Pour cette épisode j’ai le plaisir de vous lire une lettre de Albert Camus destiné à Maria Casarès, écrite le Mercredi 1er juin 1949
De 1944 à 1959, ses deux êtres ont partagé une correspondance privé empli de douceur, de sincérité, de doute, de joies, de peine, de confiance et de bienveillance…tout ce qui fait une grande histoire d’amour ?
Je vous souhaite de découvrir ses lettres, leurs mots sont de beaux refuges, leur amour porteur d’espoir
Belle écoute
« Le soir tombe, mon amour, et ce jour qui finit est le dernier ou je puisse encore respirer le même air que toi.
Cette semaine a été affreuse et je pensais que je n’en
sortirais pas.
Maintenant, le départ est là. Et je me dis que je préfère encore la souffrance solitaire et la liberté de pleurer, si l’envie m’en prend. Je me dis aussi qu’il est temps de prendre ce qui vient avec la force qui en viendra à bout. Ce qui rend tout difficile c’est ton silence et les paniques qu’il m’apporte. Je n’ai jamais
pu supporter tes silences que ce soit celui-ci ou ces
autres, avec ton front buté, et ton visage verrouillé, toute l’hostilité du monde rassemblée entre tes sourcils.
Et aujourd’hui encore je t’imagine hostile, ou étrangère, ou détournée, ou niant obstinément cette vague qui m’emplit.
Du moins je veux oublier cela pour quelques minutes et te parler encore avant de me taire pour de longs jours.
Je remets tout entre tes mains. Je sais que pendant ces longues semaines il y aura des hauts et des bas.
Sur les sommets, la vie emporte tout, dans les creux, la souffrance aveugle.
Ce que je te demande c’est que vivante ou repliée, tu préserves l’avenir de notre amour.
Ce que je souhaite, plus que la vie elle-même, c’est de te retrouver avec ton visage heureux, confiante, et décidée à vaincre avec moi.
Quand tu recevras cette lettre, je serai déjà en mer.
La seule chose qui me permettra de supporter cette séparation, et cette séparation dans la souffrance, c’est la confiance que j’ai désormais en toi. Chaque fois que je n’en pourrais plus, je m’abandonnerai à toi – sans une hésitation, sans une question.
Pour le reste, je vivrais comme je le pourrai.
Attends-moi comme je t’attends. Ne te replie que si tu ne peux faire autrement. Vis, sois éclatante et curieuse, recherche ce qui est beau, lis ce que tu aimes et quand la pause viendra, tourne-toi vers moi qui serai toujours tourné vers toi.
Je sais maintenant sur toi et sur moi beaucoup plus que je ne savais. C’est pourquoi je sais que te perdre c’est mourir d’une certaine manière.
Je ne veux pas mourir et il faut aussi que tu sois heureuse sans être diminuée. Si dur, si terrible que soit le chemin qui nous attend, il faudra le prendre.
Au revoir, mon amour, mon enfant chéri, au revoir, dure et douce, si douce quand tu le veux…Je t’aime sans regrets et sans réserves, d’un grand élan tout clair qui m’emplit tout entier. Je t’aime comme je me sens vivre, parfois, sur les sommets du monde, et je t’attends avec une obstination longue comme dix vies, une tendresse qui ne s’épuisera pas, le grand et lumineux désir que j’ai de toi, la soif terrible que j’ai de ton cœur. Je t’embrasse, je te serre contre moi.
Au revoir, encore, ton absence m’est cruelle, mais tous les bonheurs du monde ne valent pas une souffrance avec toi.
Quand j’aurai de nouveau tes mains sur mes épaules, je serai, en une seule fois, payé de tout.
Je t’aime, j’attends, non plus victoire, mais espérance.
Ah ! qu’il est difficile de te quitter, ton cher visage va s’enfoncer encore dans la nuit, mais je te retrouverai sur cet océan que tu aimes, à l’heure du soir quand le ciel a la couleur de tes yeux.
Au revoir, j’ai le cœur plein de larmes, mais je sais que dans deux mois, la vraie vie commencera – que j’embrasse déjà sur ta bouche. »
A.