📟 Texte et récit : Romain Clément
🎬 Compositions musicales et montage : Armel Joubert des Ouches
C’est l’un des maquis les plus méconnus de France - dont nous allons parler aujourd’hui- l’un de ceux qui a pourtant causé le plus de tort aux Allemands pendant la seconde guerre mondiale : le maquis de l’Ain.
Si vous circulez sur l’autoroute A 40, l’autoroute Blanche, après Bourg-en Bresse en direction de Genève, faites un crochet par Cerdon qui abrite cet imposant monument en hommage aux maquisards de l’Ain et du haut Jura.
L’ouvrage est gigantesque, avec cette femme élancée taillée à même la roche, et cette phrase : « Où je meurs, renaît la Patrie ».
Aux pieds de la statue, 89 tombes de maquisards ou de déportés.
Situé au nord de Lyon et à proximité de la Suisse, le maquis de l’Ain a rassemblé jusqu’à 7000 hommes, placés sous le commandement d’une figure, d’une légende, Henri Romans-Petit.
Romans-Petit va faire de ce département rural, de moins de 320 000 habitants, un haut-lieu de la lutte contre l’occupant allemand.
Il va crĂ©er 22 camps de maquis,Â
6 pistes clandestines d’atterrissages.
100 terrains de parachutages.
Ce maquis devient l’un des plus important de France.
Il est structuré pour être le point de départ de centaines d’opérations commandos.
Si le maquis de l’Ain est entré dans l’histoire, c’est parce que pour la première fois, le 11 novembre 1943, la population française a découvert le vrai visage de la résistance, lors d’un défilé audacieux, en pleine occupation, au nez et à la barbe des Allemands.
200 hommes armés, en uniforme paradent dans les rues d’Oyonnax
Ce défilé va entraîner des représailles terribles. 3 opérations militaires ciblées, et des rafles menées par un certain Klaus Barbie
Des centaines de combattants, de civils vont pĂ©rir.Â
Voici l’histoire du maquis de l’Ain…
Les Français croient encore leur armĂ©e invincible.Â
En 30 jours à peine, l’offensive éclair des troupes du Führer terrasse toutes les unités. 90 000 soldats français perdent la vie. C’est la débâcle.
Et sur les routes, 7 millions de civils, femmes, enfants, vieillards, fuient l’inexorable avancée du Reich…
Le département de l’Ain n’échappe pas à cet exode.
 Les Allemands vont s’attaquer à la plus importante ville du département, Bourg en Bresse, qui est aussi le dernier grand rempart avant Lyon...
Le 16 juin, un bombardement coûte la vie à 13 personnes, 25 autres sont blessées.
24 h plus tard, le 17 juin, estimant les combats perdus, le nouveau président du conseil s’adresse à toute la nation pour annoncer qu’il souhaite s’entendre avec l’ennemi...
Malgré l’armistice, une garnison stationnée dans l’Ain dans un ouvrage fortifié du XVIIème siècle va s’illustrer.
Cette unité est stationnée au Fort L’Ecluse. Comme le dit l’historien Fabrice Grenard, c’est « la porte d’entrée vers les Alpes », à quelques kilomètres de Bellegarde sur Valserine, à la frontière avec la Haute Savoie, dans ce qu’on appelle le pays de Gex
La garnison est commandée par le commandant Favre… qui refuse de se rendre.
Avec ses troupes alpines, ses sapeurs, ses pièces d’artilleries, il va résister à plusieurs assauts.
Le 3 juillet 1940, 11 jours après l’armistice, les hommes du Commandant Favre, encerclés par un ennemi bien supérieur en nombre finissent par se rendre, mais Fort L’Ecluse reste comme l’un des premiers actes de résistance en France …
Dès juillet 1940, la croix gammée flotte sur tout le département. L’Ain est rattaché à la zone dite “libre”, sous l’autorité de Vichy.
Les événements vont progressivement faire de l’Ain un secteur stratégique :
Comme le souligne l’historien militaire allemand Peter Lieb, ce département, qui n’est pas intéressant d’un point de vue économique pour les Allemands est cependant frontalier de la Suisse, et il est important pour les occupants d’en contrôler la frontière.
D’ailleurs le pays de GEX à l’est du département, est déclarée zone interdite. 4 à 5000 allemands y sont stationnés.
La Suisse, c’est le seul pays, oĂą les juifs pouvaient Ă©ventuellement se rĂ©fugier.Â
Le département devient aussi important parce qu’il est traversé par tous les trains au départ de Paris et en direction de Lyon, du sud de la France, ou même de l’Italie.
Et à l’époque, les voies stratégiques, ce sont les voies ferrées, beaucoup plus que les routes.
Mais en 1940, il est encore un peu tĂ´t pour pouvoir nuire Ă la logistique allemande, s’attaquer Ă ces voies ferrĂ©es.Â
Dès 1941, la rĂ©sistance va dĂ©velopper ses propres rĂ©seaux dans l’Ain.Â
Comme le rappelle l’historienne Florence Saint-Cyr, qui est aussi responsable du MusĂ©e de la RĂ©sistance et de la DĂ©portation de Nantua se dĂ©veloppent dans ce dĂ©partement, les 3 mouvements de rĂ©sistance :  Combat d’henri frenay, le mouvement LibĂ©ration d’Emmanuel d’Astier de la Vigerie et Franc-Tireurs de Jean-Pierre LĂ©vy…Â
Un personnage très important dans l’Ain c’est le gĂ©nĂ©ral Charles DĂ©lestraint, qui au moment de la dĂ©faite de 1940 est mis en retraite et s’installe Ă Bourg en BresseÂ
Le général Délestraint, devient le chef de l’Armée secrète. L’AS, c’est une structure nationale, une armée de l’ombre, prête à agir le moment venu.
Délestraint cherche des forces vives et pour recruter, il s’appuie sur plusieurs personnalités de l’Ain.
Des gens qui ont des carnets d’adresse, des notables souvent comme Bob Fornier, patron d’une brasserie, Raymond Charvet, dentiste, des médecins comme le docteur Emile Mercier.
Ils deviennent des chefs de secteurs.
Ils recrutent grâce aux structures existantes, les syndicats notamment dans les villes ouvrières comme Bellegarde ou Oyonnax, le parti communiste, et les lycĂ©ens…Â
2 lycĂ©es fournissent d’importants contingents Ă la rĂ©sistance.Â
Le Lycée Xavier Bichat à Nantua et le lycée Lalande de Bourg en Bresse.
La résistance commence par de petites actions, dont l’objectif est de rallier la population à l’appel lancé par le général de Gaulle.
Les résistants racontent comme Robert Molinatti qu’ils distribuaient des journaux clandestins, FT Partisan, Combat, des tracts
Mais les effets de ces actions sont encore limitĂ©s, l’opinion est toujours pour l’instant favorable Ă VichyÂ
Mais dès 1942, le contexte change, et l’opinion commence à évoluer.
Il y a les rafles de juifs qui s’intensifient…Â
10 000 juifs sont raflĂ©sÂ
Et la Zone sud est envahie après le débarquement allié en Afrique du Nord, le 11 novembre 1942.
Ce qui fait basculer réellement l’opinion, c’est l’adoption en février 1943 de la fameuse loi sur le STO, le Service du travail Obligatoire.
Tous les jeunes hommes nĂ©s en 1920, 1921,1922, 1923, 4 classes, sont requis pour aller travailler en Allemagne…Â
Le département est l’un des premiers en France à voir émerger des manifestations de protestation.
Il y a des mouvements Ă Bellegarde, Ă Oyonnax, Ă Bourg en Bresse les jeunes se rebellent.
Du fait de cette opposition, dans l’Ain, sur 1600 jeunes requis au STO, seuls 347 partent vers l’Allemagne.
Ceux qu’on appelle les réfractaires au STO, partent se cacher dans des fermes, mais ils deviennent si nombreux, qu’il leur faut bientôt d’autres infrastructures pour se cacher.
En mars 1943, 1 mois après l’instauration du STO, va naître le premier camp du maquis de l’Ain, installé sur ce lieu-dit -de la ferme de Chougeat- sur les hauteurs d’Oyonnax...
22 camps voient le jour, ils sont situés en moyenne montagne (à moins de 1500 m d’altitude), sur les hauteurs de Bourg-en Bresse, Bellegarde, Oyonnax…
Ces jeunes vivent dans des camps de fortune, sans logistique et ils n’ont pour la majorité aucune expérience militaire, et souvent très peu d’armes.
Comme le dit un autre ancien maquisard, Christian Simo: « on avait un fusil Lebel pour 5 bonhommes, on Ă©tait mal habillĂ©s, on avait rien Ă bouffer »,Â
c’était vraiment le début du maquis.
Un homme, fraĂ®chement arrivĂ© dans l’Ain, va transformer en quelques mois ces camps Ă©parpillĂ©s, en un maquis structurĂ©, militarisĂ©, et prĂŞt Ă lancer des coups de main, des sabotages.Â
Cet homme providentiel, s’appelle Henri Petit, il a 46 ans, son nom de code dans la rĂ©sistance : Romans-Petit.Â
Il a été recruté au printemps 1943 par l’Armée secrète.
Et il vient prospecter le département pour repérer ces petits groupes qui se forment.
Les chefs de la résistance ont confiance en lui, c’est un homme d’expérience, vétéran de la 1ère guerre Mondiale, il a fini sous-officier, avant un passage dans une école d’officier, et il a rejoint cette armée fraîchement créée, l’armée de l’air… il y a des clichés où on le voit piloter, c’est un aventurier.
Ses hommes soulignent son aura de chef, il est, comme le dit l’historien Gilles vergnon, un chef de maquis, un Seigneur de la guerre.
Pour militariser les camps, il s’entoure d’officiers et de sous-officiers, des hommes de caractère et surtout de confiance,
Noël Perrotot, officier d’infanterie, nommé chef des maquis nord du département,
et Henri Girousse, Saint-Cyrien, nommé chef du groupement sud.
Comme tout chef militaire, Romans impose une discipline, des rituels comme la montée des couleurs. Pour éviter les infiltrations, il créé un centre de tri, où les candidats au maquis sont interrogés, observés…
Romans cherche Ă mettre en valeur ses maquis.
Et il réussit à provoquer un événement fondateur. Le 14 juillet 1943, Il a fait venir les chefs de la résistance de la zone sud, l’état-major de Lyon, sur le lieu-dit de la ferme de Terment.
Il existe d’ailleurs quelques photos, on voit Romans en tenue de capitaine de l’armĂ©e de l’air entourĂ© par ses hommes, il y a l’état-major venu de Lyon, et ce jour lĂ il est intronisĂ© officiellement chef des maquis de l’Ain.Â
Il faut des moments forts pour asseoir une légitimité et faire naître une légende.
Romans intronisé va maintenant aller chercher le soutien de la population locale. Sans l’aide de celle-ci le maquis ne peut durer…
Ce qu’il réussit, obtenant ainsi des vivres.
Tout une organisation logistique est mise en place pour acheminer les denrées agricoles. Certaines viennent de la Dombe, d’autres de la Bresse, il fait venir du blé, de la viande, du pain.
Au départ on utilise des chevaux, des ânes, puis ce sont des camions grâce au service GARAGE du maquis, les fameux camions Tardy.
Maintenant que le ravitaillement est assuré, Romans va pouvoir lancer sa 1ère opération commando, un raid très bien préparé…
Comme tous les chefs de maquis, Romans craint les désertions, en particulier dès que le froid de l’hiver se fait sentir.
Il convoque sa garde rapprochée : son objectif, faire main basse sur des stocks de matériels situés sur les chantiers de jeunesse d’Artemare. Une structure paramilitaire créée par Vichy.
le 10 sept 1943, Romans-petit s’infiltre avec une poignée d’hommes sur les chantiers de jeunesse d’Artemare… pour récupérer des chaussures, des vêtements neufs et s’équiper pour l’hiver.
L’opération est audacieuse. Avec du chloroforme, on endort les gendarmes, et les gardiens, et un groupe se charge du pillage des stocks.11 000 kilos de matériel… en 45 minutes, les équipes se dispersent, et foncent vers les camps du maquis afin de répartir le butin collecté.
Le maquis de l’Ain devient ainsi le mieux Ă©quipĂ© de France, et il y a aura très peu de dĂ©sertions saisonnières, contrairement Ă d’autres maquis, comme le Vercors, oĂą en hiver, de nombreux jeunes se dĂ©couragent et rentrent chez eux…Â
Fin septembre 1943, tournant important, un petit bimoteur clandestin, un Hudson venu de Londres se pose sur un terrain secret de l’Ain, à son bord 2 émissaires spéciaux.
2 officiers alliés, Jean Rosenthal du BCRA, les services secrets de la France Libre et Richard Heslop, officier du SOE, les services secrets britanniques.
Ils inspectent la plupart des camps du maquis et leur rapport Ă©logieux fait Ă Londres signifie, quelques semaines plus tard, le dĂ©but des parachutages.Â
La manne cĂ©leste tombe bientĂ´t du ciel.Â
Des pistolets, des fusils, des mitrailleuses, des grenades, des explosifs.
Romans-Petit va mettre au point avec son état-major sa tactique, afin de débuter la lutte armée, et faire enfin le plus de tort aux Allemands…
Sa tactique, c’est tout simplement la guĂ©rilla. Des actions coup de poing, avec de petits effectifs très mobiles.Â
Il créé une école de cadres afin de « driller », d’instruire ses gars aux coups de main, en veillant aux décrochages rapides, à la mobilité.
Les opérations commandos vont se multiplier et faire de plus en plus de victimes. Entre 1943 et juin 1944, 44 allemands vont être tués par les maquisards de l’Ain, qui perdront aussi une soixantaine des leurs…
fin 1943, les hommes de Romans Petit sont 3500 … ils vont aussi exceller dans une autre forme de guerre, exigée par Londres…
C’est la bataille du rail.
Le sabotage des voies ferrées. Tous les chefs de secteur ont formé de petites unités baptisées “troupes spéciales insurrectionnelles”.
Il y aura des dizaines de sabotages chaque semaine, retardant la logistique des allemands…
Mais Romans-Petit veut marquer un grand coup symbolique, pour gagner les cœurs de la population, encore très influencée par les discours de Philippe Henriot, ministre de la propagande de Vichy qui assimile les maquisards à des criminels, des voleurs…
Il y a une chose qui a son importance, c’est qu’il a Ă©tĂ© publicitaire, entre les 2 guerres. Il va mettre Ă profit son sens de la communication.Â
Il choisit une date symbolique, pour organiser un événement -particulièrement audacieux en pleine occupation- et ainsi faire entrer son maquis dans la légende.
Nous sommes le 11 novembre, le jour qui commémore l’armistice de 1918 donc la défaite allemande. C’est une journée que Vichy ne veut pas commémorer. Vichy interdit toute manifestation…
Romans Petit veut au contraire en profiter pour faire en quelques sortes un coup mĂ©diatique. Il organise un dĂ©filĂ©. Pour lequel il a tout planifiĂ©.Â
Il a choisi Oyonnax, car il y a une certaine sympathie du commissaire de police, mais il y a une inconnue, la réaction allemande, la garnison la plus proche n’est qu’à 15 kms.
Le dispositif militaire de Romans est le suivant :