En Occident, nous sommes de plus en plus nombreux à adopter le yoga pour atteindre le bien- être, apaiser notre stress, nos colères, vivre en harmonie, diminuer aussi les angoisses suscitées par les maladies mortelles, bref trouver notre oxygène. Après 40 ans d’expérience médicale, un cancérologue célèbre, le Pr David Khayat, en est arrivé à le recommander en priorité à ses patients, avec la méditation, comme le plus efficace des remèdes pour entretenir leur santé lors de chimio et radiothérapies.
On sait bien sûr que le yoga vient de l’Inde, dont il est une marque de fabrique civilisationnelle. On ignore cependant que cette pratique très complexe était presque complètement tombée en désuétude dans son berceau millénaire hindouiste, et même dans l’histoire contemporaine malgré Gandhi, sa résistance non violente et l’expulsion du colonisateur britannique. Certes la mythique Rishikesh, cité traversée par le Gange au pied de l’Himalaya, en était la capitale et les gourous l’enseignaient dans leurs ashrams. Mais il a fallu attendre une date très récente et un homme pour assister à la renaissance du yoga et à son expansion dans sa propre patrie. L’homme qui lui a redonné du souffle, c’est Narendra Modi. Le Premier Ministre nationaliste et hindouiste, patron du BJP, Parti du peuple indien, arrivé au pouvoir en 2014, reconduit triomphalement en mai dernier à la tête du sous continent, doit diriger 1 milliard 400 millions de personnes dont 700 millions ont moins de 25 ans, avec la somme de problèmes que posent la pauvreté et la violence. A peine installé, Modi a donc aussitôt créé un Ministère du yoga, tout sauf un gadget, mais bel et bien un instrument unique au monde en son genre. En 2015, sous son impulsion, aidé par des gourous tels la yogi star télévisuelle Baba Ramdev ou Sri Sri Ravi Shankar, classé par le magazine Forbes comme 7 ème personnalité la plus influente de l’Inde, Modi a convaincu l’ONU de créer une journée mondiale du yoga, le 21 juin, date du solstice d’été. Un coup de maître pour le rayonnement culturel de l’Inde et son aura personnelle, baptisé « la diplomatie du yoga ». En Inde même, Modi, donnant exemple et directives très autoritaires, a obtenu en très peu de temps un succès considérable. Cette année, lors de la journée dédiée, il a fait ses postures au milieu de 40 000 adeptes en rang sur leur tapis. Partout dans le pays environ 130 millions d’Indiens, soit 10% de la population, se sont livrés à leurs exercices dans des milliers de sessions organisées. On a même vu des chiens dressés pour le dog yoga. Au point que les medias occidentaux, alors qu’ils encensent tant et plus le yoga dans leurs rubriques Santé sans en comprendre la spiritualité et n’en sont plus à un paradoxe près, évoquent à propos de Modi un embrigadement, une armée, des contingents, une mobilisation au profit d’un hindouisme exalté et guerrier. Ils induisent ainsi une perverse et subliminale comparaison entre la maîtrise du corps et du souffle vital pour atteindre harmonie et équilibre, même si elle est imposée, et l’utilisation du feu et des bombes qui au Yemen, en Syrie, en Afrique, en Amérique du sud provoquent la mort de centaines de milliers d’enfants, de femmes et d’hommes. Les medias posent cette question : le yoga est-il devenu un enjeu identitaire, politique, diplomatique, idéologique pour le nationalisme hindouiste, stupide et péjoratif pléonasme similaire au nationalisme sioniste pour les Israéliens ? La réponse est oui. Est-ce anormal ? Non. Parce que si l’Inde comporte 2000 groupes ethniques, 234 langues maternelles, et si l’ensemble des religions du monde y sont représentées, elle est à 80% hindouiste. Elle a toutes les bonnes raisons de recourir à une discipline identitaire et pacifique s’il en est. Alors, assis par terre en tailleur, dos bien droit, mains posées sur les genoux face au ciel, yeux fermés, respirons longuement, profondément. Et laissons l’Inde à elle-même.