Rencontre enregistrée à la librairie du Globe le 16 décembre 2014.
« J’aime Vladivostok quand il souffle fort sur les cheminées de Tikhaya et quand la baie de l’Amour épouse des nuées noires du côté de la Corée du Nord. J’aime les congères qui barrent les rues l’hiver et les silences feutrés de l’avenue de l’Océan après les épaisses chutes de neige. J’aime le vent glacial qui enserre la tête et le bruissement des glaces pendant la débâcle. Ainsi que les torrents d’eau qui dévalent des hauteurs vers la mer en juin. Ça me rappelle les pluies de l’Inde. Et la mauvaise saison dans les Yungas. Mais combien de fois par an Vladivostok a-t-il rendez-vous avec les éléments ? Combien de fois Vladivostok est-il sous le feu des projecteurs foudroyants du ciel ? Deux fois trois jours ? Trois fois ? Avant que tout ne fonde et que ne demeure jusqu’au printemps qu’une mince couche de glace grise ? Je n’ai pas fait comme Kessel les soirées de San Francisco ni la nouba à Honolulu ; mais après l’Himalaya et même les steppes kazakhes, quand on regarde Vladivostok on a parfois l’impression qu’on a oublié d’ouvrir une fenêtre au carreau sale.»
Extrait de : Vladivostok, Neiges et moussons (p. 43-44, Phébus, 2011) Après des études de géographie menées de par le monde et des voyages au long cours, Cédric Gras a passé cinq années à sillonner la Sibérie et l’Extrême-Orient russe dont il a tiré Vladivostok et Le Nord, c’est l’Est, tous deux publiés aux Éditions Phébus. Il vit actuellement en Ukraine, où il dirige l’Alliance Française de Donetsk. Il est également l’auteur de Le Cœur et les Confins, qui est sa première incursion dans la fiction.
« Cette histoire m’a été contée mille fois. On la raconte dans tous les trains, dans toutes les gares, sur les quais de chaque port. Elle se propage par les routes d’Asie et les pistes d’Afrique, elle se murmure à la bougie dans les contrées sans électricité, elle court par les sentes des montagnes les plus reculées, elle se confie dans les paradis des cocotiers. Elle connaît autant de déclinaisons que de narrateurs. Elle a frappé les grands explorateurs comme les jeunes premiers. Elle est une expérience en commun à tous ceux qui vibrent à l’appel du lointain. Elle est redoutée comme la peste, repoussée aux calendes grecques, et pourtant, elle est presque inéluctable. » Des Himalayas à Montevideo, de l’océan glacial Arctique aux steppes de Mongolie, le voyageur ne sera jamais à l’abri de l’amour, que ce soit celui d’un homme pour une femme ou celui d’une famille pour son fils prodigue. Il est « l’un des plus grands périls que réserve la route ». Ce qui pourra faire douter, renoncer ou même ôter toute capacité à jouir de l’ailleurs. L’amour et le voyage seraient-ils définitivement deux pôles incompatibles se déchirant de leurs forces l’explorateur ? Douze nouvelles pour répondre à cette question par l’un des grands globe-trotters de notre temps.
Extrait de : Le Coeur et les confins (Phébus, 2014)