Vladimir Kara-Mourza, opposant russe, ancien prisonnier politique, vice-président de la Fondation Russie libre, est l'invité international de la matinale de RFI ce 14 avril. Il a passé plus de deux ans en prison pour avoir dénoncé l'invasion russe de l'Ukraine. De passage à Paris, il espère un cessez-le-feu en Ukraine et l'avènement d'une Russie démocratique.
RFI : Il y a trois ans, en avril 2022, vous avez été arrêté puis condamné à 25 ans de prison pour haute trahison. La justice russe vous reprochait d'avoir critiqué l'invasion de l'Ukraine. Vous avez été libéré en août dernier lors du plus grand échange de prisonniers avec l'Ouest depuis la fin de la guerre froide. Comment allez vous aujourd'hui, huit mois après votre libération ?
Vladimir Kara-Mourza : Ça me semble parfois encore comme si je regardais un film, parce qu'à vrai dire, j'étais absolument sûr que j'allais mourir dans cette prison en Sibérie. Cet échange relève du miracle.
Et en fait, c'était le premier échange depuis 1986 qui a libéré non seulement des otages occidentaux qui étaient dans les prisons russes, mais aussi les prisonniers politiques russes, et ça pour moi, c'était un message très important, très clair et très fort des pays occidentaux. Surtout les États-Unis et l'Allemagne. Et le signal était qu'ils comprennent très bien que les vrais criminels sont au Kremlin, ce sont les gens qui ont commencé la guerre en Ukraine. Ce n'était pas nous qui étions en prison parce qu'on s'était exprimé contre cette guerre.
C'était aussi un message très fort de solidarité de la part des pays occidentaux avec tous ces gens en Russie. Il y a des millions de personnes en Russie aujourd'hui qui sont contre cette guerre, qui sont contre le régime autoritaire de Vladimir Poutine et c'est très important que le monde libre se soit exprimé comme ça.
Aujourd'hui, la guerre continue en Ukraine, les discussions pour un cessez-le-feu n'ont toujours pas abouti. Est-ce que vous souhaitez ce cessez-le-feu ?
Je veux que cette guerre se termine le plus vite possible parce qu'il y a déjà des centaines de milliers de vies humaines qui sont perdues à cause de cette agression, à cause de cette guerre criminelle menée par le régime autoritaire de Vladimir Poutine.
Mais pour que la guerre s'arrête, il faut que Poutine le veuille. Est-ce que Vladimir Poutine veut la paix ?
Non, bien sûr, qu'il ne veut pas la paix. Vous avez utilisé le mot cessez-le-feu, ça, c'est absolument correct. On ne peut pas dire la paix, parce qu'il n’y aura pas de paix tant que Vladimir Poutine restera au pouvoir.
C'est-à- dire, il ne peut pas y avoir de paix totale et véritable tant que Vladimir Poutine est au pouvoir ?
La seule façon d'assurer la paix, la stabilité et la sécurité sur le continent européen à long terme, c'est d'avoir une Russie démocratique, une Russie qui va respecter les lois, les droits et les libertés de nos propres citoyens et aussi qui va respecter les frontières de ses voisins et les normes du comportement civilisé dans le monde. Parce qu'en Russie, la répression à l'intérieur et l'agression à l'extérieur vont toujours ensemble, donc il n'y aura pas de paix pendant que Poutine est au pouvoir, mais un cessez-le-feu est possible.
Vous dites aussi que tout accord de cessez-le-feu doit prévoir la libération de tous les prisonniers de guerre...
Absolument, pour moi, ça, c'est le plus important parce que pour l'instant, on voit ces négociations entre les représentants de l'administration Trump aux États-Unis et le régime de Poutine en Russie. Ils parlent des minerais, ils parlent du retour des compagnies américaines en Russie, ils parlent des avoirs gelés, je ne sais pas de quoi...
Ils parlent d’argent !
Ils parlent tout le temps d'argent. En fait, les deux envoyés, Monsieur Milkoff du côté américain et Monsieur Dmitriev du côté russe, ce sont les gens qui ont dédié leur vie à l'argent. Ils n'ont rien à faire avec la diplomatie et donc, pour ça, il est plus important que l'Europe, l'Union européenne pose cette question.
Comme vous l'avez dit, [il faut] la libération de tous les otages, de tous les captifs de cette guerre, parce qu'il y a des centaines de milliers de vies humaines qui ont déjà été perdues. On ne peut pas faire un retour en arrière, mais il est possible encore de sauver les milliers de vies humaines, des gens qui sont des otages et des captifs. Je parle bien sûr des prisonniers de guerre des deux côtés. Je parle aussi des milliers d'otages civils ukrainiens qui ont été déportés en Russie.
Notamment les enfants.
Je parle aussi des milliers d'enfants qui ont été kidnappés dans le territoire occupé par la Russie, et ça, c'est très important. Et je parle aussi des prisonniers politiques russes, des citoyens russes, de mes concitoyens qui sont en prison aujourd'hui parce qu'ils se sont exprimés contre cette guerre d'admission menée par les régimes de Vladimir Poutine.
Ce qui vous est arrivé avant d'être libéré.
Absolument, ce qui m'est arrivé, mais maintenant, pendant qu'on parle, il y a, selon les organisations de défense des droits humains, plus de 1500 prisonniers politiques en Russie. La catégorie la plus nombreuse parmi eux, ce sont les Russes qui se sont exprimés contre cette guerre criminelle et pour beaucoup d'entre eux, par exemple pour Alexeï Gorinov ou Maria Ponomarenko et beaucoup d'autres, ce n'est pas seulement une question de captivité, ce n'est pas uniquement une question d'emprisonnement illégal, mais c'est aussi une question de vie ou de mort. Et il faut sauver ces gens-là.
Vous nous dites que les émissaires russes et américains ne parlent que d'argent. Est-ce que la méthode qu'applique le président Trump vous semble être la bonne, est-ce que vous comprenez cette logique ?
Je crois que la politique de l'administration actuelle des États-Unis est honteuse. Elle est complètement contre-productive parce qu'en fait, c'est une politique de rapprochement, de normalisation des relations avec Vladimir Poutine.
Je voudrais rappeler à tout le monde que Vladimir Poutine, d'abord, n'est pas un président légitime. Il reste au pouvoir depuis 25 ans, même s'il y a une limite constitutionnelle en Russie de deux termes, il a trouvé des trucs pseudo-légaux pour contourner cette limite constitutionnelle.
Pour rester au pouvoir.
Absolument. Il faut rappeler aussi que l'année dernière, en 2024, le Parlement européen et l'assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe ont passé des résolutions reconnaissant Vladimir Poutine pour ce qu'il est. Un usurpateur illégitime, mais il est plus que ça, il est aussi un assassin, il est un meurtrier parce que c'est sous son règne que les deux chefs principaux de l'opposition démocratique russe, Boris Nemsov et Alexei Navalny, ont été assassinés. C'est sous son commandement qu'il y a des gens qui meurent chaque jour en Ukraine. Y compris les enfants.
Depuis que Vladimir Poutine est au pouvoir, il tue en Russie, il tue en dehors de la Russie. Et c'est important de rappeler à tous ces dirigeants occidentaux, surtout américains, qui veulent normaliser les relations, qui veulent rendre cette légitimité à Vladimir Poutine, qu'il ne le mérite pas. Ils veulent serrer la main de Vladimir Poutine, [mais] c'est important de le rappeler, c'est une main couverte de sang.
Où est l'alternative démocratique en Russie ?
Il y a des millions et des millions de personnes en Russie qui sont contre cette guerre, qui sont contre ce régime, qui veulent que la Russie soit un pays normal, civilisé, européen, démocratique. On a vu par exemple l'année dernière, pendant « le théâtre de nos élections présidentielles », qu'il y avait en même temps un candidat, un avocat et un ex-député du Parlement russe. Il s'appelle Boris Nadejdine et il a annoncé qu'il allait être candidat à la présidence russe comme candidat antiguerre. Il a dit qu'il était contre la guerre en Ukraine.
Et la réaction publique a été complètement incroyable. Tout d'un coup, on a vu tout autour de la Russie les files d'attente, des foules énormes des gens qui voulaient signer les pétitions pour faire enregistrer ce candidat. J'étais en prison à l'époque et je recevais beaucoup de lettres de tout autour de la Russie et presque chaque lettre évoquait ces queues énormes, des gens qui votaient avec leurs pieds, si vous voulez, pour le candidat antiguerre, parce que la propagande poutinienne veut que tout le monde croit que tous les Russes soutiennent la guerre, tous les Russes soutiennent le régime.
Mais vous savez quoi, ils peuvent falsifier les élections - ce qu'ils font -, ils peuvent falsifier les sondages - ce qu'ils font - mais ils ne peuvent rien faire face aux images de milliers et de milliers de gens tout autour de la Russie qui croient en un avenir démocratique.
Donc il y a une soif démocratique en Russie et au-delà ?
Il y a beaucoup de gens qui veulent des changements, il y a beaucoup de gens qui veulent que ce régime, finalement, perde le pouvoir, et je n'ai aucun doute - pas seulement comme homme politique, mais surtout comme historien - qu'un jour la Russie sera un pays normal, civilisé et démocratique, et que ce jour-là, on pourra finalement avoir une Europe qui sera libre, entière et en paix.
Vous avez été libéré en août dernier après avoir passé deux ans et trois mois en prison. Comment avez-vous fait pour tenir tout ce temps, dont onze mois à l'isolement ?
En fait, selon la loi internationale, l'isolement de plus de 15 jours est officiellement considéré comme une forme de torture. Je n'avais jamais compris pourquoi, maintenant, je comprends très bien. Parce que quand tu restes tout le temps dans cette petite cellule de quatre murs, une petite fenêtre avec des barreaux métalliques, tu es tout le temps seul, tu ne peux parler à personne, tu ne peux aller nulle part, tu ne peux rien faire parce que, par exemple, même pour écrire, ils te donnent un papier et un stylo seulement pour heure et demie chaque jour, puis ils le prennent.
Il m'était aussi interdit d'appeler ma femme, d'appeler mes enfants, je ne pouvais pas échanger avec eux par téléphone. C'est une vieille pratique soviétique, quand le régime veut punir non seulement les opposants politiques, mais aussi leurs familles. Et je vais être honnête avec vous, c'est très difficile dans les circonstances comme ça de garder toute sa tête, quoi.
Il était très important de remplir la tête avec quelque chose d'important, remplir le cerveau, si vous voulez, remplir le temps aussi. Donc, moi, j'apprenais l'espagnol. J'avais un livre que je lisais tout le temps, du matin au soir. J'apprenais l'espagnol et évidemment, je ne pensais jamais que j'allais l'utiliser. Parce que comme j'ai déjà dit, je ne croyais pas que j'allais sortir. Mais après le miracle de cet échange l'année dernière, il y a quelques semaines, j'étais à Madrid pour des rencontres et des réunions avec des députés espagnols. Apparemment, je peux aussi parler espagnol.
À quoi ressemble votre vie aujourd'hui, celle d'un exilé. Est-ce que vous vous sentez libre ?
Je me sentais libre, même en prison, parce que je restais toujours avec mes convictions, je restais toujours avec mes principes. Ils peuvent te mettre en prison physiquement, mais ils ne peuvent pas arrêter ton esprit !
Est-ce que vous vous sentez menacé, observé tout en étant en dehors de la Russie ?
Je ne pense pas à ça parce que c'est une route vers la paranoïa. Et ce n'est pas la route que je veux prendre. Je sais que j'ai raison, je sais que ce que je fais est correct et je sais ce que je suis sur le bon côté de l'Histoire et donc et je sais aussi ce que ce qu'on fait avec nos collègues dans l'opposition démocratique russe, c'est important et je vais continuer à le faire malgré tout.
À lire aussiUkraine: une frappe russe fait plusieurs dizaines de morts et blessés dans la ville de Soumy