Rami El Meghari, journaliste, correspondant de RFI dans la bande de Gaza est notre Grand Invité International, ce 1ᵉʳ septembre. Reporters Sans Frontières (RSF) et Avaaz lancent ce lundi 1er septembre une campagne de soutien aux journalistes palestiniens à Gaza. Les ONG demandent leur protection et l'accès du territoire à la presse internationale. Rami El Meghari qui travaille pour RFI depuis 14 ans nous raconte son quotidien de reporter dans un territoire en guerre.
RFI : Ce lundi 1ᵉʳ septembre, Reporters sans frontières (RSF) lance une campagne de soutien aux journalistes à Gaza. Comment accueillez-vous cette initiative ?
Rami El Meghari : L'initiative de Reporters sans frontières est très importante à mes yeux et, pour moi Rami El-Meghari, journaliste de longue date pour Radio France Internationale, c’est vraiment très important... Surtout en cette période cruciale où les journalistes sont pris pour cible d'une manière ou d'une autre par les actions militaires israéliennes. Alors, merci, vraiment ! Merci pour eux. Merci pour eux.
Plus de 200 journalistes ont été tués à Gaza, depuis bientôt deux ans. Est-ce que vous vous sentez en danger ?
C'est vraiment une bonne question. Je pense qu'à Gaza, personne, pas seulement les journalistes, ne peut se sentir en sécurité dans cette partie du monde. Où que je sois en tant que journaliste, en tant qu'être humain, en tant que civil à Gaza, je ne me sens jamais en sécurité, où que je sois. Même chez moi, chez moi dans ma propre maison, je ne me sens jamais en sécurité.
Je voudrais vous donner un exemple. Je viens du camp de réfugiés de Meghazi, au centre de la bande de Gaza. C'était, je me souviens — en janvier 2024 - quand Israël a contraint les réfugiés à quitter ce lieu pour le sud de la bande de Gaza, car l'armée s'apprêtait à intervenir. J'ai dû emballer mes affaires, rassembler ma famille et, tous ensemble, nous sommes allés en camion jusqu'à Rafah. J'ai quitté ma maison. Dans ma maison, dans ce camp de Meghazi, j'avais l'habitude de m'asseoir dans un coin, et cet endroit a été touché par une grosse brique provenant d'une maison très proche, touchée par une frappe Oui, c'était une brique. La vitre a été brisée et elle est tombée là même où je m'asseyais pour prendre mon café et travailler, avant l'invasion israélienne sur Meghazi.
Vous m'avez raconté comment vous avez échappé à plusieurs reprises à des frappes ou à des tirs israéliens, lors de reportages, notamment...
Nulle part, à Gaza, on se sent en sécurité. On ne se sent jamais en sécurité ! Tu traverses la rue, il peut y avoir une frappe ; dès que tu bouges, tu peux être exposé à la mort ou à des blessures. Parfois, tu es obligé d'aller à certains endroits où une frappe a lieu, où certaines actions israéliennes ont lieu. Mais même si tu prends des précautions pour faire ton reportage, il y a toujours quelque chose qui fait que tu te sens en danger.
Malgré le danger, vous continuez à travailler, vous continuez à aller sur le terrain...
Pour moi, en tant que reporter exerçant ce métier depuis maintenant vingt-cinq ans, ça a toujours été comme un devoir de faire tout mon possible pour raconter cette histoire au monde entier. D’autant plus que, aujourd'hui, il n'y a pas de journalistes étrangers ici à Gaza. Il est donc de ma responsabilité de faire mon travail. Une autre raison, une autre obligation, c’est l’obligation envers moi-même et ma famille. Car c'est la nature même de mon travail, en tant que pigiste. Et si je ne travaillais pas, ça voudrait dire que je mourrais de faim, je n'aurais rien à manger et je ne pourrais pas nourrir ma famille. Si je travaille, je peux vivre. Sans ça, je ne pourrai pas vivre et on ne pourrait pas s’en sortir, moi et ma famille.
Gaza est désormais l’endroit le plus meurtrier au monde pour les journalistes. Est-ce que c'est une pensée que vous avez toujours à l'esprit ?
Bien sûr, j’ai toujours eu cette idée à l’esprit. Et c'est ce qui explique ma volonté de partir et d'être évacué de Gaza. Est-ce que vous vous rendez compte ? J'essaye d'être évacué, avec l'aide de RFI, depuis février 2024. Soit quelques mois après le début de la guerre. Février 2024, c'était ma première tentative pour partir. Parce que j'ai toujours senti que la situation devenait de plus en plus dangereuse. Ce n'est plus un endroit vivable. Pas seulement pour moi en tant que journaliste, mais aussi pour moi en tant que père, qui s'occupe de ses enfants, qui a besoin d'un présent, qui a besoin d'un meilleur avenir. Le présent et l'avenir font tous deux défaut à Gaza pour le moment. Ce n'est plus sûr, ce n'est plus vivable. C’est mon rêve de quitter cette région du monde avec l'aide de RFI.
Rami, racontez-nous à quoi ressemble la journée type d'un journaliste à Gaza ?
Une journée type, pour les journalistes de Gaza, commence par la recherche de produits de première nécessité, comme l'eau. Tu dois t'assurer d'avoir de l'eau à disposition à tout moment, où que tu te trouves. Tu dois t’assurer que ta famille a de quoi manger, pour le petit-déjeuner, pour le déjeuner. Tu dois t’assurer que l'électricité fonctionne, pour recharger ton téléphone, pour recharger tes lampes LED.
La journée d'un journaliste est donc assez intense. Tu es partagé entre tes responsabilités de journaliste et tes responsabilités de chef de famille, responsable des membres de ta famille.
Je dois me lever tôt le matin pour suivre les dernières actualités, m'occuper des tâches quotidiennes pour répondre aux besoins de ma famille et commencer ma journée de travail. Je dois trouver un sujet, me rendre dans une zone dangereuse pour rencontrer des gens, donner la parole à ceux qui ne l'ont pas et en faire un reportage pour RFI.
Votre confrère Rami Abou Jamous, qui est aussi journaliste à Gaza, nous disait ici même il y a quelques jours : « l'armée israélienne veut enterrer la réalité ». Est-ce que c'est aussi votre avis ?
En réalité, je ne peux pas le dire. Je ne peux pas juger moi-même, si Israël veut étouffer la vérité. Mais je peux poser la question à Israël : pourquoi vous, Israël, interdisez-vous jusqu'ici l'entrée des journalistes étrangers à Gaza ?
Rami, une dernière question. Comment peut-on vous venir en aide ? À vous et à tous les journalistes à Gaza ?
Comment pouvez-vous nous aider ?
Faites tout votre possible pour que la décision du gouvernement français de geler l’évacuation des journalistes de Gaza soit levée. Et ainsi, que moi-même et d'autres puissions quitter Gaza... très bientôt.