Qu’on appartienne à l’armée de ses fans ou qu’on écoute, comme tout le monde, de loin, à la radio ses chansons, on sait tous que Bruce Springsteen est une star de la musique, à part. Car oui, malgré une belle liste de tubes immortels et des dizaines de millions de disques vendus à travers le monde, Bruce Springsteen est resté un Américain moyen, un type comme tout le monde. S’il est habillé sur scène comme dans la rue, c’est justement parce qu’il y est attaché, à sa rue, celle où il a d’abord roulé dans sa poussette, puis appris à faire du vélo avec son grand-père, joué avec ses soldats, connus ses premières bagarres et premiers baisers.
Un ménage très modeste que les Springsteen. Vieille maison, un unique poêle au mazout pour la chauffer et une cuisinière au charbon sur laquelle le gamin tirait avec son pistolet à eau pour faire de la vapeur. Mais rien qui l’ait traumatisé, non, leur maison était très vétuste, c’est vrai, mais il y avait une table, des chaises, des lits et il avait toujours des vêtements sur le dos. Une enfance dans le New Jersey, dans la ville où les Italiens rencontrent les Irlandais, dit-on. Et justement, il hérite de son père un nom et des attitudes grégaires, le plaisir de vivre ensemble ; de sa mère, l’exubérance dont elle peut faire preuve à la maison en chantant et criant avec ses sœurs.
Il y a bien sûr Elvis Presley, Bruce a 7-8 ans quand le chanteur du Mississippi fait ses premières apparitions dans l’émission de variétés du dimanche soir présentée par Ed Sullivan, le Jean-Pierre Foucault américain. Et c’est justement ce Ed Sullivan qui lui sauve la vie d’adolescent de 14 ans recouvert d’acné et de doutes, quand ce 9 février il crie Ladies and Gentlemen The Beatles … Son excitation est à son comble, ce nom de Beatles prononcé par Sullivan, il ne l’oubliera jamais. Comme des millions de jeunes Américains, Bruce est au courant qu’ils vont jouer en direct à la télé, il y a eu 50.000 demandes de tickets pour l’émission, pour Elvis il y en avait eu 7000 et on avait déjà trouvé ça incroyable. Tout avait commencé quelques semaines plus tôt quand il avait entendu ceci à la radio dans la voiture avec sa mère … Qu’est-ce que cette musique ? Pourquoi lui avait-elle fait cet effet-là, qui lui avait instantanément fait appeler sa petite copine pour lui demander si elle connaissait les Beatles ? Et elle avait répondu, oui, évidemment, ils sont cool. Oui, ils sont plus que cool, en 1964, aux Etats-Unis, il n’y aura aucun mot plus magique en anglais que The Beatles. Mais ce n’est rien par rapport au choc qui l’attend quand chez le disquaire, il voit le disque Meet the Beatles : leur coiffure ! Cette coiffure, il ne va entendre parler que de ça dans les semaines à venir. Des cheveux longs pour des hommes, quelle horreur, quelle décadence ! Il ne faut pas longtemps avant que Bruce VEUILLE rencontrer les Beatles, être les Beatles.
Alors oui, Bruce Springsteen revendique son histoire d’Américain comme les autres qui, à la vingtaine, n’est pas un rebelle qui fait des courses de voiture comme James Dean, mais sa guitare dans une main, il tient quatre atouts dans l’autre : la jeunesse, des années d’expérience à jouer dans les bars, un excellent groupe et une histoire à raconter.