La guerre entre Israël et l'Iran se poursuit. Les échanges de frappes ont continué cette nuit, notamment sur des cibles nucléaires, militaires et sur les installations pétrolières et gazières à Téhéran. L'Iran riposte par des salves de missiles balistiques. Pour en parler, Mohammad Amin Nejad, ambassadeur de la République islamique d’Iran en France est, ce dimanche 15 juin, le grand invité international de RFI. « Il y a un pays, Israël, qui s'autorise à attaquer n'importe quel pays », affirme-t-il.
RFI : Les échanges de frappes entre l'Iran et Israël ont donc continué cette nuit avec une fois de plus des frappes nombreuses de l'armée israélienne sur votre territoire, sur des cibles nucléaires, mais aussi sur le ministère de la Défense à Téhéran et pour la première fois sur des installations pétrolières et gazières. Quels sont les dégâts de cette nuit selon vos informations ?
Mohammad Amin Nejad : Avant de parler sur les dégâts, il faut parler sur les intentions. Parce que selon le rapport que votre collègue a présenté, le nucléaire et tout ça, c'est un prétexte. En fait, il y a une tentative de bouleversement d'un régime élu par son peuple. Donc, il faut le savoir et il faut que l'opinion internationale sache bien qu'il y a un pays qui s'autorise à attaquer n'importe quel pays quand il sent qu'il est coupable à ses propres yeux. Et quand on met dans le contexte, Israël, dans ses 75 années d'existence, avait attaqué dix pays dans la région, nul voisin n'a pu être à l'abri des attaques israéliennes. Bien sûr, il y a une collaboration internationale, un soutien ici et là, mais ça veut dire que toujours il y a eu des prétextes, il y a eu des préparations, il y a eu des tentatives malicieuses, secrètes, comme vous dites, à l'intérieur de l'Iran, il y a eu un plan de renversement.
On va développer toutes ces questions, mais sur les dégâts et sur le nucléaire, puisque vous parlez du nucléaire, depuis vendredi, à quel point votre programme nucléaire a-t-il été endommagé, affaibli, ralenti par les frappes israéliennes ?
À vrai dire, notre activité nucléaire, il s'agit de l'enrichissement d'uranium, a toujours eu une nature pacifique.
Ce n'est pas ce que disent les Occidentaux et l'Agence internationale de l'énergie atomique qui souligne qu'aucun autre pays n'a autant d'uranium enrichi à un tel niveau pour des raisons civiles…
Vous voyez, il n'y a pas une interdiction dans les traités comme le traité de non-prolifération sur l'uranium enrichi, le montant et le tonnage, le kilogramme, tout ça... Donc, ce sont parmi les droits indéniables des membres signataires du traité de non-prolifération d'avoir des activités pacifiques civiles. Mais autant qu'il n'y a pas de preuve qu'il y a une déviation vers l'aspect militaire, sur les intentions, on ne peut pas juger. Il y a des discussions techniques, des rapports techniques sur lesquels on peut toujours parler, comme cela a été le cas il y a plus de 20 ans maintenant entre nous et l'Agence et les pays membres de l'agence.
Cette négociation sur le fond du dossier, le nucléaire, est-ce que cela peut reprendre dans les prochains jours, les prochaines semaines ?
Pourquoi pas ? On n'a jamais cessé les négociations. Vous vous souvenez, quand il y a eu 2015, il y a eu des soupçons et des prétendus [sic] avant 2015. On est entré dans la discussion. Il y a eu un droit reconnu pour tous les membres du Traité de non-prolifération d'avoir des activités civiles pacifiques d'enrichissement. Et les autres pays signataires qui avaient déjà cette capacité avaient devoir de les aider. À partir du moment où les Américains et nous, on s'est mis d'accord sur une reconnaissance du droit des Iraniens d'avoir cet accès à cette science, à ce moment-là, on a commencé de coopérer avec l'Agence plus qu'avant. Ce qui nous a vraiment blanchi de toutes les accusations. Et puis après, c’est dans cette circonstance-là, qu'on a signé un accord avec « 5 + 1 », la France, l'Allemagne, l'Angleterre, les États-Unis, la Chine et la Russie, et la communauté internationale par le biais d'une résolution à l'ONU. Le Conseil de sécurité des Nations unies a entériné cet accord et cette situation. Et depuis, il y a eu des inspections régulières. Si on compare le budget de l'AIEA consacré à la supervision et l'inspection iranienne, on peut comprendre que plus d'un tiers de son budget, plus de 40 % des inspections se font en Iran. Et jusqu'aujourd'hui, il n'y a pas eu une preuve de déviation de l'activité nucléaire iranienne vers une activité militaire.
Justement, l'AIEA a quand même accusé et condamné l'Iran pour le non-respect de ses obligations Pas plus tard que jeudi, et votre pays a annoncé qu'il ne coopérera plus comme auparavant avec l'Agence internationale de l'énergie atomique. Qu'est-ce que ça veut dire en termes concrets, qu'est-ce qui va changer ?
D'abord, ce qui a été cité dans le rapport de l'Agence, ce n'était pas que l'Iran a dévié et a renoncé à ses obligations dans le cadre de ce traité de non-prolifération. C'est la première chose. Il y a eu deux coopérations demandées s'agissant de cas avant 2000, tandis qu'en 2005, toutes les activités supposées douteuses ont été entérinées à l'époque à travers des inspections et des discussions et des preuves et des rapports qu'on a présentés. Maintenant, quand il s'agit de la dernière évolution à laquelle vous avez fait allusion, quand il y a, selon la Charte des Nations unies, y compris les Conventions additionnelles à la Convention de Genève, les résolutions, aucun pays n'a le droit d’attaquer les installations atomiques. Tandis qu'Israël le fait unilatéralement et illégalement. Lui, il a des armes atomiques. Il est hors de l'inspection de l'Agence de l'énergie atomique. Dans ces circonstances-là, une partie de notre installation a été atteinte par le bombardement illégal, agression illégitime des Iraniens. Comment voulez-vous accepter qu'encore une fois, on mette en danger la vie de notre peuple dans l'environnement où une explosion peut abîmer leur santé ?
On comprend que vous allez restreindre les accès à l'AIEA. Pour revenir à l'offensive israélienne, l'Iran a-t-il été pris par surprise quand on entend que le Mossad était déployé sur le territoire depuis des mois, qu'il a fait rentrer du matériel, qu'il était installé sur le sol iranien, y a-t-il eu un échec du renseignement iranien à repérer et à empêcher ces incursions, à prévoir l'offensive qui se préparait depuis 2009 ?
Israël a essayé maintes fois de pénétrer dans les milieux nucléaires, avec des cyberattaques ou avec l'envoi des espions. Ils ont aussi recruté à l'intérieur du pays. Donc ce n'est pas quelque chose d'étonnant, parce que la nature, il faut le dire, la nature de ce régime est de déstabiliser toute la région. Malheureusement, parce que nous, nous avons besoin de notre peuple, les peuples de la région ont besoin de la stabilité et de la paix pour pouvoir se développer. Nous ne voulons pas une guerre dans la région et nous souffrons plus que les autres par une guerre. Et puis, nous n’avons pas attaqué pendant les 300 dernières années n'importe quel pays voisin et les autres. Mais Israël a attaqué dix pays et il y a la liste. Ça ne s'arrêtera pas là-bas. Tout le monde sait, parce que de la mer à la rivière, il y en a beaucoup, même, au-delà.
L'Iran, en tout cas, riposte pour l'instant. Combien de temps votre pays peut-il tenir face à un conflit d'une telle intensité, face à des frappes aussi fortes qui affaiblissent vos capacités militaires ?
Sur les conséquences et les dégâts, je ne peux pas me prononcer parce que je ne suis pas sur le terrain et je n'ai pas les informations.
Mais l'Iran a-t-il encore les capacités de se défendre ?
Il faut se souvenir. Nous, nous avions une révolution très jeune quand l'Irak nous a envahi, et cela, pendant huit ans. Avec l'aide de tous les pouvoirs du monde à l'époque. Mais les Iraniens ont combattu avec le sang contre cette agression et à la fin du compte, c’est nous qui avons gagné. Nous n’allons pas permettre pour la première fois dans l'histoire qu'un centimètre du pays soit occupé ou soit enlevé de l'Iran. Donc, c'est le même sentiment, c'est la même décision. Et les Iraniens vont se battre jusqu'à la fin.
L'Iran souffre-t-il aujourd'hui de l'affaiblissement de son réseau d'alliance dans la région avec l'effondrement militaire du Hezbollah l'année dernière ? La chute du régime de Bachar el-Assad, qui était l'un des alliés de l'Iran aux frontières d'Israël ? Est-ce que l'Iran n'est pas finalement bien seul aujourd'hui dans cet épisode de confrontation militaire ?
Non, à vrai dire, l'Iran était toujours seul. Comme je vous ai dit quand en 1980, la guerre a été imposée à l'Iran, à l'époque, il n'y a pas eu Bachar el-Assad parce qu'on avait toujours des relations respectueuses avec le père de Bachar el-Assad. Mais on n'était pas un protecteur sans limites de ses actions. Et puis, le Hezbollah n'était pas là à l'époque. Le Liban était occupé par Israël. L’Iran ne s'appuie que sur son peuple et que sur sa capacité de se défendre légitimement, selon les règles internationales. Donc, nous ne sommes jamais affaiblis ou quoi que ce soit.
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