Voici le propos de Geert Goiris, commissaire de l’exposition.

La paréidolie est la capacité humaine à reconnaître des motifs dans des données incohérentes, une caractéristique que notre cerveau a acquise au fil de l’évolution et qui nous permet de détecter quelque chose d’important dans n’importe quelle image ou n’importe quel motif. Une fois qu’on s’engage sur cette voie, il est difficile de revenir en arrière. Qu’en est-il de l’écho visuel entre le vol des oiseaux et la toile d’araignée tissée entre les pieds d’un tabouret ?

En photographiant une volée de pigeons, puis en traçant au stylo tous les oiseaux individuels sous forme de points dans un dessin au trait, l’artiste tente de mettre au jour un ordre caché. L’ornithomancie était autrefois une technique de divination courante ; donner un sens à la formation d’une volée d’oiseaux remonte à la nuit des temps. Une deuxième œuvre, dans le même espace, est un tabouret entre les pieds duquel sont tendus de fils de fer qui forment un jeu de lignes angulaire. S’agit-il d’une esquisse de toile d’araignée ? D’une tentative de préserver la structure fragile par le biais d’un dessin ? D’une aspiration à comprendre quelque chose en l’imitant ? Ou s’agit-il plutôt d’un ajout poétique à un meuble, comme un dessinateur ajouterait une toile d’araignée à un objet pour indiquer qu’il est tombé dans l’oubli ?

Voici le propos de Geert Goiris, commissaire de l’exposition.

Quantification, division de l’espace, partage du gâteau. Tout appartient à quelqu’un. La quintessence du capitalisme et de la manière dont cela nous a menés où nous sommes aujourd’hui. Ou est-il temps de parler de « capotalisme » ? La sculpture de Peter Morrens ne fait aucun effort pour être un objet désirable et vendable. Il s’agit d’un objet bricolé et attachant qui ne rivalise pas avec l’esthétique en général sobre des diagrammes circulaires, plus familièrement appelés camemberts. L’œuvre ne peut que soulever des questions honnêtes, mais interpellantes. Qu’avons-nous fait ? Pourquoi sommes-nous si coincés dans cette distribution bâclée, négligente et arbitraire qui pourrait cesser d’exister à tout moment ? La redistribution n’est-elle pas une possibilité ? Cet objet tragicomique thématise la désintégration et l’emboîtement. Comme dans une comédie burlesque, l’échec est central, mais il offre aussi du réconfort.

Voici le propos de Geert Goiris, commissaire de l’exposition.

Cette vidéo monochrome sans son, tournée à Ostende, constitue le point de départ de cette présentation de la collection. L’image est grisâtre et un peu floue. Cette simplicité trompeuse n’enlève rien à la radicalité de l’œuvre, un long plan séquence qui montre une scène sans artifice. Dujourie ne se laisse pas tenter par des points de vue ou des mouvements de caméra virtuoses. La position de la caméra vidéo mesurée avec minutie et surtout le maniement de l’appareil qu’en fait Dujourie en tant qu’artiste/modèle/spectatrice donnent toute sa force à l’œuvre.

Ce que l’artiste nous offre, c’est sa fascination pour l’instant présent. Son personnage n’évolue pas ou à peine. Le temps passe sans que rien d’essentiel ne change. J’observe avec intérêt la façon dont elle parvient à évoquer une telle élégance et une telle richesse de sentiments rien qu’avec son corps, une chambre et une caméra vidéo fixe.

L’apparition de Dujourie n’est pas un spectacle : on regarde un corps conscient de lui-même, dans un état de tranquillité et d’équilibre. Ce corps n’accomplit rien, il n’est pas soumis à la pression de produire ou de consommer. Il s’agit d’un corps vide, qui s’ennuie peut-être, mais qui demeure actif et réfractaire, frais, sensuel et par-dessus tout autonome.

Passion de l’été pour l’hiver décrit l’aspiration à l’inaccessible. Ce qui est loin de nous, nous attire – l’impossibilité n’est jamais un obstacle dans les histoires d’amour. Le corps peut sembler passif, mais le titre suggère un désir passionné. Vue de l’extérieur, cette tempête intérieure reste invisible.

Vous écoutez le texte mural de l’exposition DOKA.

Les objets d’art de M sont conservés en toute sécurité dans le dépôt sombre, où la température est constante. Ils ne sont sortis, exposés et mis en valeur qu’à l’occasion d’une exposition. Le photographe et commissaire invité Geert Goiris y voit un parallèle avec la chambre noire, le lieu magique où sont créées les photos analogiques. Dans cette présentation, il souhaite faire sortir de l’obscurité des oeuvres soigneusement choisies dans la collection d’art contemporain de M.

Le développement d’une impression analogique en noir et blanc - où seule la lumière rouge est autorisée - prend environ sept minutes. On peut ensuite rallumer la lumière blanche pour visionner le tirage. L’une après l’autre, les salles de l’exposition sont baignées de lumière rouge, évoquant ainsi l’expérience de la chambre noire. Chaque salle du parcours est éclairée par des lumières rouges pendant sept minutes seulement. L’éclairage monochrome modifie notre perception des oeuvres : les couleurs s’estompent et le contraste semble s’accentuer. Les ombres sont plus profondes, les détails se fondent dans l’image complète. Pendant la phase rouge, nous percevons les oeuvres d’art d’une manière imprévisible. Cette intervention suggère par ailleurs que chaque image en contient une autre.

Le fil rouge de l’exposition est une phrase de la poétesse Mary Oliver : « L’attention est le début de l’abandon. » Notre époque se caractérise par la vitesse, la distraction et le fait de regarder sans remarquer. Les espaces dans lesquels nous passons le plus clair de notre temps sont souvent définis par des habitudes et des routines bien ancrées. Les oeuvres d’art de l’exposition perturbent - parfois subtilement, parfois explicitement - nos hypothèses et nos attentes. Elles nous invitent à jeter un regard sans tabou sur ce qui nous est familier et à nous concentrer sur le plaisir, mais aussi sur la nécessité de prêter attention.

Tour pour la forme | Messieurs Delmotte

Vous vous trouvez actuellement dans une salle tout en longueur ; la première de l’exposition En mouvement. L’exposition s’articule selon trois grands thèmes : la procession, le pèlerinage et la dévotion domestique. Cette première salle s’intéresse plus particulièrement à la dévotion dans la sphère privée.

Face à vous, vous pouvez voir un gisant du Christ provenant d’une mise au tombeau. Cette sculpture est présentée sur un socle intégré dans une niche murale. Six personnages sont réunis en demi-cercle autour de la dépouille mortelle du Christ. Ce groupe se compose de deux hommes et quatre saintes, qui assistent à la scène dans une grande affliction. Tous ont la tête penchée vers le bas et regardent le Christ, qui gît immobile sur le sol. Si le Christ n’est vêtu que d’un pagne, les six personnages qui l’entourent portent des vêtements très colorés.

Les dames ont la tête couverte, et deux d’entre elles tiennent en main un pot d’onguent. Le principal personnage féminin est Marie, qui regarde son fils pleine de tristesse. Ses mains sont jointes en prière.

Deux personnages masculins se trouvent de part et d’autre du Christ. À l’origine, leurs bras pouvaient bouger de haut en bas grâce à un mécanisme articulé en bois. Les fidèles utilisaient ce groupe de personnages pour mettre en scène et remémorer de manière très visuelle la mise au tombeau du Christ.

La sculpture, qui est datée des alentours du premier quart du seizième siècle, se trouvait initialement dans la Chapelle de la Sainte-Croix de l’église Saint-Jacques de Louvain. Comme dans l’exposition, les personnages se trouvaient dans une niche censée représenter la sépulture du Christ à Jérusalem. Même si l’œuvre se trouvait dans un lieu public, elle témoigne du lien très personnel et affectif entre les croyants et l’art religieux. Pour s’approcher le plus possible de la souffrance du Christ, sa statue était par exemple déposée avec beaucoup d’amour sur un coussin brodé, ou on déposait dessus une couronne en laiton. C’était une manière de pratiquer une dévotion personnelle, même dans une église.

Tu as devant toi « Le Marché aux Grains de Fez ». Ce tableau de 50 cm de haut et 66 cm de large est accroché à hauteur de regard sur le mur. Il a été peint par Jules van Biesbroeck, quelque part entre 1925 et 1965.

À droite à l’avant-plan, un marchand de grain est accroupi sur le sol. Il porte un habit blanc qui ne laisse voir que son nez et ses yeux. D’un regard endormi et un peu las, il semble nous fixer. On ressent immédiatement toute la lenteur qui se dégage de cette scène. Par son attente, ce personnage nous donne l’illusion que le temps s’écoule au ralenti. Les deux coussins gris posés à côté de lui confirment ce sentiment.

La scène se déroule à Fez, une des plus grandes villes du Maroc où l’artiste a habité pendant un certain temps. Il s’était rendu pour la première fois en Algérie en 1925, et est parti de là en 1935 pour se rendre au Maroc. Après son séjour en Afrique du Nord, il est surtout devenu célèbre pour ses tableaux orientalistes. Ses œuvres sont caractérisées par les couleurs du sud et les scènes inondées de soleil – des éléments qu’on retrouve également dans ce tableau. Les teintes sable dominent l’image, ce qui fait penser à un paysage de désert. Là aussi, on retrouve le sentiment de temps suspendu.

L’animation qu’on associe généralement à un marché est visible à l’arrière du tableau. Des marchands vêtus de manière identique sont rassemblés sous une sorte de tente. À leur gauche, trois hommes chargent un âne de sacs contenant probablement du grain. Les personnages représentés semblent plutôt figés dans leur attitude. L’âne aussi donne l’impression d’être totalement immobile. Et malgré l’agitation de la foule, il se dégage de ce tableau un sentiment de lenteur et de sérénité.

Cette statue en chêne mesure 2 mètres de haut – c’est-à-dire environ la hauteur d’une porte. Elle est plus grande que la moyenne de ce qui se faisait au Moyen-Âge, mais c’est lié à l’histoire qui est résumée ici dans un seul moment figé.

La statue représente un géant. Il porte une courte tunique rouge et un manteau drapé bleu. Il a relevé le manteau sur son bras droit pour éviter de le mouiller. D’après la légende, le géant a en effet les pieds dans l’eau. C’est pourquoi le sculpteur a fait disparaître son pied gauche dans le bloc de bois, pour donner l’impression qu’il est immergé dans l’eau. Pour ne pas tomber, il agrippe sa perche des deux mains. Sa main droite, à hauteur de son visage, est fermement serrée autour de la perche que, de l’autre main, il plante vigoureusement dans le fond de la rivière. Son corps forme un S pour bien répartir son poids et mettre un maximum de force dans sa jambe gauche.

S’il doit déployer autant de force, c’est à cause de ce qu’il porte sur les épaules : un jeune enfant joufflu, aux cheveux bouclés et vêtu d’une tunique blanche. L’enfant semble n’avoir aucune difficulté à garder l’équilibre : à partir du nombril, son corps dépasse au-dessus de la tête de son porteur. Le bambin avait demandé au géant de l’aider à traverser la rivière. À chaque pas du géant, l’enfant s’alourdissait, et l’eau arrivait de plus en plus haut. Parvenu sur l’autre rive, Jésus Christ révèle son identité au géant et lui explique qu’en plus de lui avoir fait traverser la rivière, il a aussi amené sur l’autre rive tous les péchés du monde. Le Christ regarde droit devant lui, fait un geste de bénédiction de la main droite tout en regardant la lourde charge qui repose sur ses propres épaules.

La légende de ce « porte-Christ », mieux connu sous le nom de saint Christophe, ne se trouve pas dans la Bible mais était malgré tout très populaire au Moyen-Âge. C’est de là que vient l’habitude de placer de gigantesques statues de saint Christophe à la sortie des églises et aux portes des villes. Il est considéré comme le saint protecteur des voyageurs... et au Moyen-Âge, voyager était incontestablement une entreprise pleine de dangers. Aujourd’hui encore, il est le saint patron des voyageurs et des pèlerins.