Share Soyez sages ou pas
Share to email
Share to Facebook
Share to X
By Laurent Quivogne
The podcast currently has 40 episodes available.
par Laurent Quivogne | Soyez sages... ou pas
Deux rabbins débattent jusqu’à fort tard, dans la soirée, de l’existence de Dieu. Ils en viennent à conclure finalement que Dieu n’existe pas, puis ils vont se coucher. Au matin, l’un d’eux trouve l’autre dans le jardin en train de faire ses prières :
« Que fais-tu ? lui demande-t-il.
— Tu le vois bien, je fais mes prières du matin.
— Mais ne sommes-nous pas arrivés à la conclusion que Dieu n’existe pas ? Pourquoi alors faire des prières ?
— Qu’est-ce que Dieu vient faire là-dedans ? répond l’autre simplement.
***
Prenons les choses par un bout inattendu de la lorgnette, du moins l’espéré-je. Un ouvrage récent vise à prouver, par la science, l’existence de Dieu : Dieu, la science, les preuves. Sans avoir lu le livre, il me vient deux objections. Une première objection, issue des travaux de Karl Popper, philosophe des sciences, qui énonce qu’une proposition scientifique, au contraire d’une proposition métaphysique, est quelque chose qu’on peut tenter de réfuter par l’expérience. Je peux, par exemple, tenter de réfuter la gravité, en lâchant dans le vide des objets. Or, soyons concis, il n’est pas possible de concevoir aucune expérience pour montrer que Dieu n’existe pas.
La seconde objection, d’une nature différente, est que, si l’on parvenait à démontrer l’existence ou, pareillement, l’inexistence de Dieu, alors la foi n’existerait plus. Dans le second cas, parce qu’elle n’aurait plus d’objet et, dans le premier, parce qu’il n’y a de foi que face au doute. Ceci même si les platistes semblent nous montrer qu’une foi est possible face aux évidences.
Ce qui fait la foi, c’est l’absence de Dieu. Ce que semble d’ailleurs dire ce pieu rabbin qui fait ses prières dans le jardin.
Carrière, J.-C. (2008). Le cercle des menteurs 2. Paris: Plon.
.
The post SagesOuPas #40 : Qu’est-ce que Dieu vient faire là-dedans ? appeared first on LQC.
par Laurent Quivogne | Soyez sages... ou pas
Voilà qu’il me vient à nouveau l’envie de faire une place au poète perse Omar Khayyâm avec deux de ses quatrains.
Oublie le jour qui s’est enfui de ton existence. Oublie-le
Oublie demain qui va venir. Pas encore né. Oublie-le
Sur ce qui est et qui n’est plus, il est vain que tu réfléchisses
Ne jette pas ta vie au vent, vis l’instant heureux. Oublie-le.
Ce Château, qui par sa splendeur rivalisait avec les cieux
Ce château, dont les souverains se succédaient nimbés de gloire
Nous avons vu sur ses créneaux la tourterelle se poser
et, sur leurs ruines, elle criait : « Kou, kou, kou, kou ! »
***
Peut-être parce qu’il y a derrière ces vers des choses si graves, j’hésite à faire un commentaire qui pourrait me paraître superflu, évident, trivial. Nous nous disons tout cela constamment avec peut-être un peu moins de poésie. Le mystère est cependant que nous continuons à agir comme si nous n’en savions rien.
Un mot peut-être sur le cri de la tourterelle. Une note, dans la belle édition de Seghers dont je dispose, dit qu’il y a là un jeu de mots : Kou est l’abréviation de koudja qui signifie : « Où est-il ? » L’oiseau interrogerait ainsi l’absence des grands rois qui ont habité le château et de leurs richesses. Où serai-je, moi-même, dans cinquante ou cent ans ? Et où suis-je aujourd’hui ?
Khayyâm, O. (1982). Les quatrains Rubâ’iyât. Paris: Seghers.
The post SagesOuPas #39 : Kou, kou, kou, kou ! appeared first on LQC.
par Laurent Quivogne | Soyez sages... ou pas
Un grand maître arrive à l’improviste dans un monastère. Le cuisinier lui prépare à la hâte une soupe de légumes et la lui sert. L’autre s’en régale jusqu’à ce qu’il trouve au fond de son écuelle une tête de serpent. Il appelle le cuisinier :
« Qu’est-ce que ça ? », lui demande-t-il.
Le cuisinier, gobant précipitamment la tête de serpent, lui répond : « C’est ça ! »
***
Cela ressemble à la réaction d’un enfant qui fait disparaître le plus vite possible l’objet du délit. C’est ce que dit Jodorowsky, en précisant un peu plus loin que cuisinier est une fonction importante dans les monastères. Celui qui l’exerce est le numéro deux dans la hiérarchie. Si je me laisse aller à mon imaginaire, n’étant pas un spécialiste de la doctrine zen, il me semble qu’il y a quelque chose de grossier dans la demande du grand maître. Si vous étiez invité quelque part et que vous trouviez quelque chose d’inopportun dans votre assiette, convoqueriez-vous celui qui a commis l’erreur pour le sommer de s’expliquer ? Le cuisinier lui répond finalement avec humour, en lui montrant que « ça » n’est pas si grave : ce n’est pas toute une affaire, de manger une tête de serpent. Comme dans mon histoire précédente, on ne sait finalement pas qui est le maître ici.
Jodorowsky, A. (1997). Le doigt et la lune : Histoires zen. Paris: Albin Michel.
The post SagesOuPas #38 : C’est ça ! appeared first on LQC.
par Laurent Quivogne | Soyez sages... ou pas
Un guerrier frappe à la porte d’un maître zen, dans l’espoir de devenir son disciple. À peine est-il entré, que le maître trace dans l’air une sorte de cercle et lui demande ce que cela signifie.
« Comment le saurais-je ? répond le guerrier. Je suis ignorant et je voudrais devenir votre disciple. Comment puis-je comprendre si vite les signes mystérieux que vous tracez dans l’air ?
— Entre et ferme la porte, répond le maître, tu peux devenir mon nouvel élève. »
***
Jodorowsky, qui raconte cette histoire, affirme que seul celui qui ne croit pas déjà savoir peut apprendre. Vieille leçon que voilà. Mais peut-être pouvons-nous dire que cet élève-là n’est pas si débutant : il n’a pas honte de son ignorance ; il sait sans doute qu’il n’est pas nécessaire de savoir pour être admis ; il ne se croit pas face à un examinateur qui le teste sur ses connaissances. Autant, justement, de connaissances qui ne sont pas à la portée du premier venu mais, au contraire, qui sont le signe d’un chemin parcouru.
Il me semble que même un maître accompli pourrait avoir cette réponse. Peut-être même l’histoire a-t-elle un sens caché et peut-être que le maître n’est pas celui qu’on croit.
Ceci évoque l’Épochè, la suspension du jugement phénoménologique ou, dit plus simplement, la posture qui consiste à « ne pas savoir ». C’est, pour tout thérapeute et, plus généralement, pour toute personne qui prétend en écouter une autre, une chose importante : comment prétendre écouter quand on croit savoir à l’avance ce que l’autre dit, avant qu’il n’ait déployé complètement sa pensée ?
Jodorowsky, A. (1997). Le doigt et la lune : Histoires zen. Paris: Albin Michel.
The post SagesOuPas #37 : Un nouvel élève appeared first on LQC.
par Laurent Quivogne | Soyez sages... ou pas
La professeure a appris aux enfants ce qu’étaient les rimes, comme dans la poésie.
« Demain, leur dit-elle, vous me raconterez une histoire avec des rimes. »
Le lendemain, les enfants reviennent bredouilles pour la plupart : le devoir était trop difficile pour eux. Quelques-uns, malgré tout, ont fait de timides tentatives : « Ce matin, / Je suis allé chercher du pain… »
Toto lève le bras désespérément, mais la professeure hésite à l’interroger, car ses interventions ne sont pas toujours « appropriées » et sont souvent, au contraire, ponctuées de mots qu’elle n’a pas envie de laisser entendre dans sa classe. Cependant, étant donné le peu de volontaires, elle finit par lui donner la parole :
« Hier, je suis tombé dans la mare aux grenouilles / J’avais de l’eau jusqu’aux genoux.
— Mais, Toto, ça ne rime pas !
— C’est pas de ma faute, madame, y’avait pas assez d’eau ! »
***
C’est bien entendu la rime manquée qui fait le drôle de l’histoire et, en ce qui me concerne, le visage horrifié de la professeure juste avant le mot « genoux ». Mais ce que je remarque dans cette histoire, c’est ce qui fait manquer la rime à Toto. Est-ce qu’il a pensé au mot qui aurait pu lui faire réussir la rime, mais que la réalité du niveau d’eau l’a empêché de l’employer ? Est-ce qu’il ne fait que s’excuser ou se justifier de n’avoir pas réussi. Et nous ? Nous arrive-t-il de nous servir d’un élément pioché dans notre réalité pour justifier nos échecs. Et si nous choisissions de ne pas nous justifier, que se passerait-il ?
The post SagesOuPas #36 : Toto et les rimes appeared first on LQC.
par Laurent Quivogne | Soyez sages... ou pas
Toto est un peu notre Nasr Eddin, mais un Nasr Eddin enfant… Tantôt fou, tantôt sage, impertinent, cancre et malin à la fois, d’une naïveté désarmante… Le père de Toto lui a donné une fessée. Il a perdu patience après une énième bêtise du garnement. Peu de temps après, cependant, alors que le remords le ronge, il s’adresse à son fils pour se justifier :
« Tu sais, Toto, je t’ai donné une fessée. Je sais que ça fait mal mais, si je fais cela, c’est parce que je t’aime.
— Oh oui, papa, répond Toto, mais, tu sais, j’ai hâte de devenir grand pour te rendre ton amour au centuple ! »
***
Je trouve que c’est une histoire sur la violence. À beaucoup, une simple fessée semble bien peu de choses. J’entends certains d’entre vous me dire : « J’ai eu des fessées et je n’en suis pas mort. » Ma profonde conviction est que la violence, même minime, engendre la violence et qu’il est très difficile de sortir de ce cercle vicieux. C’est comme allumer une cigarette dans un entrepôt d’explosifs : ça n’explose pas à tous les coups, mais c’est une prise de risque incontestable. Toute violence est comme une énergie noire qui se loge en nous. Toto ne fait que dire qu’il rendra cette énergie avec intérêt. Ce qui fait de cette histoire drôle quelque chose d’affreusement banal. Jamais violence n’est d’ailleurs faite sans le prétexte d’une violence préalable. Tout auteur de violence se prétend d’abord victime et, comme les enfants ou Toto dans les cours de récréation, s’exclame : « C’est pas moi qu’a commencé ! »
The post SagesOuPas #35 : Le père de Toto aime son fils appeared first on LQC.
par Laurent Quivogne | Soyez sages... ou pas
Un homme est poursuivi par un tigre féroce. Le voilà bientôt acculé au bord d’une falaise. Pour se sauver, il se jette dans le vide, accroché à une liane. Tandis qu’il est suspendu, il s’aperçoit qu’un autre tigre le guette en bas. Deux souris surviennent qui se mettent à ronger la liane au-dessus de lui. L’homme, avisant soudain une fraise des bois qui avait poussé dans une anfractuosité du rocher, tend le bras, ne tenant plus la liane que d’une seule main, cueille la fraise et, l’ayant mangé, s’exclame : « Quel goût délicieux ! »
***
J’ai souvent cette boutade d’humour noir : « Tout ça va très mal se terminer ! » Puisque, oui, nous allons tous mourir. Un jour ou l’autre, notre vie prendra fin. Bien que le sujet ne prête guère à rire, cette exclamation me procure une sorte de grande joie. Peut-être parce qu’elle signifie : un jour, mais pas encore aujourd’hui ; d’ici là, l’existence a encore des cadeaux à m’offrir, comme autant de fraises des bois. Cela s’appelle vivre tout en sachant qu’on va mourir, et nous sommes devenus, au bout de millénaires de pratiques, des experts à ce jeu-là. Y compris lorsque les tigres ou les souris s’appellent réchauffement climatique, chute de la biodiversité ou acidification des océans…
The post SagesOuPas #34 : Le goût de la fraise des bois appeared first on LQC.
par Laurent Quivogne | Soyez sages... ou pas
Le fils d’un samouraï devint le domestique d’un haut fonctionnaire. Il tomba bientôt amoureux de la femme de ce dernier et eut une liaison avec elle. Le fonctionnaire s’en aperçut, il y eut une dispute, et le fils du samouraï tua le fonctionnaire puis s’enfuit avec la femme. Ils devinrent des voleurs, mais le fils du samouraï fut bientôt pris de remords et leurs chemins se séparèrent.
Le fils du samouraï voulut expier son passé : il y avait une route dangereuse qui traversait une montagne. Il s’attela à l’immense tâche de creuser un tunnel sous la montagne.
Des années passèrent. Le fils du fonctionnaire, une fine lame ivre de vengeance, retrouva le fils du samouraï, bien décidé à lui faire payer son meurtre. L’autre lui dit : « Laisse-moi finir mon travail, je n’en ai plus que pour une année. Après, tu pourras me tuer. »
Il continua donc son travail ; l’autre, oisif, se mit à l’aider pour accélérer l’ouvrage et pour s’occuper. Ce faisant, il apprit à mieux connaître le fils du samouraï, à voir ses qualités, son engagement, son courage. Ce dernier, quand le tunnel fut achevé, tendit son cou à l’autre :
« Maintenant, tu peux me couper la tête.
— Comment le ferais-je ? répondit le fils du fonctionnaire, des larmes dans les yeux. Je ne peux pas tuer mon professeur. »
***
Cette histoire me ramène inévitablement à l’une de mes marottes — mais faisons-nous autre chose que répéter sans cette la même chose ? Nous regardons bien souvent les situations présentes avec les oripeaux du passé et nous faisons des gens que nous croisons des épouvantails. Ça n’est qu’en allant au contact que les habits dont nous avions paré l’autre tombent. Bientôt apparaît un être nouveau que nous n’avions jamais vu auparavant. Cependant, je ne suis pas sûr que le fils du fonctionnaire ait pardonné l’assassin de son père ni perdu tout désir de justice. L’histoire dit seulement qu’il ne peut plus la faire lui-même. On dit que l’amour est aveugle, mais il ne peut pas en être autrement de la vengeance : dès qu’on ouvre les yeux, elle devient impossible.
The post SagesOuPas #33 : Le fils du fonctionnaire appeared first on LQC.
par Laurent Quivogne | Soyez sages... ou pas
Nasr Eddin, prenant de l’âge, s’offre les services d’un valet pour l’aider dans les tâches du quotidien qui lui pèsent de plus en plus. Un jour, un ami lui demande s’il est satisfait de ses services, s’il accomplit son travail, s’il est agréable.
« Oui, à peu près, répond Nasr Eddin. Mais une chose me tracasse, il ne cesse de me demander de l’argent.
— Ah bon ! répond l’autre, feignant la surprise, mais qu’en fait-il ?
— Je ne sais pas, je ne lui ai encore rien donné ! »
***
J’ai bien ri en écoutant cette histoire et, pourtant, j’ai aussi eu bien du mal à trouver ce que je pourrais dire à propos de cette histoire. Pourquoi ai-je ri ? me suis-je demandé. Ça n’est pas drôle, au fond, cette histoire de patron radin qui ne donne pas un sou à son employé. La surprise, peut-être, devant tant de naïveté. Ça n’est pas que Nasr Eddin ne fait rien comme les autres, me suis-je dit, c’est qu’il fait de même, au contraire, mais en pire. Ici, la dette est évidente et, pourtant, il ne la reconnaît pas. Peut-être qu’il y a, sous cette histoire en apparence badine, toute la tragédie du monde et, particulièrement, de notre société actuelle : l’ignorance fait commettre à certains des injustices, et les autres s’indignent et crient à l’escroquerie. « Il y a des malfaisants conscients de l’être », me direz-vous. Finalement, je n’en suis pas si sûr. Il y a surtout des ignorants et d’autres qui ne commettent des injustices qu’en réparation de celles qu’ils pensent avoir subies.
Carrière, J.-C. (1998). Le Cercle des menteurs. Paris: Plon.
The post SagesOuPas #32 : Un valet pour le grand âge appeared first on LQC.
par Laurent Quivogne | Soyez sages... ou pas
L’émir Timour, réputé pour sa sévérité, fait appeler Nasr Eddin dans la cour du palais. Celui-ci trouve le Tartare auprès d’un cheval piaffant d’impatience et que le palefrenier a bien du mal à maîtriser.
« Tiens, commande-t-il à Nasr Eddin, porte ce pli de toute urgence dans la ville de Brousse ! »
Nasr Eddin prend le pli et s’en va en courant.
« Monte sur le cheval, imbécile ! le gourmande Timour.
— Ne m’as-tu pas dit que c’était urgent ? répond Nasr Eddin. »
***
Cette histoire me fait penser à des considérations très terre à terre ayant trait à mon activité, alors que je dirigeais une équipe de développeurs informatiques. Lors des missions, le premier réflexe est de compter le temps passé pour facturer le client, ainsi que le font la plupart des artisans. Ceci conduit néanmoins à un biais embarrassant : ceci m’amène à faire payer très peu cher les choses que je maîtrise et que je fais parfaitement et à faire payer beaucoup trop cher les choses que je ne maîtrise pas, que je réalise imparfaitement et pour lesquelles je dois passer du temps à apprendre et à améliorer ma pratique.
Timour était un chef de guerre. Brousse, au nord-est de l’Anatolie, fut d’ailleurs l’une de ses conquêtes. Nous pouvons imaginer que des considérations militaires rendaient ce pli véritablement urgent. Nasr Eddin, au fond, fait du mieux qu’il peut. Sans doute ce « du mieux qu’on peut » va-t-il être insuffisant. Savons-nous, nous-mêmes, mesurer les enjeux à l’aune de ceux que nous servons plutôt qu’à nos seules compétences ?
Maunoury, J.-L. (2002). Sublimes paroles et idioties de Nasr Eddin Hodja. Paris: Phébus.
The post SagesOuPas #31 : Nasr Eddin porte un pli urgent appeared first on LQC.
The podcast currently has 40 episodes available.