Il serait trop long de parler de ceux qui ont passé toute leur vie à jouer aux échecs Ou à la peloteou à exposer leur corps aux ardeurs d’un soleil cuisantCeux-ci ne sont pas non plus des oisifs à qui les plaisirs donnent beaucoup de travail
Quant à ceux qui se plongent dans de vaines études littéraires Personne ne doute qu’ils se donnent de la peine à faire rienLe nombre en devient assez grand chez nous les RomainsC’était déjà la maladie des Grecs que de chercher à savoir le nombre de rameurs d’UlysseOu si l’Iliade fut écrite avant l’OdysséeOu si ces deux poèmes étaient du même auteurEt d’autres questions de telle importanceQui s’il faut les garder pour vous ne peuvent vous procurer aucune satisfaction Et que vous ne sauriez communiquer aux autres sans paraîtreNon pas plus savantMais plus ennuyeux
Ainsi voilà les Romains possédés de l’étrange manie d’acquérir des connaissances inutiles ! Ces jours derniers J’ai entendu un certain philosophe disserter sur ce que chacun des généraux romains avait fait le premier le premier Cæso Duillius avait vaincu sur meret le premier Manius Curius Dentatus avait montré des éléphants à son triomphe
Encore que ces connaissances ne mènent pas à une vraie gloire Au moins tendent-elles à nous faire connaître par des exemples les exploits de nos concitoyensS’il n’y a pas de véritable utilité dans ce savoiril y a néanmoinsEn dépit de sa futilitéToujours des choses à tirer d’un sujet vide
Apprenons à ceux qui aiment ces sortes de recherches quel fut le premier qui engagea les Romains à monter sur un vaisseauCe fut Claudius surnommé pour cette raison CaudexNom que les anciens donnaient à un assemblage de plusieurs planchesEn sorte que les tables publiques où sont inscrites nos lois ont été appelées codesEt que de nos jours encoreLes bateaux qui depuis toujours apportent à Rome sa nourriture par le Tibres’appellent caudicaires
Il est sans doute bien important de savoir que Marcus Valerius Corvinus s’empara le premier de la ville de MessinaEt qu’il fut le premier de la maison des Valere qui empruntant son nom d’une ville prisefut appelé Messinapuis vulgairement Messala Au moyen d’un échange de lettres
Il est permis aussi de chercher à savoir que Sylla De la maison des Cornelii présenta le premier Au cirqueDes lions en liberté tandis qu’auparavant ils étaient attachéset que le roi Bocchus de Maurétanie envoya des archers pour les tuerD’accord ! Passons encore sur cela
Mais que Pompée ait donné le premier au peuple un combat De dix-huit éléphants contre des malfaiteursQuel mérite peut-on tirer de cette connaissance-là ? Le premier citoyen de Rome Le même que la renommée nous a dépeint comme un modèle de bonté parmi nos illustres aïeuxA cru donner un spectacle mémorable en inventant un moyen inédit de faire périr les hommesQu’ils se battentC’est peuQu’ils soient criblés de coups Ce n’était pas encore assezIl fallait en outre qu’ils périssent écrasés sous l’énorme masse des éléphants
Mieux valait laisser de pareilles actions dans l’oubli Pour empêcher que quelqu’un de puissant ne les connût par la suiteet n’enchérît en conséquence sur des actes que l’humanité réprouveO quelles épaisses ténèbres un grand renom répand-il dans l’esprit des mortels ! Pompée se croyait-il au-dessus de la NatureLorsqu’il exposait tant de malheureux à la fureur de bêtes féroces nées sous un autre ciel Lorsqu’il mettait aux prises des adversaires aux forces si disproportionnéesEt qu’il versait des flots de sang sous les yeux du peuple romainqu’il devait forcer bientôt à en répandre davantagePlus tardCe même hommeVictime d’une horrible trahison de la part des gens d’AlexandrieAlla présenter son cou à l’épée du dernier de ses esclavesEt comprit alors sans doute le vain étalage de sa renommée
Pour revenir au sujet dont je me suis écarté Je vais exposer encore les inutiles efforts de quelques uns sur des sujets divers Le même savant racontait que MetellusA...