Alors que l’année 2024 a été la plus chaude jamais enregistrée, la COP30 sur le climat doit s’ouvrir dans un peu plus de six mois à Belém au Brésil pour tenter de renforcer l’engagement international face au changement climatique. Son président André Correa do Lago reste optimiste quant à son issue, malgré la sortie des États-Unis de l’Accord de Paris sur le climat et les attaques contre le multilatéralisme et la science. Il donne jusqu’au mois de septembre aux pays du monde entier pour qu’ils proposent de nouveaux plans climats plus ambitieux, enjeu de cette COP30. Entretien.
Entretien réalisé par Jeanne Richard et Lucia Müzell,
RFI : Nous vivons aujourd’hui une époque de conflits : les guerres se multiplient, les économies sont bouleversées et les États-Unis, premier pollueur historique, ont quitté l’Accord de Paris qui vise à lutter contre le changement climatique. Est-ce que le multilatéralisme climatique va tenir le coup ?
André Correa do Lago : Le Brésil est convaincu qu’il faut tout faire pour que le multilatéralisme sorte renforcé de la COP30. Nous croyons que la seule solution pour lutter contre le réchauffement climatique, c’est la coopération internationale. Tous nos efforts, durant les six mois qui précèderont la COP, seront donc concentrés sur le dialogue. Car oui, comme vous l’avez très bien dit, nous traversons une crise politique. Mais il y a aussi une crise de confiance, notamment en ce qui concerne les négociations climatiques. Et cette défiance touche aussi le secteur privé : certains se demandent encore s’il est vraiment judicieux d’investir dans la lutte contre le changement climatique. Pour ma part, je suis convaincu que oui. C’est une orientation qui, dans le cas du Brésil, est pleinement soutenue par notre ministère des Finances. C’est un agenda qui peut accélérer le développement des pays du sud et améliorer concrètement la vie des citoyens. Il faudra convaincre, ce ne sera pas simple. Mais les mois à venir seront entièrement consacrés à cela.
Les attaques contre la science se multiplient également. Le rôle du Giec, qui alerte les décideurs, est aussi remis en question. Comment réagissez-vous à ces critiques ? Quelles solutions envisagez-vous pour y remédier ?
Je crois que cette remise en cause de la science s’est un peu atténuée récemment. L’an dernier, nous avons vu tellement de catastrophes naturelles liées au changement climatique, dans le monde entier, qu’il devient très difficile de nier la réalité de ses effets sur nos vies. Le grand défi aujourd’hui, ce n’est plus tant de prouver l’existence du réchauffement climatique, mais de montrer que nous pouvons réellement agir pour ralentir son impact sur nos vies. Et pour cela, il ne s’agit pas seulement des gouvernements : il faut convaincre les populations, et aussi le secteur privé, que toutes les actions entreprises doivent avoir un effet bénéfique et tangible sur l’économie et la vie des gens. Je comprends qu’il y ait des doutes. Nous voyons bien, dans certains pays européens, l’impact politique que ces débats peuvent avoir sur les élections. Il faut donc faire très attention à notre manière de communiquer : ne pas continuer à effrayer sans proposer de solutions. Ce serait un immense succès si la COP30 présentait justement des solutions convaincantes, dans tous les domaines. Et je crois que c’est tout à fait possible. La technologie progresse à un rythme extraordinaire, les idées ne manquent pas, et surtout, nous avons aujourd’hui des solutions adaptées à des réalités très diverses. À une époque, on croyait qu’il n’y avait qu’un seul chemin pour atteindre les objectifs climatiques. Mais aujourd’hui, nous savons qu’il en existe plusieurs. Chaque pays, chaque région peut suivre son propre parcours. Et cela, il faut le respecter. On ne peut pas imposer des solutions universelles qui seraient inapplicables ou trop coûteuses, politiquement ou économiquement. Dans des démocraties comme le Brésil ou la France, il faut aussi gagner les élections. C’est pourquoi notre discours doit être suivi d’actions concrètes, visibles, démontrables.
Très peu de pays ont publié leur nouveau plan climat attendus en février et censés être plus ambitieux. Le succès de la COP en dépend. Qu’attendez-vous de ces nouvelles contributions, et surtout, quand doivent-elles arriver ?
Une nouvelle date limite a été fixée : la grande majorité des pays doit présenter leur NDC avant le mois de septembre. Nous pourrons alors procéder à une analyse pour voir si les efforts sont suffisants pour rester dans la trajectoire fixée par l’Accord de Paris, c’est-à-dire bien en dessous de 2 °C, et si possible aussi proche que possible de 1,5 °C. À partir du moment où cette analyse sera disponible, nous devrons nous asseoir collectivement et voir ce qu’il est encore possible de faire. Il ne s’agit pas d’un idéal — 1,5 °C, c’est déjà très élevé, et nous en subissons déjà les conséquences aujourd’hui. Mais il faut à tout prix éviter d’atteindre des niveaux de réchauffement qui représenteraient une menace pour la vie sur Terre. Ce n’est pas la planète qui est en danger, mais bien l’être humain. C’est notre intervention sur la nature qui est en cause. Et il est essentiel de comprendre que ce processus peut encore être influencé.
Justement, pour qu’un plan climat soit réellement ambitieux, ne faudrait-il pas que la sortie des énergies fossiles y soit clairement inscrite ? Ce sujet reste sensible : il ne figure pas dans la plupart de vos discours et certains pays le remettent en cause. N’est-ce pas pourtant le cœur du problème ?
La phrase sur la fin des énergies fossiles a déjà été acceptée par tous les pays lors de la COP28 à Dubaï. Il n’est pas nécessaire de la répéter dans chaque déclaration. Ce qui compte aujourd’hui, ce n’est plus l’intention, mais l’action. Le consensus international existe : nous savons que nous devons sortir des énergies fossiles. Maintenant, chaque pays doit se préparer à cette transition selon ses propres réalités. Les contextes énergétiques varient énormément d’un État à l’autre. Mais sur le fond, il n’y a aucun doute : les énergies fossiles restent le principal problème à résoudre.
Et pourtant, le Brésil continue d’investir dans le pétrole et d’ouvrir de nouveaux champs pétroliers. N’y a-t-il pas là une contradiction ?
C’est très discutable qu’il y ait là une contradiction. Le Brésil n’avait pas de pétrole jusqu’à assez récemment. Nos principales découvertes datent des années 1990. Nous sommes donc un nouveau venu dans le groupe des pays producteurs de pétrole. La question, pour tous les pays, c’est que la transition énergétique doit être conduite en préservant la stabilité économique. On ne peut pas inventer des transitions qui auraient un impact négatif. D’abord, parce qu’un tel choc entraînerait des conséquences politiques immédiates : si le prix de l’énergie augmente, si les difficultés s’accumulent, cela affecte directement la vie des citoyens… et la réélection des gouvernements. Ensuite, chaque pays a un parcours différent vers la neutralité carbone. Il est possible que nous devions, au Brésil, continuer à utiliser du pétrole pendant encore un certain temps. Regardez l’Allemagne : elle a dû revenir au charbon, en partie à cause de la guerre en Ukraine. Ce sont des réalités qu’il faut prendre en compte. Chaque pays aura donc son processus. Le Brésil a déjà annoncé son objectif d’atteindre la neutralité carbone d’ici 2050. C’est un cap clair. Mais la manière d’y parvenir fait encore l’objet d’un large débat national — et heureusement, car nous vivons dans une société démocratique, avec une liberté de presse active, où ce type de discussions est possible. Prenons par exemple le cas du potentiel gisement au nord de l’Amazonie : on parle beaucoup de son exploitation, mais on ne sait même pas encore avec certitude s’il y a effectivement du pétrole dans cette zone. Le pays doit donc aborder ce sujet de manière responsable, en débattant de l’usage possible de ces ressources. Je pense que le Brésil connaîtra cette année — et dans les années à venir — un débat très intéressant.
La Chine est le premier émetteur mondial de gaz à effet de serre depuis plusieurs années, mais il n’est pas considéré comme un responsable historique du changement climatique. Quel rôle voyez-vous pour la Chine dans cette transition, dans le contexte mondial actuel, particulièrement bouleversé ?
C’est un fait : la Chine n’est pas historiquement responsable du changement climatique. Son industrialisation ne s’est vraiment accélérée qu’à la seconde moitié du XXe siècle, comme pour le Brésil. Mais la Chine a connu une croissance extraordinaire ces dernières décennies, et elle reste aujourd’hui un grand consommateur de charbon — nous le savons tous. Cela dit, il faut reconnaître que la Chine est aussi l’un des pays qui innove le plus dans le domaine des énergies renouvelables. Elle permet aujourd’hui au monde entier d’accéder à des véhicules électriques de qualité, à des prix très compétitifs. Elle a aussi réussi à réduire de 90 % le prix des panneaux solaires, ce qui représente une contribution majeure à la diffusion mondiale de solutions climatiques. Oui, ses émissions restent élevées — et les autorités chinoises en sont pleinement conscientes, elles le disent ouvertement. Mais c’est aussi le pays qui présente actuellement le plus de solutions. Le changement climatique comporte des risques exponentiels, mais aussi des opportunités exponentielles grâce à l’innovation technologique. Il est donc essentiel de se concentrer sur les efforts que chaque pays entreprend dans leurs propres économies. Et dans ce sens, la Chine joue un rôle extrêmement important, à la fois en réduisant progressivement ses propres émissions et en fournissant des outils technologiques accessibles au reste du monde.
La COP29 de Bakou a été très frustrante pour de nombreux pays du sud, qui attendent des financements pour leur transition climatique. Comment, selon vous, atteindre les milliers de milliards de dollars nécessaires ? Parce qu'en fin de compte, sans cet argent, certains pays pourraient être tentés de proposer des plans climatiques moins ambitieux, voire de ne pas en présenter du tout s'ils n’ont pas les moyens de les financer. La question du financement reste donc primordiale. Comment trouver cet argent ?
Le financement est absolument central. Pour la plupart des pays en développement, le problème réside dans l'accumulation de plusieurs défis de développement à la fois. Par exemple, l’Europe a pu faire des progrès dans plusieurs domaines : d’abord l’éducation, ensuite la médecine, ensuite les infrastructures, puis les transports, etc. Mais pour les pays en développement, ces questions arrivent simultanément alors qu’ils doivent dans le même temps faire face à la lutte contre le réchauffement climatique. C’est donc une question de justice de se rendre compte que les pays responsables de l’accumulation de CO2 dans l'atmosphère doivent fournir des ressources pour que ces pays en développement puissent se développer tout en ayant les enjeux climatiques au centre de ce développement. Ces pays doivent développer un modèle de développement qui intègre la question du climat au cœur de leur stratégie, tout en affrontant des défis énormes. C’est une situation particulièrement complexe, mais nécessaire à la fois pour leur développement et pour la préservation de notre planète.
Certains se demandent si les pays développés vont réellement mettre l’argent sur la table en l'absence de la première économie mondiale, puisque les États-Unis sont sortis de l'accord de Paris ?
Évidemment, l'absence des États-Unis est une source de grande préoccupation, et je comprends bien les inquiétudes des autres pays développés. Si ce sont uniquement les pays développés qui doivent fournir les ressources, le retrait des États-Unis rend la situation encore plus complexe. Cependant, il est crucial de regarder la question du financement climatique sous un angle plus large. Lors de la COP de Bakou, par exemple, une initiative conjointe entre la présidence brésilienne et celle de l'Azerbaïdjan a proposé de passer de 300 milliards de dollars à 1 300 milliards. Ce chiffre peut paraître effrayant, mais il illustre bien l'ampleur de l'impact que le changement climatique a sur l’économie mondiale. Nous travaillons sur une proposition concrète pour avancer dans cette direction, afin de montrer comment nous pouvons passer d'un point A à un point B de manière convaincante. Nous devons désormais sortir de l’idée des fonds spéciaux pour le climat. Il est impératif que le climat soit au centre de toutes les décisions de développement, d'investissement et de financement. Cela nécessitera un profond changement dans nos habitudes et notre manière de penser l’économie, mais c’est un changement que nous devons absolument opérer pour répondre aux enjeux de la transition climatique. J’espère que nous pourrons présenter quelque chose de réaliste et positif à Belém lors de la COP30.
Les forêts sont souvent appelées les poumons de la planète, et elles seront un des grands sujets de la prochaine COP, qui se tiendra au cœur de l'Amazonie. Vous lancez un fonds pour les protéger. Mais est-ce qu’un énième fonds suffira à les sauver ?
C’est une excellente question. Le fonds que le Brésil propose est très différent des autres. Il garantit que tous les investisseurs recevront au moins 3 % de retour par an sur leur investissement. Ce n’est donc pas un fonds traditionnel où les participants ne voient aucun retour. Ce fonds est très innovant et essaie de résoudre le problème très spécifique de la conservation des forêts. Il y a plusieurs approches pour gérer les forêts, et malheureusement, certaines d'entre elles sont très négatives, comme la déforestation. Pour contrer ce problème, des mécanismes comme le REDD+ (Réduction des émissions dues à la déforestation et à la dégradation des forêts) existent déjà et ont montré leur efficacité, notamment au Brésil. La restauration des forêts a un impact extrêmement positif sur la lutte contre le réchauffement climatique. Elle doit donc avoir un système de financement dédié. Les marchés carbone en font partie. Pour arrêter la déforestation, nous avons des projets dans le sens du REDD+, qui sont efficaces. En revanche, nous n’avions rien qui prenne en compte la préservation des forêts encore intactes, et c’est ce que nous proposons. Nous visons un objectif ambitieux de 125 milliards de dollars pour ce fonds. Nous explorons également d’autres formes pour atteindre des ressources pour les forêts tropicales. Ce sera un thème central de la COP à Belém. Il ne faut cependant pas oublier qu'à l’échelle internationale, la déforestation représente moins de 10 % des émissions mondiales, les énergies fossiles doivent donc rester au centre de l’attention. D’un point de vue brésilien, la déforestation reste un problème malgré tout central, il s’agit de notre principale source d’émission. Nous avons déjà réussi à réduire de plus de 50 % la déforestation en deux ans. Cependant, il reste encore beaucoup à faire pour garantir des activités économiques qui soutiennent les populations vivant dans des régions comme l'Amazonie, tout en préservant les forêts. La complexité de l'Amazonie est extraordinaire. En tant que Brésilien venant de Rio de Janeiro, je peux vous dire que, historiquement, la gestion de cette région a souvent été déconnectée des réalités locales. Les anciens projets de développement, y compris ceux soutenus par la Banque mondiale, n'ont pas suffisamment pris en compte les défis de l'écosystème amazonien. Aujourd'hui, cependant, nous disposons de bien plus de connaissances scientifiques et de recherches sur l'Amazonie. Nous avons également des institutions au Brésil qui travaillent activement sur ce sujet. Il est essentiel de discuter avec d'autres pays tropicaux. Il existe plus de 65 pays en développement dans le monde avec des forêts tropicales, et ces pays doivent se réunir pour développer des stratégies communes, afin que ces forêts puissent continuer à jouer leur rôle essentiel dans la lutte contre le réchauffement climatique, tout en permettant aux populations qui vivent en harmonie avec elles depuis des millénaires de maintenir leur mode de vie. Ces populations nous donnent une leçon très claire : on peut vivre en paix avec la nature. Malheureusement, c’est une chose que la plupart des civilisations aujourd’hui ne sont plus capable de faire.