void, and it will give me an answer. It will give me a story. »
To surrender to uncertainty to feed the story.
I don’t know who said that: choosing vs. excluding. It’s like, what do I choose to put my eye on? I’m excluding all the other visual perception that I can get, and this is going to be part of what I’m going to build my fiction around.
If you have a clear idea of where you want to go, then you’re not creating anymore. Just building something, and you know what you’re building at the end. This is what actually makes art, science, entrepreneurship, what we call the uncertainty fields. Because the condition for it to be interesting is that you are open for it to be uncertain. And this takes, again, energy. This takes energy to accept uncertainty.
When I’m faced with uncertainty, my brain doesn’t like this void, and it will give me an answer. It will give me a story. Doing good science, or really being in the creative potential, is to refuse that first story that comes to my mind, and say I’m going to keep this uncertainty going.
It needs for you to let go of the obsession, of the quality of the product itself. You can get back to that later, but you have to surrender to the uncertainty of what would this process right now give. Surrender to it, and then judge it later. We cannot be at the same time letting go to the uncertainty of the creation and judging what it could be at the end of the way.
« Acknowledging that it’s impossible for us to separate the impact of predispositions, from the impact of the opportunity that we had to cultivate this potential… »
Context = the impact of creation.
If I think: “I have a creative genius”, or if I think that: “I don’t have the creative genius”, when would I create better? Actually, the answer is that when I forget about this question, that when I’m not wondering whether I have it or not. Because the fixed idea of what creative potential and what intelligence is, this is what pollutes our process of our learning process, our creative process. It’s considering that they are fixed traits that we have or we don’t.
And then another reason, so of course, is to demystify the fact that we have a gene for something, or we have a part of the brain for something. We know that it’s complex, that we are genetically wired, biologically wired, to be shaped by our life experiences, to be shaped by our environments, by our encounters.
We are, by definition, plastic beings, and our brains and our body that could have this genius are not isolated from the rest of what we could get or not get. Acknowledging that it’s impossible for us to separate the impact of predispositions, from the impact of the opportunity that we had to cultivate this potential, makes it clear that we should stop being obsessed with the question of whether we have talent or not. Because anyway, who’s going to judge for the product of that talent?
It’s always responding for a historical moment where we…I always think about Lionel Messi and the Renaissance, like how would you describe his talent? Because he would not be useful at that time. And that everything that we consider genius, every time that we delve into the stories, the life stories of those people, we realize that they were just there at the right moment, surrounded by the right people. They did something out of this privilege, but they were at the centre of what would make them able to create something that is different. There is no solitary genius, nowhere in the history of science, of art. They are always situated in an ecosystem that represents and inspires and make the access to the creation easier.
« Collective story building is maybe more tiring, but it could end up more interesting – if there is an equal access to the parole, an equal access to the creation, and if there is no hierarchy in considering that a voice is more valuable than others. »
The collective construction of the narrative.
And what’s interesting for me, is this hierarchy that is the main reason for us to let go of the effort of building something. Because if I believe that you’re better than me, that idea will top me from forgetting about this comparison. So again, we cannot be at the same time accepting the uncertainty of the creation, and at the same time obsessed by the question of social competition.
Even athletic champions, when they are on the field, they forget about the competition. They are completely in the flow of the action. Maybe the second before I was in the competition, but the minute I started running, my brain is in the flow of the action. I’m just a body, and I’m not seeing. People around me are just shapes. This is what makes us go beyond ourselves. This is how kids play. When you see a baby playing with this rug, he’s not interested in any performance, but he’s completely in the flow of observing and exploring it. So, he is perceiving and creating something.
There’s something interesting that happens in the brain when I am thinking in the presence of others. We see higher activation because the social representation circuits are activated. And it actually brings a better quality to the arguments I’m giving. It makes me more demanding of myself. It has been tested in many circumstances. For example, jurors that are going to judge for an end, and we give them the opportunities to share their arguments. And we put diverse people there. They’re not belonging so we are not falling in the group-think bias. We see that the more diverse they are, the more information they will share, and the quality of information will get better. They’re tired after that. Because if I am building a story with you would not always agree with me. I will actually be more demanding for the quality of how to convince you that this is how it should go.
And when we listen to ourselves talking to others, we become more precise. If you’re trying to let somebody else understand your thoughts, you are getting it better. You are understanding your thoughts better. So that’s why collective story building is maybe more tiring, but it could end up more interesting. If there is an equal access to the parole, an equal access to the creation, and if there is no hierarchy in considering that a voice is more valuable than others. It’s not enough to be there creating together. I also have to make sure that everybody there is not wondering whether you have more talent than I do. We forgot about this obsession of diagnosis and of hierarchy, and we are in the process of creation. So, it becomes richer because I am delving into the pool of experience that I have, but it’s also getting inside yours.
« You perceive and create constantly, and have to accept that it doesn’t have to be perfect… »
Ideation & creation.
I think that it’s a very dangerous trap to believe that once I’m going to put something into a paragraph, it has to be perfect. Again, it’s a process. It’s the same when you want to quit the habit. You quit it one time and then you relapse and then you analyse why you relapsed, and you try to shape your environment differently. This is how it goes in the brain.
You perceive and create, perceive and create constantly. To accept that it doesn’t have to be perfect, takes away all the psycho-emotional pressure of making it the right paragraph. This comes also with this myth of innate talent and genius that they heard it somewhere. If we come to the Greek mythology, to the idea that we have it today, that I got it and I put it just through the night, the morning I printed my book and I sent it to the editor.
Your perception of your own product is subjective and is related to sometimes your affective states, sometimes to your physiological states. I find it a bit dangerous to separate the ideation from the creation.
© Photos Brigitte Bouillot
Chercheuse en neurosciences (France & Liban), qui a contribué à la conférence-table ronde 04 : “Création de récits : l’affaire de tous ?“
in English
Samah Karaki est une neuroscientifique franco-libanaise. Elle a fondé et dirige le Social Brain Institute (SBI), une association qui utilise les savoirs de la science cognitive pour gérer des enjeux environnementaux et sociaux.
Son premier livre, “Le talent est une fiction”, est paru en 2023 dans le label Nouveaux Jours, chez Lattès (Le Livre de Poche, 2024). Elle y déconstruit la mythologie entourant les histoires de réussite individuelle.
— un entretien réalisé par Vassili Silovic, auteur et réalisateur de films documentaires, et enregistré aux Champs Libres (Rennes) dans le cadre de la série “Quels récits pour notre temps ?”.
« L’acte de création consiste à nager, à contre-courant de nos propres flux existants. »
Accepter la complexité du récit pour accepter l’autre.
Nous sommes toutes & tous des conteur·se·s : à la minute où nous ouvrons les yeux sur le monde, nous percevons et créons des images et des significations. La difficulté réside en la perception d’un monde déconnecté de nos perceptions passées. Il nous est facile de partager des douleurs que j’ai vécues ou similaires à celles que j’ai vécues. Il nous est, par contre, complexe d’entrer dans la perspective d’un individu ou d’un groupe que je ne connais pas, avec qui je n’ai pas partagé d’expériences communes. L’acte de création consiste à nager à contre-courant de nos propres flux existants. Ce qui peut être considéré comme un effort ou le résultat de l’effort en lui-même. Si nous décidons activement de décrypter nos pensées, de l’intérieur, et de réfléchir à ce que nous dirions, comment nous comporterions-nous ? Quelles seraient les raisons qui stimuleraient un comportement que nous jugerions comme mauvais ? En fonction du degré de connaissance de l’autre – de la simple rencontre et écoute d’un individu abordé pour la première fois, à un être cher – quand l’attention accordée est couplée à une appréciation positive de l’histoire contée et partagée, nous ne sommes pas, ici, dans le cadre d’un effort. C’est d’ailleurs une marque d’amour en soi : accepter l’autre comme une personne complexe, prendre en compte sa narration comme aussi complexe que la mienne.
« Le récit peut m’aider à me connecter à l’autre : avec empathie. »
Le récit : un raccourci vers l’existence et la réalité de l’autre.
L’ouverture et l’intérêt pour l’autre existent parce que la rencontre est effective et qu’un échange notamment de questions est possible et que l’on vit le moment, en proximité. Un expérience personnelle que permet également la littérature : nous plongeons dans la réalité de quelqu’un d’autre et la capacité de la fiction à nous influencer est telle qu’elle élargit notre perspective du monde. Le récit est un raccourci vers l’existence et la réalité de l’autre. En neurosciences et en sciences cognitives, nous parlons d’attribution fondamentale : l’erreur est quand nous agissons, nous analysons nos comportements dans leurs contextes, nous expliquons nos comportements en les mettant au centre des conditions qui nous ont amené à agir et nous n’avons alors que trop peu d’intérêt envers les autres, uniquement pour expliquer nos propres comportements. Le récit peut m’aider à étudier les contextes et conditions qui stimulent nos actions, en connexion avec l’autre : avec empathie.
« Pour moi, les artistes sont au centre de la vie et, non pas, aux marges de celle-ci. »
L’art est politique.
Pour moi, les artistes sont au centre de la vie et, non pas, aux marges de celle-ci. Ils sont plus engagés, notamment dans leurs interactions avec l’autre. Nous avons l’idée répandue que les artistes sont narcissiques. Ils fouilleraient continuellement dans leurs propres émotions et sentiments. Or, ils vont au-delà de leur ego pour être témoins de ce que les autres autour d’eux vivent. L’art est donc politique. Être artiste est aller au-delà de sa propre expérience et de considérer l’expérience narrée comme située. Lorsque nous décrivons une histoire de famille, nous plaçons cette famille dans son environnement culturel et social propre. Il nous faut beaucoup de connaissances pour se sentir légitime à composer alors le récit. Des connaissances qui deviennent des expériences de vie permises par notre ouverture d’esprit, par l’acceptation de notre perception biaisée et par notre humilité pour considérer que l’autre – qui n’a pas eu la même vie que moi – a quelque chose de très intéressant à m’apprendre.
Tolstoï qui est parfois, lui même, un personnage quelque part dans son livre, compose un récit qui permet, à chaque fois, de donner la parole à un autre personnage pour changer complètement le regard : de la jeune femme à l’enfant, à l’homme, au militaire. Il déploie un espace permettant à chaque personnage de s’exprimer, de partager ce qu’il pense de tout cela, donc je vois ça comme si Tolstoï disait : “Je veux m’exprimer mais je vais plutôt intégrer cette voix à l’intérieur du personnage pour ne pas polluer les autres regards qui devraient être autour de ce personnage. » Ce qui demande beaucoup d’humilité, de connaissances, de recherches. Pour créer un récit ou toute autre œuvre, nous nous devons de puiser dans un bassin d’expériences qui incubent — « l’incubation », puis nous commençons à expérimenter, à partir de ces expériences. Nous expérimentons, nous faisons des essais et des erreurs et, à un moment donné : nous nous oublions, la narration nous ayant dépassé. Ce dépassement de soi demande beaucoup de disciplines.
« L’inspiration soudaine ne vient pas « de nulle part » mais est le fruit d’un processus complexe, d’une construction à part entière. »
Création du récits : un processus complexe.
Ce que nous considérons hâtivement comme de l’inspiration soudaine ne vient pas « de nulle part » mais est le fruit d’un processus complexe d’une construction à part entière, comme toute autre construction de pensée. Que l’on soit artiste ou scientifique, le processus de création repose sur nos expériences passées et notre expertise pour la mise en œuvre avec les contrôles et vérifications que l’ensemble « fonctionne ».
Le processus créatif n’est pas localisé dans le lobe gauche ou droit du cerveau mais engage en fait de nombreux circuits cérébraux, exécutifs qui permettent de donner un sens, en connectant avec nos expériences passées et ce que nous appelons : le réseau de l’imagination. Notre réseau cérébral dit « saillant » lit constamment des informations provenant de notre propre corps ainsi que des contextes environnants qui interagissent les uns avec les autres. Un artiste peut peindre pendant sept heures, mais ce moment précis de 7 heures n’est pas forcément un fil rouge de création pure et peut être un processus de production technique, autonome pour concrétiser le processus de création. À certains instants, un regard, un déplacement, un changement du pinceau touche au processus de création. Le produit de la création n’est donc pas que le fruit du talent et de ce que l’on appelle souvent « potentiel » mais d’un cycle complexe qui allie efforts et plaisirs.
Il y a du désespoir également avec la sensation de blocage, le sentiment d’être kidnappé de l’intérieur sans possibilité d’un recul extérieur sur la création en cours. Puis le cycle de production continu — les détails bloquants s’éloignent et on incube à nouveau pour expérimenter, tester, analyser les potentielles erreurs. L’œuvre est finalement réalisée, qui est donnée aux jugements de l’autre. Elle ne vous appartient plus. Le processus est collectif puisque nourri et inspiré de l’intérieur et de l’extérieur et, à travers, l’appréciation des autres, l’œuvre est elle-même collective. Les sens de toutes & tous se mélangent, les ressentis issus des expériences individuelles donnent naissance à une appropriation collective, parfois surprenante. L’inspiration soudaine n’est donc pas à dissocier de la discipline, de l’entraînement pour contrer les moments bloquants ou émotions négatives qui viennent freiner le processus.
Notre travail sur notre travail sur la disponibilité l’attention est précieux, comme celle que l’on donne à la lecture plus ou moins attentive d’un livre, ou l’écoute d’une histoire d’un proche. Comment la prise de notes est assurée ou non. L’ensemble compose des tactiques, astuces, outils pour organiser la pensée à intégrer dans le processus de création qui sont transmises, d’ailleurs, par des experts.
« L’intérêt du récit réside dans l’ouverture à l’incertain. »
S’abandonner à l’incertitude pour nourrir le récit.
Je ne sais pas qui a dit que « choisir, c’est exclure » : choisir de focaliser le regard construit le récit, à travers cette idée claire définie, notamment de l’endroit précis où vont évoquer les personnages. La force artistique, scientifique et entrepreneuriale se déploie dans les champs d’incertitude à protéger. L’intérêt du récit réside dans l’ouverture à l’incertain, qui nécessite de l’énergie. Pour accepter l’incertitude, nous confrontons notre cerveau à un vide et le cerveau déteste le vide et livre instantanément une narration, pour combler ce vide. Être dans une démarche artistique ou scientifique et refuser cette première histoire qui nous vient à l’esprit et donc de maintenir cette incertitude. Il nous faut abandonner l’obsession de la qualité de ce qui se crée, à cet instant précis. Nous nous devons de nous abandonner à l’incertitude, dans un premier temps et juger dans un second temps. Il y a, en effet, dans le cerveau : une compétition entre le réseau exécutif et le réseau dit « par défaut ». Nous ne pourrions pas écouter attentivement une personne et penser, en même temps, à quelqu’un d’autre : on se doit d’alterner vous alternez entre ces deux tâches. C’est la même logique pour notre cerveau. Nous avons besoin que le cerveau crée en mode « sommeil », puis passe à une autre fonction exécutive en jugeant ce que j’ai écrit. Et non en même temps.
« Il nous est impossible de séparer l’impact des prédispositions, de l’impact de l’opportunité que nous devons cultiver. »
Le contexte = l’impact de la création.
Nous ne sommes pas « multitâches » et nous sommes complexes. Le génie créatif n’existe pas ! Le penser pollue notre processus de création et d’apprentissage. Nous n’avons aucun trait fixe pré-déterminant. Démystifions ! Nous sommes génétiquement et biologiquement façonnés pour être nourris par nos expériences de vie, par notre environnement, par nos rencontres. Nous sommes, par définition, des « êtres plastiques » : notre cerveau et notre corps ne sont ni déconnectés, ni isolés du reste du monde. Nous devons reconnaître qu’il nous est impossible de séparer l’impact des prédispositions, de l’impact de l’opportunité que nous avons force à cultiver. Arrêtons d’être obsédés par la question de savoir si nous avons du talent ou non. Nous ne pouvons pas questionner le génie ou le talent de Lionel Messi en le transposant à l’époque de la Renaissance. Chaque personne, sa création, son talent, son impact dans la société s’explique parce qu’il était simplement là, au bon moment, entourées des bonnes personnes. Elles ont réalisé ce qu’elles ont réalisé grâce à ce contexte, tout en étant centrale dans le système établi. Il n’y a pas de génie, donc de génie solitaire. Dans l’histoire de la science ou de l’art, les personnalités ayant encore un impact aujourd’hui, sont toujours situées dans un écosystème qui représente, inspire – qui facilite l’accès à la création.
« Créer ensemble, c’est s’assurer que personne ne soit dans l’obsession de la hiérarchie. »
La construction collective du récit.
Il nous faut abattre les hiérarchies et les comparaisons inhérentes qui nous contraignent dans l’effort de construire quelque chose. En pensant que d’autres, par exemple, sont meilleurs que nous, nous nous empêchons et nous gaspillons notre énergie par cette compétition sociale. Même les sportifs lorsqu’ils sont sur le terrain oublient la compétition, ils sont complètement dans le flux de l’action, d’une seconde à l’autre : ils sont juste un corps, pour aller au-delà d’eux-mêmes. Comme les bébés, quand ils jouent sur leur tapis d’éveil : ils ne sont pas intéressés par une quelconque performance mais complètement engagés dans le flux de l’observation et de l’exploration. Le bébé crée alors du sens.
Globalement, quand nous sommes en présence d’autres personnes, le cerveau stimule une activation plus élevée – les circuits de représentation sociale étant activés. Une activité soutenue apportant, une meilleure qualité aux arguments exprimés, une plus grande exigence envers soi-même. Ce qui a été étudié notamment en Cour d’assises avec les jurés à qui est donné, dans le cadre du processus de jugement, l’occasion de partager leurs arguments, en présence de personnes de différents écosystèmes, hors groupe initial, pour ne pas développer la « pensée de groupe ». Plus les profils en présence sont divers, plus ils partagent d’informations dont la qualité est croissante car nécessaire pour convaincre. On s’oblige à s’écouter parler aux autres et on devient alors, plus précis, pour faire comprendre sa pensée. Un lien se crée. La construction collective du récit est pleinement intéressante, quand est garanti un accès égal à la parole, à la création, sans hiérarchie considérant qu’une voix aurait plus de valeur que les autres.
« Nous créons et percevons, ainsi de suite, en acceptant l’imperfection. »
Idéation & création.
Si on prend l’exemple d’une habitude que l’on aimerait stopper : on arrête, puis on « rechute », on analyse alors : pourquoi cette rechute et on essaie de façonner notre environnement différemment. Nous créons et percevons, ainsi de suite, en acceptant l’imperfection. Loin du mythe du talent et du génie innés, comme la mythologie grecque nous le fait croire : en une nuit, un matin, on ne publie pas un livre ! L’expérimentation du récit est constante, notre degré d’exigence évolue avec également ce qui nous nourrit et les lectures et nos temps de pause avant de revenir sur ce qui a été produit. Se relire alors que l’on a faim amène une perception autre qu’une lecture après déjeuner, par exemple, ou idem si tu as froid ou si tu traverses un chagrin d’amour. Notre perception à toutes & tous sur nos propres créations, et plus globalement, est subjective – dépendantes de nos états affectifs et physiologiques. Il est dangereux de séparer l’idéation de la création.
© Photos Brigitte Bouillot
en français
— conference recorded at Les Champs Libres (Rennes) in December 2023 in the framework of the series “What stories for our time?”, moderated by Yann Apperry – Screenwriter, Playwright and Novelist – and Nicolás Buenaventura – Writer-director and Storyteller.
Neuroscience sheds new light on the myth of Creative Genius.
Would we all be able to create streams of imaginary worlds and wild stories?
With Jan Schomburg – Screenwriter & Director (Germany), Samah Karaki – Neuroscience researcher (Lebanon & France) and Tamara Russell – Neuroscience researcher and Martial Arts specialist (UK) as well as Thomas Roze (France) – Osteopath and witness of this round-table.
« And then the inspiration would come from the default network of the brain that actually stored all this, this salad of experiences. And instead of searching, it’s a cooking recipe. »
Automate to free us.
Right now, we are all doing lots of physiological mechanisms in a very automatic way.
You’re not aware that you’re breathing. Actually, you’re surviving each other second. You’re about to die, and then you breathe, and you’re alive again.
And you’re doing this because you are kind of relying on this autonomous nervous system that is telling you, I’m taking care of digesting your food and maintaining your body temperature and fighting any stranger germ coming into your body so that you can listen to these people talking, right? You are available to do something else. Your executive system is not aware, not preoccupied by all of these issues, right? So, what’s amazing in our brain that not only our survival issues are automatic, but also everything that you’ve been through.
The language I’m using, I’m not born speaking English and so, at some point, I had to automatize this language so that I can go beyond the symbols and bring meaning to what I’m saying. The way we walk, the way we sit, everything you’re doing right now is actually… you’re not processing this actively. We need to be first grateful to have a system that is allowing us to be available to do something else.
Accept the ambiguity and uncertainty of the world.
We rely on this automatic system because we don’t have enough energy to process the world every time we look at it. But bias is actually when this system fails.
For example, we’ve been a few hours together, but I already judged you based on my automatic cultural, social experience, past experiences of people that look like you, that behave like you, right? I need sometimes to say actually, “I don’t know you”. And I know that I’m having this because I’m having this judgment automatically. But I need also to accept that you are an ambiguous object. But it’s not OK for me to accept this for everybody here because it’s such a cognitive load to accept the ambiguity of the world and the uncertainty of the world.
I don’t want to sound like other neuroscientists asking people to have critical thinking and to always think against ourselves with this metacognitive issue. Because we don’t have enough energy for that. But if I want to delve into a creative process, then I must be doing what you talked about, Jan. I need to fight against my urge to describe the world the way I see it. It’s actually to forget about myself, which is kind of impossible, but we tend towards this. And maybe a trick that we can use is instead of me doing this work alone, is to question you, who you are. And that’s how it becomes collective narrative creating. Because I am actually accepting to hear your perspective and to give it the same exact place I give it to my interpretation of what you are. And also, another trick would be to share experiences because the more experiences we share, the richer my interpretation of who you are becomes.
Maximize collective intelligence.
But let’s say I belong to a school of thought that would defend another way of dealing with ourselves and would consider that we don’t have as much willpower as we think we do, that we don’t have any. That actually we are determined by our past experiences. But actually, this metacognitive, this you know me, looking at myself, I believe it’s more efficient when it’s done by others, when I’m allowing others to let them show me how they see what I’m looking at.
I believe also mental health is an issue of the quality of interactions we have with others. But also, our self-discourse and our sense of who we are and why we are doing the things we are doing them. How can we create default environments where actually what I’m seeing is complex, where I am facing the limits that I have in my perceptions with the complexity of the perceptions of others? If I think, for example, education.
Education that is based on willpower, on the illusion of willpower. And that’s why is it interesting to fight for social mixity? It’s because when I’m actually experiencing learning with others, I am kind of unconsciously, in very implicit ways, learning that the word is complex, when we speak different languages. We are not saying, oh, this could be called “cup” and “kub” (كوب) and “verre”. I just know it’s that truth can be called differently. I think that we should reflect on environments and social connections to develop critical thinking instead of relying on the individual efforts. Something that I guess we can connect to what Yann was talking about. I guess there are some collective intelligences.
Questioning racial biases and prejudices.
Let’s discover our racial biases and prejudices. Well, you can say, “yeah, I just had a racist thought.” You’re not going to change it. You don’t have the ability to go inside your habit system and say, “I’m not going to smoke anymore. I’m going to meditate. I’m going to do sports in the morning.” But your brain says, I like those ideas, but we don’t have energy to change that. But when does it become interesting? When we are actually faced with the diversity of others because my friends are diverse. Because the people I love are diverse. I don’t have even to question my biases. I’m actually building better automatisms. This is something that we reflect on collectively. How do we build districts? How do we reflect on the urban landscape? How do we imagine narratives that we share with others?
And this is maybe the responsibility of when we write. It’s about making it possible to show the complexity of the reasons why people do what they do. And I’ve read this sentence lately. Sarah Schulman, she’s a writer called “Conflict is Not Abuse”, which is like an amazing book about empathy and about understanding that people, even when they seem monsters to us, well they are not sleeping at night saying, “I’m a bastard”. They’re also sleeping saying, “I’ve done the best that I can do.” And to really acknowledge that people always have very good reasons to believe what they believe in and to behave the way they believe.
The free desire.
Like the neuroscience field already have positions regarding this idea of willpower and free will, showing from a neuro-scientific perspective meaning experiments done in a laboratory that are not close to being as complex as what we actually experience as decision making in our actual life. But it shows that even when we believe that I decided to say something or to behave or to move my hands, the brain already processed this information and took the decision in a very implicit way based on my past experience again and not my ancestors guiding me or whatever It’s based on my past.
I’m determined by my past experiences. And what comes after is my consciousness rationalizing the decision that I’ve taken. But then again, this is the context of the laboratory experiments. It’s not as complex. We talk about free want and not free will because I can observe myself on the verge of saying something that I refuse to say. My seven-year-old kid, sometimes he wants to say a big world and then he stops himself. So, he’s doing this free want. But we have to remember that this is costly, it takes energy. We can experience it from time to time. We all experience some kind of willpower against ourselves. But we don’t have to fall into the illusion that this work is continuous. And it’s a luxurious work. It’s something that takes lots of energy and lots of willing to accept that we’re wrong, which is again something because we are more attached to the feeling of coherence.
And that’s why, by the way, algorithms of social media are built. Are built the way to nourish these needs by creating the filter bubbles where you will actually only need the information that you already agreed on because we don’t want you to spend a bad time looking at your social media wall. I’m going to make you see what you already know and like. And that’s how we end up saying, “I don’t understand people who…” Right? It’s because you believe that they have willpower to decide on their decisions and actions again. And they are actually living in the same nature of this bubble that completely confirms what they have already as ideas and perceptions.
Caring for yourself to open up to others?
Effort can come with pleasure too. If you look at kids playing, sometimes I fetch my son at six, he says I’m too tired to go do some grocery shopping. But then if you go to the park, then he’s going to play for two hours and he’s going to sweat. So, it means that your abilities are kind of adapted to the level of difficulty of the task you’re doing.
But this is when you’ll be in this flow state where you finish your session of writing and you sleep like a baby. But then there’s something pleasurable that comes with it. And I hope that every one of you and myself experience that flow from time to time. It’s like kind of orgasmic states where we’re doing. It’s not comfort zone, but it comes with other also conditions.
When we analyse, what does it actually do in real life? All the work we do on ourselves in our individual sphere: if we look at the percentage of implication and engagement of these exact people, in the actual things happening to others, we see that the more you work on it in your individual sphere, the less you care about actually what’s going on around you because it becomes too violent.
And if we look now, it’s like the personal development sphere is the one that is less vocal about wars and about adversity around the world, because they want to be shielded, because they’re too sensitive for that anymore. It’s also interesting to see in real life when I think beyond my body posture, is it making me actually less narcissistic?
Inspiration is a constant connection.
There is a very similar question that was addressed in a letter to Rainer Maria Rilke. He said, when I’m stuck, what should the character do or what description of his character would be? And Rilke said: well, just go and live. Live. Visit cities, fall in love, fall out of love. Get hurt, you know, like meet… Just forget about that and go and live and trust that your brain will do something about it. He didn’t say it this way, but this actually what happens is that you will not sit and say: “what would my character do?” Sometimes writers let us to believe that this is how they work. Maybe you will. Like Dostoevsky. But actually, Dostoevsky was a very social person. He was out there meeting people, discussing his characters, other people. And then the inspiration would come from the default network of the brain that actually stored all this, this salad of experiences. And instead of searching, it’s a cooking recipe. And you should see it with the spice or not.
Confront perceptions.
This is, I think, a question that is very relevant to the care sphere, but also to the journalism sphere, to politics and to storytelling. Do I have to feel the pain, to know the pain, in order to talk about this? And you know, in journalism, we call it the death-kilometre bias. I have more empathy to the people that I know, other people that look like me. So, it’s not subject. But the question is, this is also what led people to talk about male gaze. It’s that because women said, “no, no we do not comb our hair this way.” It’s because you do not feel not only my pain, but you don’t feel the way I deal with my body. The way you’re depicting it is through your own perception again. Then we can also talk about colonial gaze. I don’t know if you’ve seen “The Crown”, the last season of “The Crown”, with Arab people depicted in a very biased way: we’re simple people, we only want occidental people to like us. But you know, only Arab people actually said: “hey, why are we always painted this way?” And Asian people say the same about how they are depicted in a very biased and very simplistic way.
So, do you have to be Arabic and Asian in order for you to tell non-biased storytelling? Again, the question is, can I feel legitimate to describe or to talk about certain people’s pain or joys if I see them as a group, as dispositions and not as complex as I see myself and my own group? And my answer would be, again, go out there, meet these people, hire them to tell you what they think about your gaze. And this is where also collective storytelling becomes interesting. It’s because I do not live 400 years and I sleep a lot as a human being also. So actually, the time that I have left for me to understand and apprehend the complexity is very limited. So that’s why it’s interesting to actually open up to other people also sharing their gaze and to let people describe, since we have this empathy bias, let people validate that what you’re talking about is actually, this is how I feel.
Understand the complexity of each character.
There’s a trap storyteller can fall into. It’s because they want to include as many as diverse characters inside their storytelling that sometimes it becomes a caricature of what they want. So, talk about what you know. I prefer not to have a gay character or an Arab character or whatever, if you are not going to show this character in its complexity. There is this black friend always being there but not being the main character and always being kind and funny and, you know… the cliché. So, either staying and not making it an intention to create diverse storytelling when you’re not actually able to really apprehend this complexity.
« At some point, you have to let go… But before that, I also feel you’re building little rivers where you can then flow. »
Letting go.
For me, as a writer, you have to be in a flow. I mean, at some point, you have to let go. And you have to give yourself to the universe. And you have to be in a connection. And then you are just like a helpless little thing that just gets thoughts. But before that, I also feel you’re building little rivers where you can then flow. In the Bartleby thought, I prefer “Nurture” is in writing, very important because, of course, very much the first impulse of doing something is also really bad. It’s mainly also to decide: “oh, this comes from… I’ve seen this in other movies, or this is like a bad idea.” I feel very close to that thought of watching from above, but also being inside at the same time while writing.
How I have been taking care of myself? I have Ritalin, which is a good drug to focus. And apart from that, I would like joyfully and vehemently disagree to you, Samah, when you say that it costs a lot of energy to go into this meta perspective, if I understood you right, and that it’s a luxurious thing. I have the feeling I see it in every kind of culture: I see certain people who have this ability and or some have also learned it. I don’t think it’s effort.
Collective stories.
What I’m dreaming of is a structural way of storytelling that is not bound to the protagonist. I’ve been working and thinking on that for really decades. And it’s really hard to find a way to do that. What would be a collective way of storytelling? And I’m not speaking about telling a collective like, of a protagonist. I’m speaking about structurally changing the way of storytelling.
A story is an idea.
We have aesthetic artistic views on filmmaking and stories to solve this “identity politics problem”. Because bad storytelling exists, that shallows character. And there are some things where you need a very good idea to do that. Like if I would now do something, for example, like a Spike Lee movie where only whites would play the black characters in Queens, I would have to have a very good idea of it. But we can all feel that it feels wrong in an artistic sense. But for example, we did a film about Stefan Zweig. My grandfather was SS. I’m not Jewish. My wife is not Jewish. But I think we had a really good idea about what is exile and what does it mean. We were telling a story about Europe, but it was set in South America… I think we had a good idea about it. It was a specific idea about this character. Then you can tell, as a grandchild of an SS officer, you can tell a story about a Jewish refugee. But you need a good idea, I think.
« Attention is a primary vehicle for how we experience the world. »
Unlearn to open the story.
I think the phrase that comes to my mind is unlearning. And that doesn’t mean throwing learning out, but it’s recognising that in that learning journey from these big wide-open eyes of a child funnelled into society, status, education, career, expertise, tribe, there’s a narrowing and that makes things more efficient. It allows us to take advantage of automaticity.
But maybe we reach a certain time in our lives when we realise that unlearning is going to bear more fruit. And this is perhaps when my approach is mindfulness based on ways of trying to open up the thinking, to enrich the memory banks with kind of new information and to maintain an awareness of more than just what’s on my mind. The brain is really awesome and is helping us to maintain relatively upright posture. But anybody who’s worked at a computer for a long time, the posture will go like this and then it’s like, OK, “how can I maintain that awareness of my body, keep that bodily information flowing into my brain, allow my decision making and creative process to draw on all sources of information?”
Take unmarked paths.
For me, what’s been really helpful is really keeping an eye out for the “I know” mental monkey. The minute I think I know, it’s not to dismiss the things I know, but it’s to then know that that’s a moment to just be careful. Because there’s a neural pathway that’s getting ready to fire that is smooth and deep and easy. It’s like being on the auto ban. And actually, there might be something more fruitful if I get my machete and I go this path, that isn’t well trodden.
We’re not even aware that we’re thinking, we’re just kind of in a thinking process. Then we have this opportunity to create the dyad of subject and object. So, it’s like, “oh, here is a thought”. And here is something that knows its thinking: homo sapiens sapiens. And what you’ve now got is a relationship and you’ve got options. But if I think about techniques like CBT: CBT then says, get back in there. But I want you to figure out why this thought is wrong. And I want you to be like a legal person and say, “no, that’s not right. No, that’s not.” It’s a bit hardcore. I’m exaggerating. It is Cognitive behavioural therapy.
Restructuring thoughts with a kind of arguing method. Versus in a more mindful, compassionate mode. Yes, there’s the effort of being aware of the thoughts. But we’re alert but relaxed. Not alert alert. Alert relaxed. And we say, “wow, look at that mind go. Isn’t that interesting?”
Self-abandonment in the narrative.
In terms of the energy, this idea that, “it’s a luxury to be able to train your brain…” : if I want my mind to be alert, relaxed, I make my body alert, relaxed. I get that we’ve got various ways of training in mindfulness. But my own kind of unique variant of that is we do it every day, we do it in every movement. Bruce Lee style, picking up the shopping, putting on a jacket, hashtag no cushion. We can do it in ways that are accessible to everybody, even a busy working mum or a health professional or someone in a psychotic break like.
I’ll say one more comment about the energy and I’ll draw maybe now more from a martial arts perspective. Yann was talking about that moment when you kind of surrender to the universe. And I suppose in martial arts and particularly in Qigong, which is the more healing, energetic aspects of martial arts, we talk about two different kinds of chi. If you’re going to a Qigong master, there’ll be one kind of Qigong master who is using their own chi to heal. There’s another kind of master that it’s almost like channelling. They remove themselves from the equation. They remove their egoic self from the equation in order to open to what they would call the universal chi. And at that point, the cosmos is doing the healing and the human is merely a vehicle. So maybe the inquiry is what is the role of surrender? What is the role of surrendering?
Better know myself to connect with the other.
My experience of practicing mindfulness, how does it benefit, I think will meet and will join because how it’s helped me is in human connection and presence and relationship and deepening those micro moments of connecting to a bus driver or a shopkeeper or a family member or a patient. And the kind of resilience and the robustness that has come from, getting to know my own emotional reactions, does increase sensitivity to what others are experiencing. And certainly, in mindfulness, the whole theory of that is turning towards that which is unbearable. It provides us with that capacity to actually really look at what is difficult, done well, done with supervision and guidance from a more senior person, but it’s that ability to stay with the terror, the pain, what somebody else might be sharing and then from there, who knows, but there’s at least possibility for dialogue sharing, problem solving, storytelling or whatever wants to come next.
Pay attention to experience the world.
What I would suggest is explore how your character might be different depending on their capacity to pay attention.
My mind went to attention deficit problems and you know, absolutely people with ADHD experience and interact with the world, learning, relationships, emotions in a different way from people who have a kind of normalized attention network. And I believe this is an important question for our time because there has been a tsunami of ADHD diagnoses, some of which may or may not be related to digital natives and the use of the technology that we have. My belief is that that attention is a primary vehicle for how we experience the world and therefore we must really honour it and value it and not give it to our devices and let people market it and make money from it. This is our most last precious gift that we have for our children. High quality, present moment, non-judgmental attention that ultimately has care as its core foundation. I just felt quite strongly to say that.
« Osteopathy has a lot of similarities with the martial arts, with the foot pressure, the feeling of your balance, your own balance in order to feel the patient’s balance: if you’re like this, you will not have the same availability of reception to your sensations. »
Experience to feel.
So, first of all, the main difficulty for me is to deal with my own perceptions of what the patient is telling of what I’m feeling because I’m working with my hands. It’s highly subjective ground. And I always have to go back and forth between what do I really feel, is it something that I want to feel or is it something that I really feel? And is this perception different from what the patient is experiencing? And it’s mainly about the main factor that we deal with is pain. And we have a lot of scales in order to graduate the pain and in order to kind of make it easy for us to identify which disease or which trauma can cause pain. And it’s mostly now about the suffering, the experience that the patient has.
And it’s sometimes difficult for us to have that kind of subjectivity towards what the patient is feeling. And I also sometimes feel that when I’m in pain, I’m far better to understand the patient pain. And when it’s been a long time that I don’t have any pain, it’s quite harder for me to see what the pain is doing to the patient. Why is he suffering from something that I would judge as not really important? And I lately spoke with my wife about it because she’s a midwife. And she said to me that she was speaking with a lot of her colleagues and that the fact that her colleagues had given birth completely changed their way of taking care of the patient. Because they had to be in the opposite situation and to experience it, it’s far easier to deal with my empathy and to quite understand what the patient is having.
About empathy, I’ve always told myself it’s a question that I have, I don’t know if you could answer it. My thinking is that sometimes when the patient is feeling pain or having a problem, it’s more that I’m trying to help myself, helping him. And it’s me that I try to comfort and to ease when I’m trying to ease the patient’s pain. And I don’t know if empathy is like a selfishness, which is something that would be quite hard for me to progress, but I can deal with it. Or if it’s really something that I’m trying to do to the patient that, yes, has the effect of helping me also.
Share, in duet, to heal.
I have to put my perceptions into the patient perspectives. I have to feel the things with the patient in order to make them also realize that maybe there’s something wrong there. And the interesting thing is that sometimes when we touch the body, when touching a zone, a certain area, the patient starts to talk about that zone which is a thing that he didn’t do during the interrogation part of the consultation. He wasn’t aware of it. And just by touching it, I don’t know if it’s that the patient starts to put his attention to the zone and starts remembering things and talking about it. But it’s always a mutual flow that we have to have in these relations. For example, with the sound of the voice, I sometimes see that I’m speaking a bit lower, a bit deeper. And the patient starts to ease and the movements come more fluid. And it’s really a two-work thing. Two people work thing.
There’s a lot of similarities with the martial arts, with the foot pressure, the feeling of your balance, your own balance in order to feel the patient’s balance. Because if you’re like this, you will not have the same availability of reception to your sensations. I’d say it’s going deeper in the body in terms of perception, but also to get away in terms of intellectual process and to just become the feeling and the sensation. Just no ideas, no “What am I going to eat this evening? My fridge is empty?” or all the kind of things that my mind does when I’m a bit tired. And just to be focused on the task.
© Photos Brigitte Bouillot
in English
— une conférence enregistrée aux Champs Libres (Rennes) en décembre 2023 dans le cadre de la série “Quels récits pour notre temps ?”, animée par Nicolás Buenaventura – auteur-réalisateur et conteur – et Yann Apperry – scénariste, dramaturge et romancier.
Les neurosciences éclairent sous un jour nouveau le mythe du génie créateur.
Serions-nous tous capables de provoquer des torrents de mondes imaginaires et de récits ébouriffants ?
Avec Jan Schomburg – Scénariste & Réalisateur (Allemagne), Samah Karaki – Chercheuse en neurosciences (Liban & France) et Tamara Russell – Spécialiste des neurosciences et des arts martiaux (Royaume-Uni) ainsi que Thomas Roze (France) – Ostéopathe et témoin de la table ronde.
« Ouvrez le récit à la pensée que vous ne comprenez pas. »
Automatiser pour nous libérer.
En ce moment même, nous, sans en être conscients : nous respirons, par exemple, et nous accomplissons un grand nombre d’actions automatiques qui constituent des mécanismes physiologiques.
Nous sommes sur le point de mourir, puis nous respirons et nous sommes, de nouveau, en vie. Nous agissons en nous appuyant sur notre système nerveux autonome qui nous indique, chaque semaine : je m’occupe de digérer votre nourriture, de maintenir votre température corporelle et de combattre tout germe étranger qui pénètre dans votre corps afin que vous puissiez – actuellement – participer à cette table ronde. Nous sommes ainsi, toutes et tous, disponibles pour faire autre chose. Notre système exécutif n’est pas conscient : non préoccupé par tous ces problèmes.
Concernant le langage qui est propre à chacun : nous ne sommes pas nés en parlant anglais et donc, nous avons dû automatiser ce langage pour aller au-delà des symboles et donner un sens à ce que nous disons. Comme les façons dont nous marchons, dont nous nous asseyons, aucune de ces actions n’est traitée activement. Soyons reconnaissants d’avoir un système qui nous permette d’être disponibles pour faire « autre chose ».
Accepter l’ambiguïté et l’incertitude du monde.
Ce système automatique nous permet de traiter le monde sans dépenser trop d’énergie – énergie qui n’est pas infinie. Mais parfois ce système peut échouer et les préjugés surviennent.
Nous avons passé quelques heures ensemble, et déjà, je t’ai déjà jugé en fonction de mon expérience culturelle et sociale automatique, de mes expériences passées avec des personnes qui te ressemblent, qui se comportent comme toi. Or, nous avons besoin de nous dire, en préambule : « Je ne te connais pas » pour contrer ce jugement porté automatiquement. Tout en acceptant que l’autre soit un objet ambigu. Il est, pourtant, inconcevable d’accepter cette ambiguïté pour tout le monde et, plus globalement, l’incertitude du monde qui stimule une charge cognitive telle qu’elle ne peut être admise.
Je ne veux pas ressembler à d’autres neuroscientifiques qui demandent d’avoir un esprit critique et de toujours penser contre nous-mêmes avec ce problème méta-cognitif. Parce que nous n’avons pas assez d’énergie pour cela. Mais, ici, dans le cadre d’un processus créatif : je dois lutter contre mon envie de décrire le monde comme je le vois. En quelque sorte : s’oublier soi-même. Ce qui est impossible mais nous nous devons d’essayer. Un exercice facile est de vous demander qui vous êtes et de donner naissance à une création narrative collective. J’accepte alors, réellement, d’entendre votre point de vue et de lui donner, exactement, la même place que je donne à mon interprétation de ce que vous êtes. Également, il est utile de partager des expériences, car plus nous partageons d’expériences, plus nos interprétations de qui nous sommes s’enrichissent.
Maximiser les intelligences collectives.
J’appartiens à une école de pensée qui considère que nous n’avons pas autant de volonté que nous le pensons. Nous sommes déterminés par nos expériences passées. Il est plus efficace de permettre aux autres de nous montrer comment ils voient ce que nous regardons. Il est également préférable d’enrichir le pool d’expériences que nous avons avec les expériences des autres.
La santé mentale est dépendante de la qualité des interactions que nous avons avec les autres. Et, également de notre discours sur nous-mêmes et du notre sens que nous accordons à qui nous sommes et pourquoi nous faisons les choses que nous faisons. Comment pouvons-nous créer des environnements par défaut où ce que nous voyons est complexe, où nous sommes confrontés aux limites de nos perceptions, avec la complexité des perceptions des autres. Je pense, par exemple, à l’éducation.
L’éducation est basée sur la volonté ou sur l’illusion de la volonté. Il est intéressant de se battre pour la mixité sociale : lorsque je fais l’expérience d’apprendre avec d’autres, j’apprends en quelque sorte inconsciemment, de manière très implicite, que le mot est complexe, lorsque nous parlons des langues différentes. Nous ne disons pas, oh, cela pourrait s’appeler « tasse » et « kub » (كوب) et « verre ». Je sais juste que la vérité peut être appelée différemment. Nous nous devons de réfléchir aux environnements et aux liens sociaux pour développer une pensée critique au lieu de compter sur les efforts individuels : maximiser les intelligences collectives.
La question des préjugés.
Nous découvrons nos préjugés, intérieurement : on ne peut les modifier, n’ayant pas la capacité d’entrer dans notre système propre d’habitudes du type : « Je ne vais plus fumer. Je vais méditer. Je vais faire du sport le matin. » Notre cerveau confirme la bonne idée mais la modification du comportement n’est pas activable pour autant. Quand nous sommes confrontés à la diversité des autres – et cette diversité est fabuleuse ! – nous construisons de meilleurs automatismes et la remise en question de nos préjugés est naturelle. Sans cesse, la réflexion est collective : comment construire des quartiers ? Comment réfléchir le paysage urbain ? Comment imaginons-nous les récits que nous partageons avec les autres ?
Le récit a donc une responsabilité : celle de permettre de montrer la complexité des raisons pour lesquelles les gens agissent comme ils le font. Sarah Schulman, dans son livre “Conflict is Not Abuse” – un livre étonnant sur l’empathie – nous montre que lorsque des individus nous semblent être des monstres : ils ne s’endorment pas la nuit en disant : “Je suis un bâtard” mais s’endorment en se disant : “J’ai fait de mon mieux.” Il faut reconnaître que les gens ont toujours de très bonnes raisons de croire en ce en quoi ils croient et de se comporter comme ils le croient.
Le libre désir.
Les neurosciences décryptent la volonté et le libre arbitre de nos actions, à travers nos prises de décision dans notre environnement actuel, dans la vie. Lorsque nous pensons que nous avons décidé de dire quelque chose, de nous comporter ainsi ou de bouger nos mains, le cerveau a déjà traité cette information et a pris la décision de manière très implicite, en se basant encore une fois sur notre expérience passée et non sur nos ancêtres qui nous guidaient, ou quoi que ce soit d’autres.
La détermination émane de nos expériences passées. Puis, notre conscience rationalise la décision prise. Mais, dans le cadre des neurosciences, le contexte des expériences est en laboratoire. La réalité est moins complexe : on parle de libre désir et non de libre arbitre — nous pouvons nous observer sur le point de dire quelque chose que je refuse de dire. Mon enfant de sept ans, par exemple, veut dire beaucoup et pourtant il s’arrête. Nous ressentons, toutes et tous, une sorte de volonté contre nous-mêmes. Mais, il ne faut pas tomber dans l’illusion que c’est un travail en continu mais plutôt qui nécessite une grande énergie et la volonté d’accepter que nous avons tort, or nous sommes plus attachés au sentiment de cohérence. Les algorithmes des médias sociaux construisent des bulles de filtres, dans lesquelles nous sommes confortés, où il nous est donné de découvrir ce que l’on sait et aime déjà. Et nous sommes amenés à dire « Je ne comprends pas les gens qui… » En pensant qu’ils ont la volonté de décider à nouveau de leurs décisions et de leurs actions mais ils vivent, eux-même, en réalité dans la même nature de bulle qui confirme intégralement leurs idées et perceptions.
Se soucier de soi pour s’ouvrir aux autres ?
L’effort peut aussi s’accompagner de plaisir. Comme les enfants qui jouent après l’école, parfois deux heures durant alors qu’ils se sentent trop fatigués pour aller faire quelques courses ! Nos capacités sont calibrées au niveau de difficulté de la tâche à effectuer.
Écrire fatigue, voire épuise et il est agréable de finaliser son récit : une sorte d’états orgasmiques dans lesquels nous vivons. Le travail opéré sur nous-mêmes pour activer cet « amour universel » se déploie dans une certaine autonomie et peut avoir un écueil : celui de moins nous soucier justement de ce qui se passe réellement autour de nous : jugé trop violent. La sphère du développement personnel est celle qui parle le moins des guerres et de l’adversité dans le monde parce qu’elle veut être protégée puisque trop sensible. Un comportement prosocial ou obsessionnel, nombrilisme ?
L’inspiration est une connexion constante.
Une question très similaire a été abordée dans une lettre adressée à Rainer Maria Rilke. Il nous dit, pour débloquer l’évolution d’un personnage, nous nous devons de vivre, visiter des villes, tomber amoureux, rencontrer… Oublier le blocage et vivre pleinement, en ayant confiance en notre votre cerveau qui se nourrira, pendant ce temps, pour définir des pistes. Dostoïevski était une personne très sociable. Il rencontrait, discutait de ses personnages. L’inspiration émane du réseau de connexions de notre cerveau qui stocke ces échanges, ces expériences. Le cerveau établit des connexions pendant que nous dormons, pendant que nous souffrons et ainsi de suite. Il s’agit en fait d’apprendre et de désapprendre sans même que nous en soyons conscients. L’inspiration est une véritable recette de cuisine. Avec les épices !
Confronter les perceptions.
Dans le domaine des soins comme dans le journalisme, la politique, le storytelling, se pose la question : dois-je ressentir la douleur, connaître la douleur pour en parler ? Dans le journalisme, on évoque le « kilomètre mortel ». La façon, dans le récit, dont la description est définie est inhérente à la problématique de la perception. On peut aussi parler de regard colonial. Je ne sais pas si vous avez vu « The Crown », la dernière saison avec des personnages arabes représentés de manière très biaisée : « Nous sommes des gens simples, nous voulons seulement que les occidentaux nous aiment. » Mais du côté arabe, l’interrogation : « Hé, pourquoi sommes-nous toujours peints de cette façon ? » Et les Asiatiques indiquent la même chose, à propos de la façon dont ils sont représentés d’une manière très biaisée et très simpliste.
Alors, faut-il être arabe et asiatique pour pouvoir raconter une histoire impartiale ? Encore une fois, la question est : puis-je me sentir légitime pour décrire ou parler de la douleur ou des joies de certaines personnes si je les perçois comme un groupe, comme des dispositions et non aussi complexes que ma propre perception de moi-même et de mon propre groupe ? Ma réponse est simple : aller là-bas, rencontrer, échanger sur ce qu’ils pensent de votre regard. Et là, la narration collective devient également intéressante. Nous, êtres humains, ne vivons pas 400 ans, le temps qui me reste pour comprendre et appréhender la complexité est très limité. Il est donc intéressant de s’ouvrir réellement aux autres pour partager nos regards, laisser l’autre décrire — puisque l’on a ce biais d’empathie, laisser l’autre interagir et en quelque sorte valider ou non nos perceptions/préjugés.
Appréhender la complexité de chaque personnage.
Il y a un piège dans lequel l’auteur peut tomber. Il souhaite souvent inclure des personnages – aussi nombreux que divers – dans la narration et s’initie, alors, une certaine caricature. Montrer un personnage dans sa complexité est précieux. Il s’agit d’être humble quant à la mesure dans laquelle surmonter son propre point de vue et d’être nombreux à en parler au lieu d’insulter la complexité des groupes qui les représentent. Il y a notamment, souvent cet ami noir, qui est toujours là mais qui n’est pas le personnage principal et qui est toujours gentil et drôle… Le cliché ! Donc, soit rester et ne pas avoir l’intention de créer une narration diversifiée alors que vous n’êtes pas réellement capable de vraiment appréhender cette complexité. Ouvrez l’histoire à la pensée que vous ne comprenez pas !
« Avant de lâcher-prise dans le récit, nous nous devons construire de petites rivières, dans lesquelles nous pouvons ensuite nous écouler. »
Le lâcher-prise.
Pour moi, qui suis écrivain, il faut, en effet, être dans un flux. À un moment donné, il faut lâcher-prise : se donner à l’« univers », en étant en connexion. Mais avant de lâcher-prise dans le récit, nous nous devons construire de petites rivières, dans lesquelles nous pouvons ensuite nous écouler. La pensée de Bartleby est importante : à la fois, se permettre de regarder d’en haut et également d’être à l’intérieur, en même temps, pendant l’écriture.
Vous parlez d’arts martiaux, je prends de mon côté de la Ritaline : un médicament me permettant de me concentrer. J’aimerais être en désaccord, avec joie et véhémence, sur l’idée que d’entrer dans cette méta-perspective coûte beaucoup d’énergie. Certaines personnes ont cette capacité innée et d’autres l’ont apprise. Ce n’est pas forcément un effort.
Des histoires collectives.
Ce dont je rêve, c’est d’une narration structurée, qui ne soit pas liée au protagoniste. Je travaille et réfléchit à cela depuis des années. Et c’est vraiment difficile de trouver un moyen de le faire. Comment raconter des histoires de façon collective ? Et je ne parle pas de raconter une histoire collective comme celle d’un protagoniste. Je parle de changer structurellement la façon de raconter.
Un récit est une idée.
Il peut exister, en effet, une mauvaise narration, avec des personnages superficiels. Comme si je faisais maintenant, par exemple, un film de Spike Lee où seuls les Blancs joueraient les personnages noirs dans le Queens. Nous avons par exemple, réalisé avec ma femme : un film sur Stefan Zweig. Mon grand-père était SS. Je ne suis pas juif. Ma femme n’est pas juive. Mais je pense que nous avions une très bonne idée de ce qu’est l’exil et de ce que cela signifie. Nous racontons une histoire sur l’Europe, mais elle se déroulait en Amérique du Sud. Je pense que nous en avions une bonne idée. C’était une idée précise à propos de ce personnage. Ensuite, vous pouvez raconter, en tant que petit-enfant d’un officier SS, l’histoire d’un réfugié juif. Mais il faut une bonne idée, je pense et non une mauvaise narration.
« L’attention est le principal véhicule de la façon dont nous vivons le monde. »
Désapprendre pour ouvrir le récit.
L’expression qui me vient à l’esprit est « désapprendre ». Et cela ne signifie pas qu’il faut jeter l’apprentissage par la fenêtre, mais il s’agit de reconnaître que, dans nos parcours d’apprentissage, depuis les grands yeux écarquillés d’un enfant canalisé vers la société, le statut, l’éducation, la carrière, l’expertise, la tribu : il y a un rétrécissement qui rend les choses plus efficaces. Et, en grandissant, nous tirons parti de l’automatisme.
Mais peut-être arrivons-nous à un certain moment dans notre vie où nous réalisons que désapprendre va porter plus de fruits. Et c’est peut-être à ce moment-là, que la pleine conscience basée sur des moyens d’essayer d’ouvrir la pensée, d’enrichir les banques de mémoire avec de nouvelles informations et de maintenir une conscience de l’altérité. Le cerveau est vraiment génial et nous aide à maintenir nos postures dites naturelles ou automatiques. La question est : « Comment puis-je maintenir cette conscience de mon corps, faire en sorte que ces informations corporelles circulent dans mon cerveau, permettre à ma prise de décision et à mon processus créatif de s’appuyer sur toutes les sources d’information ? ».
Emprunter des chemins non balisés.
Nous devons être vigilant à « Je sais ». Dès que je pense que « je sais » : nous devons prêter attention, sans forcément rejeter ces choses que « je sais ». Une voie neuronale s’ouvre instantanément et se prépare à s’activer — douce, profonde et facile. Or, il pourrait y avoir quelque chose de plus fructueux si, je prends ma machette et que je m’engage sur un chemin non balisé.
Notre flux de pensées, chaque seconde, suit son cours et nous n’en sommes pas conscients. Nous avons l’opportunité de créer, proactivement, la dyade du sujet et de l’objet, en tant qu’homo sapiens sapiens. La relation se crée et les options possibles se définissent. Nous sommes capables de critiquer cette pensée et de la déclarer fausse, par exemple. C’est une thérapie cognitivo-comportementale. Restructurer nos pensées avec méthode d’argumentation. Par opposition à un mode plus compatissant. Être conscient de ces pensées est un effort, en étant alertes et, surtout, détendus nous permettant de nous questionner : « Mon esprit divague : n’est-ce pas intéressant ? ».
L’abandon de soi, dans le récit.
Je rebondis à l’idée que c’est un luxe de pouvoir entraîner son cerveau : si je veux que mon esprit soit alerte, il doit être détendu, tout comme mon corps, alerte, détendu. Nous avons différentes manières de nous entraîner à la pleine conscience. Nous le faisons tous les jours, dans chaque action : à la Bruce Lee ! Faire les courses, enfiler une veste. Que ce soit pour une mère qui travaille beaucoup, un professionnel de la santé, une personne en crise psychotique.
La mobilisation de l’énergie – de mon point de vue – est à rapprocher des arts martiaux. On évoquait le moment où l’on s’abandonne en quelque sorte à l’univers. Avec notamment le Qi Gong, qui est l’aspect le plus curatif et énergétique des arts martiaux, avec deux types différents de chi (énergies) : son propre chi pour guérir et un autre type de chi s’apparentant à une canalisation, se retirer de l’équation : retirer le moi égoïque de l’équation pour s’ouvrir au chi universel. Le cosmos opère la guérison et l’humain n’est qu’un véhicule. La question est d’identifier le rôle de la reddition, de l’abandon.
Mieux se connaître pour se connecter à l’autre.
La pratique de la pleine conscience me permet de me rencontrer, certes et m’aide dans la connexion à l’autre avec l’approfondissement des micro-moments de partages avec un chauffeur de bus, un commerçant, un membre de la famille… Les types de résilience et de robustesse acquis nous apprennent à connaître nos propres réactions émotionnelles et augmentent notre sensibilité à ce que vivent les autres. La capacité de vivre avec la douleur ou même la terreur est maximisée en dialoguant, en résolvant des problèmes, en partageant des histoires.
Prêter attention pour vivre le monde.
En quoi un personnage pourrait être différent en fonction de sa capacité à prêter attention ? Les personnes atteintes de troubles de l’attention vivent et interagissent avec le monde, appréhendent l’apprentissage, les relations, les émotions d’une manière différente. Pour les natifs du numérique, on parle notamment des effets de la technologie sur l’altération de l’attention. Ma conviction est que l’attention est le principal véhicule de la façon dont nous vivons le monde : nous devons la valoriser, la protéger pour ne pas la commercialiser ou que d’autres puissent en tirer profit. Notre dernier cadeau le plus précieux pour nos enfants est l’attention, de haute qualité, dans le moment présent, sans jugement, qui a finalement pour fondement : le soin. Être présent. Ressentir, sentir, réagir. C’est la pleine conscience.
« Il existe des similitudes entre ostéopathie et arts martiaux, notamment via la pression du pied du patient ou encore la sensation de son équilibre, de notre propre équilibre. Tout est une question de disponibilité de réception aux sensations. »
Faire expérience pour ressentir.
La principale difficulté, pour moi, dans mon quotidien est de gérer mes propres perceptions de ce que me partage le patient et de ce que je ressens, notamment avec mes mains. Je me dois de faire des allers-retours entre ce que je ressens vraiment ou ce que je souhaite ressentir ? Cette perception est-elle différente de ce que vit le patient ? Par exemple, la définition du degré de la douleur. Nous avons beaucoup d’échelles afin de graduer la douleur et nous permettre, ainsi, d’identifier facilement quelle maladie ou quel traumatisme peut causer de la douleur. Il s’agit surtout de la souffrance, de l’expérience que vit le patient. Et il est parfois difficile de garder l’objectivité par rapport à ce que ressent le patient.
Lorsque j’ai mal moi-même, je suis bien mieux placé pour comprendre la douleur du patient. Lorsque cela fait longtemps que je n’ai plus de douleur, il m’est beaucoup plus difficile de percevoir l’effet de la douleur sur le patient. J’en ai récemment parlé avec ma femme qui est sage-femme. Elle m’expliquait le fait qu’au sein de ses collègues, avoir accouché avait complètement changé la façon de prendre en charge la patiente. En faire l’expérience permet, plus facilement, de gérer l’empathie et de bien comprendre ce que vit le patient.
Concernant l’empathie justement, je pense que parfois, lorsque le patient ressent de la douleur ou a un problème, on essaie de l’aider en s’aidant soi-même. C’’est en effet moi que j’essaie de réconforter et d’apaiser lorsque j’essaie de calmer la douleur du patient. Comme si l’empathie était un égoïsme, ce qui serait assez difficile pour moi à concevoir, mais je peux y faire face. Je pense plutôt à une certaine réciprocité : j’aide mon patient pour m’aider moi-même.
Partager, en duo, pour guérir.
Je dois mettre mes perceptions notamment via mes mains, dans le point de vue des patients. Je dois ressentir les choses avec le patient pour lui faire comprendre aussi qu’il y a peut-être quelque chose qui ne va pas. Ce qui est remarquable est – quand on touche le corps, une zone en particulier, le patient commence à parler de cette zone, ce qu’il n’a pas fait pendant la partie interrogatoire de la consultation. Il n’en était pas conscient. Mon investigation est en duo : c’est toujours un flux mutuel que nous devons nourrir, dans la relation avec le patient. Par exemple, via la modulation du son de ma voix, je perçois que le patient peut commencer à se détendre et les mouvements deviennent plus fluides.
Il existe des similitudes avec les arts martiaux, notamment via la pression du pied du patient ou encore la sensation de son équilibre, de notre propre équilibre. Tout est une question de disponibilité de réception aux sensations. Il est important d’aller plus profondément dans le corps en termes de perception : s’évader en termes de processus intellectuel et de devenir simplement les véritables sentiments et sensations, hors les préoccupations du quotidien.
© Photos Brigitte Bouillot
Poète et scénariste (Pologne & Royaume-Uni) qui a contribué à la conférence-table ronde 03 : Cartographier l’imaginaire.
in English
Bohdan Piasecki est poète, né en Pologne, vivant aujourd’hui à Birmingham. Interprète engagé, il a transporté ses poèmes depuis la salle à l’étage d’un pub d’Eastbourne jusqu’à la scène principale du Birmingham Repertory Theatre, des clubs underground de Tokyo aux tramways de Paris, d’une librairie de Pékin à un aérodrome en Allemagne, de podcasts de niche à la radio BBC. Il apprécie autant le chaos créatif des grands festivals que la concentration composée d’événements littéraires. Bohdan Piasecki a reçu le Forward Prize du meilleur poème unique : interprété en 2023, année inaugurale de la catégorie.
Bohdan Piasecki a fondé le premier slam de poésie en Pologne avant de déménager au Royaume-Uni pour obtenir un doctorat en traduction. Il a travaillé en tant que directeur de l’éducation, dans le cadre d’un cours de maîtrise en création orale en éducation à la Goldsmiths University et a été producteur des Midlands pour Apples and Snakes entre 2010 et 2017. Il est professeur adjoint en écriture créative à l’Université de Birmingham. Il travaille également comme producteur créatif et siège au conseil d’administration du Poetry Translation Center.
— un entretien réalisé par Antoine Le Bos, scénariste et directeur artistique du Groupe Ouest et enregistré aux Champs Libres (Rennes), en décembre 2023, dans le cadre de la saison 04 du StoryTANK : « Quelles histoires pour notre temps ? ».
« Les traditions de narration orale nous apprennent à retenir l’attention, à identifier quelles formes fonctionnent. »
Le récit, entre les langues.
Je suis poète et je pratique également d’autres types d’écritures autour de/ou qui découlent de la poésie. Je suis un poète qui a toujours vécu entre les langues car je suis né en Pologne et j’y ai grandi. Mais je suis allé dans une école française et j’ai étudié la littérature anglaise. J’écris beaucoup pour la voix, pour la performance où les poèmes sont destinés à être entendus, même si j’écris aussi pour des poèmes qui seront lus. Et parce que je passe beaucoup de temps à parler aux gens, certaines des traditions dont je me suis inspiré étaient des traditions de narration orale. Là où l’on apprend à retenir l’attention, à identifier quelles formes fonctionnent. Les poèmes peuvent cependant parfois également être des histoires et parfois ne pas s’appuyer sur la narration.
« Même les poèmes – qui, comme je l’indiquais, ne s’appuient pas sur des récits – suivent un arc qui n’est pas différent de ce que l’on pourrait attendre d’une histoire. »
Le récit : une expérience absolue.
Je me considère comme un conteur et un poète. La poésie est complexe, elle peut se rapprocher de la définition du récit que nous pourrions tous adopter, à savoir que le poème raconte un récit. Sans forcément suivre le modèle standard, mais l’histoire déployée reste viable. D’ailleurs, même les poèmes – qui, comme je l’indiquais, ne s’appuient pas sur des récits – suivent un arc qui n’est pas différent de ce que l’on pourrait attendre d’une histoire. Dans la performance, un groupe est réuni dans une pièce, prêt à vivre une expérience. Un lien s’établit, des réactions sont stimulées, d’une manière très similaire à ce moment précis où sont racontées des histoires. Or, la proposition, qu’elle soit une séquence d’images ou autres, peut ne pas avoir d’interactions avec & sur ce groupe. Le lien n’est pas aussi facile que celui créé par la narration d’une histoire. L’ambition de la performance est de faire vivre une expérience similaire. Je dirais, donc, que oui : je raconte des histoires.
« Certaines pratiques poétiques peuvent être utiles dans l’exploration du récit. »
L’utilisation de la métaphore.
Un exemple que je pourrais vous donner, d’un outil très utilisé en poésie et qui peut être utilisé à des fins de découverte est l’utilisation de la métaphore, qui est courante dans toute histoire. Le langage est fait de métaphores. Mais ce à quoi nous nous attendons, souvent, lorsque nous parlons de métaphore dans l’écriture, est que l’écrivain propose une image intelligente qui nous raconte quelque chose de nouveau, qui rend un moment particulier : mémorable. Quel est son impact dans l’esprit du lecteur, du spectateur : sont-ils conviés ou même forcés à être actifs ? En découvrant quels sont les liens possibles entre l’objet et la chose, objet de la comparaison. Chacun trouvera des correspondances différentes. Si c’est une bonne métaphore : elle ouvre un espace où ils peuvent être actifs et créer du sens, de la beauté ou même créer un récit additionnel à celui initié. À l’inverse, quand on débute un travail sur un scénario, on débute la découverte des personnages et le monde dans lequel ils évoluent.
À ce moment précis : je peux tromper votre cerveau pour stimuler les définitions essentielles du récit : si je vous donne une métaphore forcée, pour que vous connaissiez un peu plus une de votre personnage, je peux prendre un objet au hasard – je ne sais pas : un vélo ! – et vous dire que votre personnage est comme un vélo. Votre cerveau, en raison de son fonctionnement et de la façon dont il cherche à donner un sens au monde, va immédiatement essayer de trouver des points de connexion : « Eh bien, mon personnage me transporte quelque part, mais je dois faire un effort pour y arriver. Ce n’est pas aussi rapide qu’une voiture, il me montrera quelque chose sur le monde. » Il s’agit d’un petit exemple très spécifique mais certaines pratiques poétiques peuvent être utiles dans l’exploration du récit. Je pense, souvent, qu’il est plus facile d’écrire de la poésie de manière exploratoire. J’écris souvent pour savoir ce que je veux écrire et que la liberté peut aussi être un outil utile.
« La pensée et l’écriture poétique peuvent être des points de départ fantastiques pour les scénaristes. »
L’approche poétique pour libérer le récit.
La pensée et l’écriture poétique peuvent être des points de départ fantastiques pour les scénaristes, dans le cadre du développement d’un récit. L’approche poétique est libératrice en permettant – pour les scénaristes – de bousculer les habitudes créatives, en décalant la façon dont il est habitué à utiliser les mots. La démarche poétique modifie la perception sur notre propre monde, celui du récit que l’on a créé et les éléments qui lui sont constitutifs : le subvertir, le rendre étrange, en attribuant des valeurs différentes aux mots, en les séquençant d’une manière qui n’a rien à voir avec la structure de l’histoire initiée ou habituelle…
« L’approche poétique est un outil qui permettra de garder les options du récit ouvertes plus longtemps. »
La multiplicité de la poésie pour la pluralité du récit.
La poésie se déploie à travers sa multiplicité : la pluralité des sens que les lecteur·trice·s apportent à leur lecture.
Les poèmes trop normatifs, clairs sont moins passionnants parce qu’ils se rapprochent d’autres modes de discours plus classiques car déclaratifs.
En demandant de penser de manière poétique – dès le début du processus créatif : on apporte un outil qui permettra de garder les options du récit ouvertes plus longtemps, explorer idées, solutions et les articuler sans contrainte, sans jamais entrer dans ce tunnel, dont il est très difficile de sortir.
« S’ouvrir et être accompagné par les images, par le dialogue permettent de comprendre ce que l’histoire veut être, ce que le personnage peut être, de nommer ce qui est compliqué à expliciter. »
Avant la composition du récit : l’exploration du monde.
J’utilise également souvent des images – à travers des photographies par exemple – comme points de départ d’accompagnement à la découverte d’un au-delà : de l’intrigue, du personnage, au-delà du dialogue. Avant la composition du récit : l’exploration visuelle du monde avec la signification multiple d’une chose. S’ouvrir et être accompagné par les images, par le dialogue permettent de comprendre ce que l’histoire veut être, ce que le personnage peut être, de nommer ce qui est compliqué à expliciter.
C’est globalement, une question de confiance via l’ouverture aux autres, aux lecteur·trice·s, spectateur·trice·s pour encourager des pistes testées, ouvrir de nouvelles directions.
« Spontané, amusant et plaisir : un combo souvent sous-estimé dans le processus créatif. »
Nourrir le récit par l’improvisation, le jeu et le plaisir.
Au-delà de l’approche poétique pour approfondir différents processus de création et de décision, c’est l’apport d’outils additionnels comme la parole et la performance avec la force de l’improvisation. Or, la poésie intègre dans ses traditions les plus lointaines : la poésie improvisée qui est fascinante et peut s’apparenter à une logique de jeux. L’idée même de jouer est importante, encore une fois, pour aider à ne pas s’enfermer dans un ensemble de décisions et à garder les options ouvertes. On peut, bien entendu, jouer oralement, en utilisant particulièrement des contraintes de temps, avec des idées et des réponses immédiates pour une création donc instantanée, sur le moment. C’est à la fois spontané, amusant et source de plaisir. Un combo souvent sous-estimé dans le processus créatif. Dans le récit, demander aux scénaristes de jouer, de réagir rapidement, d’étudier des aspects du langage autres que le sens comme le son, le rythme : les situer et les diriger pour ouvrir les choses. Un exemple de jeu que j’utilise parfois, en groupes, consiste à inverser la règle standard de l’improvisation.
On y développe l’idée du “oui, et…” : construire une scène sans remettre en question ce que les autres construisent. Chacun apporte un élément supplémentaire, successif : le premier indique : « Nous sommes à l’hôpital » et le prochain ajoute « Oui, et je suis le médecin » et ainsi de suite. Il est agréable d’intervenir au moment où le récit se dotent d’histoires qui commencent à se cristalliser. Quelque part, il est demandé à l’autre de raconter l’histoire telle qu’elle existe déjà – mais elle a probablement encore beaucoup de questions à ouvrir – et le déroulement des histoires est fluide ou parfois, d’autres peuvent rejeter des éléments pré-établis avec le « Non, mais… ». Se réoriente alors le récit, dans des directions non anticipées-envisagées – en changeant soudainement de lieu ou en modifiant un point de décision clé ou en bouleversant ce qui pourrait devenir un point de l’intrigue, au fur et à mesure de son évolution.
« Tout est muable dans le récit ! »
Le laisser-aller pour débloquer le récit.
La clé du récit est est donc, ici, le jeu. Il est clair qu’aucun choix final ne peut être établi. Est mis en jeu tout ce qui a été défini dans le récit jusqu’à présent. Le jeu permet, pour les scénaristes, de moins apprécier le récit initié et développe un laisser-aller pour libérer l’imagination et analyser le récit, sous un angle différent. Le jeu permet de renforcer l’idée – parfois difficile à admettre, dans le processus de création – que tout peut encore être changé. Que tout est muable. Parfois, le récit peut donc se doter d’une version collective, étrange et bizarre vis-à-vis de ce qui avait été pré-établi. Ce qui était considéré comme axiomatique a été remis en question et le changement opéré a débloqué un élément en initiant une voie qui n’existait pas, préalablement.
« Décrire un film plutôt que de raconter une histoire : c’est ne pas être dans l’histoire. »
Ressentir le récit.
Lorsque je travaille avec des scénaristes, j’aime travailler le changement de perception. Ce qui est primordial est de les faire passer de la réflexion sur le film à la simple réflexion sur l’histoire. Je constate, très tôt, que si on leur demande sur quoi ils travaillent : ils décrivent un film plutôt qu’ils ne racontent une histoire. Et quand ils présentent cette histoire, même aux premiers stades, ils ne racontent pas l’histoire elle-même : ils ne sont pas dans l’histoire. Ils décrivent un film comme… « Nous suivons un personnage alors qu’il se promène dans la forêt. » Donc, déjà, je n’y suis pas. J’imagine un film. Je n’imagine pas le personnage. Je ne suis pas là et eux non plus. Présenter, ainsi, l’histoire oblige à penser selon des schémas, avec des codes qui sont les codes du cinéma plutôt que, pour l’instant, se focaliser sur l’élaboration d’une histoire.
J’utilise, alors, un ensemble de jeux et d’approches pour les ramener à la façon dont ils peuvent raconter une histoire, d’un point de vue humain et non techniquement cinématographique. Comment raconter cette histoire à des amis, dans un bar ou à un groupe de personnes qui sont ici pour écouter une histoire. Il est question de faire ressentir le récit aux scénaristes – qui peut sembler à la première approche, quelque peu abstrait. Mais tout conteur qui s’est produit devant un public indiquera que cette histoire n’est pas du tout abstraite. Ressentir à la fois l’histoire en soi et recevoir quelque chose de celles & ceux qui écoutent : qui vous aide à façonner très concrètement le récit, en le faisant évoluer. L’interaction provoquée permet de passer de l’analyse au profit de l’expérience du récit. Le processus de création peut être tué dans son essence, par une approche trop analytique.
« En tant qu’auteur·trice·s, on a tendance à se prendre trop au sérieux. »
Enrichir le processus d’écriture par d’autres modes de créativité.
En tant qu’auteur·trice·s, on a tendance à se prendre trop au sérieux. Un sérieux qui ferme les voies du jeu et donc, de la découverte. Se réintégrer à un autre mode de créativité permet d’enlever, en quelque sorte, une certaine responsabilité et donc de s’ouvrir. Quand je demande d’écrire de manière poétique à des scénaristes-donc non poètes, je ressens chez eux : « Eh bien, bien sûr, cela va être mauvais parce que ce n’est pas mon métier. Ce n’est pas ce sur quoi j’ai travaillé. » Et souvent, le résultat est incroyable et est extrêmement précieux grâce à cette liberté de lâcher soudainement prise… Je parlais de l’approche analytique contraignante, mais plus globalement, le professionnalisme apporte davantage de cadrages, de structures et de règles rigides qui pourraient arriver plus tard dans le processus d’écriture, pour ne pas être préjudiciables aux idées et à la créativité. Le postulat de base est que : la matière créative développée est suffisamment invitante pour que d’autres émettent l’envie de jouer avec, en y apportant leurs propres compréhensions du langage, leurs fragments d’histoires, leurs identités, leurs passés et trouvent, ainsi, un espace non prédictif qui stimule et attire pour le nourrir.
« Se forcer à abandonner dans le récit : tout ce qui est présent, par défaut, les paramètres d’usine dans l’écriture. »
Stimuler le récit par la connexion.
Une autre façon de stimuler le récit est la connexion. La connexion permet de construire un pont entre l’auteur·trice et le lecteur·trice/spectateur·trice. Nous pouvons puiser en nous, en nos langages, nos voix, nos composantes existentielles pour créer des transmissions qui se transformeront en matières intéressantes : du beau, de l’intrigant, du déroutant avec lequel les autres voudront s’engager pour contribuer au récit. C’est quasi physique : un puzzle composé d’un certain ensemble de mots, disposés d’une certaine manière qui donne naissance à une composition non pré-établie. Avec une enveloppe plus littéraire, à travers les poèmes : les mots touchent de manière extrêmement profonde et souvent émotionnelle. Et cela n’a rien à voir avec le poème lui-même. Les lecteur·trice·s voient d’eux-mêmes refléter les mots, différemment car personnellement : comme ce qu’ils voient d’eux-mêmes à travers les yeux de l’autre.
Faire en sorte que cette connexion se produise entre deux humains est l’un des éléments fondamentaux qui expliquent pourquoi nous contons des histoires en premier lieu, qu’elles se manifestent dans la poésie, dans un roman, dans un scénario ou dans une pièce de théâtre. Il ne faut pas avoir peur de rechercher au sein d’un corpus très personnel, les composantes qui vous sont uniques et qui peuvent s’appuyer peut-être sur un texte antérieur, des sons, des rythmes. Ces enrichissements qui vous sont propres sont à intégrer. Et c’est à ce moment et à cet endroit précis que vous vous connecterez à l’autre, que votre voix et votre langage exprimeront ce que vous considérez intrinsèquement comme intéressant, beau, touchant, important, urgent. C’est la valeur du récit. C’est ce à quoi on aspire – sans le savoir généralement. Et donc, se forcer à abandonner dans le récit : tout ce qui est présent, par défaut, les paramètres d’usine dans l’écriture. Même si cela peut sembler étrange, inconfortable, enfantin et trop ludique : cela vaut la peine d’être poursuivi !
© Photos Brigitte Bouillot
Poet & Professor of Creative Writing (Poland & UK) who took part in the conference 03: Map the Imagination.
en français
Bohdan Piasecki is a poet from Poland based in Birmingham. A committed performer, he has taken his poems from the upstairs room in an Eastbourne pub to the main stage of the Birmingham Repertory Theatre, from underground Tokyo clubs to tramways in Paris, from a bookshop in Beijing to an airfield in Germany, from niche podcasts to BBC Radio. He enjoys the creative chaos of big field festivals just as much as the composed concentration of literary events. Bohdan was awarded the Forward Prize for Best Single Poem: Performed in 2023, the category’s inaugural year.
Bohdan founded the first poetry slam in Poland before moving to the UK to get a doctorate in translation studies. He has worked as Director of Education on the Spoken Word in Education MA course at Goldsmiths University, and was the Midlands Producer for Apples and Snakes between 2010 and 2017. He is Assistant Professor in Creative Writing at the University of Birmingham. He also works as Creative Producer, and sits on the board of the Poetry Translation Centre.
— an interview by Antoine Le Bos, Screenwriter and Artistic Director of Le Groupe Ouest, recorded at Les Champs Libres (Rennes) in December 2023 in the framework of the serie “What stories for our time?”.
« Oral storytelling traditions is where you go to learn how to hold attention. »
The story, between languages.
I’m a poet, I’m a poet and I do other things that surround poetry, and then stem from poetry. I am a poet who has always lived between languages because I was born in Poland and grew up there. But I went to a French school and I studied English literature so I’ve always existed in between, in the space between languages.
I write a lot for the voice, I write for performance where the poems that are meant to be heard rather than read off a page, although I write those too. And because I spend a lot of time talking to people, some of the traditions I’ve drawn from were oral storytelling traditions.
This is where you go to learn how to hold attention, what forms work, even if the poems themselves can sometimes be stories and sometimes don’t rely on narrative to work.
« Even poems that, like I said, don’t rely on narratives, follow an arc that is not dissimilar from what you might expect from a story. »
The story: an absolute experience.
I do consider myself as a storyteller as a poet. Although I think poetry complicates this idea. And sometimes it is close to the definition of storytelling that we might all carry in that the poem tells a narrative. It may be unreliable or it might be surprising or it might not follow the standard pattern but it’s still a story. But even poems that, like I said, don’t rely on narratives, follow an arc that is not dissimilar from what you might expect from a story.
And especially in performance, you have a group of humans in the room and you’re trying to take them through an experience. You try to build up a reaction, you try to establish a connection in ways that are very similar to when you tell stories, even if what you’re offering them is, I don’t know, a sequence of images or something that doesn’t resolve itself as neatly as a story usually might. You still try to take them through a similar experience.
I would say, yeah, I tell stories.
« I think it’s easier to write poetry in an exploratory manner. I often write to find out what it is that I want to write and that freedom can also be a useful tool. »
The Use of Metaphor.
One example I could give you of a tool that’s used in poetry a lot that can be used for discovery is the use of metaphor, for example, which is common in any story. In language, right? Language is made out of metaphors. But what we often expect when we talk about metaphor in writing, is that the writer comes up with a clever image, that tells us something new, that makes a particular moment memorable.
Staying with it for a second, what it does in the mind of the reader, of the viewer, is it invites them, or almost forces them, to be active within the text, right? It invites them to find out what the possible connections are between the object and the thing, the object of the comparison. And that’s exciting because different people will come up with different explanations. If it’s a good metaphor, it opens up a space where they can be active and create meaning or create beauty or create something. This is the common use of it.
But if you reverse it, so if you are say working on a screenplay and you haven’t started writing it yet, you’re figuring out who your characters are, you’re figuring out the world in which they move.
If I can trick your brain into providing answers, if I give you a forced metaphor, so you know a little bit about your character, and I can take a random object, I don’t know, a bicycle, and I will say your protagonist is like a bicycle. Your brain, because of how they work, how our brains make sense of the world, will immediately try to find points of connection.
“Well, my character transports me somewhere, but I have to make an effort to get there.” It’s not as fast as a car you know, you look for ways, and inevitably they will show you something about your world.
This is a small, very specific example, but I think that some of the poetic practices can be useful in exploration. Because often, I think it’s easier to write poetry in an exploratory manner. I often write to find out what it is that I want to write and that freedom can also be a useful tool.
« I think poetic writing or poetic thinking can be fantastic starting points for screenwriters, for story development. »
The poetic approach to release the story.
Because taking someone out of their creative habits is invaluable. And taking, specifically with a screenwriter, taking someone away from how they’re used to using words. And keeping them in this world that is their professional realm that they are ostensibly used to and comfortable in, but subverting it, making it strange, assigning different values to the words, sequencing them in a way that has nothing to do with story structure and so on, can be freeing because it lets them see the very building blocks of their stories in a different way.
« Poetry is very comfortable with inviting others to make meaning within it. It’s very comfortable with multiplicity. »
The multiplicity of poetry for the plurality of narrative.
And you could argue that the poems that are overly prescriptive, clear, declarative, are less exciting because they get close to other modes of speech in a form that doesn’t support them. And if you ask people to think poetically early in their creative process, you hopefully give them a tool where they can keep their options open for longer. Where they can withhold solutions, resolutions. Where they can move through an idea. Where they can explore it. Where they can articulate it without closing down options, without getting into that tunnel that is very hard to leave.
« I often use images as in photographs starting points , because that can also help you discover beyond the plot and beyond character. »
Before the story is written: exploring the world.
I often use images as in photographs starting points for this, because that can also help you discover beyond the plot and beyond character, beyond dialogue before the functions we usually assign to words, it can help you think about the visual side of the world.
How a thing appearing can mean different things and so on. And, even though this writing will likely never make it in the way it’s written into any finished form of a screenplay, over and over I’ve had feedback that said that it opened up an understanding of what the story wants to be, of what the character might be, or things that are harder to name and articulate in the process in the process of writing.
I think it’s that multiplicity is that idea that I will build I will find out myself what it is that I’m making as I make it in the moment. And I will trust others, I will trust my audience, I will trust my readers if you’re a poet, to take these elements and find something in there that I will encourage certain directions, but keep the others open.
« I think that fun is often undervalued in the creative process: the enjoyment of it, asking people to play. »
Nourish the narrative through improvisation, play and fun.
That is exciting and that can offer something to screenwriters, to people who write in other modes.
Poetry can be used to dig into different, less conscious decision-making processes, but that is, I would say, easier to do, using tools that come from spoken word and performance and that kind of overlap a bit with the word of improvisation. Which has been part of poetry as well for centuries, the different traditions of improvised poetry that are fascinating and this is yes, a set of almost games.
I think the idea of play and keeping play in there is important too. Again, that help people not lock themselves into a set of decisions and keep options open.
And if you do that without writing, if you do this in speech and if you especially use time constraints, if you ask for immediate responses, immediate ideas, immediate creation in the moment, it can be not just spontaneous and fun. And I do say fun as an important word. I think that that’s often undervalued in the creative process, the enjoyment of it, asking people to play, to respond quickly, to follow aspects of language other than meaning, to follow aspects of language like sound, like rhythm, and to see where they lead them is can open things up.
An example of play that I sometimes use with working with groups is by reversing the standard rule of improvisation, which is if you do improv in the drama context, you’ve probably heard the idea of “yes and…”, that the way you build a scene is you don’t question what the others are building. If somebody brings something, you have to react with, “yes and then…” So, they say we’re in a hospital and you say “yes, and I’m the doctor” and they say “yes” and so on.
This game flips this and it’s nice to bring in at the moment where stories begin to crystallize. So somewhere, you ask one person to tell the story the way it exists yet – but they likely still have a lot of questions – but you ask them to say, for now, what you have. And then others get to reject elements of the story to push back against them. So you go “no but” rather than “yes and…”
And you have to very quickly redirect your story in directions you hadn’t considered, suddenly changing the location or changing a key decision point or changing what might become a plot point as it evolves.
« Everything is mutable! »
Letting go to unlock the story.
The key here is it’s clear that it’s a game. It’s clear that you’re not making any final choices. You’re playing around with what you have so far. And this makes it easier for people to become less precious about what they’ve made to let go to look at it from a different direction to…
And this in turn reinforces the fact that everything can still be changed. That everything is mutable.
Sometimes it just ends up being an odd, bizarre world version of the story and it exists there and you don’t take anything from this. Sometimes it opens up an option that they hadn’t even considered because they thought something was axiomatic within the story and it could not be questioned could not be changed.
And in fact, it turns out that the change unlocked an element, unlocked a pathway that wasn’t there.
« Describe a film rather than tell a story. »
Feel the story.
One of the things I like working on, when I work with screenwriters, is shifting them from thinking about the film to just thinking about the story. I find very early on if you ask them what they’re working on, they describe a film rather than tell a story. And that’s an exercise and I have to often be quite ruthless.
But when you listen to the to the language ticks to how they open up, and how they how they present a story even at early stages, they’re not telling the story itself, they’re not in the story. They’re describing a film meaning like… You might say, “we open in a forest.” “We follow a character as they walk through the forest.” So already I’m not in it. I’m imagining a film. I’m not imagining the character. I’m a few steps removed. And so are they.
And because thinking like this about the story forces them to think using patterns, using codes that are the codes of filmmaking rather than for now just elaborating a story. I use a set of games and approaches to drag them back to how you might, to a human way of storytelling, to how you might tell a story to friends in a bar or to a group of people who are here to listen to a story.
And that does a few things. One again, it moves the brain in a different direction. And it makes them engage with the story in a different way. It makes them feel their story which sounds maybe a little abstract. But any storyteller who has performed to an audience will tell you that it’s not abstracts in the slightest. You feel both the story in yourself. And if you do, you get something back from the people listening to you. That’s feedback. That’s a very concrete form of feedback that helps you shape and evolve your story. It can be quite hard sometimes and quite irritating to the person speaking. But irritation is not necessarily a bad thing either. It can it can lead you to then make a quick choice.
That’s actually exciting. Activities like this have to do with leaving analysis in favour of experience and leaving analytical thinking and more experiential way to develop a story or a text. And I think I think that’s crucial. We can absolutely kill our own process with being overly analytical, which I don’t think is particularly new but it’s worth repeating.
And the trouble is that it’s very hard to force ourselves out of this analytical mindset Especially for your experience, especially for had positive reinforcement for ways in which we find stories. And it helps to have an external stimulus to leave that.
« We treat ourselves too seriously as authors. »
Enrich the writing process with other modes of creativity.
We treat ourselves too seriously as authors, as writers, as professionals. And it’s understandable. It’s people’s livelihoods or it’s people’s… It’s people’s main activity in life. They treat it seriously.
But this seriousness shuts down avenues of play and then which shuts down avenues of discovery. And switching to a different mode of creativity opens them back up because it takes away some responsibility.
If I ask you to write poetically and you’re not a poet, you go like, “well, of course, this is going to be bad because this is not my craft. This is not what I’ve worked on.” And often what this means, it becomes incredible and becomes extremely valuable because of that freedom of suddenly letting go of the… What I’ve been talking about, analysis, but also of the “professionalism” and everything it brings in terms of limits, forms, rigid rule sets and structures that may be coming later. But in the early stages can be harmful to ideas and to creativity.
What I make is inviting enough for others to want to play with it and for others to bring in their own understanding of language, their own histories, their own identities, their own backgrounds and to find a space that maybe I could not predict but that is meaningful to them in some way that elicits a reaction of some kind.
« You can make yourself let go of anything that’s there by default, of factory settings for your writing. »
Stimulating the narrative through connection.
Another way of thinking about this is connection. I think it’s building a bridge. It is connecting.
I think, what I’m working on, I’m very wary of trying to position myself as either someone with a lesson or a moral standpoint or even a clear and singular story to tell because I don’t think I’ve earned this place. I think there are other sources where people can find this. But what I can do, is I can take from me, from my languages, from my voices, elements that I can shape into something interesting, beautiful, intriguing, confusing that people will want to engage with.
It’s an almost physical thing. The sense when you feel that a certain set of words arranged in a certain way is doing something. And I know something is a vague term and I can probably wrap it in literary terminology and make it sounds weightier.
And I find over and over again that poems touch people in extremely deep and often emotional ways. And it’s nothing to do with the poem itself. I’m not saying I write poems that make people cry. No, it’s what they see of themselves reflected through these words and complicated and made beautiful or what they see of themselves through someone else’s eyes.
Having that connection happen between two humans is I think one of the very basic core foundational blocks of why we tell stories in the first place, whether they manifest in poetry or in novels or in screenplays or theatre, whatever you care to name.
But I couldn’t name it and I don’t want to name it, especially since it is a slightly different beast every single time. But it’s there. The thing I have to say is to not be afraid to look for the things that are specifically yours, that are unique to you, that maybe build on text that came before, forms that came before, sounds, rhythms, shapes that came before. But that nobody else could write.
That is where you will connect and your voice, your language, the way they express your way of what you consider interesting, beautiful, touching, important, urgent. That is the value. That is what we look for, even if we don’t know that that is what we look for. And so anyway, you can make yourself let go of anything that’s there by default, of factory settings for your writing, is invaluable.
Even it feels strange and uncomfortable and childish and overly playful, then it’s worth pursuing.
© Photos Brigitte Bouillot
Sociologue et urbaniste (France) qui a contribué à la table ronde 03 : Cartographier l’imaginaire.
in English
Anne Querrien est une sociologue et urbaniste française. Ses recherches portent sur la politique de la ville et du logement social, mais aussi sur l’école comme « espace à libérer », ou encore sur le genre ou la dualité sexuelle.
Animatrice entre autres du Mouvement du 22 mars à Nanterre et à Paris en 1968, elle a été secrétaire générale du CERFI (Centre d’Études, de Recherches et de Formation Institutionnelles) créé par Félix Guattari dans les années 1970, où elle se lia d’amitié avec, entre autres, Guy Hocquenghem.
Elle participe à la rédaction des revues “Annales de la recherche urbaine”, “Chimères” et “Multitudes”.
— un entretien réalisé par Antoine Le Bos, scénariste et directeur artistique du Groupe Ouest, et enregistré aux Champs Libres (Rennes) dans le cadre de la série “Quels récits pour notre temps ?”.
« Saisir un sucre en morceau que l’on puise dans le réel et que l’on va faire immerger dans autre univers »
Le concept pour donner plus de goût.
Un concept est comme une pince à sucre qui saisit un sucre en morceau que l’on puise dans le réel et que l’on va faire immerger dans autre univers, pour donner plus de goût, créer quelque chose de différent.
« Le rhizome se forme ainsi, en allant d’une plante à l’autre et non à partir d’une centralité. »
Le rhizome pour créer, en réseau & en horizontalité.
L’idée du rhizome est à relier à la psychanalyse : l’association d’idées non hiérarchiques. Le rhizome est une image dite végétale, celle du réseau, avec l’idée que l’on peut repiquer la plante, à partir de n’importe quelle partie de celle-ci, sans avoir besoin de la graine. C’est le fait de transplanter, comme on le fait avec le riz, ou de multiplier les pommes de terre, en utilisant les pousses sur la pomme de terre elle-même. Le rhizome s’oppose à la racine, pour les plus rigoristes, mais les plantes à rhizome ont aussi des racines. Le rhizome se forme ainsi, en allant d’une plante à l’autre et non à partir d’une centralité.
Dans la fable de La Fontaine « Le chêne et le roseau » : le rhizome du roseau résiste beaucoup mieux au vent que le chêne aux racines robustes – que l’on croit communément. Moi qui suis formé à la rhizomaticité : j’aime l’herbe, j’en vois partout. Hors, je me rends compte que, généralement, quand on parle de plantes, on ne pense qu’aux arbres. L’herbe n’étant pas considérée comme une plante noble. On continue à penser le végétal de manière hiérarchique. Le chêne, particulièrement en Europe, étant considéré comme une symbolique de la souveraineté.
« Pas de téléologie. La vie ! »
La prolifération comme processus de création
La pensée deleuzienne, elle, est une pensée non souveraine. Guattari, qui s’est allié à Deleuze à un moment donné, s’intéressait beaucoup à la prolifération. Pas de téléologie. La vie ! Contrairement à beaucoup d’adeptes de Deleuze et de Guattari, qui sont actuellement préoccupés par l’effondrement… C’est justement la prolifération qui se développe, qui continue, en prenant des formes différentes.
« En s’enfermant dans un territoire existentiel, on ne peut pas vraiment créer. »
La déterritorialisation pour aller au-delà du territoire existentiel
Le concept qui me plaît le plus, et qui est lié à tout cela, c’est la déterritorialisation – que je trouve absolument fascinant. La déterritorialisation se rapporte à l’idée de flux : qui signifie que, dans le monde qui nous entoure, y compris dans cette matérialité apparemment rigide, les électrons circulent. Le flux est omniprésent, même dans le marbre sous nos pieds. Les psychothérapeutes indiquent que lorsqu’ils sont avec un patient, celui-ci est généralement déterritorialisé, dans le sens le plus trivial du terme. Le travail de la thérapie est de le reterritorialiser afin de restaurer ce que Guattari a appelé : le territoire existentiel, dans sa cartographie. L’idée était que la thérapie devait construire au-delà de ce territoire existentiel, permettre la communication avec d’autres productions humaines, pour créer autre chose, notamment dans les mondes artistiques et créatifs. En s’enfermant dans un territoire existentiel, on ne peut pas véritablement créer. On peut se sentir mieux, peut-être.
Pour Guattari et Deleuze – ce que je partage également -, la déterritorialisation est dans la matière physique et se transmet par l’esprit humain, d’abord par notre inconscient. Pour les schizophrènes, les « déments », pour celles & ceux qui ne sont pas reterritorialisés, dans les hôpitaux psychiatriques et autres, qui n’ont pas suffisamment exaspéré les autres, dans la société pour être reterritorialisés.
« Se déplacer dans un espace elliptique. »
La cartographie pour étudier le contact avec l’autre
La notion de cartographie est arrivée un peu par hasard. Guattari avait des liens avec Deligny. Deligny est allé à la clinique de La Borde à un moment où il ne pouvait plus rester dans les Cévennes, dans les années 1960. Je l’ai vu à La Borde en 1965. Et Deligny, pour vivre avec des enfants, pas seulement autistes au sens habituel, mais non verbaux – pour des raisons que les Américains diraient pathologiques, physiques -, pour vivre avec ces jeunes comme des êtres humains : a dû rompre avec l’hypothèse lacanienne selon laquelle ce qui caractérise l’être humain est le langage.
Comme je l’expliquais dans la table ronde — Deligny a littéralement pris, sous son aile, un petit garçon de 8 ans : Janmari, qui tournait sur lui-même en hurlant. Aucune institution ne voulait le garder, sauf s’il était attaché. Sa mère le confia à Deligny puisque la situation était complexe à La Borde, Deligny était là quand il est arrivé, Deligny l’a emmené dans les Cévennes, chez lui. Il a créé une petite communauté avec un certain Jacques Lin, qui est toujours là – dessinateur industriel et non, artiste. Deligny s’en prend alors à Jacques Lin, qui ne supportait pas Janmari, et lui propose : « Puisque tu es dessinateur, tu peux dessiner tous les mouvements de Janmari, tu le suis, et chaque fois qu’il crie et qu’il tourne sur lui-même, tu dessines un cercle sur sa carte de suivi. » Jacques Lin a commencé à travailler sur ces cartes.
Au début, ils se sont rendus compte que Janmari se déplaçait dans un espace elliptique qui tournait autour de la résidence de Deligny et de Jacques Lin. Il établissait avec eux un contact humain, autre que le simple fait de prendre des repas ensemble. Et même quand il disparaissait, c’était dans le cadre de ces ellipses, dans lesquelles il trouvait aussi des sources d’eau. Les cartes ont montré des résultats surprenants, dans la manière d’initier les chemins initiés par Janmari et d’autres enfants traités par Deligny… Il y avait les chemins fonctionnels qui les conduisaient là où ils mangeaient. Et Deligny a nommé comme coutumière l’organisation de l’espace fonctionnel quotidien, en montrant que ces enfants – cela rejoint la territorialité – avaient besoin d’un espace mental extrêmement répétitif, dans lequel ils créaient d’autres chemins, qu’il appelait des « lignes d’erre ». Nous n’avions aucune idée de ce à quoi servaient ces lignes d’erre, où elles allaient, mais elles étaient toutes contraintes dans le même espace global défini.
« Superposer les cartes pour découvrir la structure. »
Le calque comme outil de lecture de la carte
Guattari et Deleuze étaient intrigués par ces cartes. Elles ont été la base de tous les textes de Rhizome, ce qui me fait toujours me demander pourquoi ils ont si ardemment soutenu que les cartes et les calques n’étaient pas à mettre sur le même plan. Deligny avait pensé à superposer les cartes, qui étaient faites sur du papier calque. Et il a vu qu’il traçait les espaces dont je parlais tout à l’heure, en superposant les cartes. Et ils ont aussi fait une carte par enfant, et en superposant les cartes, ils ont découvert la structure. Pour moi, il n’y a pas cette opposition présente dans le texte entre le calque et la carte : le calque est un outil de lecture de la carte.
« La réalité dans les flux, le monde imaginaire dans le territoire existentiel, le symbolique et la machine. »
Une cartographie du monde
J’ai été fascinée par le texte de Guattari intitulé “Cartographies schizoanalytiques”. C’est une forme de cartographie qu’il – selon moi – utilisait dans ses thérapies, mais c’est, en fait, véritablement une cartographie du monde. Il y a quatre pôles : il y a les flux dans la matière physique – la matière à des flux, on en a parlé plus tôt. Il y a les territoires existentiels qui sont le résultat de la déterritorialisation puis de la reterritorialisation de cette matière.
Et via cette déterritorialisation puis cette reterritorialisation, à l’intérieur des territoires existentiels : on produit ce qu’il appelle des univers immatériels composés de toutes les productions civilisationnelles abstraites, générées par les humains – qui sont multiples et non uniques comme on nous l’a appris à l’école. Dans lesquelles il y a beaucoup à explorer… On a donc les trois pôles de Lacan : la réalité dans les flux, le monde imaginaire dans le territoire existentiel – c’est là que l’on revient aux histoires – et le symbolique, qui est tout ce que l’on produit, comme la musique, les mathématiques, la philosophie…
Et il y a un quatrième pôle – les purs guattariens seraient en opposition mis Guattari le nomme le phylo-machinique, c’est-à-dire que l’humanité et la matière combinées ont produit toute une série d’alliances matérielles et techniques : les machines, qui, en généalogie, sont un peu comme les espèces animales. L’intersection entre les univers immatériels, c’est-à-dire les diagrammes abstraits et les flux produits par les machines.
« Dans la vie, il y a toujours ces rencontres hétérogènes au cœur du monde réel, justement en concomitance, qui vont produire autre chose. »
La machine comme puissance de création
La notion de machine chez Guattari est assez particulière. Dans le livre intitulé “Psychanalyse et transversalité” – un recueil d’articles que Guattari avait publiés et qui ont été diffusés dans différentes revues – il y a un texte intitulé “Machine et structure“. Et dans ce texte, il y a la note numéro 1, où Guattari établit des séries avec des choses hétérogènes, qu’il associe à un troisième terme, que j’appelle une machine.
Je trouve ça remarquable, parce que ça donne, à la machine, la capacité de traiter un nombre énorme de situations, de la voiture à la centrale nucléaire… jusqu’aux relations. Disons – par exemple – ici, aux Champs Libres à Rennes, on a un planétarium et une exposition sur la paléontologie qui sont présentés ensemble et pour certains visiteurs, un lien va se créer entre ces deux idées qui pourrait aboutir à faire un film ou autre.
Dans la vie, il y a toujours ces rencontres hétérogènes au cœur du monde réel, justement en concomitance, qui vont produire autre chose, même si ce n’est qu’une image poétique, qui pourra être partagée dans le monde entier. D’autres viendront s’y ajouter et la transformer à l’aide d’autres objets. Je trouve ça très puissant. C’est une machine, très simple.
« Le corps-sans-organe, c’est l’émergence non fonctionnelle du désir. »
Le corps-sans-organe : un retour à l’œuf originel
Dans “L’Anti-Œdipe” et dans “Mille Plateaux” de Deleuze et Guattari, il y a la question de savoir comment composer un corps-sans-organe. Dans ce cas, un corps-sans-organe aussi lisse qu’un œuf – l’œuf étant la métaphore de la production, de la germination, de la naissance… Comment se débarrasser de toutes ces fonctionnalités, de ces composés organiques, pour se transformer en un œuf qui deviendra autre chose ?
Il y a le concept du devenir : devenir femme, devenir animal, devenir plante. C’est tout ceci que l’on retrouve dans “Mille Plateaux”. C’est un concept qui vient d’Artaud. Et Artaud était vraiment schizophrène. Les schizophrènes, de temps en temps, voient leur corps ou leurs mains partir ailleurs ou ils perçoivent, tout simplement, leur corps. Comme décrit dans “L’Anti-Œdipe” : comme un œuf sur lequel tout glisse et rien ne colle. Ce sont des sensations extrêmement violentes que l’on ne vit pas. Le corps-sans-organe, c’est l’émergence non fonctionnelle du désir. Le corps-sans-organe, c’est essentiellement un retour à l’œuf originel.
« Dans la musique classique, la ritournelle est un retour au thème. C’est ce que tout le monde attend. Pour moi, c’est l’inverse. »
La ritournelle comme une reterritorialisation
La ritournelle, par exemple, est un peu comme une reterritorialisation. Dans la musique classique, la ritournelle est un retour au thème. C’est ce que tout le monde attend. Pour moi, c’est l’inverse. J’attends toujours un nouveau thème. Je n’écoute pratiquement que de la musique contemporaine. Dès que j’ai entendu trois fois la dite ritournelle, je cherche autre chose !
© Photos Brigitte Bouillot
Sociologist and Urban planner (France) who contributed to the round table 03: Map the Imagination.
en français
Anne Querrien is a French sociologist and urban planner. Her research focuses on city and social housing policy, but also on school as a “space to be liberated,” or gender or sexual duality.
Leader of the March 22 movement in Nanterre and Paris in 1968, she was secretary general of CERFI (Centre d’Etudes, de Recherches et de Formation Institutionelles) created by Félix Guattari in the 1970s, where she became a friend of Guy Hocquenghem, among others.
She is a contributor to the journals “Annales de la recherche urbaine”, “Chimères” and “Multitudes”.
— an interview by Antoine Le Bos, Screenwriter and Artistic Director of Le Groupe Ouest, recorded at Les Champs Libres (Rennes) in December 2023 in the framework of the serie “What stories for our time?”.
« Grasps a sugar cube: it takes something from reality, then we plunge it into another environment »
The concept to give more taste.
A concept is like sugar tongs, it grasps a sugar cube… in the days we used sugar cubes. So, it takes something from reality, then we plunge it into another environment, made up of other elements, to create something different, to give flavour.
« The rhizome forms this way going from one to another and not from a centrality. »
The rhizome to create, in network & horizontality.
The idea of a rhizome is closely related to an important aspect of psychoanalysis which is the non-hierarchical association of ideas. It’s quite close, it’s a botanical image. The rhizome is particular in that we can replicate the plant, using any part of it without needing the seed. The rhizome is the opposite of a root for those who are a bit rigid, because in fact rhizome plants also have roots.
For me, it’s essentially agricultural in a way. It’s the fact of transplanting like we do with rice or multiplying potatoes, using the sprouts on the potato itself. The rhizome forms this way going from one to another and not from a centrality.
There’s the famous fable by La Fontaine, called the “The Oak and the Reed”. The reed rhizome resists wind way better than the oak with its sturdy roots – the common belief. Meaning that, for example, because I’m trained in rhizomaticity.
I love grass, I observe grass everywhere. And I realize that everybody, when talking about plants, at the moment only consider trees. Grass isn’t a noble plant, it seems. We continue to think of plants in a hierarchical way. The oak being highly considered in Europe, is almost identified as a sovereignty.
« No teleology. Life! »
Proliferation as a process of creation
Deleuzian thinking is non-sovereign thinking. Guattari, who joined forces with Deleuze at some point, was very interested in proliferation. No teleology. Life! Unlike many of our friends, who are Deleuze and Guattari followers and currently preoccupied with collapse… No, not collapse, a proliferation, which will continue, take different forms, etc.
« By closing oneself off in an existential territory we can’t really create. »
Deterritorialization to go beyond the existential territory
The concept I like the most, which ties into all of this, is deterritorialization. I find it absolutely fascinating. And it relates to the idea of flow. Meaning that in the world around us, including this seemingly rigid materiality, electrons are flowing. There is flow everywhere, even in the marble beneath our feet.
My psychotherapist friends say that when they’re with a patient, the patient is generally deterritorialized in almost the most trivial sense of the word. The therapy’s job is to reterritorialize them to restore, what in Guattari’s mapping, he called the existential territory. The idea was that therapy should build something beyond this existential territory, enabling communication with other human productions, to create something else, particularly in artistic and creative worlds. By closing oneself off in an existential territory we can’t really create. We can feel better, maybe.
For Guattari and Deleuze, and also in my opinion, deterritorialization is in physical matter and is conveyed by the human mind, initially via our unconscious. For schizophrenics, for the demented, for those non-reterritorialized in psychiatric hospitals and the like, who haven’t exasperated people enough to be reterritorialized, this deterritorialization is very sensitive.
« Moving within an elliptical space. »
Mapping to study contact with each other
The notion of mapping arrived somewhat accidentally. Guattari had ties with Deligny. Deligny went to La Borde at a time, when he could no longer stay in the Cévennes in the 1960s. I saw him in La Borde in 1965. And Deligny, in order to live with children, not just autistic in the usual sense, but non-verbal – for reasons Americans would say are pathological, physical – to live with these young people as humans he had to break away from the Lacanian hypothesis stating that what characterizes humans is language.
Deligny literally inherited an 8-year-old boy named Janmari, who’d spin round and round screaming. No institution wanted to keep him except if he was tied down. His mother entrusted him to Deligny. Things weren’t doing well at La Borde, Deligny was there when he arrived, Deligny took him to the Cévennes, to his home. He started a small community with someone named Jacques Lin, who is still there, who’d been an industrial draftsman, not an artist. So Deligny takes on Jacques Lin, who couldn’t bear Janmari, and told him: “Since you’re a draughtsman, you can draw all Janmari’s movements, you follow him, and every time he screams and spins around, you draw a circle on his tracking map.” Jacques Lin started on these maps.
At first, when it was… with the network, it became a bit systematic, the maps aren’t so interesting. Initially they realized that Janmari moved within an elliptical space revolving around Deligny and Jacques Lin’s residence. Establishing a human contact with them, other than just having meals together. And even when he disappeared, it was within these ellipses, in which also he found water sources. The maps showed surprising results, in that the paths made by Janmari and other children treated by Deligny… There were the functional paths taking them to where they ate. And Deligny named customary the organization of the daily functional space, saying that these children – this joins territoriality – these children needed an extremely repetitive space, within which they created other paths, which he called “wander lines.” We had no idea what these wander lines were used for, where they went, but they were part of the overall space.
« By superimposing the maps, discovering the structure. »
The layer as map reading tool
Félix and Deleuze were intrigued by these maps. They were the base of all the Rhizome texts which always makes me wonder why they so ardently argued that maps and layers weren’t the same thing. Because Deligny had thought of superimposing the maps, which were done on tracing paper. And he saw it traced the spaces I mentioned earlier, by superimposing the maps. And they also made a map per child, and by superimposing the maps, they discovered the structure. For me, there’s no opposition in the text between the traced layers and the maps, because the tracing layer is actually a tool for reading the map.
« Reality in flows, the imaginary world in existential territory, the symbolical and the machine. »
A map of the world
I was fascinated by Félix’s text called Schizoanalytic Cartographies. It’s a form of mapping, in my opinion, which he used in his therapies, but in fact it’s mapping the world. There are four poles: there’s the flow in physical matter – matter has flows, we spoke about that earlier. There are the existential territories, which are a result of deterritorialization then reterritorialization of this matter.
And via this deterritorialization then reterritorialization, within the existential territories, we produce what he called immaterial universes which are all the abstract civilizational productions, generated by humans – which are multiple and not unique as we were taught at school. In which there’s plenty to explore…
And furthermore, there’s a fourth… pure Guattarians would say not – but I believe it corresponds to Lacan’s three poles: reality in flows, the imaginary world in existential territory – this is where we come back to stories – and the symbolical, which is everything we produce, such as music, maths, philosophy and all that. To which Félix adds what he calls the phylo-machinic, meaning that humanity and matter combined have produced a whole series of material and technical alliances: machines, which in genealogy are somewhat like animal species, and it’s the intersection between the immaterial universes, meaning abstract diagrams and the flows produced by the machines.
« In life, there are always these heterogenous encounters in the real world, precisely in concomitance, which will produce something else. »
The machine as a creative power
Guattari’s notion of machine is quite unique. In a book called Psychoanalysis and Transversality, which is a collection of articles that Guattari had published, which were spread through different magazines, there’s a text called Machine and Structure. And in this text, there is the note number 1, where Guattari establishes series with heterogeneous things, which he associates with a third term, which I call a machine.
I find that remarkable, because it gives the machine the capacity to deal with a huge number of situations, from the car to the nuclear power plant, etc. to relationships… Let’s say… Here, at Les Champs Libres, we have a planetarium and an exhibition on palaeontology which will be set up together and for certain visitors, not all, there’ll be a link between these two things which could result in making a film or whatever.
In life, there are always these heterogenous encounters in the real world, precisely in concomitance, which will produce something else, even if it’s just a poetic image, that can be shared around the world. Others will add to this and transform it using other objects. I find that very powerful. And it’s a very simple machine.
« The body without organs is the non-functional emergence of desire. »
The body without organs: a return to the original egg
In Anti-Oedipus and in A Thousand Plateaus, there’s the question of how to make a body without organs. In that a body without organs as smooth as an egg – the egg being the metaphor of production, germination, birth, and all that – how do we rid ourselves of all these functionalities, these organic compounds, to transform into an egg, which will become something else.
There’s a whole concept of becoming, becoming woman, becoming animal, becoming plant also, it’s all in A Thousand Plateaus. It’s a concept coming from Artaud. And Artaud was really schizophrenic. And for schizophrenics, from time to time, they see their bodies or their hands going off elsewhere or they perceive their bodies. As described in Anti-Oedipus: like an egg on which everything slides and nothing sticks. They’re extremely violent sensations that we don’t experience. The body without organs is the non-functional emergence of desire. The Body without Organs is essentially a return to the primal egg.
« In classical music, the ritornello, it’s returning to the theme. That’s what everyone is waiting for. For me, it’s the opposite. »
The ritornello as a reterritorialization
The ritornello, for example, is a bit like reterritorialization. In classical music, the ritornello, I think it’s returning to the theme. That’s what everyone is waiting for. For me, it’s the opposite. I’m always waiting for a new theme. I practically only listen to contemporary music. As soon as I’ve heard it three times, I look for something else. I’m not a good example.
© Photos Brigitte Bouillot
The podcast currently has 77 episodes available.