Vous entendrez un extrait d’une interview que le Guide du Bordeaux Colonial avait recueilli le 22 mars dernier au Musée d’Aquitaine, de Pap Ndiaye, venu faire une conférence intitulée « Penser les discriminations en France aujourd’hui » Ce rendez-vous était organisé par l’Institut des Afriques, l’Université populaire de Bordeaux et le LAM (Les Afriques dans le Monde, unité de recherche mixte CNRS et Sciences po Bordeaux).
Nous avons eu l’autorisation de capter cette conférence de Pap Ndiaye et nous allons vous la proposer pour cette émission spéciale, sous la forme de 3 extraits d’une quinzaine de minutes chacun dont une (particulièrement parlante) qui revient sur les moyens de lutter contre les discriminations.
Pap Ndiaye, le 22 mars dernier n’était pas encore ministre de l’Education nationale du gouvernement Elisabeth Borne, de Macron II, il était cependant déjà dans les petits papiers du président puisqu’il avait été nommé en 2021, Directeur Général de la Porte Dorée qui abrite le Musée national de l’histoire de l’immigration.
Cette nomination en tant que ministre de l’Education nationale a défrayé la chronique vous le savez, avec de la part de l’extrême droite une bordée de critiques, limite insultantes qui confirme que dans ce pays certains ne craignent pas d’attiser et d’entretenir les haines en entretenant et attisant les fantasmes racistes.
- Marine Le Pen : « La nomination de Pap Ndiaye, indigéniste assumé, à l'Éducation nationale est la dernière pierre de la déconstruction de notre pays, de ses valeurs et de son avenir. Ce choix de mettre un homme qui défend l'indigénisme, le racialisme et le wokisme à la tête de l'Éducation nationale, c'est un choix terrifiant pour les parents et grands-parents que nous sommes. On voit qu'Emmanuel Macron et Jean-Luc Mélenchon défendent tous les deux maintenant une République indigéniste"
- Jordan Bardella, président du RN: « c’est un militant racialiste et anti-flics qui va accélérer la dislocation de la Nation. Sa nomination est un signal extrêmement inquiétant envoyé aux élèves français au sein de l'Éducation nationale, déjà minée par le communautarisme. Un militant immigrationniste pour rééduquer nos enfants au 'vivre-ensemble' avec les migrants et déconstruire l'Histoire de France. Cette nomination dépasse les bornes de la provocation ».
- Zemmour : « Un intellectuel indigéniste, wokiste, obsédé par la race. C’'est toute l'histoire de France qui va être revisitée à l'aune de l'indigénisme, de l'idéologie woke et de l'islamogauchisme. Il va reformater les esprits des petits Français pour leur apprendre que les Blancs sont éternellement coupables, que les Noirs sont victimes et que nous sommes une terre d'immigration et que nous devons surtout continuer à l'être".
- Gilbert Collard : «C’est un idéologue, un communautariste qui a participé en 2016 à une réunion réservée aux Noirs »
- Eric Ciotti (toujours chez les LR): un «adepte de l'islamo-gauchisme»
Du côté de la gauche maintenant :
- Sandrine Rousseau, écologiste : a salué les positions décoloniales de Pap Ndiaye, soulignant également un «virage à 180 degrés après Blanquer ».
- Jean-Luc Mélenchon : « c’est un grand intellectuel et je me réjouis du départ de Jean-Michel Blanquer et de Frédérique Vidal, «les croisés de l'islamogauchisme».
- Alexis Corbière : « C’est un bel intellectuel et un homme sérieux, à l'opposé des idées défendues par Blanquer, notamment concernant le soi-disant 'islamogauchisme' à l'école. Il faut souligner toutefois le «cynisme» de sa nomination ».
De fait, les deux hommes, Blanquer et Ndiaye ont eu beau, vendredi soir, lors de la passation de pouvoir rue de Grenelle, afficher leur proximité pour plaider la continuité, l'arrivée de Pap Ndiaye au ministère de l'Éducation nationale est une surprise autant qu'une rupture avec la ligne défendue par Jean-Michel Blanquer. Pap Ndiaye avait marqué sa différence avec Jean-Michel Blanquer sur l'utilisation de l'expression "islamo-gauchiste". Qualifié de "fait social indubitable" par Blanquer, ce concept avait été rejeté par Pap Ndiaye, assurant qu'il ne recouvrait "aucune réalité dans l'université" et que son emploi était "une manière de stigmatiser des courants de recherche".
On est en pleine Macronie, on a l’habitude maintenant : c’est un coup politique et médiatique.
C’est un soulagement pour les enseignants, car c’est un enseignant lui-même et un anti Blanquer mais je pense que personne n’est dupe, pas de triomphalisme, loin de là, beaucoup de prudence en attendant de le voir à l’œuvre.
Qui est Pap Ndiaye ?
C’est un « pur produit de la méritocratie républicaine et de la diversité » comme il aime à se présenter, encore sur le perron du ministère de l’éducation nationale vendredi dernier.
Normalien (Ecole Normale supérieure de St Cloud), il est agrégé d’histoire, doctorant à EHESS (Ecole des Hautes études en Sciences Sociales
C’est un enseignant chercheur en Histoire, prof à Sciences po Paris et auteur de nombreux ouvrages sur la question noire, les minorités et les discriminations aussi bien aux Etats-Unis, où il a vécu dans les années 1990, qu’en France :
- « Les Noirs américains en marche pour l’égalité » en 2009
- « La condition noire : essai sur une minorité française » en 2009 également et réédité 2 fois
- « Les noirs américains de l’esclavage à Black Lives Matter » : son dernier ouvrage sorti en 2021.
Il est le frère de Marie Ndiaye, l’écrivaine célèbre, Prix Fémina en 2001 pour « Rosie Carpe » et prix Goncourt en 2009 pour « Trois femmes puissantes ».
Depuis sa nomination à la tête du musée de l’histoire de l’immigration (on rappelle la difficulté à exister de ce musée, voulu par Chirac, ouvert sous Sarkozy en 2007, qu’il refusera d’inaugurer, il ne le sera inauguré que 7 plus tard en 2014 , sous Hollande), Pap Ndiaye a pris de la distance par rapport à son attitude militante, en tous les cas engagée, voire très engagée dans la lutte contre le racisme et les discriminations :
- C’est aux Etats-Unis dans les années 1990, qu’il prend vraiment conscience de la question ou de l’identité noire qu’on lui renvoie.
- En 2003, il participe à la création, aux côtés de Catherine Coquery Vidrovitch, l’excellente historienne spécialiste de la colonisation, de l’association « Le cercle d’action pour la promotion de la diversité en France ». I
- Il est membre du CRAN (Conseil représentatif des associations noires de France) créé en 2005
- En 2018, il collabore à l’exposition au musée d’Orasay « Le modèle noir : de Géricault à Matisse »
- Il est pour la création d’un musée de la colonisation qui n’existe toujours pas en France.
- Il est pour le vote d’une loi cadre qui remet en question le principe d’inaliénabilité des œuvres d’art déposées dans les musées français et qui bloque les restitutions des œuvres pillées durant la colonisation.
Il est cependant proche de Achille Mbembe, impliqué dans le dernier sommet Afrique-France, voulu par Macron, qui on le rappelle devait se tenir à Bordeaux en juin 2020 et qui s’est finalement tenu en octobre 2021 à Montpellier, où Macron est allé parler à des jeunes et des membres de la société civile, de développement, d’indépendance économique et culturelle, comme si rien n’était, comme si la Françafrique ne continuait pas d'exister, en pleine intervention Barkhane au Sahel.
Production : Gérard Clabé, Sandra Merlet
Mise en ondes : Baptiste Giraud
Photo de Une : Pap Ndiaye, le 13 octobre 2018 (DR/Wikimedia