L’intelligence artificielle va-t-elle détruire certains métiers et en créer d’autres ? Ou simplement faire évoluer les pratiques ? Selon une récente étude d’Indeed, un quart des recruteurs français la redoute. À tort ou à raison ?
Une récente étude d’Indeed nous explique que 25 % des recruteurs en France redoutent l’intelligence artificielle générative. Pourquoi ? Parce qu’elle pourrait remplacer le jugement humain (47 %), créer de nouveaux biais de recrutement (39 %) ou détruire des emplois (34 %). Et pourtant, plus de 80 % de ces mêmes recruteurs travaillent déjà avec l’IA générative, et selon Charles Chantala, senior director au sein du moteur de recherche d’emploi, « elle est déjà partout, c’est juste qu’il y a encore un an ou deux, beaucoup de recruteurs n’avaient pas conscience d’en faire usage… »
Les candidats plus réticents que les recruteurs face à l’IA ?
C’est ce que confirme peu ou prou Julien Badr, président du Mercato de l’Emploi, grand réseau national de recruteurs indépendants. « On l’utilise quotidiennement » et pour lui, « c’est merveilleux ». Notamment parce que les grands principes qui régissent l’utilisation de l’IA étaient déjà appliqués par les humains, à savoir « se baser sur des points d’ordre sémantique, des mots-clés ou leurs dérivés, que l’on essaie de trouver sur des profils… ». L’IA générative permet désormais d’aller plus loin, avec notamment des résumés d’entretiens détaillés, « très utiles, car cela permet de mieux analyser la data, mais aussi d’être plus dans l’instant présent pendant l’échange puisque l’on n’a pas besoin de prendre des notes ». Ces gains de temps justifient l’enthousiasme de certains recruteurs, quand « des réticences perdurent plus fortement chez les candidats », selon Charles Chantala.
Associée au cabinet de “Talent Management” Lincoln, Selma de Fressenel est une grande enthousiaste face à l’IA. « Chaque innovation a permis aux humains de se libérer de tâches lourdes, pénibles et répétitives. Chacune a renversé un ordre établi et a détruit, mais détruit pour mieux créer. » Selon elle, la promesse est de s’appuyer sur la machine pour pouvoir se concentrer « sur ce que l’on aime faire le plus, et sur notre cœur de mission ».
Mais les professionnels comme Selma de Fressenel savent qu’il ne faut pas utiliser l’IA sans prendre de précaution. « La machine déraille parfois, il y a des chimères, ce que l’on appelle poétiquement des hallucinations (création d’une mauvaise information par l’IA, suite à une mauvaise interprétation de ses sources, ndlr) et qui nous fait penser qu’il faudra toujours au final la magic touch d’un être humain. » Le jugement humain est impératif, confirme Charles Chantala, tout autant « qu’une totale transparence et l’accord des personnes dont on soumet le processus de recrutement à l’IA ».
L’IA, les biais et le déterminisme
« Dans les grands risques de l’IA, il y a les biais, car les modèles sont basés sur des données historiques humaines, elles-mêmes biaisées », estime le senior director d’Indeed. Et pour Selma de Fressenel, les premières victimes sont souvent les femmes puisque les « grands modèles sont aujourd’hui extrêmement misogynes. L’IA est un outil apprenant qui se nourrit de ce que l’on veut bien lui donner… » Et qui ne peut s’appuyer sur autre chose, d’où un autre grand risque, beaucoup plus méconnu selon Charles Chantala, « de déterminisme social ». « L’IA se base sur les expériences passées du candidat, pas sur ses volontés et préférences pour l’avenir. » Conclusion : « il ne faut jamais qu’un recruteur confie son sourcing candidat à une intelligence artificielle… ». Même si cela peut faire gagner « jusqu’à 10 heures par semaine », estime Julien Badr. Pas encore de quoi en faire un « game changer » selon Selma de Fressenel.
Reste une grande question, qui ne touche pas que les recruteurs : l’intelligence artificielle va-t-elle détruire plus d’emplois qu’elle ne va en créer ? « Dire “tous les métiers de demain n’existent pas encore”, c’est juste un moyen de faire la Une des journaux », dénonce Charles Chantala, pour qui il faut raisonner en impact « sur des tâches plus que sur des emplois ». Le réel enjeu de l’emploi ne se limite pas à l’IA, mais au rythme des évolutions techniques et technologiques : « les cycles d’innovation et de disruption s’accélèrent. Le maréchal-ferrant a eu le temps de finir sa carrière et de dire à son fils d’être mécanicien. Nous, on n’aura pas le temps de terminer notre carrière avant de devoir réapprendre ».
-----------------------------------------------------------------------
SMART JOB - Votre rendez-vous quotidien consacré à l’emploi
Arnaud Ardoin vous aide à comprendre les évolutions du marché du travail, les nouvelles pratiques RH, les tendances en matière de formation.
👉 https://www.bsmart.fr/emissions/smart-job