Entretien réalisé le 10 mars 2021, et retranscrit par Sandra Merlet
La Clé des Ondes : Quelle est la nature du RASA et les différentes organisations qui y participent ?
Abdourahmane Ndiaye : Le RASA est un consortium d’organisations de la société civile africaine. Il n’y a pas que le Forum mondial des alternatives. Il y a aussi d’autres structures : le CODESRIA, Legs Africa, Trust Africa, Enda Tiers-Monde, le forum du Tiers-Monde, etc. C’est un ensemble de structures de la société civile africaine qui sont à l’initiative du RASA.
Les rapports sur l’Afrique sont bien souvent dans deux appréciations antinomiques binaires : soit une ritournelle classique autour de la misère, mais aussi depuis quelque temps comme un continent de croissance. Pouvez-vous revenir sur votre position à propos de ces approches ?
Les rapports qui existent sur le développement en Afrique sont souvent des rapports ayant une vision très paternaliste, condescendante. Ils en oublient l’histoire, ils en oublient les trajectoires réelles et non pas supposées. Et nous, nous voudrions revenir sur les trajectoires réelles des sociétés africaines.
On veut un monde multipolaire, et ce monde multipolaire ne peut advenir que si l’Afrique prend sa place dans le monde dans lequel nous vivons
Les stratégies qui sont mises en place sont des stratégies de privation qui permettent aux firmes transnationales, avec la complicité des élites politiques, de confisquer la croissance et de rapatrier les bénéfices de la croissance. Si bien que cette croissance on la constate au travers de la comptabilité nationale. Mais quand on interroge la variable niveau de vie, développement humain, développement durable, on se rend finalement compte qu’il n’y a pas vraiment de croissance. La situation est complexe, et il faut la regarder avec lucidité afin de proposer des pistes alternatives qui rompt avec les places subalternes attribués systématiquement à l’Afrique.
Le RASA parle de l’Afrique globalement. Quelle pertinence il y a à envisager l’Afrique dans son ensemble aujourd’hui ?
Il faut parler de l’Afrique comme étant une entité géographique, un continent au même titre que les autres. Mais nous ne somme pas enfermés par cette dimension géographique, parce que nous considérons que l’Afrique c’est aussi une émotion. C’est à dire qu’être africain c’est celui qui se considère comme tel et qui est prêt à faire avancer la cause africaine. La diaspora est membre intégrante de l’Afrique, même si elle n’est pas physiquement sur le continent.
L’affirmation de votre rapport « une Afrique et des Africains qui doivent construire leurs propres outils pour mesurer leurs propres progrès et leurs propres défis sur la base de leurs propres valeurs et réalités » est-elle en rupture avec les analyses marxistes de l’impérialisme dominant, d’il y a quelques décennies, maintenant que le libéralisme a triomphé au plan économique ?
Nous ne sommes pas en rupture avec la tradition marxiste, bien au contraire. Mais nous voulons dépasser cette opposition entre les centres et les périphéries, ouvrir le débat sur ce qu’il se passe dans les périphéries. Ce que nous voulons de manière forte est l’affirmation de nous-même, de nos idées, de nos orientations, qui rompt avec celle proposée par le système néo-libéral.
L’organisation de l’Union africaine, désormais l’Unité africaine, qu’analysez-vous sur le rôle de cette institution ?
La première critique est que l’Union africaine est dans une approche néo-libérale. Avec l’idée que pour émerger il faut passer par l’exploitation, voire la surexploitation des ressources naturelles. De plus, les rapports de la commission sont toujours rédigés avec l’aval de l’OCDE. Nous ne comprenons pas que jusqu’à présent quand les Africains veulent faire quelque chose, il faut que ce soit avec la bienveillance des Européens. Nous ne pouvons pas à la fois prétendre à une souveraineté et continuer à se laisser dicter son comportement, ses choix, ses orientations, de l’extérieur.
Pour aller plus loin :
- Le site du Rapport Alternatif sur l'Afrique : rasa-africa.org
- Olivier Blamangin, "Castel l'empire qui fait trinquer l'Afrique", Le Monde diplomatique, octobre 2018
Musiques
- Didier Awadi, J'accuse, album Un autre monde est possible, 2005
- Tiken Jah Fakoly, Françafrique, album Françafrique, 2002
Photo de Une : Enfants au Bénin (Creativ Commons/Andre Roussel, USAID)
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